Il s’agit d’un projet de loi ordinaire – finalement très ordinaire. Vous l’avez vous-même reconnu en commission, devant laquelle vous avez pris un certain nombre d’engagements sur lesquels je reviendrai. Vous avez dit vous-même à cette occasion que ce projet de loi avait pour seule ambition d’être raisonnable. Pourquoi alors le baptiser pompeusement « justice du XXIe siècle » ?
Ce projet de loi très ordinaire, vous l’avez présenté dans des conditions extraordinaires, dont vous avez décidé de faire l’ordinaire : ce sont celles de la procédure accélérée.
Je me souviens d’un certain Jean-Jacques Urvoas qui, il n’y a pas si longtemps, présidait la commission des lois de l’Assemblée nationale. Il ne cessait alors de dire, au nom de tous les membres de la commission, tout le mal qu’il pensait du recours devenu quais chronique à la procédure accélérée. Devenu Garde des sceaux, il en vient à pratiquer ce qu’il a tant décrié. Il est vrai qu’il a pour le soutenir un président de la commission des lois qui, lui, déclare d’emblée qu’en raison du peu de temps qu’il reste, tous les textes devront dorénavant être soumis à la procédure accélérée.
En conséquence de quoi, en voulant accélérer la procédure, on ralentit l’examen d’un texte. C’est ce qui se passe avec ce texte en raison de vos mauvaises manières, de l’aveu de nos collègues sénateurs unanimes, y compris ceux qui appartiennent à l’opposition sénatoriale, c’est-à-dire vos amis du groupe socialiste de la Haute assemblée. Ce texte, qui était initialement deux fois plus important que lorsqu’il nous a été présenté, a retrouvé sa taille d’origine à l’Assemblée nationale du fait des fameux 120 amendements du Gouvernement.
Je me souviens, monsieur le ministre, de votre déclaration, qui figure dans le compte rendu de la réunion de la commission en cause, selon laquelle, juré, promis, craché, les nombreux amendements que vous avez déposés en commission seraient les derniers. On a vu ce qu’il en était puisque cet après-midi encore, lors de la réunion de la commission qui s’est tenue au titre de l’article 88 – à laquelle tous nos collègues n’ont pas assisté – nous ont été présentés à nouveau trois amendements du Gouvernement ; amendements dont le rapporteur lui-même, soutenu par le président, a indiqué qu’ils n’étaient pas anodins et que leur portée dépassait celle de simples amendements de coordination ou de précision. Voilà un engagement de plus qui n’a pas été tenu ! Il aurait été nécessaire, au contraire, de prendre son temps et d’examiner selon la procédure ordinaire un texte tout aussi ordinaire.
La forme seule justifie donc que nous soyons en profond désaccord avec la manière qui est la vôtre de gouverner et surtout de prendre des décisions qui, quand elles ne sont pas banales, présentent, sous couvert de figurer dans un ensemble difficile à mettre en cohérence, des caractéristiques pour le moins inquiétantes.
Je vais vous livrer quelques raisons supplémentaires de ne pas voter ce texte.
La première est la manière dont vous avez décidé de prendre en compte les propositions faites par votre opposition. Cette manière est claire : on feint de l’écouter et ensuite on décide de n’accepter pratiquement aucun de ses amendements, quel que soit le sujet.
Sans y revenir longuement, je veux quand même dire quelques mots sur la suppression, au cours de l’examen du texte – cette disposition ne figurait pas dans le texte initial – des tribunaux correctionnels pour mineurs. Vous présentez cela comme une évidence qui répond à une attente de nos concitoyens dont elle soulagerait la conscience. Vous vous trompez lourdement. C’est une erreur considérable. Je vous ai d’ailleurs demandé pourquoi ne pas supprimer par la même occasion la cour d’assise pour mineurs, que vous n’avez aucune raison de maintenir. S’il faut instaurer un juge unique, laissons le juge des enfants décider de tout : cela aurait au moins le mérite de la cohérence.
Les tribunaux correctionnels pour mineurs ont été mis en place dans l’optique de traiter avec le plus grand sérieux le problème de la délinquance réitérée des mineurs bientôt majeurs. Vous allez supprimer cette possibilité : vous en porterez longtemps la responsabilité.
Qu’il me soit permis de dire que ce n’est pas à l’enseignant et au maire que je suis, qui pratique régulièrement, à la demande du procureur de la République, le rappel à l’ordre dans le cadre du Conseil des droits et devoirs de la famille, que l’on fera le coup de la prévention qui s’opposerait à la répression. Ceux qui, dans cet hémicycle, ont comme moi exercé des fonctions d’éducation savent très bien que l’une et l’autre sont indissociables et qu’il n’y a pas, d’un côté, les bons qui sont favorables à la prévention et, de l’autre, les méchants qui prônent la répression. Ce serait comme dire que les bons médecins sont ceux qui font de la prévention tandis que les mauvais traitent la maladie lorsque la prévention a échoué.
S’agissant du divorce sans juge, des éléments intéressants côtoient des faiblesses, que nous nous sommes efforcés de mettre en exergue mais qui, malheureusement, n’ont pas été prises en compte. La prise en compte de l’enfant mineur ainsi que le respect de l’équilibre des conventions de partage : voilà des sujets dont il fallait étudier plus en profondeur tant la réalité que les conséquences. Vous ne l’avez pas fait.
En ce qui concerne les infractions routières, nous avons, durant les travaux de la commission – car nous étions présents – tenté de vous faire comprendre qu’un quantum de peine est un quantum de peine et qu’on ne peut pas le comparer avec la durée moyenne des peines prononcées car il ne faut comparer que ce qui est comparable. De ce point de vue la procédure d’amende forfaitaire est tout simplement ahurissante. Nos concitoyens doivent savoir que demain ils encourront une sanction plus lourde s’ils provoquent des nuisances au volant d’un engin motorisé que s’ils conduisent sans permis ou sans assurance. Vous serez responsable de ce signal extrêmement déplorable qui ne contribuera pas à réduire la délinquance et la criminalité routières dans notre pays. Les chiffres de ces derniers mois et de ces dernières années prouvent pourtant que nous devrions nous en préoccuper.
Je conclurai sur la mauvaise manière faite aux collectivités territoriales. Monsieur le ministre, vous m’aviez affirmé, lors de la précédente lecture de ce texte, que ce texte prévoyait bel et bien des compensations aux nouvelles charges qui pèseront sur les collectivités du fait du transfert aux services d’état civil des procédures relatives aux PACS, qu’il s’agisse de leur inscription ou de leur dissolution. Je vous avais indiqué que le nombre de ces PACS équivalait au nombre des mariages célébrés dans les communes de France.
Vous n’en avez pas tenu compte alors que c’est bien une charge supplémentaire qui n’est pas compensée. Certains ont même le culot – que notre rapporteur me permette de le souligner puisque lui-même l’a prétendu – de dire que c’était une chance et pratiquement un cadeau fait aux communes que de leur confier cette nouvelle responsabilité…