C’est vrai : comme toujours, ou du moins comme souvent.
Monsieur le ministre, je n’ai pas à avoir de bons ou de mauvais sentiments, mais je pense que vous êtes un ministre de la justice apprécié des Français, ce qui est assez rare. Cette situation particulière pourrait bien durer – je vous le souhaite – et c’est la raison pour laquelle vous devez en profiter.
Sans doute ce que j’entends n’est pas très différent de ce que vous entendez vous-même. Quand nous écoutons nos compatriotes – peuple singulier qui se déclara naguère souverain, inspirant la plupart des grands peuples de la planète mais qui désormais se perçoit moins comme un ensemble de citoyens que comme des individus éparpillés aux quatre coins du pays, comme après le passage d’un tsunami –, on ressent l’impression terrible et redoutable pour nous d’un rejet du politique.
Oh ! Bien sûr, ils aiment leur maire ; ils aiment leur député quand il est dans sa circonscription, qu’ils aient ou non voté pour lui. Ils supportent le sénateur, même s’ils ont horreur que le député battu en mars se retrouve sénateur en septembre. Je ne pensais pas qu’ils se méfiaient à ce point de la presse. Habitué à fréquenter mes concitoyens, je connais en effet leurs relations avec la presse locale.
Cependant, alors que j’ai toujours entretenu de très bonnes relations avec la justice, même si j’ai été moi-même jugé en correctionnelle – j’ai même dit que les tribunaux étaient les derniers salons où l’on cause –, je suis effrayé d’entendre ce qui se dit un peu partout, aux quatre coins de notre pays, à propos de notre justice, celle qui est rendue au nom du peuple. D’ailleurs si quelqu’un – pas vous, monsieur le ministre, mais un simple député comme moi – prononce ces mots, les gens tournent immédiatement les talons. C’est le signe qu’il y a là un grave problème.
Ce problème, on le retrouve à tous les niveaux, et d’abord à celui du justiciable. Combien de nos compatriotes vouent une haine mortelle à cette journée fatidique où, selon eux, leur vie a basculé, d’une manière ou d’une autre, parce que la justice s’y est invitée, soit qu’ils l’aient conviée, soit qu’elle ait été conviée par d’autres ! Le moindre divorce, la moindre affaire de famille ou de voisinage, sans aller chercher des complications plus graves, le simple fait d’avoir affaire à la justice apparaît aujourd’hui comme un malheur absolu dont on n’a plus aucune chance de sortir indemne.
J’espère me tromper. J’espère être le seul à entendre ces propos. Si tel est le cas, ce n’est pas grave. Tout passe.
En tout cas, je souhaite de tout mon coeur la poursuite d’une action que vous ne pourrez pas mener tout seul. Le travail est trop important ! C’est un immense chantier à engager auprès du peuple tout entier, auquel il faut redonner confiance. La justice doit permettre à la victime d’être reconnue comme telle. Le coupable doit avoir l’espoir d’obtenir un jour le pardon, s’il le demande. Enfin, ceux qui ont l’obligation de rendre la justice au nom du peuple doivent retrouver une sérénité qui les a quittés depuis longtemps et des moyens financiers qu’ils n’ont plus.
Mais la tâche à mener va bien au-delà : c’est notre organisation tout entière est en cause. Le Conseil supérieur de la magistrature est nommé par l’État. Le parquet nomme les procureurs de la République. Et les citoyens, malheureusement, font le lien entre un monde politique entièrement coupé d’eux, une presse qui ne leur parle plus et une justice qui n’est plus la justice.