Les moments tragiques que vit notre pays nous conduisent à rappeler ici, tous ensemble, combien la démocratie nous est précieuse et combien elle exige de notre part de dignité dans le débat public. C’est ce qui nous rassemble cet après-midi.
La démocratie est née de débats budgétaires et, aussi aride que soit la matière, ceux-ci sont essentiels à la vie de la démocratie – dans la préparation du budget, dans son exécution et dans le compte rendu que l’exécutif en fait auprès du Parlement. Le débat sur la loi de règlement est donc bien un débat important, au cours duquel des questions peuvent et doivent être posées. C’est le débat de la loi de règlement tel que nous l’avons eu ces dernières semaines. Ce sont aussi les commentaires et les rebonds de l’analyse économique, financière et budgétaire de ces derniers jours.
Qu’il me soit donc permis de dire, monsieur Lefebvre, dans cette intervention qui prend place au terme de la discussion de la loi de règlement, que sur les chiffres, la majorité et l’opposition n’ont décidément pas la même lecture. Plus exactement, les chiffres, y compris ceux que vous présentez vous-mêmes dans vos documents, sont une réalité dure.
Le 14 juillet, le Président de la République a osé affirmer que les prélèvements obligatoires baisseraient pour les entreprises et les ménages. La réalité – est-il besoin de le rappeler, car vous le savez tous parfaitement ? – est qu’en 2011, dernière année pleine du mandat précédent, les prélèvements obligatoires étaient, dans notre pays, inférieurs à 43 % du produit intérieur brut et qu’en 2015, données sur lesquelles nous délibérons à l’occasion de ce projet de loi de règlement, ils s’élèvent à près de 45 % du PIB – 44,7 % précisément. J’ai du mal à considérer cela comme une baisse.
Pour ce qui est des ménages, gardez-vous de les confondre et de les tromper dans vos analyses. De fait, s’il y a eu des allers-retours de la part du Gouvernement à propos des prélèvements obligatoires sur les entreprises – et le retour a été meilleur que l’aller – la réalité a été très douloureuse pour un très grand nombre de ménages de notre pays, tout au long de ce mandat. Cette situation est très pénalisante sur le plan international. En effet, des prélèvements obligatoires supérieurs de dix points à la moyenne de l’OCDE pèsent sur la compétitivité de notre pays et sur notre avenir, y compris et particulièrement dans les périodes troublées que nous connaissons.
Quant à la dette, vous vous flattez aussi. La dette financière négociable était, comme le rappelle Mme la rapporteure générale, de 1 313 milliards d’euros en 2011 et de 1 576 milliards en 2015, et nous avons déjà évoqué le niveau record des primes d’émission. Tout cela ne signe pas une gestion remarquable de la dette.
Pour en revenir au projet de loi de règlement, je tiens à relever un point d’analyse très intéressant que Mme Rabault nous a livré dans son rapport et que nous avons déjà évoqué, mais qui est passé trop discrètement dans le débat et mérite d’être souligné, à savoir la faible part que représentent, du fait des initiatives prises par différents gouvernements, les cotisations patronales sur les salaires du niveau du SMIC : 10 % du salaire brut. C’est révélateur des priorités des pouvoirs publics, et l’on peut du reste contester cette smicardisation et cette tiers-mondisation de l’économie française.
Il est donc essentiel, d’un point de vue pédagogique, de dire et redire à nos concitoyens cette réalité claire, mais pas intuitive : un salarié français payé au SMIC et dont l’employeur paie les charges sociales françaises coûte aujourd’hui moins cher qu’un travailleur détaché venant d’un quelconque autre pays de l’Union européenne et payé au SMIC français avec les charges sociales du pays d’origine. Cela signifie donc bien que, dans notre pays, les problèmes d’emploi pour cette catégorie de population ne tiennent pas au niveau des salaires et des charges, mais bien à l’organisation du marché du travail, à la flexibilité de l’emploi et au droit du travail. C’est une réalité que vous vous êtes certes efforcés d’aborder avec le projet de loi El Khomri, certes insuffisant et mal défini, et qu’il est indispensable de partager avec nos concitoyens.
Je tiens à ce propos à dire solennellement, sans esprit de polémique, combien insatisfaisante est la réponse apportée par M. le Premier ministre à cet égard. Il a en effet déclaré, exprimant une vision de l’État que nous ne partageons pas, qu’il fallait « suspendre » la directive sur le travail détaché.
Qu’il faille, dans la révision engagée, défendre nos positions, différentes de celles d’autres pays, j’y souscris et je l’assume volontiers. Cependant, monsieur le secrétaire d’État, « suspendre » une directive, cela n’existe pas. C’est un terme inventé pour les besoins de la polémique et de la communication. Lorsque le Premier ministre de la République utilise ainsi des mots, des concepts juridiques qui ne se rapportent à rien, ce n’est pas sérieux. Or, monsieur le secrétaire d’État, l’action et la parole publiques exigent aujourd’hui beaucoup de sérieux, dans ce domaine comme dans d’autres. Lorsque le Premier ministre dit aux Français ce qui n’est pas, qu’il propose un objectif politique strictement impossible dans le cadre européen, c’est toute l’action publique que l’on abîme – et l’époque demande tout, sauf cela.