Madame la ministre de la culture et de la communication, monsieur le président et rapporteur de la commission des affaires culturelles, je vous remercie d’avoir inscrit notre débat à l’ordre du jour dans le contexte dramatique que nous connaissons.
Pour ma part, j’ai le sentiment que nous n’aurions pas dû débattre de ce texte aujourd’hui. Pour dire les choses franchement, je n’avais pas envie de venir. Pas parce que nous sommes au mois de juillet, parce que c’est lundi ou parce que je méprise la presse, mais parce que je redoute que nos concitoyens ne comprennent pas qu’avant même de nous être prononcés sur la prolongation de l’état d’urgence et sur la sécurité du pays, nous examinions un texte qui peut apparaître, dans ce moment-là, comme un texte de boutiquier.
Vous savez bien, madame la ministre, monsieur le rapporteur, que nos concitoyens se préoccupent aujourd’hui de la France et de leur identité nationale. Il est donc délicat de venir traiter aujourd’hui d’un problème qui est certes important, monsieur le rapporteur, mais qui doit être relativisé dans le contexte actuel. Je ne voudrais pas que nous donnions le sentiment, collectivement, d’une sorte d’indifférence souveraine à la réalité – il faut absolument nous en garder.
Monsieur le rapporteur, le fait que ce texte soit examiné en urgence témoigne peut-être du triomphe de votre volonté. Mais cette exigence de l’urgence, c’est le premier argument de notre manifeste contre votre proposition de loi. Vous avez voulu un texte qui cible expressément un groupe et son dirigeant, et vous l’avez fait. Son cheminement, au cours de la navette parlementaire, a été difficile, et il vous a conduit dans une sorte d’impasse où vous vous êtes enfermé – on l’a bien constaté avec l’échec de la commission mixte paritaire. Mais vous continuez, et vous revenez avec les mêmes arguments. Il faut au moins vous reconnaître cette ténacité, cette pugnacité.
Vous savez pourtant, monsieur le président et rapporteur, vous qui avez une grande expérience parlementaire, que les textes traités en urgence sont rarement bien ficelés. J’ai eu l’occasion de vous rappeler la boutade prononcée à cette même tribune par un ministre issu de nos rangs, Christian Blanc, qui déclarait avec sagesse : « La vie m’a appris une chose : quand il y urgence, il faut parfois ne pas se presser » !
Vous connaissant, monsieur le rapporteur, je ne veux même pas croire que ce texte soit un texte de circonstance – c’est un procès que certains seraient tentés de vous faire – visant à ressouder un peu les rangs d’une majorité à l’agonie autour de quelques idées nobles, telles que la liberté, l’indépendance, la transparence ou l’éthique. En fait, comme chaque fois que vous êtes au pouvoir, et je m’adresse là à la majorité dans son ensemble, vous souhaitez imposer votre conception de la justice, de la responsabilité et même, oui, du bonheur, ce qui me laisse croire en votre bonne foi dans cette aventure législative qui est tout de même en train de vous glisser entre les doigts comme le sable du temps.
Le second argument qui nous fait repousser votre texte, c’est, une fois de plus, la relation que vous établissez avec le CSA. Cette fois, vous renforcez son pouvoir de régulation en le chargeant de s’assurer que les intérêts économiques des actionnaires ne pèsent pas sur le projet éditorial des chaînes et ne portent pas atteinte aux principes d’honnêteté, d’indépendance et de pluralisme. Nous n’allons pas rejouer la partie : je vous ai déjà dit ce que nous pensions de ce droit de regard nouveau.
L’ambiguïté des missions du CSA a pourtant été relevée par un parlementaire issu de vos rangs, Marcel Rogemont. La discussion en commission a par ailleurs montré qu’un doute est apparu quant à la nature de ce contrôle. Des témoignages vous ont été apportés, selon lesquels les journalistes sont hostiles à cette formule. Mais vous persistez ! Vous auriez dû bavarder avec l’écrivain Jean-Christophe Rufin, qui a dit : « La presse est libre, vous le savez, elle est libre et responsable. Quand une vérité se dégage, il faut la respecter. » Nous aimerions bien, dans l’opposition, que vous respectiez cette vérité.
Mais c’est peut-être avec l’article 7 et la création des comités d’éthique, désormais dénommés « comité relatifs à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information et des programmes », que vous donnez le meilleur de votre mesure ! En réalité, en inscrivant dans la loi l’obligation de créer ces comités, vous restez au milieu du gué, entre deux conceptions : l’éthique de responsabilité et l’éthique de conviction. Quelqu’un a écrit que, depuis Rabelais, « on a la chance, en France, de vivre en grande liberté ». Ce quelqu’un, c’est Wolinski, madame la ministre. Le citer aujourd’hui, en cet après-midi de deuil, c’est une façon de lui rendre hommage – et vous m’accorderez que je ne vais pas forcément chercher mes références chez les auteurs qui ont fait preuve de la plus grande indulgence à mon égard. « En grande liberté », dit-il.
Vous le savez, l’éthique suppose la liberté. Or, avec les contraintes que vous imposez dans la composition de ces comités, on est loin du postulat de Paul Valéry : « Mon éthique est simple : essayons de faire quelque chose de l’homme. ». On serait plutôt dans l’éthique du crépuscule chère à Emil Cioran, d’autant que vous en rajoutez en facilitant les possibilités de saisine pour avis. Façon de dire aux patrons de presse : « Nous ne sommes pas là pour vous faciliter les choses » ! N’ayez aucune crainte, ils l’ont bien compris.
J’en viens à l’article que je qualifie de « philosophique » de la proposition de loi : l’indépendance de la presse, qui passe par celle du journaliste. L’idée est certes généreuse, qui consiste à généraliser à l’ensemble des journalistes le statut de protection spécifique dont bénéficiaient, jusqu’à présent, les seuls journalistes de l’audiovisuel public. Mais, dès la première lecture du texte, nous avons exprimé nos doutes quant à l’opportunité de reconnaître à tous les journalistes le droit de refuser toute pression en opposant leur « intime conviction professionnelle ». Aussi, nous sommes sensibles au fait que le texte, dorénavant, ne retienne que la seule notion de « conviction professionnelle », adossée aux chartes déontologiques dont devront se doter toutes les entreprises ou sociétés éditrices de presse ou audiovisuelles qui n’en disposent pas encore avant le 1er juillet 2017.
La crainte de voir naître un rapport de force entre la direction et les représentants des journalistes lors de l’élaboration de cette charte nous a amenés à vous proposer d’autres rédactions, qui n’ont pas abouti. Toutefois, nous vous proposerons un ultime amendement, tendant à substituer le mot « discussions » au terme « négociations », qui renvoie au code du travail et peut créer une ambiguïté. Le débat assez libre qui s’est instauré en commission sur cette question, et notre tentative de trouver une rédaction commune, nous incline à penser, de façon peut-être trop optimiste, que notre amendement pourrait être retenu.
Je ne reviendrai pas sur l’article relatif à la protection des sources qui, lors de la première lecture, avait fait l’objet d’un vote à l’unanimité et qui a été réintroduit en commission, accompagné de quelques modifications rédactionnelles. Il est vrai qu’il existe, sur ce sujet, une certaine opposition avec la commission des lois du Sénat. D’autres points rencontrent notre adhésion, comme le maintien de 1’article 10 ter, qui porte sur la numérotation des chaînes, ou la suppression de l’article 11 sexies A, visant à l’encadrement de la niche fiscale des journalistes, qui n’a pas lieu de figurer dans cette proposition de loi mais plutôt dans une loi de finances.
Au-delà de tous les considérants évoqués au cours de nos débats, peut-on s’interroger un instant sur la conscience de chacun et non pas seulement sur la loi ? En effet, je crois, comme vous, qu’un homme doit faire ce qu’il a à faire, quels que soit les compétences, les pressions et les dangers. C’est cela, la base de toute morale humaine.
On a beaucoup parlé d’éthique au cours de nos débats successifs, et tant mieux ; c’est sans doute, monsieur le rapporteur, l’un des avantages de votre texte. Mais l’éthique ne peut pas être une science, dans la mesure où celle-ci implique un lien direct avec la signification ultime de la vie. L’argument de la raison juridique, que vous invoquez, ne suffit pas pour adopter une éthique. Il faut aussi qu’il y ait adhésion des esprits. À l’évidence, cette adhésion ne passe aujourd’hui pas forcément par la loi. Pour nous, c’est là le défaut de votre texte, que nous continuerons à repousser.