L'audition débute à douze heures cinq.
Je remercie M. Jean-Pierre Charre, vice-président de l'Association nationale des comités et commissions locales d'information, l'ANCCLI, M. Michel Demet, conseiller du président de l'ANCCLI, et M. Alexis Calafat, secrétaire du bureau de l'ANCCLI, d'avoir répondu à notre invitation.
Nous traitons ce matin de la question du risque nucléaire et de sa gestion. Connaissant le rôle des commissions locales d'information, les CLI, mises en place auprès des installations nucléaires, en matière de gestion de crise, nous avons souhaité entendre sur ces questions la voix de leurs représentants au niveau national.
Je précise que M. Charre est également vice-président de la CLI de Marcoule, que M. Demet est membre de la CLI de Gravelines, et que M. Calafat préside la CLI de Golfech, commune dont il est également maire.
Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(MM. Jean-Pierre Charre, Michel Demet et Alexis Calafat prêtent serment.)
Au sein de l'ANCCLI, je pilote le groupe permanent « Post-accident et territoires » (GPPA), chargé d'étudier toutes les hypothèses d'intervention des CLI lors d'un accident sur un territoire donné, notamment en ce qui concerne la communication et l'information des populations.
Dès 2007, l'ANCCLI avait émis le souhait qu'on étudie l'éventualité d'un accident nucléaire sur le territoire français. L'objectif du GPPA est de définir les modalités d'information et d'intervention auprès des populations et de l'ensemble des acteurs locaux et de préparer les territoires aux situations post-accidentelles.
En matière de gestion de crise, la législation est relativement récente. En effet, c'est la loi Bachelot du 30 juillet 2003 qui a institué les CLI auprès des sites classés « Seveso » et les plans de prévention des risques technologiques, les PPRT. La loi de modernisation de la sécurité civile du 30 août 2004, quant à elle, impose aux collectivités la mise en place de plans communaux de sauvegarde, les PCS, et l'information des populations en matière de risque. Enfin la loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, ou loi TSN, prévoit la mise en place de CLI auprès des installations nucléaires. Si ces lois rappellent le rôle de l'État en tant que maître d'oeuvre en matière de gestion de crises majeures, elles donnent de nouvelles responsabilités aux maires dans ce domaine. Ceux-ci deviennent en effet, en vertu de leur pouvoir de police, juridiquement responsables de l'accompagnement de la gestion de la crise.
Sur le terrain cependant, on constate que ces législations peinent à être appliquées. Actuellement, à peine 50 % des 11 000 communes où la mise en oeuvre d'un PCS est obligatoire l'ont effectivement mis en place, en dépit du guide de deux cents pages diffusé à l'époque par le ministère de l'intérieur à destination des élus et des techniciens des collectivités concernées.
Par le fait que toutes les collectivités n'ont pas les moyens de mettre en place un PCS. Les petites communes n'ont pas les moyens humains ni logistiques de mettre en place de tels plans.
Nous avions en effet demandé à l'époque que l'intercommunalité joue un rôle important dans ce domaine, et beaucoup d'entre elles l'assument dans les faits : c'est elles qui ont permis la mise en place des PCS dans les petites communes.
Il faut dire qu'un grand nombre d'élus, notamment dans les petites et moyennes communes, n'ont pas encore pris conscience de l'importance de la gestion des risques, notamment nucléaires, qui sont bien moins faciles à appréhender que les risques Seveso, par exemple, notre pays n'ayant encore connu aucun accident de ce type.
Il est vrai qu'on a du mal à mobiliser les élus, et cela risque de rendre le Plan national de réponse à un accident nucléaire ou radiologique majeur difficile à mettre en oeuvre dans les territoires. De même, la France peut s'enorgueillir des travaux du Comité directeur pour la gestion de la phase post-accidentelle d'un accident nucléaire, qui manifestent l'excellence de la France dans ce domaine au niveau européen, voire mondial, mais le plus difficile sera d'assurer l'application de la doctrine du CODIRPA – comité directeur pour la gestion de la phase post-accidentelle d'un accident nucléaire – dans les territoires.
Je ne serai pas aussi radical que M. Demet. En tant que membre jusqu'à récemment du Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire, président de l'Association des représentants des communes d'implantation de centrales et d'établissements nucléaires, l'ARCICEN, et président d'une CLI depuis plus de vingt ans, j'ai pu mesurer l'évolution du discours sur le nucléaire. En 1989, on nous disait que le nucléaire ne posait aucun problème de sûreté, qu'on pouvait même déjeuner auprès du réacteur. Tchernobyl nous a permis de mesurer les conséquences d'un accident nucléaire et aujourd'hui on accepte la notion de risque nucléaire.
Il est vrai que toutes les communes ne se sont pas dotées d'un PCS, mais il faut dire aussi que beaucoup ont élaboré un PCS sans nécessairement le communiquer à la préfecture, du fait d'un formalisme peut-être excessif. En effet, beaucoup de communes avaient déjà mis en place des plans de gestion des risques avant que la loi ne leur en fasse l'obligation, notamment pour prévenir les risques d'inondation. Or les communes d'implantation de centrales nucléaires sont en principe situées au bord de l'eau. J'ai été moi-même à l'origine du premier plan d'action communale, ou PAC, suite au premier exercice de crise de la centrale de Golfech. Les élus gèrent naturellement les risques.
Il reste le problème de la perception du risque par la population. Il est vrai que les populations se reposent beaucoup sur les élus. Même si elles donnent l'impression de vivre avec le risque nucléaire sans y prêter plus que ça attention, l'expérience m'a appris qu'il y a toujours une inquiétude. Il y a quelques années, dans les communes situées dans un périmètre de deux kilomètres autour de la centrale de Golfech, périmètre à protéger rapidement, la sirène, théoriquement destinée à signaler aux habitants la nécessité de se mettre à l'abri, s'était déclenchée, provoquant un attroupement de cinquante personnes devant la mairie. Cette anecdote vous permet de mesurer le manque d'information de la population. J'ignorais moi-même ce qui se passait.
Ils le savaient en théorie, mais ils ne l'ont pas fait. Il s'agissait heureusement d'un dysfonctionnement de l'alarme, mais il a montré que les mesures prévues par le PPI – plan particulier d'intervention – auraient sur la population des effets contraires à ceux attendus en cas d'accident réel. C'est la raison pour laquelle je déplore que la périodicité des exercices de crise ait été ramenée de trois à cinq ans. Ces exercices constituent pourtant la meilleure pédagogie qui soit. En cinq ans on perd les réflexes acquis, d'autant que la population a eu le temps de changer.
Ils mobilisent surtout des moyens départementaux et préfectoraux, qu'il s'agisse de la sécurité civile, des services départementaux d'intervention et de secours ou de la gendarmerie. Les communes sont peu sollicitées ; elles se contentent d'attendre les communiqués et les consignes de la préfecture, d'ailleurs peu nombreux. Sur le site lui-même, ce sont surtout les moyens humains et techniques de l'exploitant qui sont mobilisés. Il y a peu d'exercices qui prévoient la mobilisation des populations. Cela s'explique par le coût de tels exercices, qui supposent qu'on bloque des routes et les voies d'accès aux sites. C'est pourquoi les exercices de crise se déroulent essentiellement sur le site et en préfecture.
Ces exercices vous semblent-ils anxiogènes ou plutôt de nature à rassurer les populations ? Êtes-vous en train de nous expliquer que les maires ne sont pas suffisamment informés ?
En général, entre l'exploitant du site et les maires des communes concernés, l'information ne circule pas trop mal en cas d'incident. En revanche, la préfecture doit observer un devoir de réserve quant à la qualité des incidents. Je pense en particulier à ce qui s'est passé en 2011 sur le site de Marcoule, et qui a été abondamment médiatisé. Il faudrait que les services préfectoraux, voire l'Autorité de Sûreté nucléaire, l'ASN, et le ministère de l'intérieur communiquent davantage quand il y a un tel emballement médiatique. La préfecture devrait au moins confirmer les informations communiquées par l'exploitant, les élus communaux étant tenus d'attendre les consignes de la préfecture avant de déclencher un PCS ou de prévenir les populations.
Les CLI sont-elles suffisamment associées aux travaux du Comité directeur pour la gestion de la phase post-accidentelle d'un accident nucléaire, le CODIRPA ?
Si j'ai bien compris le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, les CLI devraient être associés à la déclinaison locale du Plan national : avez-vous été associés aux tests qui ont été effectués en 2012 ?
Selon vous, le législateur doit-il modifier le régime des PPI et avez-vous des propositions de modifications à nous faire, notamment en ce qui concerne leur périmètre, qui est aujourd'hui de dix kilomètres autour de la centrale, les modalités d'information, les règles de distribution des pastilles d'iode ? Votre exemple de la sirène semble indiquer qu'on doit s'interroger sur la crédibilité des mesures prévues. On peut ainsi se demander si les parents obéiront à la consigne de ne pas aller chercher leurs enfants dans les écoles.
Il existe par ailleurs des technologies de communication un peu plus performantes que les sirènes ! Ne pourrait-on pas, par exemple, rappeler à la population la conduite à suivre par SMS ?
Ma dernière question porte sur la gestion des risques quand les centrales sont situées à proximité des frontières. Nos auditions ont fait apparaître des différences significatives en matière de gestion des crises selon les pays. Une réflexion sur une gestion de crise transfrontalière a-t-elle été engagée avec les pays voisins et des voies d'amélioration sont-elles explorées, au moins en ce qui concerne le partage d'informations ? Quand on entend le président de l'ASN affirmer qu'il n'y a eu aucune homogénéisation des mesures nationales de gestion de crise depuis Tchernobyl, on est pour le moins « interpellé ». Ce sont là des questions qui ne sont pas que théoriques.
M. le président de l'ASN, que nous venons d'entendre, a émis le souhait d'une plus grande transparence en matière d'information du public. Comment vous-mêmes, qui êtes les acteurs principaux de cette information, pourriez-vous atteindre les populations qui ne vont pas jusqu'à vous ?
Quel est votre sentiment sur les intrusions de militants de Greenpeace dans les sites nucléaires ? Que pensez-vous du rôle des CLI en matière de transparence nucléaire ?
Les communes dotées d'un PCS disposent-elles toujours d'une réserve communale de sécurité civile – il s'agit de citoyens bénévoles qui concluent un « contrat d'engagement » avec le maire pour l'assister en cas de crise ou de catastrophe ?
L'ANCCLI a récemment mis en place un groupe de travail consacré aux aspects transfrontaliers de la gestion de crise. Il s'est déjà réuni en début d'année et une deuxième réunion est prévue en juin. Sont notamment concernés les CLI de Gravelines, Cattenom, Chooz, Fessenheim.
En outre, le retour d'expérience des deux représentants de l'ANCCLI qui ont pu participer à l'exercice national de crise de Cattenom à titre d'observateur, a mis en évidence la différence entre les dispositifs français et allemand de gestion de crise post-accidentelle, notamment en ce qui concerne les règles de confinement.
Dans le cadre du groupe de travail, nous discutons également avec nos amis belges, que la proximité d'une centrale française contraint à prévoir des mesures de sécurité et des plans communaux de sauvegarde. La présence de représentants de pays limitrophes est par ailleurs envisagée.
Au niveau européen, l'ANCCLI appartient au Nuclear Transparency Watch, NTW, association qui comprend des ONG travaillant sur les mêmes thématiques que nous. Nous devons notamment évoquer, dans le cadre d'un prochain séminaire, les problématiques de l'emergency, notamment l'évacuation des populations.
L'ANCCLI a été dès l'origine associée aux travaux du CODIRPA, et elle prend une part active à tous les groupes de travail. Je pilote moi-même un groupe de travail consacré à la question de l'implication des acteurs locaux en cas d'accident nucléaire. Cette implication de l'ANCCLI constitue un progrès notable en matière d'information et de communication. Elle est surtout un moyen de faire participer la société civile aux questions liées à la gestion des risques post-accidentels.
Dans leur effort pour assurer une plus grande transparence de l'information, les CLI sont confrontées aux problèmes que rencontre toute vulgarisation des connaissances dans le domaine du nucléaire. Quand on communique sur le nucléaire, il faut le faire avec la plus grande prudence, tant le risque est grand de provoquer les effets contraires à ceux recherchés. Il faudrait qu'elles puissent être assistées dans cette mission par des spécialistes de la communication. D'ores et déjà, nous avons développé, en partenariat avec l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, l'IRSN, un Outil de sensibilisation aux enjeux post-accidentels à destination des acteurs Locaux, l'OPAL, outil informatique qui permet de visualiser les effets et les conséquences d'un accident nucléaire. Nous pensons que cet outil devrait être mis en place sur l'ensemble du territoire. Si cela n'est pas le cas, ce n'est pas par volonté de dissimuler quoi que ce soit : c'est tout simplement par manque des moyens propres à permettre à chaque CLI de communiquer avec la population autant qu'elle le devrait.
Le président de l'ASN a reconnu que les CLI les plus performantes étaient celles qui disposaient d'un permanent.
Exactement. Une structure fiable et pérenne d'information de la population suppose la présence de permanents, au minimum un spécialiste de la communication ou un chargé de mission, et donc des moyens financiers.
La CLI de Golfech assure sa mission d'information largement au-delà du périmètre des dix kilomètres prévu par le PPI, puisque nous adressons la brochure que nous éditons en 60 000 exemplaires auprès des universités de Toulouse et de Bordeaux. Il reste que nous rencontrons des difficultés dans l'exercice de cette mission. Nous avons cependant été agréablement surpris de voir cent cinquante personnes assister à notre deuxième assemblée générale.
Je vous rassure, monsieur le rapporteur, nous disposons d'autres systèmes de communications que la sirène !
Nous bénéficions du système SARRPE, mis en place par EDF, et les élus locaux ont mis en place un dispositif similaire d'alerte des populations par téléphone, initialement mis en place pour prévenir des crises sanitaires. Un tel système a aussi des limites, puisqu'il ne nous permet pas d'atteindre plus de 50 % de la population.
S'agissant de la protection des enfants, population la plus exposée au risque nucléaire, dans le cadre d'un plan de gestion de crise, ma position n'a pas varié depuis des années : le seul moyen d'empêcher les parents de rallier le périmètre contaminé pour les récupérer serait que le PPI prévoie la mise en lieu sûr des enfants dès le début de l'alerte.
S'agissant des préfectures, je partage les observations de Jean-Pierre Charre. Il fut une époque où elles se montraient plus coopératives avec les communes. Depuis quelque temps elles ont pris l'habitude de nous mettre devant le fait accompli : cela a été le cas notamment lors de la dernière refonte des PPI, à laquelle nous n'avons pas été véritablement associés. Autant nos rapports avec EDF se sont améliorés, via notamment une convention d'échange d'informations, autant nous déplorons les réticences des services préfectoraux à communiquer. Cela dit, cela dépend beaucoup de la personnalité des préfets, certains étant plus que les autres enclins à favoriser la participation des élus.
Chacun s'accorde à reconnaître que le périmètre de dix kilomètres prévu par les PPI actuels est trop restreint. S'il peut être suffisant en cas d'incident ou d'accident mineur, il ne correspond pas à la réalité d'un accident d'importance moyenne. La communication et l'information des populations sur les risques devraient porter sur un périmètre plus large.
Pour assister régulièrement aux réunions d'information relatives à la centrale de Fessenheim, je peux vous dire qu'elles sont ouvertes très largement à nos voisins suisses et allemands, alors que la réciproque n'est pas vraie. Cela prouve que nous sommes beaucoup plus transparents que nos voisins.
La constitution de réserves communales est à la discrétion des élus. Il en existe très peu. À Marcoule, où nous avons eu la chance d'être sollicités par la préfecture pour la gestion des risques d'inondation, cela a très bien fonctionné. C'est un bon moyen d'information et de mobilisation de la population, à condition là encore qu'il y ait une volonté et une mobilisation suffisantes pour vaincre les obstacles administratifs.
L'ANCCLI ne peut que constater qu'il y a des intrusions de militants de Greenpeace dans une centrale nucléaire, nous ne pouvons que le constater. Connaissant tous les dispositifs de sécurité qui protègent le site de Marcoule, je m'étonne qu'on puisse aussi facilement pénétrer dans un site nucléaire.
L'information ne suffira pas à elle seule à mobiliser les populations. Ce qu'il faut, c'est impliquer davantage la population dans les exercices de crise, via notamment des évacuations en temps réel. Il faut également revoir les modalités des campagnes de distribution de comprimés d'iode. Le mode de distribution actuel assure un taux de pénétration très insuffisant. Il vaudrait mieux laisser aux collectivités le choix du mode de distribution. Une distribution au porte-à-porte par des bénévoles, par exemple, assure un taux de pénétration de près de 95 % au bout de quelques semaines.
L'audition s'achève à douze heures cinquante.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d'exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l'électricité nucléaire
Réunion du jeudi 17 avril 2014 à 12 heures
Présents. - M. Bernard Accoyer, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Denis Baupin, M. François Brottes, M. Claude de Ganay, M. Jean-Pierre Gorges, Mme Frédérique Massat, M. Michel Sordi, M. Stéphane Travert, Mme Clotilde Valter
Excusés. - M. Damien Abad, Mme Sylvie Pichot, M. Franck Reynier