Mission de réflexion sur l'engagement citoyen et l'appartenance républicaine

Réunion du 26 février 2015 à 10h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • apprentissage
  • éducatif

La réunion

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L'audition débute à dix heures quinze.

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Nous accueillons M. Pierre Ferracci, président du Conseil national Éducation-économie (CNEE) depuis le mois de juillet 2014, président du Groupe Alpha, cabinet d'expertise et de conseil spécialisé dans les relations sociales et le développement local, mais aussi membre du conseil d'orientation pour l'emploi, en qualité de personnalité qualifiée, depuis septembre 2005. M. Ferracci exerce par ailleurs des responsabilités à la tête d'un grand club de football.

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Pierre Ferracci, président du Conseil national éducation-économie

Je suis honoré de pouvoir m'exprimer devant vous en me fondant sur une expérience tirée d'activités assez variées. Créé dans la foulée de l'adoption de la loi du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République, le CNEE est une instance de dialogue et de prospective visant à mieux articuler les enjeux éducatifs et les enjeux économiques. Le Groupe Alpha s'occupe beaucoup des questions d'emploi et d'insertion économique. En relation avec des entreprises malheureusement amenées à licencier, et avec Pôle emploi, il accompagne de nombreux demandeurs d'emploi. Quant au club de football que je préside, il est très impliqué dans la formation des jeunes, et l'expression « black, blanc, beur », née lors de la Coupe du monde de 1998, lui convient bien, même si elle est aujourd'hui un peu galvaudée. J'ajoute que mes parents étaient instituteurs, que ma soeur est dans l'enseignement secondaire, et l'un de mes fils dans l'enseignement supérieur ; l'éducation est donc un milieu que je connais bien.

Le CNEE regroupe des chefs d'entreprise, des personnalités qualifiées représentant les partenaires sociaux, les syndicats de l'éducation, les régions, bref, tous les acteurs intéressés par l'articulation entre les mondes de l'éducation et de l'économie. Il développe des actions sur les principaux terrains où ces deux mondes se côtoient. La construction du parcours individuel d'information, d'orientation et de découverte du monde économique et professionnel (PIIODMEP), voulue par la loi du 8 juillet 2013, est évidemment au coeur de ses préoccupations. Il en est de même de l'enseignement professionnel, qu'il convient de mieux mettre en valeur et dont il faut rénover les enseignements et les diplômes dans un certain nombre de filières, pour les adapter aux mutations technologiques et économiques de notre temps.

Le PIIODMEP est venu remplacer le parcours de découverte des métiers et des formations (PDMF). Son ambition est beaucoup plus large puisqu'il concerne tous les élèves du collège et du lycée, et non plus les seuls élèves qui se destinent à la voie professionnelle. Les attentes du monde de l'économie, mais également des parents et de bon nombre d'acteurs du système éducatif sont extrêmement fortes. La nécessité de s'adresser à tous les élèves contraindra les établissements et les entreprises à faire preuve d'esprit d'innovation. Nous aurons donc des modus operandi extrêmement divers selon les territoires, les établissements et les équipes.

Cela dit, nous ne partons pas de rien car beaucoup de choses se font déjà au niveau local : forums des métiers, interventions de salariés ou de dirigeants d'entreprises devant les élèves, notamment à l'occasion de la semaine école-entreprise ; séquences d'observation en milieu professionnel, avec le fameux stage de classe de troisième ; visites de sites d'entreprises ; projets pédagogiques de mini-entreprise – on en compte plus de sept cents, encadrés par des binômes composés d'un professeur et d'un professionnel – ; tutorat et mentorat pour les lycéens, par exemple en matière d'orientation scolaire et professionnelle…

Ces initiatives sont toutefois prises de façon dispersée, sans impliquer suffisamment la totalité de l'équipe pédagogique. La relation école-entreprise est encore trop souvent l'apanage du professeur de technologie, et certains territoires ou établissements n'en bénéficient pas, ou trop peu, pour des raisons parfois géographiques, parfois de culture territoriale, parfois de relations interpersonnelles. Il est donc temps de changer d'échelle : tel est le message du PIIODMEP. Le projet de référentiel pour le collège, rendu par le Conseil supérieur des programmes en décembre dernier, est clairement dans cet esprit.

Une expérimentation du PIIODMEP est lancée depuis la fin du mois de janvier en académie. La liste des établissements expérimentateurs nous a été communiquée cette semaine : ils seront un peu plus de quatre cents dans toute la France. Le CNEE a demandé et obtenu un engagement des grandes fédérations patronales afin qu'elles mobilisent leurs membres dès cette phase d'expérimentation. Cela sera fait très concrètement dans les jours qui viennent : les professionnels des territoires expérimentateurs se verront invités à aller frapper à la porte des établissements scolaires de leur voisinage pour construire ce PIIODMEP avec les équipes éducatives. Nous travaillons pour faire en sorte que tout le territoire soit couvert et nous concentrons nos énergies sur les établissements urbains, et parfois aussi ruraux, qui rencontrent le plus de difficultés à nouer des partenariats avec le monde de l'économie. J'évoquerai dans un instant, avec plus de précisions, l'initiative que nous prenons en direction des réseaux d'éducation prioritaire (REP), emblématique du travail qui sera le nôtre dans les prochains mois.

Les bonnes pratiques seront recensées au printemps dans le cadre d'une évaluation à laquelle le CNEE sera associé, puis le dispositif sera généralisé par le ministère de l'éducation nationale à la rentrée de septembre 2015.

Dans le questionnaire que vous m'avez fait parvenir préalablement à cette audition, vous me demandez si le PIIODMEP est susceptible de limiter les inégalités dans l'accès à l'emploi privé qui touchent aujourd'hui certains pans de la population. Il sera bien entendu utile, et nous espérons que son impact se fera principalement sentir via deux canaux. Il permettra, d'une part, de lutter contre l'autocensure scolaire et professionnelle qui touche des jeunes des quartiers défavorisés, mais aussi ceux des territoires ruraux isolés – le fameux « de toute façon, ce n'est pas pour moi » contre lequel il faut lutter en permanence. Il améliorera, d'autre part, l'orientation des élèves grâce à une meilleure connaissance des parcours scolaires mais aussi de la réalité des métiers et de leur richesse. Ces résultats sont toutefois subordonnés à un très large déploiement du PIIODMEP, en profondeur, sur l'ensemble du territoire. Il faut donc suivre d'extrêmement près l'expérimentation en cours. Dans certains quartiers, dans certains villages, les entreprises sont très loin, tant géographiquement que socialement et culturellement. Le maillage ne se fera pas tout seul, et nous travaillons au sein du CNEE, en lien avec la direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO) et les rectorats, afin qu'un effort tout particulier soit consenti en direction des territoires où le besoin de lien école-entreprise est le plus fort mais où le tissu d'entreprises est le plus faible.

Sans remettre en cause la qualité du dispositif, j'émets une petite réserve, car on ne peut pas tout demander au PIIODMEP. Beaucoup d'inégalités se construisent avant le collège, où elles ne peuvent pas être intégralement corrigées. Le secrétaire général de l'association de la fondation étudiante pour la ville (AFEV), M. Thibault Renaudin, que vous receviez avant moi, évoquait le cas de la Finlande. Pour ma part, j'ai été frappé par le fait que la réussite de ce pays en matière d'éducation et d'insertion professionnelle tient beaucoup à l'investissement massif en faveur de l'éducation des tout-petits. J'avais découvert avec stupéfaction sous la plume de Luc Ferry, en lisant Combattre l'illettrisme, publié en 2009, que 80 % des enfants qui n'apprenaient pas à bien lire au cours préparatoire ne rattrapaient jamais ce retard. La correction de cette inégalité initiale ne peut se faire qu'à un coût exorbitant car tout se joue au moment de l'apprentissage des fondamentaux lors de l'éducation des tout-petits.

Vous souhaitez également savoir si le corps enseignant, qui joue un rôle primordial dans l'orientation des élèves, est suffisamment sensibilisé aux problématiques du secteur privé et de l'économie en général.

Le corps enseignant a beaucoup évolué sociologiquement et culturellement. Le vivier de recrutement des professeurs a également changé et les mentalités se transforment assez sensiblement depuis quelques années. L'idée que l'école doive former l'homme et le citoyen, mais aussi le travailleur et le salarié est désormais largement acceptée – même si quelques résistances perdurent ici et là dans la relation avec l'entreprise. Cela ne veut pas dire qu'il ne reste pas du chemin à parcourir. Développer la relation école-entreprise, c'est d'abord développer la relation entre le professeur et les entreprises, ne serait-ce que pour des raisons d'efficacité : une action en direction d'une classe sensibilise vingt-cinq à trente élèves alors qu'une action impliquant un professeur permet, à travers lui, de sensibiliser toutes ses classes, et ce pendant de longues années. J'utilise le mot « entreprises » au pluriel car ces dernières sont bien plurielles : elles intègrent par exemple le secteur de l'économie sociale, le secteur associatif – qui n'est pas seulement sympathique, mais aussi sérieux et particulièrement rigoureux, comme le soulignait monsieur Renaudin.

Il faut multiplier les occasions de rencontres entre le monde économique et le monde enseignant. Cela passe par la formation initiale des enseignants au sein des écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE), par la formation continue, avec la possibilité donnée aux professeurs de se rendre dans les entreprises, mais aussi par l'organisation d'une socialisation naturelle entre tissu éducatif et tissu productif. Nous manquons de lieux où nous rencontrer et où nous parler sur une base régulière.

Tout cela se dit depuis longtemps ; il est temps désormais de passer aux actes. Mais cela coûte cher : la formation continue nécessite par exemple de rembourser des frais de déplacement, voire d'hébergement, et de trouver des professeurs remplaçants. Au CNEE, nous voulons imaginer des solutions innovantes pour dépasser certaines difficultés et permettre ces échanges.

Je m'arrête un instant, comme je vous l'avais annoncé, sur l'initiative prise par le CNEE en direction de l'éducation prioritaire.

Les dirigeants d'entreprises et les salariés ont massivement répondu présent au rendez-vous de la marche républicaine du 11 janvier dernier. Ils veulent désormais tout mettre en oeuvre pour que le souffle citoyen ne retombe pas dans les semaines qui viennent. Ils ont une conviction : l'école est en première ligne et aucune victoire contre la barbarie ou le terrorisme ne sera durable sans un effort inédit en faveur de l'éducation des plus fragiles, auquel tout le monde doit apporter sa contribution.

Nous avons en conséquence décidé de développer des actions en faveur d'une alliance éducative dans les territoires les plus fragiles. Les entreprises s'engageront à permettre le développement d'actions éducatives d'une ampleur inédite au bénéfice des élèves des écoles et établissements d'éducation prioritaire : tutoratmentorat, promotion du vivre ensemble, aide à la construction de projets personnels, accompagnement de projets de classe, aide à la recherche de stages et de maîtres d'apprentissage… Ces actions bénéficieront aux écoliers et aux collégiens de l'éducation prioritaire, avec le souci de ne pas sous-estimer l'attention à donner aux premiers, dans la mesure où beaucoup des destins scolaires et personnels se jouent dès le plus jeune âge.

Un premier ciblage a été opéré sur quinze réseaux de l'éducation prioritaire, les « REP + ». Beaucoup d'entreprises mènent d'ores et déjà des actions en faveur de l'éducation des jeunes dans le cadre de la responsabilité sociale des entreprises (RSE), ou de leurs activités de mécénat. Ces opérations sont toutefois trop rarement concertées et orientées en direction des publics et des territoires qui en auraient le plus besoin. De plus, sans aller jusqu'à dire, comme j'ai cru l'entendre lors de l'audition précédente, que le « don est coûteux », je peux témoigner en tant que dirigeant d'un petit groupe employant un peu plus de mille salariés, qui pratique le mécénat de compétences, que le système est aujourd'hui trop complexe. Si les très grandes entreprises disposent de fondations et de moyens qui leur permettent d'agir, les autres ont beaucoup plus de difficultés à accéder à ce type d'opérations. Beaucoup de choses se font cependant, mais de façon très dispersée et sans réelles priorités. Notre groupe est un bon observateur en la matière puisqu'il établit le bilan des opérations RSE des entreprises du CAC 40.

Alpha fait par exemple du mécénat de compétences à l'étranger : en Haïti – il se trouve qu'en 2010, au moment du catastrophique tremblement de terre, l'épouse de notre DRH était haïtienne –, et au Sénégal où nous avons contribué au développement d'une école. Je ne remets pas en cause l'opportunité et la qualité de telles initiatives, mais il faudra peut-être inciter les entreprises – je parle d'incitation et pas d'obligation – à mettre un peu d'ordre dans les opérations qu'elles mènent et à regarder ce qui justifie une mobilisation des ressources et des moyens en comparant les enjeux.

Pour éviter le saupoudrage et concentrer les moyens des entreprises là où se trouvent les urgences, notre initiative sera menée, dans un premier temps, dans vingt-cinq quartiers identifiés en correspondance étroite avec la nouvelle géographie de l'éducation prioritaire. Les quatre premiers établissements bénéficiaires de l'initiative ont été sélectionnés à partir des critères suivants : l'inscription sur la liste des REP +, c'est-à-dire parmi les 350 réseaux d'éducation les plus prioritaires de France ; une manifestation d'intérêt de la part d'entreprises implantées à proximité ou dans le grand voisinage, à moins d'une dizaine de kilomètres – on est frappé que de grandes entreprises puissent parfois cohabiter avec des lycées ou des collèges sur un même territoire sans qu'existe entre eux aucune interaction ; le volontarisme du chef d'établissement ainsi que l'inscription possible dans le projet pédagogique des équipes enseignantes. L'initiative a ensuite vocation à s'étendre au-delà de ce premier ciblage, en ne dépassant toutefois pas le périmètre des REP +.

Derrière cette démarche, nous attendons un engagement pluriel de la part des entreprises. Le développement du mécénat de compétences permettra aux entreprises non plus seulement de soutenir financièrement l'effort éducatif, mais d'y participer concrètement. Cela sera possible grâce à une politique active qui permettra à certains employés volontaires de s'investir, sur leur temps de travail ou en aménageant leur emploi du temps, dans des associations éducatives oeuvrant dans les quartiers sensibles. Mine de rien, cela n'est pas si simple à mettre en oeuvre : il faut que l'entreprise s'organise pour dégager du temps au bénéfice des collaborateurs concernés. Les grandes entreprises ayant davantage les moyens d'agir, il faut sans doute réfléchir à la possibilité de fédérer des actions que les autres pourraient mener.

Cet engagement se traduira également par un appui financier aux projets associatifs locaux et par une politique active d'ouverture des entreprises aux jeunes des quartiers. Les entreprises partenaires se fixeront un objectif volontariste d'augmentation de leur capacité d'accueil, en direction notamment des publics fragiles – organisation de journées de découverte, participation à la construction des PIIODMEP, offres de stages de troisième, augmentation de la capacité d'accueil d'alternants et des visites de classe. Des rencontres seront par ailleurs organisées avec des chefs d'entreprise.

Ces interventions mobiliseront des associations éducatives reconnues et expérimentées. Vous avez reçu, il y a quelques instants, le secrétaire général d'une de ces structures, avec laquelle nous sommes heureux de coopérer efficacement. Qu'il s'agisse de mécénat de compétences, d'appui financier ou de l'organisation de rencontres éducatives, les actions rendues possibles par la mobilisation des entreprises seront principalement conduites au travers d'associations retenues au niveau local pour leur dynamisme, leur expérience de l'intervention en milieu scolaire et périscolaire dans les quartiers difficiles, et leur capacité de bonne absorption des moyens nouveaux, notamment humains, octroyés par les entreprises.

Pour chaque REP +, un plan d'action local sera élaboré grâce à une concertation qui réunira, sous l'égide du recteur, les dirigeants des principales entreprises de proximité, les représentants départementaux des organisations patronales – MEDEF, CGPME, Union professionnelle artisanale (UPA), et Union des employeurs de l'économie sociale et solidaire (UDES) se sont engagées –, le chef d'établissement accompagné de membres de l'équipe pédagogique du collège autour duquel s'articule le REP +, les directeurs des écoles primaires du REP +, les associations intervenant ou susceptibles d'intervenir dans le collège et les écoles, le maire, le président du conseil général, le recteur, le préfet, ou leurs représentants. L'initiative n'impliquera pas de signature de convention au niveau national – nous avons délibérément choisi de partir du territoire et d'éviter les grandes déclarations d'intention qui souvent n'aboutissent qu'à des résultats médiocres –, mais une mobilisation concrète pilotée d'une ampleur inédite d'acteurs de l'entreprise au niveau local.

Le plan d'action local devra faire figurer les engagements concrets et chiffrés des entreprises en termes de mécénat de compétences, de subventionnement, d'ouverture aux élèves, les missions et les moyens financiers et humains attribués à chaque association bénéficiaire, le calendrier de déploiement, les pilotes désignés – rectorat, établissement, association et entreprise. Ce type d'opération ne peut être efficace que si les nombreux acteurs sont coordonnés par un bon pilote. Peu importe qu'il soit issu du monde de l'éducation, de l'entreprise, ou des associations ; il faut qu'il soit légitime sur le territoire concerné, et totalement engagé.

Ces actions devront avoir une valeur ajoutée bien identifiée et chiffrée. Pour chaque REP + sélectionné, un état des lieux des actions menées et des conventions passées entre établissements scolaires et entreprises sera établi, préalablement à toute discussion du plan d'action local. Les engagements pris par les différentes entreprises devront être très sensiblement supérieurs à l'existant. Un récolement national de l'ensemble des moyens nouveaux ainsi libérés et des actions menées au service des élèves sera effectué. Le CNEE fera en sorte que toutes les opérations soient évaluées, sans pour autant y consacrer des moyens démentiels : il s'agit de faire en sorte que la valeur ajoutée soit bien identifiée et chiffrée. Il n'y a pas besoin pour cela d'usine à gaz, trois ou quatre indicateurs concrets suffiront pour analyser correctement les résultats de l'action.

Parce qu'il joue le rôle d'un pont entre les entreprises et l'éducation nationale, le Conseil national Éducation-économie est chargé du pilotage et de la supervision de l'initiative sur l'ensemble du territoire. Après les quatre expérimentations, l'objectif est de parvenir à un déploiement des actions dans toute la France.

Vous m'avez interrogé sur la réflexion de M. Saïd Hammouche, fondateur de Mozaïk RH, selon laquelle les politiques publiques visent systématiquement les jeunes les plus éloignés de l'emploi, mais jamais ceux qui en sont proches.

Je vois bien quel problème évoque M. Hammouche, mais je nuancerai son appréciation. Il est vrai que les jeunes diplômés issus de nos quartiers difficiles sont victimes de discriminations. Je fais néanmoins partie de ceux qui pensent que, ces dernières décennies, les politiques publiques en matière d'emploi ou de formation professionnelle, mais aussi d'éducation – et l'on pourrait placer la politique d'éducation en tête de cette liste –, n'ont pas toujours systématiquement visé les jeunes les plus éloignés de l'emploi. Les efforts consentis actuellement devront être poursuivis durant de longues années, et il faudra y mettre les moyens ; ce disant, je pense tout autant à la formation initiale qu'à la formation continue car l'on constate que ceux qui quittent l'éducation nationale sans formation ni qualification ne sont pas, par la suite, beaucoup mieux accompagnés par la formation professionnelle continue ; la récente réforme a permis quelques progrès mais ils restent tout à fait insuffisants.

Il faut évidemment traiter les discriminations évoquées par M. Hammouche. Lorsque certains diplômés ont moins accès au marché du travail que d'autres à diplômes équivalents, il y a évidemment matière à s'interroger, en évitant toutefois de remettre en cause la démarche relativement récente entreprise au bénéfice de ceux qui sont les plus éloignés de l'emploi et de ceux qui, déjà handicapés par l'éducation nationale, continuent à l'être par le système de formation professionnelle et d'accompagnement au retour à l'emploi.

L'apprentissage, qui est globalement en recul alors que tout un chacun cherche à le mettre en avant, s'est surtout développé récemment dans l'enseignement supérieur. Je ne souhaite en aucun cas remettre en cause cette orientation – je suis un grand partisan de l'alternance à tous les niveaux de qualification –, mais force est de constater qu'une bonne partie des ressources a été accaparée par l'enseignement supérieur. L'autonomie des universités – qui est une bonne chose – a amené ces dernières à investir ce créneau, ce qui s'est révélé payant. Malheureusement, les ressources étant en partie limitées, cela s'est clairement fait au détriment d'autres qualifications jugées de moindre importance.

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Dominique Reynié, directeur général de la Fondation pour l'innovation politique

Monsieur Ferracci, vos propos laissent penser que la culture du monde de l'entreprise a évolué dans le monde enseignant, et même qu'elle aurait enregistré quelques progrès. Nous restons cependant un pays qui survalorise la culture du diplôme, qui sanctionne une réussite précoce dont nous savons les inégalités qu'elle recouvre, alors que la culture de la réussite entrepreneuriale est très peu valorisée.

À la simple lecture des pages consacrés à l'entreprise dans les manuels de sciences économiques et sociales français et allemands, la différence saute aux yeux. L'image de l'entreprise est manifestement très différente dans nos deux pays. Ainsi, dans les ouvrages français, il n'y a pas une relation sociale qui ne soit pas un conflit social : la relation sociale est un conflit social. Il s'agit d'une vision réductrice, d'autant que pratiquement tous les jeunes lecteurs de ces manuels sont appelés à travailler dans une entreprise. Cette asymétrie marquée et préoccupante tient pour partie à une culture enseignante qui ne sait peut-être pas assez ce qu'est l'entreprise – c'est un enseignant qui vous parle.

Ne pourrait-on pas introduire parmi les épreuves qui donnent accès à ces métiers, notamment pour ce qui touche à l'enseignement des sciences économiques et sociales, une expérience longue dans une entreprise – le stage bref est à exclure – afin que les candidats en observent, en détail et sur la durée, les contraintes et les réalités ?

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Henri Nallet, président de la Fondation Jean-Jaurès

Monsieur Ferracci, vous avez conclu en évoquant l'enseignement par alternance et l'apprentissage, que tout le monde souhaite voir se développer dans notre pays. Mais rien ne vient ! La France connaît pourtant en la matière une expérience positive : l'enseignement agricole, que je connais bien, longtemps méprisé, s'est développé de son côté, modestement, sans faire de bruit, avec notamment les maisons familiales rurales. C'est seulement aujourd'hui qu'on prend conscience qu'elles ont sauvé des milliers et des milliers de gamins en leur permettant d'apprendre et d'échanger à partir de pratiques très rapidement maîtrisées. Nous devrions réfléchir à la possibilité de généraliser ce type d'enseignement. Quels obstacles faudrait-il surmonter pour y parvenir ? Quelles mesures faudrait-il prendre ?

La réussite de l'enseignement agricole s'explique sans doute en partie par l'une de ses caractéristiques qu'il serait difficile de généraliser : en 1984, après des négociations difficiles avec les syndicats d'enseignants, nous avions obtenu que le conseil d'administration de tous les établissements publics d'enseignement agricole soit présidé par un professionnel. Devrions-nous réfléchir à une solution de ce type ? J'imagine bien qu'elle se heurterait à de très nombreux obstacles.

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La relation entre l'école et l'entreprise est un sujet compliqué. Avant-hier, avec mon collègue Yves Blein, nous avons pu en débattre avec la Fondation Agir contre l'exclusion (FACE), que préside M. Gérard Mestrallet, alors que nous assistions à la présentation et au lancement par Mme Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, et M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, de la convention du programme de service civique « Transition énergétique, climat et biodiversité », qui offrira 5 000 places ouvertes dans l'immédiat, et 15 000 à terme.

Malgré leurs efforts en direction des écoles et des universités, les entreprises ne restent-elles pas les grandes absentes de l'engagement citoyen ? Ne faut-il pas repenser le rôle de l'entreprise et des entrepreneurs, tout en apportant aux jeunes une culture de l'entreprenariat qu'ils n'ont pu découvrir à l'école ? Il existe aujourd'hui dans les faits et dans la loi – en particulier dans le code du service national et dans la définition du service civique –, une véritable ligne de démarcation entre l'engagement citoyen et l'entreprise. Même si cette ligne ne bouge pas, ne revient-il pas à l'entreprise d'accompagner le jeune pendant la réalisation du projet d'engagement citoyen de service civique, pour qu'il en sorte par le haut avec une meilleure connaissance de l'entreprise et une meilleure employabilité ?

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J'ai trouvé votre intervention particulièrement complète et argumentée. Vous avez constaté que le mécénat des entreprises françaises s'exerçait plus facilement au bénéfice de l'étranger que de notre propre pays. Nous avons en effet parfois le sentiment qu'il est plus facile pour ces dernières de s'impliquer à l'occasion d'une grande catastrophe dans le monde ou pour une grande cause internationale que d'inscrire leur action dans la durée que nécessite par exemple l'engagement citoyen ou la connaissance de l'autre.

Évidemment, ces dernières actions sont moins visibles et relèvent moins d'une logique de l'émotion que l'approche événementielle que les entreprises peuvent parfois privilégier. Comment mieux faire leur comprendre l'intérêt qu'elles auraient à investir des champs qui exigent durée et persévérance ?

Vous souligniez la difficulté que les entreprises de taille intermédiaire ou les PME rencontrent pour développer le mécénat de compétences. Or ce sont elles qui sont le plus au contact de la population et qui sont donc les plus à même d'agir. Il me semble qu'il existe une multitude de possibilités qui ne sont pas assez explorées. Faut-il refaire le point sur les moyens existants ?

Je partage totalement le propos d'Henri Nallet : la formation professionnelle agricole est proprement exemplaire dans la relation qu'elle a tissée entre la profession et l'enseignement, grâce à l'apprentissage. Dans la petite commune dont je suis maire, je reçois des dizaines de demandes de collégiens de classes de troisième et de quatrième qui ne trouvent pas d'entreprises pour les accueillir pour un stage. Ma mairie fait ce qu'elle peut pour les accueillir dans ses services, mais c'est un crève-coeur de voir nombre de demandes rester désespérément sans réponse.

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Monsieur Ferracci, que faudrait-il faire concrètement pour développer l'apprentissage en France, et passer sur ce sujet de l'incantation et des voeux pieux, réitérés depuis une trentaine d'années, à la réalité ? Lorsque les structures existent, elles fonctionnent très bien : le taux d'emploi à la sortie du centre de formation des apprentis (CFA) pour les métiers de l'automobile installé dans ma circonscription est supérieur à 90 %. Dans le cadre d'une mission de l'Assemblée, j'ai eu l'occasion de me rendre en Bavière durant deux jours, avec quelques collègues, pour étudier le système local d'apprentissage et de lutte contre le chômage. Nous avons tous été sidérés de constater que les jeunes apprentis entrés à quatorze ou quinze ans à l'usine Michelin de Nuremberg avaient l'embarras du choix entre plusieurs propositions d'embauche, provenant d'ailleurs de nombreuses entreprises.

J'ai été un peu frustré par votre réponse concernant la discrimination à l'embauche de jeunes diplômés issus de l'immigration. Quelle expérience avez-vous en la matière ? Dans le groupe que vous dirigez, recrutez-vous ces jeunes ? Comment les entreprises peuvent-elles lutter contre une discrimination à l'embauche très douloureusement ressentie par ces jeunes tout aussi diplômés que les autres ?

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Monsieur Ferracci, en vous écoutant, comme en entendant M. Renaudin, nous avons le sentiment que certains ont la chance de s'inscrire dans une histoire et une vie sociale qui, malgré tout, facilite l'accès aux études et à l'emploi malgré les difficultés économiques que nous rencontrons tous.

Il existe cependant une génération de jeunes diplômés « fabriqués » par l'éducation nationale, qui a fait « tout bien », comme on le leur demandait, mais qui ne parvient pas à trouver de stages de fin d'études. Cette situation me révolte. Récemment, une jeune fille est venue me voir dans ma permanence, sur la suggestion du président de son université : elle ne trouvait pas d'entreprise dans mon département pour l'accueillir et valider son cursus à l'issue d'une maîtrise de droit public. Ce n'est pas que les entreprises n'en voulaient pas ; cette jeune fille ne disposait tout simplement pas des réseaux sociaux nécessaires.

Les plus éloignés de l'emploi n'ont pas accès à ces réseaux, que nous cultivons tous et qui nous permettent d'aider les uns ou les autres. Leurs parents pas davantage : ils ne savent pas ou n'osent pas pousser la porte de l'entreprise, comme auparavant ils ne poussaient pas celle de l'école. Il ne s'agit pas d'un manque de volonté de leur part ; c'est tout simplement qu'il n'y a plus de passerelle entre nos mondes, et cela ne fait que perpétuer les inégalités. Nous portons une lourde responsabilité en la matière. Il nous appartient d'inventer une solution, et d'être beaucoup plus offensifs. Cela ne concerne pas que les grands groupes : toutes les entreprises, surtout celles de taille moyenne, doivent mener une action inventive et systématique.

La création d'un congé d'engagement de six à douze jours fractionnables pour faire mieux connaître le monde associatif aux salariés fait partie des recommandations de la récente commission d'enquête de notre assemblée chargée d'étudier les difficultés du monde associatif, dont j'étais la rapporteure. La mise à disposition de temps et de compétences au profit des associations peut éventuellement recréer un lien entre la société civile et le monde de l'entreprise, qui favorisera l'intégration des jeunes les plus éloignés du système.

Une partie de notre population n'est pas reconnue quand elle doit accompagner ses enfants vers l'école puis dans l'insertion dans l'activité économique. Il s'agit à mon sens du plus grand échec de nos politiques. Je ne veux pas incriminer les entreprises ; elles doivent pouvoir être associées autrement. C'est possible ! À nous d'être plus inventifs, et de saisir par exemple l'occasion qui est offerte à cette mission de réflexion de faire des propositions au Président de la République.

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Pierre Ferracci, président du Conseil national éducation-économie

La question de l'apprentissage et celle du rapport des enseignants à l'entreprise et à l'économie ont sans doute un certain lien.

M. Michel Pébereau a animé au sein du CNEE un groupe de travail sur la culture économique de nos étudiants. Cela m'a amené à rencontrer une association de professeurs d'économie, qui avaient réagi de façon un peu critique à ce qu'il avait produit. On peut en déduire un peu rapidement que les enseignants n'aiment pas l'entreprise alors qu'il se pose d'abord, entre ces deux univers, un problème de connaissance mutuelle. Il faut que les enseignants prennent mieux en compte les réalités de l'économie et de l'entreprise, mais il est tout aussi important que les chefs d'entreprise connaissent mieux le système éducatif, le rôle des enseignants, et les moyens mis à leur disposition. Je suis frappé de constater que, même parmi les étudiants sortant de grandes écoles de commerce, certaines réalités de l'entreprise sont mal connues, notamment tout ce qui touche aux relations sociales au sein de l'entreprise ou au travail des partenaires sociaux. En la matière, le PIIODMED va dans le bon sens puisqu'il s'adresse à tous les enseignants. Je crois aussi beaucoup aux opérations qui donnent lieu à des échanges : visites de dirigeants d'entreprise dans les écoles, visites d'enseignants dans les entreprises, etc.

L'enseignement agricole est un bon exemple de réussite en matière d'alternance et d'apprentissage, mais plusieurs types de blocages expliquent que ce modèle ne soit pas généralisé. Cela tient, certes, à notre culture du diplôme, mais surtout d'un diplôme théorique fondé sur une connaissance livresque acquise sans confrontation avec les réalités de terrain. Notre système d'apprentissage lui-même est un frein : on croit toujours avoir fait la réforme qu'il fallait et, quelques mois après avoir signé l'accord interprofessionnel ou paraphé la loi qui en découle, on s'aperçoit qu'on est encore loin du compte… On a affaire à beaucoup d'acteurs, mal coordonnés, et à une multitude de systèmes qui en vient à troubler la vision du fonctionnement de l'ensemble : le contrat d'apprentissage et le contrat de professionnalisation pourraient par exemple ne faire qu'un, comme certains le préconisent. Il ne faut pas non plus oublier les enjeux financiers… Par ailleurs, si le système éducatif, les régions, les chambres consulaires et les partenaires sociaux sont sans doute tous légitimes, ces acteurs peuvent avoir du mal à partager une stratégie de développement de l'apprentissage. Il serait sans doute rationnel de désigner un pilote unique. Enfin, certaines entreprises ne sont pas organisées pour accueillir efficacement des apprentis, mais il est possible d'y travailler.

Le mécénat de compétences ne concerne pas uniquement des opérations internationales, mais celles qui sont menées sur le territoire national ne sont en général pas aussi prioritaires que celles dirigées vers l'étranger. Le sujet est un peu délicat, car la liberté d'entreprise prime, et cette dernière a la liberté d'utiliser certaines de ses ressources comme elle l'entend. Comme M. Thibault Renaudin, je suis assez hermétique à l'idée d'instaurer des obligations dans la plupart des cas. En matière de formation professionnelle, nous avons vécu durant quarante ans avec un système d'obligation qui a fait quelques dégâts : lorsque l'on est obligé de payer plutôt que de former, on ne parvient finalement pas à former aussi efficacement que voulu. Mieux vaut réfléchir à des systèmes d'incitation.

Cette voie est également sans doute la bonne pour ce qui concerne les discriminations à l'égard des diplômés. Ma réponse était imparfaite, mais le sujet est à la fois simple et difficile. Parmi les trois directeurs généraux du Groupe Alpha, il se trouve que nous comptons une femme issue de l'immigration. Nous embauchons assez régulièrement des collaborateurs ayant ce profil, et nous avons aussi parfois des débats sur un terrain où les non-dits sont nombreux. Ces discussions ne portent pas simplement sur la capacité de l'entreprise à reconnaître la qualité de diplômés issus de l'immigration ou présentant des caractéristiques peu banales, mais aussi sur les clients de l'entreprise. Nous travaillons avec des directions d'entreprise, des comités d'entreprise, des organisations syndicales, des collectivités territoriales. Je me souviens qu'à quelques reprises, nous en sommes venus à nous poser la question de la réceptivité de ce type de profils sur le terrain par nos clients – mieux vaut l'aborder parce qu'elle se pose. Ce n'est jamais direct, mais dans ma vie de chef d'entreprise, il m'est arrivé d'avoir des remontées très concrètes et d'entendre nier la capacité d'intervenir d'un collaborateur ayant tel ou tel profil parce que… Il faut parler de ces choses ; il n'y a pas d'autre solution.

Et il faut aussi montrer un volontarisme et une détermination sans faille, parce que ces réactions sont tellement insupportables quand on voit comment cela fonctionne bien lorsque l'on fait ce type de choix ! Il n'y a d'ailleurs pas de raison que cela fonctionne moins bien avec des personnes qui, non seulement, sont consciencieuses sur le plan professionnel, mais qui savent aussi qu'elles ont un « handicap » sur ce terrain vis-à-vis de la société et des clients de l'entreprise. J'estime que, la plupart du temps, elles font preuve d'une détermination et d'une qualité professionnelle qui sont au-dessus de la moyenne. Cela se sait. En revanche, il faut parler des petits dérapages et des obstacles qui doivent être franchis.

Au sein d'Alpha, j'ai par exemple pris une décision qui a fait débat : j'ai fait en sorte que l'on interdise aux collaborateurs de faire faire un stage à leurs enfants ou aux membres de leur famille dans l'entreprise. Ils sont en revanche incités à trouver des stages chez nos clients, nos prescripteurs ou nos partenaires. Ce genre de petite recette peut faire avancer les choses : cela évite la facilité et cela correspond à un engagement citoyen de la part des chefs d'entreprise et de tous les salariés.

Au-delà de l'élan qu'a pu constituer la mobilisation du 11 janvier, je suis assez optimiste concernant la tâche qui m'est confiée au sein du CNEE. Je l'ai acceptée, malgré les diverses activités qui sont déjà les miennes, parce que je crois que l'enjeu est essentiel pour la compétitivité du pays et pour les problèmes de société que votre mission de réflexion aborde. Je suis persuadé que la relation entre le système éducatif au sens large et le monde de l'économie constitue une question majeure. Je parle du système éducatif au sens large, car la France souffre de ne pas voir la formation tout au long de la vie dépasser l'enceinte des colloques. Ce n'est pas le cas en Europe du Nord où personne n'a le sentiment qu'une fois un diplôme acquis, les jeux sont définitivement faits dans un sens ou un autre. Et manifestement, on vit mieux sans cette culture du diplôme en se formant tout au long de la vie.

Les inégalités produites par le système éducatif – malgré les efforts des enseignants et des ministres successifs – sont telles que si l'on n'articule pas davantage ces relations entre école et le monde de l'économie, on n'arrivera à rien.

Je sais les blocages qu'il peut y avoir dans tous les camps. Les conservatismes sont partout. Au sein du CNEE, nous essayons de faire bouger les lignes. Les regards portés par les uns sur les autres évoluent ; cela doit se poursuivre. La France dispose de moyens éducatifs très puissants et de grande qualité, mais mal coordonnés et priorisés : c'est ce qui explique que nous reculions dans les classements internationaux. Les questions de coordination, d'information, de compréhension mutuelle ou de réflexion sur les enjeux d'orientation sont donc majeures pour notre compétitivité. La question des stages dans les entreprises exige, certes, de lever quelques tabous, mais force est de reconnaître que l'orientation pose un vrai problème dans notre pays – même si des actions sont en cours qui vont dans le bon sens. Mais cessons de développer des formations dont on sait qu'elles débouchent sur peu de choses ou, en tout cas, pas sur les métiers, les compétences et les qualifications de demain !

L'interaction entre les mondes de l'éducation et de l'économie est importante pour notre compétitivité, mais aussi pour régler les problèmes d'insertion et d'intégration – autrement dit, les questions de société que traite en partie votre mission.

En guise de conclusion, monsieur le président, je me permets de dire un mot du club de football que je dirige. Excellent club formateur, il lève lui aussi la taxe d'apprentissage : nous avons mis en place une petite académie, embryon d'un futur centre de formation. Nous avons eu le plus grand mal à mettre en place une formation scolaire à côté de la formation sportive. Nous avons même dû nous tourner vers des structures privées. Il est très difficile d'organiser la formation d'une quarantaine de gamins venant de milieux défavorisés, ayant des niveaux d'éducation très différents, et de les préparer au baccalauréat, à partir d'un socle de compétences communes, dans les classes de seconde, de première et de terminale. Nous avons tout de même obtenu dix reçus au baccalauréat sur dix, ce qui est assez exemplaire dans le monde du football. Mais nous avons eu le plus grand mal : nous avons été obligés de nous tourner vers des structures privées pour bâtir un système éducatif capable d'accompagner le cursus sportif de nos élèves.

Des efforts restent encore à accomplir pour rapprocher le monde du sport et l'école afin d'intégrer efficacement les jeunes concernés. N'oublions pas que seulement 5 ou 10 % des jeunes formés dans ce type de centre deviennent professionnels. Il faut donc penser aux 90 % ou 95 % qui retourneront à la vie active et former des hommes autant que des footballeurs. Sur ce sujet aussi, le monde de l'éducation doit évoluer et se doter d'instruments souples afin d'accompagner des expériences originales comme celle que mène ce club qui m'est cher.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je suis assez d'accord avec cette remarque. Un des meilleurs moyens de redonner confiance à nos enfants et de leur permettre de retrouver de la force dans le système éducatif, c'est de leur reconnaître un talent, une qualité. Un talent peut se manifester parfois en dehors des compétences scolaires traditionnelles, mais il faut savoir en profiter pour ramener les jeunes à l'école, faute de quoi l'on passe à côté de ce concept d'éducation partagée dont nous parlions tout à l'heure. Un certain nombre de gamins, notamment dans les quartiers populaires, sont perpétuellement renvoyés à leur échec : on n'imagine pas la violence que cela peut représenter. L'aménagement des rythmes scolaires peut permettre de jeter un pont entre le système éducatif et un enfant qui découvre un nouvel univers et obtient enfin une réussite et une reconnaissance, fût-elle extrascolaire. Je suis aussi le premier à dire à ces jeunes que leur avenir n'est pas une alternative entre les trafics de toute sorte et le football : il y a statistiquement plus de chances de gagner au loto que de devenir Zidane… À défaut de leur permettre de devenir footballeur professionnel, attachons-nous d'abord à leur donner tous les moyens de réussir leur vie et surtout d'être heureux, individuellement et collectivement, notamment en les ramenant vers l'éducation. Ce n'est pas toujours facile…

Monsieur Ferracci, nous vous remercions.

L'audition s'achève à onze heures quinze.

Membres présents ou excusés

Mission de réflexion sur l'engagement citoyen et l'appartenance républicaine

Réunion du 26 février 2015 à 10 heures.

Présents. – M. Yves Blein, M. Jean-Luc Bleunven, Monsieur Xavier Breton, Mme Françoise Dumas, M. Michel Herbillon, M. Bernard Lesterlin, M. Dominique Potier.

Excusés. – M. Guillaume Bachelay, M. Jean-Jacques Candelier, M. Christophe Cavard, Mme Marianne Dubois, M. Lionnel Luca, M. Didier Quentin.