Mission de réflexion sur l'engagement citoyen et l'appartenance républicaine

Réunion du 19 février 2015 à 11h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • gens
  • quartier

La réunion

Source

L'audition débute à onze heures quinze.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur Mohamed Mechmache, nous vous souhaitons la bienvenue.

Votre collectif est né dans un département qui nous est cher, au lendemain des émeutes de l'automne 2005. Vous avez choisi de porter haut, dans le nom même de ce collectif, la devise de la République comme une ambition à faire vivre de nouveau l'engagement dans tous les quartiers de nos villes, face à une sorte de fatalité de l'exclusion politique.

Près de dix ans plus tard, quel bilan pouvez-vous dresser de votre action de terrain et de votre combat pour soutenir l'application politique et citoyenne dans les quartiers ? Les blocages restent nombreux. Comment pouvons-nous, nous, responsables politiques et acteurs associatifs, travailler à les réduire ?

Telles sont les questions qui vous sont posées dans le premier questionnaire qui vous a été adressé. Vous pouvez répondre directement à ces questions ou avoir un propos liminaire plus général. Nous passerons ensuite aux questions qui vous seront adressées par les députés ou les représentants des fondations.

Permalien
Mohamed Mechmache, coprésident de la coordination « Pas sans nous » et porte-parole du collectif ACLEFEU

Monsieur le président, je vous remercie de cette invitation.

Le collectif ACLEFEU a beaucoup réfléchi à la citoyenneté et au réveil de conscience. Nous avons travaillé, pendant une année, sur un projet dénommé « Passeport Citoyen » pour permettre aux collégiens, lycéens et jeunes sur le point d'être naturalisés, de mieux connaître, et donc de mieux comprendre ce que sont nos institutions. Ils ont appris ce qu'étaient un conseil général, un conseil régional, une mairie, l'Assemblée nationale, le Sénat. Ils ont eu la possibilité de rencontrer des députés et des sénateurs, un maire, un président, un conseiller, auxquels ils ont pu poser des questions. Ces jeunes ont bien évolué, et certains d'entre eux sont même passés à l'acte en devenant des élus.

Chaque année, nous organisons une campagne d'inscription sur les listes électorales. Ensuite, nous menons une campagne de sensibilisation pour que les gens aillent voter. Je ne vous cache pas que, ces dernières années, nous avons rencontré pas mal de personnes qui boudent les urnes et nous expliquent qu'ils ont le sentiment qu'aller voter ne sert pas à grand-chose. Avec tout ce qui s'est passé ces derniers temps, on sent un gros souci de reconnaissance, notamment dans les quartiers populaires. Les jeunes ont le sentiment de ne pas appartenir à une France divisée en deux, où vivent deux mondes différents : le monde de ceux qui se sentent Français à part entière et le monde de ceux qui ont le sentiment de ne pas l'être. On leur rappelle leurs devoirs de citoyens, mais pour ce qui est de leurs droits, ils estiment ne pas être traités de la même manière que les autres.

Aujourd'hui, nous avons bien du mal à mobiliser les jeunes. Nous ne sommes pas non plus beaucoup aidés. Je vais vous parler du vécu d'une bonne partie des habitants de ces quartiers populaires – cela concerne 8 000 à 9 000 personnes.

Ces quartiers souffrent d'un manque de représentation, d'où un manque de confiance. La classe politique a du mal à se renouveler. Les habitants ne sentent pas réellement associés à la co-construction. Quant à la participation, ce n'est qu'une pseudo-participation : les habitants se sentent éloignés de la vie de la cité.

C'est ce à quoi nous travaillons avec le collectif, depuis dix ans. Marie-Hélène Bacqué et moi-même avons remis au ministre délégué chargé de la ville un rapport intitulé « Pour une réforme radicale de la politique de la ville ». Cela avait créé une mobilisation, car des gens ont décidé d'y croire. La constitution d'une coordination nationale « Pas sans nous », une sorte de syndicat des quartiers, a pour but de faire comprendre que les politiques publiques décidées ces trente dernières années l'ont souvent été au détriment d'une population qui n'y a en rien été associée, ce qui n'est pas normal. Quand on fait des réformes, il y a le MEDEF pour représenter le patronat, les syndicats d'étudiants lorsqu'il s'agit d'éducation, sans parler des syndicats qui représentent les salariés. Il nous a donc semblé intéressant de prendre notre part de responsabilité, d'être associés aux politiques publiques dans les quartiers et de remettre les habitants au coeur de ces politiques.

C'est le rôle de la coordination « Pas sans nous ». Nous sommes des interlocuteurs et une force de proposition. La coordination comprend aujourd'hui plus de 400 associations dans toute la France, notamment dans les quartiers populaires, mais aussi dans les quartiers ruraux, ainsi que dans les DOM-TOM.

Elle travaille sur des propositions en collaboration avec le ministère de la ville, notamment dans le cadre des conseils citoyens. Nous pensons que la démocratie participative est en danger et les 70 % d'abstention nous inquiètent fortement.

Nous réfléchissons à la façon de redynamiser tout cela, mais nous ne le ferons pas seuls. Nous aurons besoin de tout le monde, y compris des politiques, pour mener à bien ces missions. Les attentats du 7 janvier sont venus tout bouleverser, y compris ma propre façon de travailler, car j'ai été très touché par ce qui s'est passé. J'ai même failli baisser les bras. Cela fait maintenant dix ans que je m'occupe du collectif ACLEFEU. J'y passe énormément de temps et j'ai dû faire des sacrifices sur les plans familial et professionnel, mais je n'ai pas voulu lâcher, parce que je me disais que c'était nécessaire. Ce qui s'est passé dernièrement m'a fait me remettre en question. Mon but est de continuer à bosser, mais si la main que nous tendons n'est pas saisie, j'ai juste peur que nous ne soyons les derniers interlocuteurs et que ceux qui nous guettent agissent bientôt différemment.

Il y a trente ans, des jeunes issus de ces quartiers avaient entrepris une marche pacifique, suivant en cela l'exemple de Gandhi. Cent mille personnes s'étaient rassemblées à Paris, réclamant tout simplement les mêmes droits, l'égalité, et qu'on lutte contre le racisme.

En 2005, l'expression a été plus violente. Il s'agissait d'une révolte sociale. Faute de ne pas avoir été assez écoutés, nos quartiers se sont embrasés. Et dix ans après, des gens sont toujours sur le carreau.

Il est temps que l'ensemble de la classe politique se pose les bonnes questions, autrement dit qu'elle se demande comment on en est arrivé là. Il va falloir traiter réellement les problèmes de fond. J'ai entendu dernièrement des discours politiques qui m'ont froissé. Je le regrette, car après ce que nous avons traversé, nous nous sommes tous retrouvés le 11 janvier pour essayer de parler du vivre ensemble. Et en la matière, il y a un avant et un après. Comment capitaliser cet après ? J'ai juste peur qu'on se laisse encore aller à des amalgames et qu'on en reste à définir des orientations spécifiques pour certaines populations, s'agissant notamment de l'éducation, de la laïcité et de la citoyenneté. Si on ne fait pas une politique globale, on va encore une fois tenir éloignée une catégorie de gens qui sont français à part entière et qui ont l'impression que la République les oublie.

Je ne veux pas faire un tableau noir de la situation ni tomber dans le misérabilisme. Je me dis qu'il y a encore des possibilités. Nous avons de l'énergie et il y a moyen de renverser la vapeur. Il faut simplement que la classe politique nous accompagne dans ces efforts. On a vu arriver tout doucement les extrêmes – je ne parle pas que des extrêmes religieux, je parle aussi des extrêmes sur le plan politique, car le populisme gagne du terrain. Bien qu'ils ne partagent pas leurs idées, certains sont prêts aujourd'hui à voter pour les extrêmes.

Je suis très inquiet pour notre démocratie, car elle est en danger. Comment lui redonner du sens ? Dans le rapport que nous avons rendu avec Marie-Hélène Bacqué, nous avons fait trente propositions, dont une qui appelait à une « démocratie d'interpellation ». Il faut continuer à véhiculer les valeurs de la République et de la citoyenneté, mais pas à n'importe quel prix. Ça dépend aussi de ce qu'on entend par ça.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je m'occupe de ces questions avec une avocate, Khadija Aoudia, issue d'une famille algérienne, qui exerce depuis plus de vingt ans à Nîmes, dans ma circonscription. Elle travaille auprès de publics cibles fragiles, qui ont parfois basculé dans la délinquance. Nous allons travailler avec elle sur la question identitaire, que certains enferment dans l'aspect religieux, tandis que d'autres en soulignent plutôt l'aspect social Cette question identitaire se pose à des personnes qui, en gros, ont l'impression de ne plus exister, n'arrivent plus à se référer à quoi que ce soit, et parfois même ne savent plus rien de leurs origines, c'est-à-dire de leurs grands-parents – car ce sont les grands-parents de la génération dont nous parlons qui sont venus en France. J'aimerais avoir votre avis sur la question de l'identité et, même si c'est un autre débat, sur celle de l'intégration et de l'assimilation.

J'aimerais également vous entendre sur les méthodes de démocratie participative. Aujourd'hui, la volonté est là, mais comme l'a dit tout à l'heure Mme Calvès, qui a été auditionnée avant vous, elle peut être forte mais ne déboucher sur rien. Cela crée un sentiment de gâchis, et c'est pire. Comment pourrions-nous sur ce point améliorer les choses au niveau législatif ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Depuis votre tournée de 2007, pensez-vous que la situation s'est dégradée et, dans ce cas, de quel point de vue ?

Comment créer et développer des espaces citoyens, plus particulièrement dans les quartiers ?

Concernant l'éducation populaire, en dehors des moyens dont les associations ont besoin, ne pensez-vous pas qu'il serait intéressant de fixer des objectifs communs en fonction de ce que l'on veut obtenir dans les quartiers, notamment auprès des jeunes ? Il ne s'agit évidemment pas de formater les associations, mais d'assurer une coordination en fonction des objectifs. Dans ce cas, quels seraient les besoins des associations ?

À votre avis, que manque-t-il aux associations, indépendamment des moyens, pour remplir leur mission dans les quartiers ?

Vous avez dit qu'il fallait renverser la vapeur. Comment arriver à se mobiliser ? Quelles sont les priorités pour pallier nos manquements depuis plusieurs années ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur Mechmache, nous nous sommes rencontrés il y a quelques mois sur le plateau des Minguettes. Vous étiez venu à l'épicerie sociale présenter votre rapport. Nous avons eu un échange assez long sur les vertus de l'éducation populaire en général, car il faut, en la matière, se garder de stigmatiser certains quartiers. Il y a des vertus universelles que l'ensemble des Français devrait se réapproprier, car il y va de la connaissance, de la familiarité, et donc, de la compréhension des institutions.

La question des « Pas sans nous » revient à savoir comment on construit, « pas sans nous », la ville et l'école. On peut se demander comment, au fil des dispositions, on a éloigné les parents de l'école. Je suis de ceux qui pensent, par exemple, que l'industrialisation de la cantine fait partie des éléments qui ont distendu les liens entre la famille et l'école. Avant, les parents s'organisaient pour faire bouffer les gamins ; aujourd'hui, à force de règlements, de questions sanitaires et autres, ils ne mettent plus les pieds à l'école.

Je n'ai pas l'habitude de raisonner en termes de lieux, mais n'y a-t-il pas, à un moment, besoin d'un endroit où se cristallisent toutes les initiatives, tous les mouvements, tous les événements qui font que les citoyens pratiquent ensemble la République ? Quelques mois après votre passage, la Maison des jeunes et de la culture de Vénissieux – je vous rassure, il n'y a aucun de lien de cause à effet – a été fermée…

Permalien
Gilles Finchelstein, directeur général de la Fondation Jean Jaurès

Vous vous battez depuis de nombreuses années pour une démocratie vivante, à laquelle chacun participe ou puisse participer. Vous avez évoqué trois formes de démocratie différentes.

Qu'entendez-vous par « démocratie d'interpellation » ?

Quel bilan faites-vous aujourd'hui de la démocratie participative ? Et si problème il y a, est-ce un problème d'offre ou de demande ?

Quant à la démocratie représentative, vous vous êtes battu pour l'inscription des jeunes sur les listes électorales et pour leur participation aux élections. Vous avez évoqué la très forte progression du taux d'abstention, notamment dans les quartiers. Dans une audition précédente, Martin Hirsch nous a fait part de son soutien au vote obligatoire. Quelle est votre position sur le sujet ?

Permalien
Christophe de Voogd, Fondation pour l'innovation politique

Vous avez dit à propos des valeurs républicaines : « Ça dépend de ce qu'on entend par ça ». J'aimerais savoir ce que vous entendez par « ça ». C'est important, car les valeurs républicaines sont une vaste auberge où tout le monde a son plat préféré…

Vous avez décrit longuement le processus d'échec de la politique de la ville. Y a-t-il une chose dont vous pourriez dire qu'elle n'a pas marché et qui vous paraît essentielle ? Quand vous dites, « pas sans nous », j'ai envie de vous demander « quoi, pas sans nous ? » Qu'est-ce qui vous paraît central ? Quelle est la priorité absolue ? On ne peut pas dire qu'en trente ans – je parle sous le contrôle d'un ancien ministre de la ville –, la République n'a rien fait, ne serait-ce qu'au sens budgétaire.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous êtes engagé sur un territoire qui a beaucoup bougé : dans le domaine du renouvellement urbain, par exemple, des sommes considérables ont été mobilisées.

S'agissant d'une question que vous évoquez souvent, le pouvoir d'agir des citoyens, quelles sont les réponses à apporter pour débloquer la situation, afin que les gens se sentent concernés par un slogan que j'aime bien : « la République partout » ? Sous quelle forme pourrait-on y parvenir ?

Permalien
Mohamed Mechmache, coprésident de la coordination « Pas sans nous » et porte-parole du collectif ACLEFEU

Monsieur le président, vous connaissez comme moi le département où j'ai grandi, où je vis, où je continue à militer et à bosser. Il y a eu des changements en termes d'urbanisme, on ne peut le nier. Par contre, je déplore que l'aspect social et humain n'ait pas été inclus dans le processus. On a raté quelque chose en matière de rénovation urbaine. Des zones de non-droit se sont développées dans les quartiers, non parce qu'on ne pouvait pas y entrer, mais parce que des gens y vivaient dans des conditions qui ne sont plus tolérables – par exemple à la cité des Bosquets ou à la Forestière. Le projet de rénovation urbaine (PRU) de Clichy-Montfermeil a été très important et a en effet coûté très cher.

Or des entrepreneurs vivent dans ces quartiers et ont décidé d'y rester, en se disant que s'ils partaient, ils laisseraient derrière eux l'économie souterraine pour seul exemple. Si les gamins décrochent du système scolaire, c'est qu'ils voient leurs grands frères au chômedu alors qu'ils ont bac plus cinq, et qui, même mariés, vivent encore chez leurs parents. Autrement dit, les exemples qu'ils ont sous les yeux ne sont pas les bons.

En plus de ces petites entreprises qui décident de rester dans ces quartiers, il y a aussi des gens qui sont au chômage, mais qui ont appris un métier et qui ont des compétences. Et il y a des jeunes qui sont très éloignés de la vie active, mais qu'on aurait pu associer et faire travailler.

L'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) a permis à de grandes entreprises de venir dans les quartiers, sous réserve de clauses d'insertion pour les jeunes. Le problème, c'est que la plupart des jeunes qui ont été associés n'ont pas eu de formation. Certaines entreprises ont même dit à des jeunes : « Restez chez vous, on va vous payer. On veut seulement justifier de vos heures pour que les clauses soient respectées. » C'est du gâchis. On aurait pu prévoir une clause supplémentaire d'insertion permettant aux petites entreprises d'avoir des parts de marché. Elles s'étaient engagées à embaucher des pères de famille qui avaient un métier. Elles auraient pu embaucher des jeunes qui auraient été formés et suivis. Cela aurait donné du sens, y compris au niveau de l'entretien et du cadre de vie, alors qu'on voit des gens bloquer des chantiers parce qu'elles n'y ont pas été associées. Certains ont empêché qu'on vienne poser le carrelage parce qu'ils étaient eux-mêmes carreleurs. « Je suis au chômedu, se disaient-ils, alors que j'aurais pu participer à cela, donner du sens à ma vie. Et ce sont d'autres qui viennent faire le travail à ma place, alors que c'est l'endroit où je vis avec ma famille. » On a vu les grues monter partout, le chantier a duré dix ans et on constate déjà, dans certains quartiers, une dégradation des bâtiments rénovés, que les habitants ne respectent pas parce que la rénovation s'est faite sans eux.

Ce constat, je ne l'ai pas fait qu'en Seine-Saint-Denis, je l'ai fait au plan national. À Montpellier, l'association « Justice pour le Petit-Bard » se bat depuis longtemps dans le domaine de la rénovation urbaine. De plus en plus de chantiers sont bloqués par des jeunes qui ne sont pas embauchés et qui voient que le travail se fait sans eux.

En ce qui concerne le deuxième programme national de rénovation urbaine, j'ose espérer que nous pourrons intégrer dans les clauses la possibilité pour les petites entreprises qui ont décidé de ne pas quitter ces quartiers d'être associées et d'avoir des parts de marché. Elles s'engageront à embaucher des seniors qui ont des qualifications, mais qui sont aujourd'hui au chômage, afin qu'ils aident les jeunes à acquérir une formation et à respecter leur cadre de vie. C'est plus que de la participation, c'est de la co-construction.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

J'entends ce que vous dites sur le lien qui aurait pu être plus fort entre la rénovation urbaine et celles et ceux qui cherchent un emploi dans ces quartiers.

En dehors de la rénovation urbaine, que manque-t-il aujourd'hui à une ville comme celle que vous connaissez pour que les habitants se sentent à égalité ?

Permalien
Mohamed Mechmache, coprésident de la coordination « Pas sans nous » et porte-parole du collectif ACLEFEU

Tout simplement le droit commun, qui doit retrouver sa place.

Notre quartier étant enclavé, nous nous battons depuis longtemps pour que les transports arrivent jusqu'à Clichy-Montfermeil. Malheureusement, nous sommes pris en otage, car certaines volontés politiques s'opposent à ce que le tram T4 passe par là. Comment voulez-vous créer de l'autonomie s'il n'y a pas de mobilité ? C'est un frein qu'il faut lever. J'ai bien compris que le processus allait être engagé, mais ce n'est pas pour tout de suite alors que nous sommes dans l'urgence.

Pour remédier à cette situation, nous avons eu des échanges avec les missions locales et nous avons fait des propositions, qui figurent dans notre rapport. Mais j'estime qu'on n'a pas été très loin dans la mise en application de ces propositions.

Pour améliorer le quotidien dans les quartiers, il faudrait parler d'éducation, c'est-à-dire partir de la base et redonner du sens afin que les gamins ne quittent pas le système scolaire. Ils ont besoin d'être un peu plus valorisés et d'avoir sous les yeux l'exemple de personnes qui ont réussi, plutôt que de subir le regard stigmatisant que les médias ont porté dernièrement sur les quartiers.

Il faut que les jeunes suivis par des missions locales trouvent des débouchés, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Nous avons la chance d'avoir des missions locales, c'est-à-dire une institution qui est encore en plein milieu des quartiers. Mais comment lui donner du sens ? Ne serait-il pas possible aujourd'hui, sachant que l'État est actionnaire dans des sociétés publiques, d'asseoir les responsables de sociétés publiques autour d'une table et de leur dire qu'ils n'ont plus le choix, qu'il va falloir qu'une bonne partie de leur offre aille en direction des quartiers, sachant qu'on y trouve des bac + 5, des gens qui peuvent entrer en contrat de qualif' ou suivre une formation ? Ce serait un véritable un appel d'air, car les jeunes qui sont suivis par la mission locale finiraient par dire que cela sert à quelque chose. Pour l'instant, c'est plutôt l'inverse : le message que la plupart d'entre eux rapportent à leurs copains, c'est : « N'y va pas, tu vas perdre ton temps ».

Nous voudrions simplement inverser cette tendance et que les entreprises publiques jouent le jeu dans un premier temps, c'est-à-dire qu'Air France, la SNCF ou EDF fassent des offres aux jeunes. Les entreprises privées pourraient alors se dire que si l'État s'est engagé et que cela donne des résultats, elles peuvent aussi le faire.

Nous avons fait cette proposition à plusieurs reprises. Elle ne coûte rien. Il suffit de mettre les gens autour d'une table, de jouer le jeu, et je suis persuadé que les premiers ambassadeurs seront les gamins actuellement suivis par la mission locale. Ce seront les premiers à aller dire à leurs copains : « Va à la mission locale, tu seras suivi et il y aura un débouché pour toi ». Du coup, on fera aussi baisser le chômage dans ces quartiers.

Vous parlez de l'argent qu'on a mis dans ces quartiers. Effectivement, on y a mis énormément d'argent. Mais le fléchage a-t-il été fait correctement ?

L'exemple des zones franches est frappant. On nous avait dit que les jeunes des quartiers pourraient en bénéficier. Si on fait l'évaluation de ce qui s'est passé dans les zones franches, on s'aperçoit que beaucoup de gens ont bénéficié des exonérations d'impôts, mais qu'ils n'ont pas spécialement embauché. Ils ont plutôt installé des boîtes aux lettres. Certaines entreprises ont même poussé le vice jusqu'à fermer leur boîte au bout de cinq ans pour la rouvrir sous un autre nom, tout en gardant leurs contrats. Pendant ces quinze dernières années, beaucoup d'argent a effectivement été versé dans les quartiers, mais le fléchage n'a pas été fait comme il le fallait. D'où l'intérêt, aujourd'hui, d'associer certains experts. Nos regards croisés permettront peut-être de ne plus répéter les erreurs commises ces trente dernières années.

Je ne dis pas que la politique de la ville n'a rien fait, car il y a eu une amélioration. Mais on pourrait peut-être arriver à ce que la politique de la ville disparaisse si tous les acteurs pouvaient travailler ensemble – notamment les acteurs des quartiers, ces associations qui luttent en permanence.

Vous parlez d'éducation populaire. Aujourd'hui, elle n'existe pratiquement plus. Je ne jette pas la pierre à ceux qui s'en occupent, je ne cherche pas non plus un coupable. Je voudrais simplement qu'on remette en question notre façon de faire. L'éducation populaire telle qu'elle est menée aujourd'hui n'a plus de sens.

Je pense à la lutte contre le populisme, contre les vendeurs de drogue, contre le phénomène de ces mères de famille qui finissent par devenir des « nourrices ». Il y a des gens capables de leur dire que la société ne veut plus d'elles, que la société ne leur permet plus de payer leur loyer ou de remplir leur frigo ; alors des dealers viennent leur proposer de payer leur loyer et de remplir leur frigo si elles deviennent leur complice. C'est ainsi que certaines de ces mères se mettent en danger. Je ne les excuse pas, mais elles sombrent par nécessité, tout comme leurs enfants, qui préfèrent quitter le système scolaire pour aller gagner 100 euros par jour.

Nous sommes constamment confrontés à ce genre de situation. Nous devenons en quelque sorte le fonds de commerce de certains acteurs qui ont davantage de moyens, de logistique et d'outils que nous, alors que nous nous battons pour que l'on nous permette de nous émanciper un peu plus, et non tomber dans l'assistanat.

J'ai souvent évoqué cette question, y compris avec les acteurs de l'éducation populaire. J'ai même demandé à la secrétaire d'État chargée de la ville de mettre en place une conférence citoyenne avec tous les acteurs de l'éducation populaire, avec l'ensemble des acteurs des petites associations, pour réfléchir à la façon dont nous pouvons travailler, afin que nos regards croisés redonnent du sens à tout ce qui concerne la citoyenneté et la démocratie, que tous les habitants se sentent concernés par ce qui se passe localement et ne se sentent plus exclus. Quand on s'exclut, on devient plus fragile, on est plus facilement attiré par la voix des sirènes et on finit par céder à la tentation. J'ai une pensée pour Lunel, pointée du doigt à cause du nombre de jeunes partis pour le djihad. Je suis très inquiet. En même temps, je me dis que tout cela n'est pas arrivé par hasard. Bien des choses ont joué pour qu'on en arrive là.

Ce que je pointe aujourd'hui, c'est l'éducation populaire, la citoyenneté, la démocratie d'interpellation. Vous m'avez demandé ce qu'était la démocratie d'interpellation : c'est le pouvoir, lorsqu'une majorité d'habitants n'est pas d'accord avec le projet d'un élu, de proposer un autre projet, avec les moyens de le mettre en place, la meilleure solution étant de pouvoir travailler en co-construction sur certains chantiers. Cela n'est en rien dirigé contre l'élu : pour celui qui a tout compris, c'est gagnant-gagnant.

Si nous n'avons pas les moyens d'avoir une démocratie d'interpellation, nous n'arriverons à rien. Dans notre rapport, nous avons proposé de récupérer 10 % de la réserve parlementaire, qui seraient versés dans un fonds commun géré par des parlementaires, des fonctionnaires et des citoyens. Ce fonds d'interpellation permettrait de désamorcer les situations explosives et les blocages.

Nous avons aussi proposé de récupérer 1 % du financement des partis politiques, qui sont financés par de l'argent public. Ce sont ces fonds qui permettent aux partis de s'organiser, d'être formés et de parler de démocratie ; ce serait une bonne chose de reverser 1 % de ce financement aux habitants, qui y contribuent pour une bonne part, afin qu'ils puissent eux aussi s'organiser et travailler sur ces questions.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vos propos sont très intéressants. Je souhaiterais vous entendre sur les missions locales qui réalisent partout un important travail et mériteraient d'être valorisées : si l'on connaît bien Pôle emploi, on parle très peu des missions locales, pourtant indispensables dans nos territoires.

Je reviendrai par ailleurs sur l'aspect social de la politique de la ville. Depuis plusieurs années, je travaille sur la possibilité d'établir des conventions via les collectivités – agglomérations, régions, etc. – avec les entreprises situées dans les quartiers et en particulier les quartiers populaires. L'idée était bien sûr de fournir de l'emploi pour les jeunes de ces cités, mais également de leur permettre de s'impliquer. Mais est-il plus judicieux, selon vous, qu'ils quittent leur quartier pour trouver du travail ou bien qu'ils en trouvent sur place ?

On crée depuis plusieurs années des ensembles, des immeubles, des zones d'aménagement concerté (ZAC) enfin à l'échelle humaine – ce qui mérite d'être souligné – mais, pour réaliser la mixité sociale dont on parle en permanence et qui est indispensable au « vivre-ensemble », il faudrait davantage se pencher sur la mixité fonctionnelle de ces constructions.

Enfin, le lien avec les parents doit s'établir dans les quartiers eux-mêmes avec le concours des associations. Il faut faire entrer les parents dans l'école. Et il faut pouvoir accompagner ceux qui sont le plus coupés de l'éducation scolaire de leurs enfants en dehors de l'école – vous avez évoqué l'éducation populaire.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

J'espère que nous reviendrons sur la question de l'identité.

Si les élus ont parfois du mal à associer les entreprises et les acteurs locaux dans la réalisation des opérations de rénovation, c'est le plus souvent en raison de la rigidité du code des marchés publics, qu'ils sont tenus de respecter. Comment trouver des marges de souplesse pour intégrer le savoir-faire de gens vivant sur place, à partir d'expérimentations supposant une volonté politique des grands bailleurs sociaux ? C'est tout de même plus agréable, en effet, de participer à la rénovation de son propre quartier.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Quel est votre point de vue, monsieur Mechmache, sur la simplification et l'efficacité administrative des dispositifs publics ? On parle beaucoup de simplification dans ce pays : on dit qu'elle est bonne pour les entreprises, pour l'administration au sens large, mais lorsqu'on cherche à utiliser des leviers financiers – je parle d'expérience –, sachez que pour un député, son équipe et les militants associatifs qui cherchent à monter une coopérative d'économie sociale avec des gens prêts à travailler, avec des marchés disponibles – je pense à cet exemple d'Air France et Ubisoft prêts à se faire livrer des repas préparés –, cela représente trois ans de travail !

Pour ce qui est des financements de la vie associative et de la vie culturelle, faites-vous le même constat que moi, selon lequel les chefs de projet de politique de la ville se trouvent réduits à remplir des dossiers alors qu'ils sont censés « manager » des projets ? Qui plus est, pour chaque projet, de quelque nature qu'il soit, on se perd face à la multiplicité des guichets ; au final, ceux qui « captent » les projets sont ceux qui disposent du capital social et qui, parfois, ne sont pas issus des quartiers concernés et n'ont pas besoin de ces financements.

Mon deuxième point portera sur la démocratie participative. J'ai déjà eu l'occasion de vous dire mon désaccord avec les conditions que vous posez pour réaliser ce que vous appelez la démocratie d'interpellation, en particulier avec votre proposition d'un financement alimenté par un prélèvement sur la réserve parlementaire et sur le financement des partis politiques – et pourquoi pas un prélèvement sur les frais de fonctionnement des assemblées parlementaires ? Cela reviendrait à regarder par le petit bout de la lorgnette, et donnerait le sentiment que l'on oppose les différents types de démocratie. Le vrai problème que pose la démocratie participative dans ce pays, c'est celui de l'indépendance du processus. Aux États-Unis d'Amérique, du fait de leur histoire, la démocratie participative n'est pas financée par les pouvoirs publics, mais par des fondations. Dans les pays scandinaves, en Allemagne, aux Pays-Bas, on n'imagine pas qu'un élu puisse participer à une réunion de concertation ; en France, c'est un postulat de départ : sans élu présent, ce n'est pas une vraie réunion… Et allez expliquer à un élu que sa présence est susceptible de biaiser la délibération des citoyens ! Avez-vous des propositions sur l'indépendance de la démocratie participative en France ?

Enfin, je souhaite vous interroger sur deux propositions. La première vise à réserver une part des logements sociaux à telle ou telle catégorie, par exemple 5 % aux enseignants, 10 % aux moins de trente ans… car la mixité, c'est aussi des chiffres concrets. La seconde proposition vise à répondre aux problèmes techniques auxquels nous sommes confrontés – maquis administratif, complexité des procédures : il s'agirait d'accorder une dotation universelle d'initiative citoyenne à chaque jeune ayant terminé sa formation initiale. Cette dotation serait de 5 000 euros, à savoir un peu moins que l'équivalent du financement d'un service civique. Cela ne veut pas dire que l'on verrait ces 5 000 euros versés sur son compte ; au début de chaque législature, l'Assemblée débattrait des grands projets citoyens pour les cinq ans à venir, projets dans le cadre desquels les jeunes des quartiers populaires, mais aussi des villages, pourraient définir un projet et mutualiser leurs dotations pour le mener à bien, notamment dans le cadre associatif ou dans le cadre du service civique. Que pensez-vous de ce type d'initiative quand on sait qu'un certain nombre de crédits de la ville destinés à la vie associative sont parfois inutilisés en fin d'année faute de projets ?

Permalien
Mohamed Mechmache, coprésident de la coordination « Pas sans nous » et porte-parole du collectif ACLEFEU

Je reste persuadé qu'il faut valoriser les missions locales – certains agents d'accueil et certains directeurs sont aujourd'hui en souffrance à cause de la violence qui y règne. J'ai été éducateur en prévention spécialisée et j'ai accompagné des jeunes auprès de la mission locale : il est arrivé que certains renversent la table parce qu'ils avaient le sentiment de perdre leur temps avec des conseillers qui admettaient leur impuissance à apporter des réponses. Vous avez un rendez-vous ; six mois après on vous demande de revenir et six mois plus tard on vous demande où vous en êtes : comment voulez-vous ne pas péter un câble dans ces conditions !

Fadela Amara avait proposé les contrats d'autonomie afin de récupérer les gamins les plus éloignés et de leur permettre de trouver une formation. La mission disposait de 900 euros par jeune suivi par année ; le contrat d'autonomie permettait à chaque gamin ayant suivi une formation pendant six mois d'en toucher 7 500… Je trouve scandaleux qu'on ait ainsi déshabillé Pierre pour habiller Paul, et il n'y a pas eu davantage de débouchés pour autant, les chiffres l'ont montré. C'est pourquoi je tiens à la proposition dont je vous ai parlé tout à l'heure – et qui émane des concertations avec les acteurs de terrain. De grandes sociétés comme Air France, EDF ou la SNCF font des offres d'emploi ; eh bien, je souhaite qu'une partie de ces offres soient proposées aux missions locales afin que les gamins dont elles s'occupent trouvent, au bout de six mois de suivi, un débouché sur une qualification, une formation ou un emploi.

Cela permettrait de revaloriser les missions locales, qui font un travail formidable mais qui se trouvent aujourd'hui dans une impasse. Je continuerai à me battre pour cette proposition, sachant que j'ai tout de même rencontré de très nombreux directeurs de missions locales qui sont favorables à son expérimentation – une expérimentation qui ne coûtera rien puisqu'il suffit pour la lancer de réunir des responsables autour d'une table, qui feront le pari qu'elle réussira. Cela inciterait aussi les entreprises privées, qui n'osent pas aller recruter dans ces quartiers, estimant peut-être que ces jeunes ne sont pas employables, de jouer le jeu dès lors qu'ils auront été suivis, formés.

Je vous réponds sur la parentalité – vaste sujet ! Le collectif ACLEFEU travaille depuis longtemps sur un projet appelé Oxygène s'adressant à des familles qui ont des problèmes liés à la justice, à l'emploi, à l'éducation et à la scolarité des enfants. Beaucoup de parents n'osent pas parler et finissent par s'isoler et rester avec leurs problèmes. Nous avons donc lancé des cafés-débats permettant à des familles d'en retrouver d'autres qui ont traversé les mêmes difficultés et d'en discuter sans qu'on les juge, sans qu'on les pointe du doigt.

Nous avons également lancé un projet nommé le DAL – dispositif anti-décrochage. Des ateliers avec les parents sont organisés le dimanche matin pour mieux comprendre et accompagner la scolarité de leurs enfants. L'après-midi, certains jeunes qui ont réussi aident d'autres jeunes à ne pas décrocher, à ne pas sortir du système scolaire. Ces ateliers ont lieu le dimanche car ils sont animés uniquement par des bénévoles. Des personnels de l'éducation nationale nous donnent également un coup de main, là aussi bénévole. Le rapport sur les banlieues propose la création de la maison des parents à l'intérieur de l'école. Il nous paraît nécessaire de pouvoir établir un lien entre les parents et les professeurs pour que le regard change, pour qu'on ne cherche pas la responsabilité de l'un ou de l'autre et pour que le gamin ne soit pas l'otage d'une situation qui le dépasse. L'ouverture de l'école sur l'extérieur est nécessaire.

Pour ce qui est de l'emploi dans les quartiers, on a des ressources énormes, des jeunes qui entreprennent. J'ai travaillé dans une association où mon rôle était d'accompagner à la création d'entreprises. La plupart de ceux qui ont créé des entreprises ne sont pas spécialement diplômés ; ils ont énormément d'idées, mais ils ont du mal à trouver des locaux, des financements. Il faut absolument encourager ces petits entrepreneurs, créer des pépinières d'entreprises qui permettraient de s'installer localement et créer de l'emploi. Je ne suis pas là pour opposer les uns et les autres : que certains jeunes puissent aller travailler à l'extérieur, c'est une bonne chose. Mais si certains de ces gamins peuvent travailler là où ils habitent, cela donne du sens à leur vie, et s'ils sont associés au changement de leur environnement, ils le respecteront d'autant plus. Or s'ils ne participent pas à la rénovation, ils ont tendance à ne pas respecter leur environnement – même si ce sont leurs parents qui l'ont payée – car ils ont le sentiment, pour reprendre leurs mots, que ça s'est fait sans eux, qu'ils sont réduits à subir les transformations décidées par des gens de passage, et ils ne l'acceptent pas.

La co-construction donne du sens à la vie de ceux qui vivent dans ces quartiers. Je parle d'expérience : mon père a participé à la construction de la cité des Bosquets, aujourd'hui détruite. Croyez-moi, quand nous étions gamins, nous étions les premiers à faire la police : nos parents s'étaient cassé le dos pour la construire, nous devions respecter leur travail un minimum ! À l'inverse, comment ceux que l'on n'associe pas pourraient-ils se sentir concernés par quelque chose qui s'est fait parfois à leur détriment ?

J'en viens à votre question sur le code des marchés publics, monsieur Cavard : il va falloir faire sauter quelques verrous pour permettre à ces petites entreprises qui, aujourd'hui, sont capables d'apporter une plus-value, d'être associées à la rénovation urbaine – c'est nécessaire et même vital.

En ce qui concerne l'identité, il y a en effet un souci. Nous en sommes presque à la quatrième génération de gens issus de l'immigration et qui sont français. Pourquoi des jeunes nés en France et qui ne connaissent rien de leur pays d'origine, même pas la langue, sont-ils heureux d'affirmer qu'ils sont d'origine algérienne, d'origine marocaine, d'origine maghrébine ? Qu'est-ce que la République leur a apporté comme réponse ? Pas celles qu'ils attendaient en tout cas. On leur rappelle souvent leurs devoirs alors qu'ils n'ont pas toujours la possibilité de faire valoir leurs droits. Quand vous vous appelez Ilan – pour ne pas donner dans la stigmatisation –, quand vous vivez dans une cité, quand vous vous retrouvez dans une classe de trente-deux élèves pratiquement de même origine – tout le monde n'a pas la même notion de la mixité sociale –, avec des professeurs qui ne sont pas les plus aguerris – cela dit sans vouloir jeter la pierre à qui que ce soit – et peu de chances d'aller au bout du cursus souhaité, à supposer que vous vous accrochiez, et quand pour finir vous devez subir le contrôle au faciès à la sortie de l'école et qu'on vous fait parfois « baisser votre froc » pour vous humilier encore un peu plus, vous faire perdre votre dignité alors que vous et votre famille n'avez plus que cela pour tenir debout, comment voulez-vous vous sentir un citoyen français à part entière ?

Tant que cette inégalité sociale restera, on aura bien du mal à faire croire à certains aux valeurs de la République. Plutôt que de pointer du doigt ceux qui n'ont pas respecté la minute de silence du 8 janvier dernier et de juger leur comportement inadmissible, la classe politique aurait mieux fait de se demander comment des enfants de la République en sont arrivés là. Il ne s'agit pas de trouver des excuses à des actes que je continuerai de condamner et à des attitudes – je pense au radicalisme présent dans nos quartiers – contre lesquelles je continuerai à me battre, mais de s'attaquer vraiment à leurs causes profondes. Il faut, dans le même temps, retisser des liens, redonner du sens, de la vie à la démocratie pour qu'elle reprenne largement sa place. Il faut aussi que les responsables politiques cessent de penser, à chaque fois qu'une association voit le jour et s'active, que ce qui se crée en face d'eux se crée contre eux : il faut abandonner le réflexe de défiance. Quand des associations auxquelles les habitants participaient naturellement finissent par devenir paramunicipales au point qu'on embauche ceux qui les animaient, les mêmes habitants finissent par s'en éloigner car ils ne s'y reconnaissent plus. Il va falloir sortir de ce système. Le clientélisme a fini par nous plomber, par faire en sorte que certains se contentent de « consommer » plutôt que de chercher à s'émanciper. Si vous continuez dans cette voie, vous ne réussirez pas. Certes, vous aurez la majorité, mais qu'est-ce que cela prouve ? Si près de 70 % des gens ne se déplacent plus pour voter, c'est bien que la démocratie est en danger.

Et c'est pour lutter contre ce phénomène que je préconise la démocratie d'interpellation, ce qui me permet de répondre à la question de Razzy Hammadi. Si on ne veut plus être tributaire de ceux qui ont le pouvoir d'attribuer des subventions à des personnes qui disent « amen » à tout pour ne pas perdre un financement, on arrivera exactement à l'inverse de ce que l'on souhaite. Il faut donner cette possibilité d'interpellation non pour s'opposer politiquement, mais pour faire avancer la vie du quartier, pour défendre un projet commun qui donnerait du sens à la vie de ses habitants parce qu'ils y participeraient et donc se sentiraient concernés, parce que ce serait leur donner, tout simplement, la possibilité d'exister.

Je défends donc la création d'un fonds d'interpellation destiné à permettre à l'ensemble des habitants de redonner du sens à la démocratie, du sens à leur implication, à une vraie participation de leur part, à la co-construction – le rapport allait même plus loin en évoquant la codécision. Faute de lancer ces processus, je crains que l'on n'éloigne encore un peu plus une partie de la population qui va se renfermer, s'exclure, qui ne se sentira plus concernée, persuadée que tout se décide en amont au détriment de ce qu'elle veut, convaincue qu'elle n'a plus qu'à subir alors qu'elle aurait voulu pouvoir construire un projet ensemble.

Pour ce qui est de la simplification administrative et de l'accès aux financements, il est extrêmement compliqué pour les petites associations sans gros moyens financiers et logistiques de répondre aux appels d'offres. Tant que l'on en restera à ce système de mise en concurrence, ce sont les plus grosses structures qui récupéreront l'ensemble des financements et les petites associations, qui font un énorme travail avec des bouts de ficelle, seront toujours lésées. Il va donc falloir travailler sur ces questions, sinon ce sera la mort de petites associations qui font, je le répète, un formidable travail de fourmi et qui devraient être valorisées. La simplification que je souhaite, c'est celle qui permettra à ces associations de bénéficier des subventions rapidement : il arrive souvent que les financements parviennent alors que le projet est presque terminé – ou bien définitivement enterré.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Merci, monsieur Mechmache, de votre intervention. Nous reviendrons au cours des prochaines auditions sur un certain nombre de points que vous avez évoqués. Je rappelle que nous nous retrouverons le 26 février prochain pour évoquer le thème suivant : « Éducation et éducation populaire, l'entrée des jeunes dans l'engagement citoyen. »

L'audition s'achève à midi vingt-cinq.

Membres présents ou excusés

Mission de réflexion sur l'engagement citoyen et l'appartenance républicaine

Réunion du 19 février 2015 à 11 heures.

Présents. – M. Yves Blein, M. Jean-Jacques Candelier, M. Christophe Cavard, Mme Marianne Dubois, M. Sébastien Denaja, M. Razzy Hammadi, M. Michel Herbillon, Mme Isabelle Le Callennec, M. Bernard Lesterlin, M. Eduardo Rihan-Cypel, Mme Julie Sommaruga.

Excusés. – M. Guillaume Bachelay, Mme Françoise Dumas, M. Jacques Krabal, M. Didier Quentin.