Mission de réflexion sur l'engagement citoyen et l'appartenance républicaine

Réunion du 26 février 2015 à 9h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • quartier
  • université
  • éducatif

La réunion

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L'audition débute à neuf heures dix.

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Mesdames et messieurs les parlementaires, messieurs Nallet et Reynié, je suis très heureux de vous retrouver aujourd'hui à l'occasion de cette deuxième séance de notre mission de réflexion sur l'engagement citoyen et l'appartenance républicaine, consacrée plus particulièrement à l'entrée des jeunes dans l'engagement citoyen à travers l'éducation, notamment l'éducation populaire.

La semaine dernière, nous avons eu le plaisir d'accueillir trois intervenants qui nous ont fait part de leur connaissance, appuyée sur un travail de terrain rigoureux, du service civique, de l'engagement associatif au sens large, des discriminations et de la question de la diversité dans nos institutions administratives et politiques. Ils ont apporté aux membres de la mission de réflexion leur regard sur la crise du sentiment d'appartenance républicaine.

Une partie de la réponse à cette crise passe par l'éducation. Il ne s'agit pas ici de nous substituer aux travaux menés par la ministre de l'éducation nationale, Mme Najat Vallaud-Belkacem, mais il est essentiel que nous, parlementaires, proposions également des pistes et des solutions.

L'école, pour commencer, doit être la courroie de transmission non seulement de la connaissance mais aussi des valeurs de la République, et être le lieu tout à la fois du dépassement des inégalités et de la formation du sentiment citoyen. Celui-ci n'est malheureusement pas inné : il s'acquiert. La mobilisation de l'école est donc déterminante.

Il s'agit de donner aux jeunes les moyens d'acquérir les compétences civiques de base, qui les prépareront à devenir des citoyens engagés.

Aujourd'hui, cette école semble elle-même être en crise. Le sentiment d'appartenance à la communauté nationale donne d'inquiétants signes de faiblesse comme le non-respect de la minute de silence par de nombreux jeunes de nos écoles, collèges et lycées en janvier dernier. Il ne s'agit pas là d'un problème récent, que nous découvrons à peine. Les signaux d'alarme se sont multipliés depuis quelques années.

Le système éducatif est en effet fragilisé dans son ensemble. Cela se manifeste parfois par la remise en cause de la figure tutélaire de l'enseignant, qui peut être victime de menaces et de violences – l'actualité nous en fournit régulièrement des exemples. Cela peut également se traduire par l'entretien d'une logique de compétition accrue. Or, si l'école doit permettre de développer la créativité, l'excellence et l'ambition, elle ne doit pas être l'antichambre de l'enfer managérial. À cet égard, il convient d'étoffer la réflexion actuelle sur le système de notation des élèves.

Enseignants, parents et enfants sont également les témoins de l'inquiétante propagation d'une suspicion généralisée, qui dénonce l'existence supposée d'un traitement social différencié des citoyens selon le fameux modèle du « deux poids, deux mesures ». Nous aurons sans doute l'occasion de voir avec nos intervenants s'il y a nécessité de réformer en profondeur cette institution qui permet d'éclairer les citoyens dès leur plus jeune âge et, si oui, de quelle manière.

De même, l'enseignement supérieur doit être au coeur de nos réflexions. Le développement, au sein des cursus qui le constituent, de différentes formes d'engagement de terrain pourrait être envisagé. Un engagement citoyen permettrait de confronter davantage les étudiants à la réalité concrète de notre pays et d'encourager une ouverture d'esprit qui leur sera indispensable tout au long de leur vie professionnelle.

L'éducation populaire, enfin, paraît essoufflée. Il me semble indispensable de réfléchir à son développement ainsi qu'à sa mise en valeur, en parallèle avec le travail entrepris à travers l'école au sens strict.

L'éducation populaire contribue à la lutte contre le creusement des inégalités sociales, contre l'appauvrissement culturel, contre le délitement du collectif et surtout contre l'effacement de socles républicains tels que la laïcité. Elle est indispensable pour lutter efficacement contre l'« assignation à résidence », que nous évoquions ensemble la semaine dernière, de tous ces jeunes qui se sentent privés d'avenir, éloignés des devoirs et du sentiment citoyens, reclus dans des quartiers ghettoïsés. Je suis convaincu qu'à travers l'éducation populaire, nous pouvons recréer du lien social et territorial et diffuser la culture de l'engagement.

C'est pour cela qu'il faut l'outiller au mieux, afin de lui redonner autant que faire se peut ses lettres de noblesse, dans un contexte économique et social difficile. Face à la crise violente que traversent notre pays et le reste du monde, il est de notre devoir de réfléchir à de nouvelles façons d'enseigner et de promouvoir les valeurs de la République, notamment à travers l'éducation populaire.

Dès lors, la question qui s'impose à nous est celle des leviers concrets à activer pour faciliter l'engagement des jeunes.

Comment leur donner le goût de l'engagement ? Le problème vient-il d'un manque de moyens ? D'une crise plus profonde de l'engagement citoyen ? Et si tel est le cas, comment la résoudre ? Comment reconstruire du lien entre les parents, les premiers des éducateurs, et l'école ? Doit-on, comme le suggère M. Benjamin Stora, créer une université populaire ?

Voilà quelques-uns des sujets sur lesquels nous serons très intéressés d'entendre les quatre intervenants d'aujourd'hui : M. Thibault Renaudin, secrétaire général de l'Association de la fondation étudiante pour la ville, M. Pierre Ferracci, chef d'entreprise et président du Conseil national Éducation-économie, Mme Marie-Françoise Martin, présidente de la Confédération syndicale des familles, et enfin M. Yves Demay, directeur général de l'École polytechnique.

Pour commencer, je donne la parole à M. Thibault Renaudin, secrétaire de l'AFEV, association qui accompagne les élèves des quartiers dits difficiles. C'est par le biais de votre engagement auprès de cette association que vous vous êtes investi dans l'éducation populaire. Vous exercez également la fonction de président de l'association SOCRATE, qui établit des parrainages scolaires, et vous avez initié, l'an dernier, le Forum européen des jeunes engagés. C'est avec intérêt que nous allons vous écouter nous présenter votre expérience de lutte contre la relégation des quartiers populaires et pour l'engagement citoyen et solidaire des jeunes.

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Thibault Renaudin, secrétaire général de l'Association de la fondation étudiante pour la ville, AFEV

Je suis très honoré d'être entendu par cette mission de réflexion. Je ne retirerai pas un mot, monsieur le président, du constat que vous venez de dresser de la situation inédite dans laquelle nous nous trouvons, qu'il s'agisse de manière générale des valeurs de notre République ou plus particulièrement de l'engagement des jeunes.

Commençons par tordre le cou à une idée reçue : les jeunes, dans notre pays, ne se sont jamais autant engagés. Selon une étude de France Bénévolat, le nombre de jeunes bénévoles participant à des actions de solidarité a augmenté de 35 % entre 2010 et 2013, pour atteindre trois millions aujourd'hui. Quant au service civique, il remporte un tel succès qu'il y a quatre candidatures pour un volontaire retenu.

Les jeunes s'engagent, mais ils s'engagent différemment comme l'a montré le sociologue Jacques Ion. Désormais, ils préfèrent s'engager sur une courte période plutôt que de manière durable ; ils veulent être utiles ici et maintenant plutôt que changer globalement la société ; ils souhaitent construire un parcours d'engagement plutôt que prendre des responsabilités au sein de la structure dans laquelle ils s'engagent et chercher à la gérer ; enfin, ils hésitent à déléguer leur parole à un tiers. Changer la société dans son ensemble leur paraît par trop complexe ; on préfère être utile et construire des parcours d'engagement.

Selon nous, cette individualisation de l'engagement est une forme de libération collective. Toutefois, il importe de l'accompagner pour construire de nouvelles solidarités collectives. C'est tout l'enjeu de l'action de l'Association de la fondation étudiante pour la ville (AFEV) et, de manière générale, de l'éducation populaire. Dans la lignée de Jean Macé, fondateur de la Ligue de l'enseignement en 1866, celle-ci se doit, aujourd'hui encore plus qu'hier, d'accompagner et de défendre les valeurs de la République en dehors ou aux côtés de l'institution scolaire.

L'engagement associatif apparaît trop souvent comme quelque chose de « sympathique ». Non, c'est quelque chose d'éminemment sérieux : même s'il est fragilisé et amoindri, il a toujours une grande vitalité et constitue l'un des rouages essentiels à notre République et à notre démocratie.

L'AFEV, fondée en 1991, s'est construite à partir de la volonté de créer des synergies entre les universités et des quartiers populaires. Il vous sera difficile de citer beaucoup d'autres réseaux associatifs issus de la politique de la ville encore existants : nous sommes un des rares à avoir survécu. Or nous sommes confrontés à une multitude de difficultés administratives et financières.

Avant d'en donner des exemples précis, je ferai une rapide présentation de nos quatre axes d'action.

Premièrement : les interventions sociales et éducatives qui recouvrent l'accompagnement individualisé à la scolarité, de l'école primaire jusqu'au lycée professionnel et aux missions locales. Dans 350 quartiers, 7 500 étudiants sont mobilisés pour assurer un suivi individuel de deux heures par semaine, dans 80 % des cas au domicile de l'élève, ce qui fait de l'AFEV le premier réseau à intervenir au sein des familles des quartiers populaires.

Deuxièmement : le service civique avec 600 volontaires qui se consacrent à nos actions quotidiennes de développement du lien avec les familles ou participent aux projets de « Volontaires en résidence », dédiés à la transversalité éducative, qu'il s'agisse de l'animation de bibliothèques à destination des tout-petits ou de la vie lycéenne.

Troisièmement : les « Koloc' A Projets Solidaires », qui consistent, dans les quartiers populaires, à lier chaque appartement en colocation à des projets de solidarité au bas des cages d'escalier, en collaboration avec les associations locales et les collectivités locales. Aujourd'hui, 400 jeunes participent à ces projets ; dans deux ans, ils devraient être au nombre de 1 000.

Quatrièmement : le plaidoyer en faveur de la lutte contre l'échec scolaire, l'Observatoire de la jeunesse solidaire qui effectue des sondages tous les deux ans sur le logement des jeunes, et l'Observatoire de la responsabilité sociétale des universités qui travaille à l'intégration de ces établissements d'enseignement supérieur dans leur environnement.

J'en viens à mon premier exemple : les « Koloc' A Projets Solidaires », aujourd'hui menacées. Inspirés de l'expérience engagée il y a une trentaine d'années à l'université de Louvain-la-Neuve, en Belgique, ces projets ont séduit de nombreuses collectivités locales. Mis en place dans huit villes, ils ont reçu un financement du Fonds d'expérimentation pour la jeunesse. Au bout de trois ans, alors même que les évaluations étaient excellentes, ce financement s'est arrêté. Après avoir pendant une année porté elle-même ces projets, l'AFEV a réussi à trouver trois nouvelles sources de financement : le Commissariat général à l'égalité des territoires ; le ministère de l'enseignement supérieur et le ministère de la jeunesse. Hélas, ces deux derniers financements, soit 62 000 euros, se sont effondrés, nous contraignant à un jonglage permanent pour mener à bien nos actions alors que notre budget interne est déjà resserré au maximum – entre le plus bas et le plus haut salaire parmi les 150 salariés, l'écart n'est que de deux et, croyez-moi, le plus bas des salaires n'est pas très élevé…

Autre exemple de fragilisation : le sort des mesures mises en oeuvre à la suite de la loi Robien, après les émeutes de 2005. Le ministère avait pris contact avec nous pour créer une opération fondée sur le principe « 100 000 étudiants pour 100 000 jeunes dans nos quartiers ». Nous comptions 5 000 étudiants déjà mobilisés et nous avons décidé d'en accueillir 35 000. Grâce à ce nouveau financement, nous avons pu redéployer des dispositifs dans des quartiers où nous n'étions plus présents. Un an et demi après, le plan s'est arrêté du jour au lendemain. Résultat : nous avons dû piocher dans nos réserves pour continuer le suivi des gamins qu'il n'était pas question de priver d'accompagnement.

Les vagues successives de réduction des financements publics affectent de manière générale tout le tissu des associations qui agissent dans les quartiers populaires. Toutes sont fragilisées dans leur capacité à agir. Depuis vingt ans, nous sommes pourtant l'arme au pied, prêts à agir en concertation avec les gouvernements successifs.

Le monde associatif, et singulièrement l'éducation populaire, a toute sa place à prendre. L'éducation nationale doit changer de logiciel, même si des réformes intéressantes ont été accomplies récemment, comme la réforme des lycées professionnels. Il s'agit de passer d'un système éducatif élitiste et compétitif à un système coopératif qui incarne les valeurs de la République. La coopération doit non seulement jouer au sein de l'éducation nationale, mais aussi dans ses relations avec les autres acteurs. L'école ne peut pas tout : la société, qu'il s'agisse des parents ou du tiers-secteur associatif, a un rôle à jouer. Nous souhaitons pour ce faire que le système éducatif soit le plus transversal possible.

La promesse républicaine n'est plus tenue : 20 % d'une classe d'âge sort du système éducatif sans diplôme. D'un côté, l'État et les pouvoirs publics doivent faire en sorte de respecter le pacte républicain ; d'un autre côté, les valeurs de la République, si complexes à faire coïncider, doivent pouvoir s'incarner et être expérimentées par les jeunes. Dans cette perspective, il importe, dès le plus jeune âge, de lier la question de l'engagement au parcours éducatif.

Nous travaillons depuis plusieurs années avec l'Observatoire de la responsabilité sociétale des universités à la reconnaissance de l'engagement dans les parcours universitaires. L'AFEV a passé des conventions avec une très grande majorité d'universités en France – plus de cinquante établissements. Pratiquement toutes les universités reconnaissent l'engagement. Sur les 2 millions à 2,5 millions d'étudiants que compte notre pays, 3 000 ont vu leur engagement reconnu, dont 2 200 à l'AFEV.

Nous avons devant nous un chantier considérable. Le système éducatif doit changer, en priorité dans les quartiers populaires. Dans une tribune parue il y a trois ans dans Le Monde, je dénonçais l'inégalité de financement pointée dans un rapport de la Cour des comptes : en 2010, l'État avait investi 47 % de plus pour un élève parisien que pour un élève de banlieue. La ségrégation et le communautarisme se nourrissent d'un mécanisme bien connu : ce sont de jeunes enseignants tout frais, les moins armés, et qui coûtent le moins cher, qui sont envoyés dans les quartiers populaires où ils ne font que passer.

Comment parvenir à soutenir l'engagement des jeunes ?

Nous devons être collectivement en mesure de proposer des formes d'engagement nouvelles, joyeuses, non punitives – j'insiste sur ce point. On renvoie trop souvent des images négatives aux jeunes des quartiers populaires, présentés comme des délinquants traînant au bas des cages d'escalier ou comme des individus vissés devant leur écran, coupés de la société. Pour éviter de continuer à creuser le fossé, il faut faire en sorte de leur adresser un discours positif en faisant oeuvre de pédagogie. Être jeune aujourd'hui est compliqué : la planète se meurt, les perspectives du marché du travail sont bouchées, le système des retraites est miné, la génération actuelle est moins bien lotie que la précédente. Insistons donc sur le plaisir d'apprendre et non sur la contrainte.

Prenons aussi et surtout le temps d'analyser le processus de désaffiliation. Plus qu'à des jeunes se réfugiant dans le communautarisme, nous sommes confrontés à des jeunes qui sont paumés : désaffiliés de leur histoire familiale, du système éducatif, de notre société, de notre République. Nous devons les aider à se reconnecter, à recréer des liens.

Nous proposons dans cette perspective de travailler à de nouvelles alliances éducatives territoriales en collaboration avec une multitude de partenaires – et je salue la présence de Pierre Ferracci, président du Conseil national Éducation-économie. Le mouvement associatif doit passer d'un mode de simple coexistence plus ou moins collaborative entre associations à un processus de construction collective.

Avec cinq autres associations – l'ANACEJ, Animafac, Graines de France, les Petits Débrouillards et Unis-Cité –, nous avons créé le Forum européen des jeunes engagés qui, chaque année, pendant trois jours, réunit le millier de jeunes issus de nos réseaux dans un espace de dialogue et d'échanges. La première édition à Poitiers, l'année dernière, a été un succès et sera suivie cette année d'une nouvelle réunion à Lille.

Dans la même logique, le Comité national de liaison des acteurs de la prévention spécialisée, le réseau Pouvoir d'agir, la Fédération nationale des centres sociaux et les régies de quartier se concertent pour modéliser des actions à l'échelle d'un territoire de façon à assurer la cohérence de la chaîne des valeurs qui sont les nôtres et l'individualisation du suivi de nos gamins – individualisation et coopération étant pour nous les clefs de l'avenir du système éducatif.

Voilà autant d'initiatives qui permettront de recréer du lien non seulement à l'échelle des quartiers urbains défavorisés mais également des zones rurales, où la désespérance prend une autre forme.

Pour conclure, j'aurais envie de dire : ne nous fragilisez plus, accompagnez-nous. L'AFEV et le mouvement associatif dans son ensemble sont favorables aux évaluations et aux accompagnements. Soyons utiles et mettons-nous au service des valeurs qui sont les nôtres. Ces valeurs ne doivent plus être inculquées par le biais d'un prêche républicain, cela ne fonctionne plus ; elles doivent se traduire dans les faits. Misons sur notre jeunesse, dans toute sa diversité : même si elle est éloignée de la représentation politique, elle a soif d'engagement et de démocratie. Faisons en sorte que notre socle républicain, le système éducatif, soit plus ouvert, plus transversal, plus coopératif. Nous sommes pétris d'optimisme mais il ne nous est pas tous les jours facile de maintenir cette attitude.

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Je vous remercie, monsieur Renaudin, pour cette intervention liminaire. Nous savons tous quelle contribution l'AFEV apporte au service civique et quel rôle elle est appelée à jouer dans sa montée en charge.

J'aimerais que vous nous donniez des précisions sur le concept d'obligation. Vous avez insisté sur les formes « non punitives » que doit prendre l'engagement. Est-ce à dire que l'ardente obligation ne pèserait plus sur les jeunes eux-mêmes, comme c'était le cas avec le service national, mais sur la société tout entière ?

Enfin, pensez-vous utile de faire des ajouts à la partie législative du code de l'éducation ? Vous paraît-il nécessaire que la loi rappelle solennellement à la communauté éducative l'égalité qu'elle doit mettre en oeuvre dans tous les territoires ?

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« Ne nous fragilisez plus, accompagnez-nous » avez-vous conclu, monsieur Renaudin. Pourriez-vous nous apporter des précisions sur ce point ? Comment caractériseriez-vous vos relations avec l'État ? Qui sont vos principaux interlocuteurs : le ministère chargé de la jeunesse et des sports ou bien le ministère de l'éducation nationale ? Comment percevez-vous la cohérence de l'action de l'État en matière d'éducation populaire ?

Les gouvernements successifs et le Parlement ont déjà produit toute une série de rapports consacrés à la vie associative. Parmi les mesures préconisées pour faciliter la vie des associations, quelles sont celles qui vous paraissent les plus pertinentes à mettre en oeuvre ?

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Dominique Reynié, directeur général de la Fondation pour l'innovation politique

Les jeunes vivront moins bien que la génération précédente, avez-vous souligné. J'imagine qu'il s'agit d'un discours rapporté, non d'un fait établi. Sans doute reviendrait-il au discours collectif de mettre en avant le fait qu'ils vivront non pas moins bien mais différemment, voire mieux.

Vous avez encore mis en avant la question majeure des ressources, selon deux angles différents : leur rareté par rapport aux besoins constatés, leur caractère erratique par rapport à la nécessité de planifier et d'agir dans la continuité. Ne pourrait-on imaginer un nouveau modèle de financement ? Sous la double condition que la puissance publique accorde un label et exerce un contrôle, il s'agirait de permettre aux associations de recevoir un soutien financier de la part des entreprises grâce à un régime fiscal beaucoup plus avantageux que celui qui prévaut aujourd'hui. En effet, contrairement à ce qui est dit, le don n'est pas défiscalisé : il s'agit simplement pour le donateur de consacrer une partie des sommes dues au titre de l'impôt à une fondation ou une association et d'y ajouter une surdépense. Le système français est ainsi fait que le don est coûteux : du point de la stricte rationalité économique, il n'y a pas d'intérêt à donner. Certes, ce dispositif d'incitation constituerait une dépense supplémentaire pour la puissance publique en termes de rendement fiscal, mais celle-ci serait sans doute compensée par d'importants bénéfices politiques et sociaux, voire économiques.

Enfin, vous avez fait part de votre souhait de voir le système éducatif passer de la massification à l'individualisation et de la compétition à la coopération. Cette évolution, que j'approuve totalement, est en parfaite adéquation avec les outils numériques qui fonctionnent précisément selon la logique de l'individualisation et de la coopération. On sait, par ailleurs, que des marques comme Apple ou Google jouissent auprès des nouvelles générations d'un crédit de sympathie considérable, qui dépasse même de beaucoup celui de nos institutions publiques – ce qui est préoccupant, nous aurons peut-être l'occasion d'y revenir. Vous serait-il possible d'établir avec ces entreprises une collaboration afin de mettre au point des outils d'accompagnement éducatif ?

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J'ai été très frappé par vos propos sur la désaffiliation, que vous avez résumée de manière lapidaire en disant que certains jeunes étaient totalement « paumés », coupés qu'ils sont de l'école, de leur famille, de leur histoire, de leur culture. Ce problème immense, nous le connaissons tous dans nos quartiers populaires. Il rejoint le coeur de notre préoccupation : la lutte contre la relégation.

Parmi les outils dont nous disposons, le soutien scolaire me paraît occuper une place importante. Je sais votre action en ce domaine, car je travaille avec votre association depuis plus de vingt ans dans ma commune de Maisons-Alfort. Recruter des étudiants pour accompagner les enfants vous est-il plus facile ou plus difficile qu'auparavant ? Pouvez-vous nous donner de plus amples précisions ?

De manière concrète – car cette mission a aussi vocation à réfléchir en ces termes –, comment expliquez-vous que les étudiants de l'École nationale vétérinaire se montrent beaucoup plus intéressés par le sauvetage des espèces menacées en Afrique que par le soutien scolaire aux jeunes des quartiers difficiles ?

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Henri Nallet, président de la Fondation Jean Jaurès

Permettez-moi tout d'abord, monsieur le président, de vous remercier d'avoir associé les fondations politiques à cette mission de réflexion.

Monsieur Renaudin, j'ai été très attentif à vos propos sur la nécessité de changer le logiciel de l'éducation nationale et de passer à un système coopératif plus transversal. Vous rejoignez des réflexions déjà émises par les uns et par les autres. J'imagine que vous avez eu l'occasion de tenir ce discours devant des publics d'enseignants. Comment est-il reçu ? Quels sont, d'après vous, les obstacles qu'il faudrait lever pour parvenir à cette évolution ?

Ma deuxième question concerne votre appel final. Il faut que vous puissiez bénéficier d'argent public, je le comprends tout à fait. Il faut également que vous puissiez bénéficier d'un soutien institutionnel. Pensez-vous que la création d'un ministère de la jeunesse, c'est-à-dire d'une administration exclusivement vouée à l'accompagnement des associations et des organisations se consacrant à la jeunesse et à la prise en charge transversale des jeunes, serait une décision efficace ou peut-on se contenter du système actuel ?

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Ma question portera sur la reconnaissance de l'engagement des étudiants. Considérez-vous nécessaire d'aller plus loin ? Avez-vous des propositions dans ce sens ? En dehors des universités, qu'en est-il des autres établissements d'enseignement supérieur comme les grandes écoles ? Enfin, cette reconnaissance existe-t-elle dans le monde professionnel ?

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Nos travaux sur la loi pour la refondation de l'école ont permis de mettre en évidence une particularité de la France : les financements publics sont avant tout axés sur les collèges et les lycées alors que dans la plupart des pays de l'OCDE, ils sont concentrés sur l'école maternelle et l'université. Voyez-vous dans cette spécificité une des causes de la désaffiliation ? Ne serait-il pas nécessaire de donner confiance aux parents dans leur rôle d'éducateurs dès l'école maternelle afin de favoriser l'accompagnement parental sur la durée ? La question se pose, car on observe dès l'école primaire un délitement de ce soutien familial, souvent pour des raisons culturelles, et un isolement des enfants.

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Récemment, un syndicaliste agricole me disait que, compte tenu des difficultés d'installation des jeunes agriculteurs, il fallait augmenter le niveau d'études. C'est un réflexe répandu que d'en appeler à une réponse quantitative. J'ai l'impression que l'éducation populaire n'y échappe pas. Mais augmenter les moyens ne cache-t-il pas un déficit d'analyse face à une réalité difficile à appréhender ?

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J'aimerais vous faire part à ce stade de nos échanges d'un témoignage qui vous intéressera tous, j'en suis persuadé. Sachant que nous nous réunissions autour de la thématique de l'engagement citoyen, une personne m'a raconté avoir découvert des compatriotes dont elle connaissait à peine l'existence à l'occasion d'un stage de quelques jours de récupération de points du permis de conduire, ce qui a quelque chose d'effrayant par certains côtés mais qui illustre tout l'enjeu de notre mission : comment permettre aux jeunes de faire société commune ?

Pour répondre à cette question, nous ne voulons pas en rester à des considérations philosophiques, nous comptons parvenir à des propositions concrètes et précises. Nous voyons bien que nous ne pouvons pas changer les choses d'un coup. Il nous faut tirer les leçons des bricolages auxquels nous nous livrons dans nos secteurs depuis des années. Le concept de ville éducative a émergé pour mettre en valeur un travail d'éducation à côté de l'instruction dispensée par l'école. Selon vous, monsieur Renaudin, parmi les différents programmes menés dans le cadre de la politique de la ville, quels outils vous paraîtraient en mesure de réamorcer la pompe citoyenne ?

Vous avez souligné que les associations n'étaient pas opposées à l'évaluation. Pouvez-vous nous dire ce qui fonctionne dans votre culture ? Quelles graines vous semblent porteuses de solutions fécondes dans les années à venir ?

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Thibault Renaudin, secrétaire général de l'Association de la fondation étudiante pour la ville, AFEV

Je commencerai par la notion d'obligation. Nous n'y sommes pas très favorables. Compte tenu de la soif d'engagement que nous constatons, nous partons du principe qu'il suffit de faire confiance à l'intelligence des individus. Si obligation il doit y avoir, elle doit reposer non sur les jeunes eux-mêmes mais sur le système éducatif dans son entier afin de faciliter l'engagement et d'intégrer la confrontation à l'altérité dans un parcours éducatif allant du plus jeune âge jusqu'à l'université. Faisons en sorte de ne pas devoir attendre un stage de récupération de points de permis pour découvrir l'autre…

Ce « Accompagnez-nous » par lequel j'ai conclu mon propos introductif visait les pouvoirs publics d'un double point de vue. Point de vue financier, d'une part : ils ne doivent plus fragiliser notre financement – les postes FONJEP, par exemple, ont pris un nouveau coup de rabot. Point de vue social, d'autre part : en tant qu'acteurs de l'éducation populaire, complémentaires de l'école, ils doivent nous considérer comme des interlocuteurs à part entière, en mesure de participer à l'élaboration de réglementations et de lois.

Que les jeunes vivent moins bien n'est pas de l'ordre des faits, mais du témoignage, en effet. La société dans laquelle nous vivons est de plus en plus anxiogène. Il y a dix-sept ans, lorsque je faisais du suivi scolaire dans le quartier du Mirail, c'était le petit gamin de quatrième d'origine marocaine que j'accompagnais qui était angoissé par son avenir, mais pas moi, qui étais bénévole, et encore moins les salariés de l'AFEV. Aujourd'hui, ce sont non seulement les jeunes que nous suivons, mais aussi les bénévoles, les volontaires et désormais les salariés de l'association qui ne se sentent pas bien. Face à des collectivités locales prises à la gorge, un rétrécissement des interlocuteurs et un État qui se retire de la politique de la ville, ils sont contraints de bricoler et se sentent perdus. Depuis le 7 janvier, j'ai entrepris un tour de France des différentes antennes de notre association et je constate combien la confusion règne, jusque chez les bénévoles. J'ai coutume de dire qu'il est très facile d'alimenter la haine et la violence, mais beaucoup plus difficile de nourrir l'intelligence.

Vous évoquiez, monsieur Reynié, les dons issus des entreprises. Actuellement, les fonds de l'AFEV proviennent à 80 % de financements publics et à 20 % de financements privés. Nous considérons que la citoyenneté se décline aussi dans le monde de l'entreprise et avons tenu à développer les partenariats privés – nous en avons de très beaux. Malheureusement, un décret publié il y a deux mois nous a fait sortir de l'éligibilité à la taxe d'apprentissage et nous déployons une grande énergie pour tenter d'en bénéficier à nouveau, même si son produit n'était pas considérable par rapport aux ressources totales de l'association : nous récoltions péniblement 70 000 euros sur 7,5 millions d'euros de budget. Un dispositif de défiscalisation des dons des entreprises pourrait, monsieur le président, faire partie des propositions concrètes que vous appelez de vos voeux. Il contribuerait à mettre nos moyens au niveau de nos besoins.

Quant au numérique, il est certain qu'il bouscule notre système éducatif dans son entier et nos associations périscolaires : nous devons nous y adapter. Nous nous rapprochons des entreprises et des organismes de ce secteur pour démultiplier nos outils en ce domaine. Nous venons de créer un MOOC et nous travaillons avec l'entreprise sociale agréée solidaire simplon.co, une SCOP qui mène un remarquable travail de formation au codage informatique dans les quartiers populaires.

Est-il plus facile de recruter de jeunes bénévoles aujourd'hui ? Ni plus ni moins qu'auparavant. Aujourd'hui, 10 000 jeunes volontaires travaillent dans nos réseaux. Aurions-nous des moyens supplémentaires que nous pourrions en recruter 100 000. La soif d'engagement est grande, je l'ai dit ; il faut seulement prendre en compte les mutations récentes en proposant des formes novatrices adaptées à chaque bénévole et en permettant de construire des parcours individuels d'engagement. Mais ne recalons pas les vieux modèles sur les jeunes ; cela ne fonctionne plus, même avec les moins jeunes.

Quant aux grandes écoles, elles ont compris avant les universités l'importance de l'engagement. L'association SOCRATE avec laquelle je collabore travaille avec un lycée privé parisien qui a intégré dans ses programmes une heure obligatoire d'engagement, qui est soumise à une évaluation. S'occuper des autres, du bien commun, de la société et donc de la République devrait devenir un élément de l'apprentissage à l'école, à côté de matières comme les mathématiques ou le français. C'est toute la dimension coopérative de l'enseignement que nous appelons à développer. Le changement de logiciel de l'éducation passe par cette voie.

À cet égard, je dois vous faire une confidence : en échangeant avec des responsables de syndicats d'enseignants, il m'était apparu que l'arrivée au pouvoir de François Hollande pouvait être l'occasion de changer ce logiciel, de dépasser les conservatismes et de prendre un nouveau chemin. L'éducation nationale s'est engluée trop vite dans la réforme des rythmes scolaires – qui ne me paraît toutefois pas inintéressante car elle prend en compte la dimension transversale de l'acte éducatif. Et quand je dis dimension transversale, cela n'implique nullement que nous voulons nous substituer aux enseignants, comme le craignent certains syndicalistes. Nous nous en distinguons, au contraire : comme le dit souvent Philippe Meirieu, l'accompagnateur, c'est la figure symbolique de l'oncle, « le père sans le pire », celui à qui l'on peut se confier sans avoir peur de son jugement. Le monde éducatif me semble mûr pour cette mutation et des syndicats très importants sont prêts à la soutenir. Le système tient aujourd'hui grâce à certains enseignants qui sont des héros, souligne François Dubet, mais ils sont trop isolés. Il est nécessaire de conforter leur action grâce à un pilotage renforcé des établissements scolaires, qui reposerait non plus sur une approche descendante mais sur la transversalité. À cet égard, nous nous félicitons du renouveau de la formation perceptible parmi les nouvelles vagues d'enseignants.

Un ministère exclusivement consacré la jeunesse ? Je n'ai pas d'avis tranché sur la question. Il est certain que le fait qu'un ministère « en tête de gondole » lui soit dédié donnerait plus d'importance aux problématiques qui lui sont liées ; mais en même temps, elle doit relever d'une approche transversale. Une chose est sûre : mieux vaut ne pas associer systématiquement jeunesse et sports : ce sont deux choses différentes. Un ministère de la citoyenneté, pourquoi pas ? Et un ministère du temps libre aussi…

S'agissant de la reconnaissance par les universités, nous avons parcouru du chemin. À nos débuts, nous avons eu à lutter contre l'opposition des syndicats étudiants qui soutenaient que reconnaître l'engagement, c'était le dévoyer, l'amoindrir. Or les étudiants bénévoles ont besoin d'être davantage reconnus par la société. Désormais, en lien avec une équipe éducative, ils peuvent faire valoir les heures qu'ils consacrent chaque semaine à leur engagement. Les universités demandent souvent un rapport de synthèse à la fin de l'année : ce qui est évalué n'est pas, bien sûr, la qualité même de l'engagement mais son sérieux, sa durabilité et surtout les compétences transversales qu'il aura permis d'acquérir à travers la gestion d'un projet, la confrontation à l'autre, la négociation.

Pour ce qui est de la reconnaissance par le monde professionnel, je peux vous livrer les résultats d'un sondage effectué dans le cadre de l'Observatoire de la jeunesse solidaire il y a cinq ans : environ 60 % des entreprises interrogées estimaient que l'engagement ne constituait pas un élément positif dans un curriculum vitae : quelqu'un qui s'engage, c'est suspect et ce ne sera pas facile à gérer. J'espère que les choses ont changé depuis. En tout cas, nous y travaillons.

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En même temps, un jeune ayant fait du bénévolat n'aurait rien à regretter de ne pas être recruté par une telle entreprise… Ne pas considérer que le soutien scolaire est un élément positif, c'est nul !

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Thibault Renaudin, secrétaire général de l'Association de la fondation étudiante pour la ville, AFEV

Je partage ce propos !

Je terminerai par une comparaison des systèmes éducatifs. Aujourd'hui, il y a deux pays de l'OCDE qui obtiennent de très bons résultats en matière scolaire : la Corée du Sud et la Finlande. En Corée du Sud, les élèves sont soumis à une pression permanente proche du matraquage : cela marche, mais cela ne va pas sans suicides et dépressions. En Finlande, l'école primaire bénéficie de financements massifs et une place est faite à chaque acteur du système éducatif, parents compris, dans une dimension transversale. Vous comprendrez qu'il s'agit pour nous d'un modèle, d'autant que ce pays a pu en six ans réformer en profondeur un système éducatif qui reposait sur le même modèle que celui de la France. Résultat : aujourd'hui, en Finlande, 6 % seulement d'une classe d'âge sort du système éducatif sans diplôme contre 20 % dans notre pays.

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Monsieur Renaudin, merci pour vos réponses. N'hésitez pas à nous faire parvenir des contributions ou propositions écrites, elles seront les bienvenues.

L'audition s'achève à dix heures quinze.

Membres présents ou excusés

Mission de réflexion sur l'engagement citoyen et l'appartenance républicaine

Réunion du 26 février 2015 à 9 heures.

Présents. – M. Yves Blein, M. Jean-Luc Bleunven, Monsieur Xavier Breton, Mme Françoise Dumas, M. Michel Herbillon, M. Bernard Lesterlin, M. Dominique Potier.

Excusés. – M. Guillaume Bachelay, M. Jean-Jacques Candelier, M. Christophe Cavard, Mme Marianne Dubois, M. Lionnel Luca, M. Didier Quentin.