Mission de réflexion sur l'engagement citoyen et l'appartenance républicaine

Réunion du 12 mars 2015 à 9h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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L'audition débute à neuf heures cinq.

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Le Président de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone, est en déplacement à Lyon afin de rencontrer, dans le cadre de notre mission de réflexion sur l'engagement citoyen et l'appartenance républicaine, des acteurs associatifs de terrain et des citoyens qui ont une démarche d'engagement, afin de comprendre leurs attentes et de bénéficier de leur expérience. C'est pourquoi j'ai l'honneur de présider cette quatrième séance d'auditions, consacrée à l'engagement et à l'innovation territoriale en milieu rural.

Lorsqu'on évoque l'engagement citoyen et la crise de l'appartenance républicaine, on pense presque automatiquement aux évolutions du militantisme, à la défaillance de l'éducation ou à cette jeunesse dont on dit qu'elle est désenchantée et dépolitisée. Mais se limiter à ces questions, c'est laisser dans l'ombre des personnes particulièrement concernées par cette crise : les ruraux. Combien de petits villages sont en effet totalement enclavés, ne bénéficiant pas de transports publics, d'hôpitaux, de collèges ou de lycées ? Comment se sentir citoyen à part entière lorsque l'on vit dans un désert de la République ?

Sans doute les conséquences à long terme de l'exode rural, de l'industrialisation et de la mondialisation ont-elles été mal évaluées, au risque d'un délitement du lien citoyen dans ces territoires frappés par les inégalités, qui se tournent de plus en plus vers les extrêmes. N'oublions pas la souffrance de nombreux agriculteurs qui ne se sentent pas assez écoutés.

Il ne s'agit pas de noircir le bilan. Contrairement à une idée répandue, le milieu rural est très dynamique. On note d'ailleurs l'apparition d'un exode urbain, certaines familles fuyant la pollution et le coût de la vie dans les villes pour s'installer dans nos campagnes. Je dis bien « nos campagnes », et non « la campagne », car les milieux périurbains connaissent des situations extrêmement variées. Ainsi, le vote systématique est plus important dans les zones rurales, surtout chez les agriculteurs et les retraités. Les territoires ruraux constituent aussi un formidable terreau pour l'économie verte, élément clé de notre avenir. Ils sont un creuset d'invention de concepts prometteurs, tels que le commerce équitable ou l'agro-écologie. De nombreuses initiatives, telles que les Foyers ruraux et les associations de bénévoles, s'y multiplient, luttant pour que les territoires ruraux restent des espaces de vie et de solidarité.

À l'heure où se décident les grandes orientations de demain, l'implication des citoyens doit être au coeur de toutes les politiques locales. Dès lors, comment peut-on encourager les formes d'engagement qui existent en milieu rural ? Comment adapter les politiques publiques aux enjeux de la ruralité ? Les actions de nature intergénérationnelle ou culturelle sont-elles un bon moyen de faire participer les jeunes ruraux à la vie du territoire ?

Nous écouterons avec grand intérêt les avis et propositions de M. Pascal Bailleau, président de la Confédération nationale des foyers ruraux, de M. Michel Guilbert, vice-président de Générations Mouvement, de M. Dominique Marmier, président de Familles rurales, et de M. Nicolas Renahy, directeur de recherche en sociologie à l'Institut national de la recherche agronomique, directeur du Centre d'économie et de sociologie appliquées à l'agriculture et aux espaces ruraux.

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Pascal Bailleau, président de la Confédération nationale des Foyers ruraux & associations de développement et d'animation en milieu rural, CNFR

Que des mouvements comme le nôtre soient invités par votre mission de réflexion pour partager leur vécu, présenter leurs innovations et leurs propositions, constitue une marque de reconnaissance à laquelle nous sommes sensibles.

À la suite des attentats du mois de janvier, des millions de personnes se sont rassemblées dans les grandes villes. Sans doute a-t-on moins remarqué les dizaines de personnes qui, dans de nombreux villages, se sont également réunies pour se recueillir. Sans doute existe-t-il une France visible et une autre qui l'est moins. Notre mouvement et ceux qui agissent dans les territoires ruraux sont eux aussi beaucoup moins visibles que ceux des métropoles. S'il existe depuis des années une politique de la ville, il n'y a que depuis peu un ministre chargé de la ruralité. De fait – et même s'il s'y passe beaucoup de choses –, les territoires ruraux ne sont pas forcément dans la lumière.

La Confédération nationale des foyers ruraux a été fondée en 1946 par François Tanguy-Prigent, l'un des premiers militants des foyers ruraux – des foyers paysans, comme on les appelait avant la guerre. Après la guerre, notre mouvement a contribué à la « resocialisation » des agriculteurs et de leurs familles, et a participé aux politiques de formation. Cependant, il a évolué en même temps que le monde agricole, devenant un mouvement d'éducation populaire. L'objet des foyers ruraux est avant tout de construire avec nos concitoyens des activités, des projets et des manifestations, en fonction de leurs besoins et de leurs attentes. L'organisation d'un festival, par exemple, ne constitue pas une finalité en soi, mais un moyen pour que les gens se rencontrent, partagent, agissent ensemble. Voilà pourquoi on peut dire que l'engagement citoyen ne nous est pas étranger.

Notre mouvement présente trois caractéristiques. Il est d'abord intergénérationnel – puisqu'il rassemble des personnes de tous âges – et généraliste, puisqu'on peut y faire de tout. Il n'impose aucune thématique et n'a pas de public choisi. Ses adhérents ne vont pas « consommer » une activité, mais la construisent et la partagent avec d'autres. Ainsi, il n'est pas question de faire pour les jeunes ou à leur place, mais d'agir avec eux.

C'est ensuite un réseau de proximité, qui regroupe 2 200 associations sur l'ensemble des territoires : ruraux et périurbains. Il arrive que, à la périphérie des villes, on trouve à la fois des maisons des jeunes et de la culture et des foyers ruraux, lesquels ont été créés alors que c'était encore la campagne.

C'est enfin un réseau de bénévoles. Nous sommes peu professionnalisés, ce qui est une bonne chose. Les dirigeants des associations locales, des fédérations départementales, des unions régionales et du niveau national sont également bénévoles. Certaines associations locales refusent même les intervenants professionnels. Cela ne va pas sans inconvénient. Il y a quelques années, les horaires de travail étaient fixes ; aujourd'hui, ils sont flexibles, et nombreux sont ceux qui travaillent le samedi. Il est donc plus difficile de faire se rencontrer les gens, de les amener à gérer une association ou à contribuer à sa gouvernance. Comme on part à la retraite de plus en plus tard, il y a de moins en moins de volontaires pour assurer la continuité des associations. Dans les années à venir, la question du renouvellement des dirigeants va se poser. Nous devrons faire en sorte que des actifs soient plus nombreux à prendre des responsabilités au sein des associations.

On ne peut plus parler de « la ruralité », mais « des ruralités », avec des territoires péri-urbains – ou péri-ruraux, selon le point de vue où l'on se place – et des territoires très ruraux. Certains sont en plein développement, alors que d'autres sont enclavés. Dans un même département, des territoires vont plutôt bien, tandis que d'autres sont délaissés.

Plutôt que le récent débat sur l'identité nationale, nous voulons promouvoir un débat sur l'identité des territoires. Nous nous demandons ce que les citoyens apportent au territoire où ils vivent, ce qu'ils y partagent et ce qu'ils en attendent. L'aspect interculturel de la question est intéressant : sur un même territoire cohabitent des habitants « historiques » – dont des agriculteurs de moins en moins nombreux – et de nouveaux habitants. Ceux-ci peuvent avoir vécu sur ce territoire quand ils étaient jeunes et y revenir plus tard, mais il peut aussi s'agir de personnes qui ont fait un choix de mobilité – je suis moi-même né à Paris et j'y ai vécu une quarantaine d'années avant de m'installer au sud de Toulouse. Les citadins – qu'ils viennent d'Île-de-France ou d'autres métropoles – s'installent à la campagne parce que l'on y vit mieux ou parce que la ville est trop chère : en raison du prix des terrains, ils s'en éloignent de plus en plus.

Un autre sujet nous préoccupe : l'aménagement du territoire. Il ne s'agit pas d'opposer territoires urbains et territoires ruraux, mais de penser l'avenir en termes d'aménagement du territoire. Nous ne souhaiterions pas que les territoires ruraux deviennent des poumons de la ville. De la même façon, les citadins ne souhaitent pas forcément aller le dimanche dans un parc pour y voir des cochons ou des vaches. Selon moi, l'aménagement du territoire est une grande chance à saisir.

Le monde rural est-il dominé par la morosité ? Dans mon village, il n'y a plus de services publics depuis longtemps et les habitants ont un sentiment d'abandon : ils ont l'impression – raisonnée ou pas – qu'ils ne sont pas reconnus et qu'on ne parle pas d'eux. Ce n'est pas que les gens vivent mal, c'est qu'ils ont l'impression de vivre mal, et cela se traduit dans les urnes. Dans un tel contexte, nos associations ont sans doute un rôle à jouer.

Le fait que certaines compétences aient été déléguées aux communautés de communes aggrave ce malaise : que reste-t-il à discuter dans les petites communes ? Les délégués étant élus par fléchage, ils n'ont pas de réelle légitimité et le conseiller municipal qui siège à la communauté de communes, dont le territoire est beaucoup plus grand que celui sur lequel il a été élu, peut s'interroger sur le contenu de son mandat et sur sa capacité à l'exercer. Michel Dinet avait raison : en matière de démocratie locale, les gens doivent être partie prenante des décisions qui les concernent, et il serait bon d'en tenir compte dans les prochaines lois. Certes, personne ne souhaite décider à la place des élus, mais tout le monde – élus comme associations – aspire à une sorte de démocratie participative.

Cependant, la morosité des territoires ruraux est-elle différente de celle qu'on observe dans toute la société française ? Nous sommes à la croisée des chemins. Le modèle social issu de la Résistance a cédé la place à un modèle plus libéral, et l'on doit s'interroger sur la société de demain. Chacun est à même de participer à sa construction, mais étant donné le rôle que les acteurs associatifs jouent au quotidien dans les territoires ruraux, ils sont peut-être encore plus légitimes pour faire en sorte que les gens agissent ensemble.

Hier, tout se passait à l'échelle du village ; aujourd'hui, la mesure est le territoire, ou plutôt « les territoires » : territoires administratifs, bassins de vie, bassins d'emploi, mais aussi « territoires de projets » où, pour des raisons diverses, les habitants décident de faire quelque chose ensemble. Dans ces conditions, le rôle de l'État est de permettre aux acteurs des territoires, politiques ou associatifs, de s'exprimer et d'agir ensemble. Cela ne peut que favoriser le sentiment d'appartenance à un territoire – et, au-delà, à la République. Nous-mêmes, en tant que mouvement associatif et d'éducation populaire, nous essayons d'agir dans ce sens. Faire avec les autres, c'est sortir de l'entre-soi et s'interdire de ressasser. La reconnaissance de soi-même passe par la reconnaissance des autres. À partir du moment où l'on fait avec les autres, les tabous disparaissent.

Les territoires ruraux de demain ne doivent pas être de grands dortoirs, mais des lieux où se développe la vie économique et sociale. En collaboration avec les caisses d'allocations familiales et les collectivités – dont on peut dire que, avec les associations, elles constituent les centres sociaux des campagnes –, nous menons des projets de territoire sur ce que l'on appelle les « espaces de vie sociale ». Nous contribuons également à développer de l'emploi, car les bénévoles que nous sommes ont besoin de l'expertise de professionnels. Ainsi, pour résoudre les problèmes d'éloignement et de déplacement, nous avons mis en place une plate-forme collaborative, qui, entre les réunions présentielles, permet de mener à distance nos projets.

Nous organisons également des universités rurales. Nous nous sommes en effet aperçus que nos associations agissent beaucoup, mais ne prennent pas assez le temps de réfléchir. Ainsi, deux universités rurales seront organisées cette année. La première, à Florac, en Lozère, aura pour thème : « Animons les ruralités de demain ». Sur nos territoires, nous savons en effet secouer notre morosité, innover et expérimenter dans des domaines variés, du maraîchage – avec les projets de jardins partagés – aux espaces de coworking – des télétravailleurs s'associent pour créer un lieu social où ils peuvent se retrouver afin de ne pas travailler chacun de son côté. La CNFR ne gère pas ce genre de projets mais y contribue. Elle a également contribué, avec La Poste, au lancement de l'Alliance dynamique, dans laquelle s'impliquent les acteurs de l'économie sociale et solidaire. Il s'agit, par exemple, de rénover et de réutiliser les bureaux de poste désaffectés.

La seconde université rurale, qui se tiendra en Haute-Garonne, à La Broquière, portera sur les pratiques culturelles et sportives, qui peuvent constituer, demain, une voie vers la citoyenneté.

Pour remplir des missions qui relèvent de l'intérêt général, nous avons besoin de subventions. Les collectivités nous les accordent au fur et à mesure de la réalisation des projets. Or certains de ces projets s'inscrivent dans la durée : lorsque nous créons des emplois, nous devons pouvoir les pérenniser, car il n'est pas satisfaisant de n'employer que des personnes en contrat aidé ou des contrats temporaires. Hélas, les aides accordées par le Fonds de coopération de la jeunesse et de l'éducation populaire (FONJEP), sous forme de cofinancements d'emplois – à hauteur de 20 à 25 % d'un poste –, sont en baisse, ce qui compromet des emplois dans de petites associations. Il serait bon de reconsidérer ce mouvement de baisse.

J'aimerais également évoquer la proposition, faite par Mme Fourneyron, de créer un congé d'engagement bénévole, à l'instar du congé formation ou du congé syndical. Nous prévoyons en effet que, dans les années à venir, les responsables associatifs seront de plus en plus souvent des actifs. Il faudrait donc leur accorder des jours rémunérés pour leur permettre d'assurer la gestion et la gouvernance de l'association.

Je terminerai par une déclaration de principes : la reconnaissance de la place des associations – pas seulement celle de notre mouvement, mais des associations en général – et le respect du partenariat avec les élus sont une nécessité. C'est la garantie que l'intérêt général sera bien servi.

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Le monde rural est en pleine mutation : les ruraux n'ont plus forcément de lien direct avec la nature et passent eux aussi beaucoup de temps derrière un écran. On croise d'ailleurs de moins en moins de monde dans les petites communes, ce qui fait naître un sentiment d'isolement. Comment y faire face ?

Pour survivre, le commerce de proximité doit passer par internet, et cela vaut aussi dans le monde rural. Peut-être assisterons-nous à une petite révolution en la matière.

Les tentatives de création d'espaces sociaux se multiplient, mais les échecs sont nombreux. Dans le monde rural, la vie sociale peut se réinventer sur des lieux nouveaux, mais pas forcément là on l'attend. Le politique doit se garder d'un excès de volontarisme.

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Votre engagement et celui de vos équipes de bénévoles, que nous avons l'occasion de rencontrer sur le terrain, sont précieux, et je vous en remercie.

Élu de la ruralité, j'observe que les périmètres des intercommunalités sont bien différents les uns des autres : ils peuvent correspondre à un bassin de vie, mais il arrive aussi qu'ils manquent de cohérence. Vous vous êtes interrogé sur le rôle des élus qui y siègent. Leur mode de désignation a récemment été modifié, et c'est un progrès. Des rivalités subsistent toutefois entre les élus plus urbains des petits bourgs-centres et ceux du milieu rural. En outre, tous ne sont pas toujours dans une dynamique de projet communautaire et beaucoup défendent plus volontiers leur projet communal. D'ailleurs, lors de la campagne des élections municipales, les débats ont rarement porté sur un projet intercommunal.

Je souhaiterais vous interroger sur la réforme des rythmes scolaires qui, afin d'offrir à la jeunesse des activités culturelles et sportives, a créé une dynamique et permis d'intégrer des jeunes dans de vrais projets de vie. Pour organiser et coordonner le dispositif, la petite ville bourg-centre dont je suis le maire, s'appuyant sur les structures et les professionnels de l'intercommunalité, s'est tournée vers une association pivot, le centre social et culturel. Nous avons ainsi pu mobiliser des emplois d'avenir ou des services civiques. Nous avons travaillé avec les maisons de la formation pour apprendre un métier à certains jeunes. Quel rôle avez-vous joué dans ce processus ?

Vous avez parlé d'aménagement du territoire et de services publics. Il existe aujourd'hui un nouveau dispositif pour la revitalisation des villes bourgs-centres. Quel pourrait être le rôle de ces petites villes, s'agissant de l'accès aux services publics des habitants des zones les plus rurales ?

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La ruralité a bien changé. Autrefois, elle se confondait avec le monde agricole. Ce temps est révolu. Dans la commune rurale dont je fus le maire, on ne compte plus aujourd'hui que trois ou quatre cultivateurs.

Mais le milieu rural sait faire preuve d'innovation. L'offre de communication s'y est développée, le haut débit s'y est déployé et l'on y mène des expériences intéressantes. Je pense à une communauté de communes qui, après de longs débats, en accord avec les associations et les petites communes rurales, a créé, dans un vieux moulin qui avait marqué l'histoire de la région, un centre de ressources d'initiatives locales, qui comprenait un centre social et une bibliothèque. Ce projet entendait lutter contre l'isolement – qui est le grand mal de nos territoires ruraux – en facilitant les relations entre les générations, en mettant en place un système de transport à la demande. Les élus peuvent donc mener à bien des projets susceptibles de redynamiser un territoire rural : toutefois, leur tâche est facilitée, du point de vue financier, si le territoire est adossé à un pôle.

Doit-on opposer culture rurale et culture urbaine ? Je ne le crois pas et je ne vois d'ailleurs pas ce que l'on entend par là. Je suis maire d'une ville moyenne, Alençon, et j'observe que de nombreux ruraux viennent vivre en ville lorsqu'ils atteignent soixante-cinq ou soixante-dix ans, tandis que de nombreux jeunes ménages quittent la ville pour jouir, à la campagne, d'un environnement meilleur. Les communautés de communes ne doivent pas moins prendre en compte la complémentarité des communes urbaines, suburbaines et rurales.

Enfin, on sait que, lorsque les gens sont isolés, ils écoutent les réseaux sociaux. Cela se fait au détriment de la réflexion et des débats d'idées. Avez-vous les moyens de renforcer votre action pour accompagner le parcours citoyen et mettre en avant les valeurs républicaines, qui concernent d'ailleurs toutes les générations, et pas uniquement les jeunes ?

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J'ai cru comprendre que la CNFR s'était impliquée dans le service civique. Pourriez-vous nous donner des exemples des missions que vous soutenez ?

Que pourrait-on faire en matière de lutte contre l'isolement des personnes âgées en milieu rural, et plus précisément de lutte contre le sentiment de solitude ? Je pense, pour ma part, que les initiatives intergénérationnelles seraient très utiles.

La semaine dernière, avec quelques collègues et notre ancien ministre de l'agriculture ici présent, nous nous sommes rendus dans un lycée agricole et avons échangé avec un élève qui avait vécu dans un village et habitait désormais dans un quartier populaire de Pau. Il nous a dit que, dans son village, tout le monde se connaissait et qu'on y faisait des choses ensemble, alors que, dans son quartier de Pau, il ne connaissait même pas ses voisins de palier. Cela mérite tout de même réflexion.

Que pourrait-on faire en matière de réserve citoyenne en milieu rural ? Je ne parle pas des pompiers volontaires, que l'on peut qualifier de réserve citoyenne de service public.

Ne pourrait-on pas accueillir en milieu rural des jeunes venant du milieu urbain, ou d'autres régions, voire d'autres pays, pour effectuer des missions de service ou toute autre forme d'engagement citoyen ? Ils pourraient être reçus par des familles qui, en contrepartie, bénéficieraient d'avantages fiscaux – avoir fiscal, part supplémentaire, par exemple. Par la même occasion, on favoriserait la mixité sociale et générationnelle, ainsi que l'interculturalité.

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Dominique Reynié, directeur général de la Fondation pour l'innovation politique

Est-il possible, selon vous, d'impliquer davantage les entreprises, même éloignées, dans le soutien de vos activités ?

Ne serait-il pas utile de délocaliser des causes qui restent locales ? Par exemple, pour une cause locale et un engagement local, on pourrait peut-être trouver des appuis en fédérant une préoccupation qui, elle, serait nationale. Une plate-forme – cela se fait aujourd'hui à travers le crowdfunding – pourrait être intéressée par un projet qui, quoique local, a un retentissement suffisant pour mobiliser d'autres bénévoles, d'autres militants, d'autres citoyens. Ceux-ci pourraient souhaiter soutenir telle ou telle initiative.

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Henri Nallet, président de la Fondation Jean-Jaurès

Votre confédération regroupe 2 000 associations sur l'ensemble du territoire, mais nous savons que la situation des associations et de l'éducation populaire est fort inégale. Dans certains endroits, les associations, les clubs sportifs et les foyers ruraux sont très actifs, et la population participe. Dans d'autres, rien ne se fait et la vie associative a quasiment disparu. Pouvez-vous nous dire pourquoi ?

Certains d'entre nous ont encore à l'esprit ce qu'ont été, dans les années 1950, 1960 et 1970, l'éducation populaire et la formidable mobilisation de la jeunesse rurale, qui a fait la révolution agricole et organisé le syndicalisme autour de ses associations – la Jeunesse agricole catholique (JAC) ou les centres départementaux des jeunes agriculteurs (CDJA). Souvenez-vous qu'un CDJA était organisé en centres cantonaux, ce qui signifiait qu'il y avait suffisamment de jeunes qui s'impliquaient dans un canton pour mettre en place une telle organisation. Tout cela a disparu et il ne faut plus y penser. Qu'est-ce qui, aujourd'hui, pourrait amener les jeunes à se mobiliser autour d'une action dans les zones rurales ? Sont-ils déjà tous devant leur écran et n'ont-ils plus besoin de personne ?

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On a parlé du sentiment de solitude. À l'époque de la canicule, certaines personnes sont décédées dans l'isolement le plus complet et on ne s'est avisé de leur disparition que longtemps après. Je tiens à signaler que des expériences vont être lancées par La Poste, aussi bien en milieu urbain qu'en milieu rural. Son président, M. Wahl, y porte une grande attention. Le volume de courrier à distribuer étant en diminution, les préposés vont être chargés d'un certain nombre de missions sociales, dans le cadre du plan Cohesio.

J'ai moi aussi remarqué que les populations rurales avaient le sentiment que l'on ne parlait pratiquement jamais d'elles. Elles sont à peu près 15 millions et sont parfois excédées de constater que l'on parle bien davantage des quartiers.

J'ai observé également que les agriculteurs professionnels étaient de moins en moins nombreux. Auparavant, ils étaient très bien représentés, voire majoritaires, dans les conseils municipaux des communes rurales. Maintenant, il y en a un ou deux, voire plus du tout.

Enfin, si des retraités du monde rural viennent habiter en ville, à l'inverse, des retraités du monde urbain viennent habiter à la campagne. Ne faudrait-il pas mettre en place une préparation à la vie rurale ? Ce pourrait être le rôle de vos associations. Certains idéalisent la vie rurale, ce qui peut entraîner bien des déconvenues.

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Pascal Bailleau, président de la Confédération nationale des Foyers ruraux & associations de développement et d'animation en milieu rural, CNFR

Les foyers ruraux reçoivent un tiers de jeunes, mais jusqu'à l'âge du collège. Tant qu'ils vont à l'école – et même s'il n'y en a pas forcément une dans leur village –, ils vivent ensemble. À partir du collège, ils s'éloignent. On s'en attriste souvent dans nos associations. Toutefois, il faut rester positif : ils s'en vont, mais avec un vécu, une personnalité qu'ils ont commencé à se construire.

Nous intervenons sur les projets éducatifs de territoire (PEDT). Comme je l'ai dit, nous sommes un mouvement généraliste, et nous ne sommes pas spécialisés dans les accueils de mineurs. Malgré tout, certaines fédérations en organisent avec des associations locales et des collectivités – souvent des communes, mais aussi des intercommunalités.

La réforme des rythmes scolaires a permis de remettre tout le monde autour de la table : école, élus et mairie, associations, parents. En ce sens, c'est une réussite, même si des écueils subsistent encore. Nous avons été acteurs de cette réforme et à certains endroits, nous sommes intervenus en soutien de communes ou de communautés de communes qui n'avaient pas les compétences en interne. En effet, une commune rurale ou une petite intercommunalité n'a pas forcément à sa disposition de nombreux spécialistes dans toutes les disciplines. Il ne suffit pas de dire que telle personne interviendra de telle heure à telle heure, il faut discuter et mettre au point le projet.

L'un des intervenants a parlé de la dynamique de projet communautaire et des élections. Une élection porte sur un projet et permet de désigner l'équipe qui va le mettre en oeuvre. Or il faut bien reconnaître que, dans les communautés de communes, il n'y a pas de projet, sinon celui de la gérer, ce qui n'est pas très mobilisateur.

Nous intervenons auprès des enfants et pouvons mettre en place des accueils. Nous intervenons également auprès des préadolescents et des adolescents. Nous proposons un lieu et un soutien, mais ce sont les jeunes qui, après en avoir discuté avec les animateurs, construisent les projets. C'est ainsi que fleurissent de nombreuses initiatives. Dans ma région, un partenariat a été mis en place avec le Stade toulousain, qui se veut un club citoyen. Il soutient des jeunes qui, de leur côté, prennent certains engagements.

Toutefois, nous n'avons pas beaucoup recours aux services civiques, car il faut des professionnels pour soutenir les bénévoles. Un service civique n'est pas un emploi, et il faut trouver des personnes compétentes pour accompagner le jeune. Mais, quand c'est possible, on accueille le jeune et une famille l'héberge durant le temps de sa mission. Cela fait partie du projet. Le service civique suppose beaucoup de temps et d'investissement. Il s'agit en effet d'accompagner un jeune pendant six mois. Celui-ci n'est pas là pour servir de bouche-trou dans une association, mais pour mener à bien un projet. Et cela peut donner lieu à de belles réussites.

J'ai également remarqué que la situation de la vie associative était très différente selon les régions. Je ne saurais expliquer le manque de mobilisation que l'on observe parfois. Nous savons que, sur un territoire donné, peuvent subsister d'anciennes querelles ou de mauvais souvenirs liés à certaines phases d'immigration. Mais il arrive aussi que le territoire soit en déclin économique et ait perdu des emplois. Je ne peux donc pas me prononcer. Ce qui est sûr, c'est qu'il faut reconstruire. Nous attendons de vous, élus politiques, que vous nous fassiez partager votre vision d'avenir.

Enfin, comment lutter contre l'isolement et la solitude ? Lorsqu'elles organisent une manifestation, certaines associations s'entourent de toutes les compétences et font appel aussi bien aux jeunes qu'aux adultes ou aux anciens. Nous nous sommes rendus l'autre jour à un festival de danse, et nous avons constaté que les « mamies » qui avaient préparé les costumes s'étaient fait aider par des jeunes. En l'occurrence, la dimension intergénérationnelle du projet a été aussi importante que la manifestation elle-même. Le temps du festival, ce n'est que celui du spectacle. Mais le temps du projet, c'est ce que l'on fait ensemble avant, et les conclusions que l'on en tire après. C'est une forme de parcours citoyen.

Ainsi, nous donnons du sens aux actions qui sont menées, afin de faire progresser les uns et les autres. C'est bien pour cela que nous nous revendiquons comme un mouvement d'éducation populaire. Je considère même que nous avons une mission d'intérêt général, dans la mesure où le « vivre ensemble », le « mieux vivre ensemble » sur nos territoires est le fil rouge de nos actions.

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Vous avez conclu en mettant en avant l'intérêt général. On ne pouvait trouver conclusion plus républicaine ! Je vous remercie pour votre contribution.

L'audition s'achève à dix heures dix.

Membres présents ou excusés

Mission de réflexion sur l'engagement citoyen et l'appartenance républicaine

Réunion du 12 mars 2015 à 9 heures.

Présents. – M. Guillaume Bachelay, M. Jean-Luc Bleunven, M. Patrick Bloche, M. Jean-Louis Bricou, M. Bernard Lesterlin, M. Joaquim Pueyo, M. Didier Quentin.

Excusés. – M. Yves Blein, Mme Marianne Dubois, M. Jean-Jacques Candelier.