Mission de réflexion sur l'engagement citoyen et l'appartenance républicaine

Réunion du 19 mars 2015 à 10h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • entrepreneur
  • quartier

La réunion

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L'audition débute à dix heures cinq.

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Monsieur Farid Temsamani, vous êtes porte-parole de l'association Banlieue Plus et nos Quartiers, qui lutte contre la discrimination et la stigmatisation des populations habitant en banlieue. Vous êtes également membre du think tank Synopia, dont les travaux visent à améliorer la gouvernance des institutions publiques et privées en France et en Europe, et vous êtes membre de la Commission nationale sur la participation des habitants, dans le cadre de la politique de la ville.

Nous écouterons avec grand intérêt vos propositions pour reconstituer le lien social dans les banlieues, contribuer à changer leur image, et remédier à la crise du sentiment d'appartenance républicaine qui semble y être particulièrement forte.

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Farid Temsamani

L'association Banlieue Plus promeut l'appartenance républicaine depuis plusieurs années. Cette association a été créée par Nadir Kahia en 2009. Nous sommes partis d'un constat très simple : les quartiers populaires ou la banlieue souffraient d'une image très négative auprès de ceux qui n'y habitaient pas et auprès du système médiatique. Nous avons, dès lors, commencé d'organiser des « rencontres citoyennes » afin d'établir un lien entre les habitants et des experts sur des problèmes relatifs aux quartiers populaires. De façon plus régulière, nous menons des actions visant à améliorer cette image : conseil à l'entrepreneuriat, maraudes hebdomadaires sociales et solidaires dans l'ensemble de la région parisienne, etc.

Nous considérons qu'il y a un véritable « décrochage » républicain dans nos territoires, qui commence souvent par le décrochage scolaire mais aussi – sans vouloir reprendre le mot assez fort du Premier ministre – par une certaine ségrégation territoriale. L'accumulation de ces éléments provoque un sentiment d'humiliation. Or la psychologie nous apprend que quand l'individu éprouve ce sentiment – avéré ou non –, il lui sera difficile de se raccrocher à la République, à la citoyenneté, à l'engagement. Sans vouloir faire le procès de notre République, j'emploierai la métaphore suivante : en amour, il faut être deux – le citoyen doit donner, mais la République aussi doit donner. Malheureusement, le décrochage républicain nous conduit à nous interroger sur la meilleure manière d'améliorer la situation.

Pour ce qui est de la participation des habitants des quartiers populaires à l'aventure entrepreneuriale, il faut bien comprendre qu'ils peuvent parfois subir la discrimination, et pas seulement la discrimination territoriale que je viens d'évoquer, mais aussi une discrimination ethnique, raciale. Du coup, certains s'engagent dans l'entrepreneuriat quasiment par obligation, parce qu'ils n'ont pas d'autre choix. En effet, même lorsque vous êtes intégré dans le monde professionnel, lorsque vous avez eu la chance d'étudier, d'avoir réussi de grandes écoles, vous vous heurtez au fameux plafond de verre, si bien que vous n'avez plus que la possibilité de vous tourner vers l'entrepreneuriat – social ou non du reste. Comment, dès lors, réussir son parcours d'entrepreneur ? Notre République pourrait parfois se montrer plus active en la matière.

L'entrepreneuriat social est souvent la suite logique de nombreuses années passées dans le domaine associatif qui permettent de continuer à cultiver le lien humain plutôt que de se livrer tout entier à la quête de l'enrichissement à tout prix. Il se trouve aussi que, parfois, des gens se lancent dans l'entrepreneuriat social parce qu'ils ne peuvent pas s'engager dans la voie de l'entrepreneuriat « tout court » à cause de ce qu'on pourrait appeler – de même qu'on parle par ailleurs de défaut d'employabilité – un « défaut d'entrepreneuriabilité ». Dans cette perspective, l'entrepreneuriat social aurait un statut intermédiaire qui mériterait d'être développé et mieux connu – M. Dasnoy insistait tout à l'heure sur la nécessaire implication de l'éducation nationale ; il s'agit d'une piste à explorer. Enfin, l'avantage de l'entrepreneuriat social est de placer l'individu au centre de la gouvernance et de la réussite ; on peut donc ici prendre le temps de construire ou de reconstruire un parcours individuel, ce que ne permet pas forcément l'entrepreneuriat « classique ».

La formation est, par conséquent, primordiale si l'on veut assurer la réussite de l'entrepreneuriat social et éviter de créer une nouvelle forme de discrimination, le risque étant en effet de se laisser enfermer dans cette catégorie. Une formation adéquate permettrait donc, à ceux qui le voudraient, de se diriger vers d'autres formes d'entrepreneuriat, plus classiques. Il faut donc établir une passerelle entre les deux. En outre, très souvent, les entreprises sociales et solidaires sont des microstructures concernant des activités très locales ; or – puisque vivant de financements publics, paramunicipaux –, tout ce pan d'activité est mis en difficulté par la situation générale du pays : les financements se raréfient – et je n'évoquerai pas ici les dérives clientélistes. C'est pourquoi il est important – j'y insiste – que ces entrepreneurs soient formés pour pouvoir se diriger vers un modèle plus classique et pouvoir diversifier leurs sources de financement.

En ce qui concerne l'engagement citoyen et l'appartenance à la République – thème qui nous tient particulièrement à coeur –, je reviendrai sur la notion d'humiliation. L'humiliation conduit par définition à des réactions très souvent excessives. C'est pourquoi il faut que l'ensemble des acteurs corrige les effets pervers des politiques menées au long de ces trente ou quarante dernières années. Il faut faire comprendre que les gens des quartiers populaires sont des citoyens à part entière et non pas des citoyens de seconde ou troisième zone. Et l'on oublie souvent que nos concitoyens qui vivent outre-mer sont des citoyens à part entière. Nous avons besoin que la République s'impose à nouveau à l'esprit de l'ensemble des citoyens. Or, il est difficile d'expliquer à nos plus jeunes que la République, c'est également eux, que la République a besoin d'eux parce que la cohésion nationale ne pourra se faire sans l'ensemble des habitants. Il serait temps de passer du discours aux actes.

Je n'oublierai pas nos concitoyens qui ne vivent pas dans des quartiers populaires mais qui subissent ce que j'appelais tout à l'heure, d'un terme un peu fort, la ségrégation, une ségrégation aussi vécue par le monde rural. On a finalement une impression de distorsion entre un certain nombre de citoyens et les autres. La République doit donc se réaffirmer, donner plus de moyens là où il y en a besoin. L'éducation, par exemple, nécessite beaucoup plus de moyens dans certains territoires que dans d'autres. Dans le quartier populaire où j'ai grandi, à Mantes-la-Jolie, quand un professeur manquait, il n'était pas toujours remplacé, alors qu'à Versailles, ville un peu plus aisée que j'ai connue ensuite, un professeur malade à dix heures était remplacé dès treize heures ! Ce défaut de présence républicaine dans tout le territoire marque vraiment les gens.

Pour en revenir à l'entrepreneuriat, certains ne subissent aucune stigmatisation et s'épanouissent dans cette activité, bénéficiant parfois même de moyens. Quand vous montez un business plan, vous avez besoin de votre apport personnel mais aussi d'un soutien bancaire, financier ou autre. Or il est plus facile de réclamer 10 millions d'euros aux banques ou à des fonds d'investissement que les 200 000 euros qui vous seront nécessaires pour monter votre affaire. Dans ce contexte, nous avons longtemps prôné la création d'une agence de développement économique des territoires. Au-delà du petit entrepreneur qui va construire sa sandwicherie, certains ont de vrais projets susceptibles de constituer une véritable richesse pour la nation, mais ils vont buter non sur la discrimination mais des obstacles financiers. Quand les gens viennent nous voir, à Banlieue Plus, je leur conseille de rêver un peu plus grand pour être certains d'obtenir des financements. Nous collaborons avec plusieurs organisations patronales sur cette évolution de l'entrepreneuriat et sur les financements.

Aux grands acteurs bancaires – soumis à un agrément de l'État –, nous ne demandons pas plus d'argent pour les quartiers populaires mais seulement, de manière transparente, de flécher les financements qu'ils accordent aux entrepreneurs selon les territoires. Comment rompre, en effet, avec le sentiment d'humiliation lorsque vous avez étudié, lorsque vous avez réussi à vous en sortir, lorsque vous avez des enfants ou des petits frères ou des petites soeurs et que, au quinzième rendez-vous avec une banque, on vous répète que « cela ne va pas être possible » – non pas à cause de votre nom de famille, mais parce que les politiques commerciales des établissements sont défaillantes ?

C'est pourquoi nous militons pour que les autorités tapent du poing sur la table pour exiger du secteur bancaire qu'il rende public les bénéficiaires des prêts. Cette pratique peut avoir un impact important pour les établissements cotés en bourse. Un entrepreneur de talent, Aziz Senni, a réalisé une étude comparative avec le quartier du Bronx aux États-Unis. Ce quartier a complètement changé, notamment parce qu'un certain nombre d'acteurs associatifs de l'époque, à cet endroit, ont réussi à faire en sorte que les banques affichent les destinataires de leurs prêts et indiquent quels territoires bénéficiaient de ces flux financiers. Avec le temps, du point de vue de l'entrepreneuriat, la situation a sensiblement évolué – c'est donc l'une des pistes importantes sur lesquelles nous devrons travailler.

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Vous avez évoqué un instant votre parcours personnel. Selon vous, faut-il faire accéder les jeunes des quartiers populaires au lycée de Versailles, à l'École nationale d'administration (ENA), ou bien faut-il n'envoyer que des professeurs agrégés à Mantes-la-Jolie ? Par ailleurs, dans le cadre de votre association, quels types de missions vous paraît-il utile de confier aux jeunes qui font leur service civique ?

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Dominique Reynié, directeur général de la Fondation pour l'innovation politique

Je suis un peu embarrassé car j'entends souffler l'esprit du 11 janvier. Ce que j'ai trouvé passionnant dans votre intervention, monsieur Temsamani, c'est que vous avez montré que l'entreprise, qu'elle soit sociale et solidaire ou qu'elle soit de type « classique », est un magnifique facteur de lien social et de lien civique. L'un des grands impensés de la République est cette dimension pourtant centrale. Il est devenu trop difficile de créer et de faire vivre une entreprise. L'idée que vous suggérez sur la transparence des prêts bancaires est excellente. Il serait certes inconvenant, ici, d'entamer un grand débat sur les politiques publiques, mais la République est-elle assez libérale, elle qui ne permet pas suffisamment à ses citoyens de créer des entreprises, de les développer, surtout quand nous savons tous que celui qui n'a pas réussi à l'école en France ne peut pas réussir, la seule option s'offrant à lui étant – peut-être – l'entreprise ?

L'appareil public n'a-t-il pas, dès lors, vocation à accompagner la création d'entreprise, étant entendu que ceux qui n'ont pas réussi à l'école ont besoin d'un encadrement plus important ? En outre, les obstacles que vous avez relevés dans les quartiers populaires ne relèvent-ils pas de politiques publiques classiques, une baisse de la pression fiscale pouvant favoriser la création d'entreprises et par conséquent l'insertion civique de nos concitoyens grâce à une réussite qui, pour n'être pas scolaire, n'en serait pas moins méritante, admirable et utile à la collectivité ?

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Je tiens, monsieur Temsamani, à vous rassurer – à moins que cela ne doive nous inquiéter –, mais, dans ma circonscription, à cheval sur les XVIIe et XVIIIe arrondissements de Paris, les professeurs absents ne sont pas mieux remplacés que ceux de banlieue et Patrick Bloche, élu d'une autre circonscription de Paris, pourrait le confirmer. Il y a du reste en la matière un décalage entre nos discours officiels et la réalité. Ne pensez donc pas que ce phénomène n'affecte que les banlieues.

En ce qui concerne les prêts bancaires, la majorité des entrepreneurs qui viennent me voir, souvent des artisans, m'entretiennent de la difficulté à obtenir un prêt bancaire pour, par exemple, ouvrir un second restaurant, une autre boutique. Il m'est arrivé d'intervenir, surtout lorsque la personne en question possédait déjà une expérience, pour faire valoir qu'il s'agissait de quelqu'un de sérieux. Cela aussi, donc, arrive à Paris.

Vous avez raison de réclamer la présence de la République – notamment par le biais de l'éducation nationale – dans les quartiers populaires – nous le préconisons tous depuis des années et l'on nous reproche de ne pas obtenir de résultats sur ce point –, mais les gens qui vivent dans ces quartiers demandent peut-être aussi que les entrepreneurs y investissent, afin d'avoir la possibilité d'aller au cinéma, d'aller boire un verre, d'aller au restaurant avec des menus à moins de dix euros, bref de pouvoir vivre chez eux en bénéficiant d'une mobilité pour le moment absente. C'est pourquoi, par exemple, nous nous efforçons de déployer les transports en commun en Ile-de-France, même si cela prendra de nombreuses années. Je souhaite donc avoir votre avis sur le secteur marchand dans les quartiers populaires.

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Gilles Finchelstein, directeur général de la Fondation Jean-Jaurès

La Fondation Jean-Jaurès et la Fondation pour l'innovation politique ont commandé à l'institut Harris Interactive une étude, publiée pour partie ce matin, dont la première question, ouverte, consistait à demander aux personnes interrogées quels étaient les mots auxquels ils pensaient spontanément lorsqu'on parlait d' « engagement citoyen ». Un nuage de mots a été réalisé dont deux ressortent : « vote » et « respect » – antithèse, celui-ci, du mot « humiliation ».

Vous avez déclaré, monsieur Temsamani, que la République devait montrer à tous qu'elle comptait sur eux et qu'elle devait se réaffirmer dans tous les quartiers – et d'abord dans les quartiers populaires. Vous avez alors pris deux exemples : le remplacement des professeurs et la transparence des financements bancaires. Avez-vous d'autres exemples concrets qui illustreraient ce que pourrait être, selon vous, une République du respect partout ?

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Farid Temsamani

Je n'habite plus Mantes-la-Jolie ni Versailles, madame Lepetit, mais un arrondissement de Paris, très à l'ouest, où mes enfants, quand ils seront plus grands, n'auront pas de difficulté à voir leurs enseignants absents remplacés…

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Farid Temsamani

J'en suis – j'allais dire : « malheureusement » – quasi certain.

Ce qui manque, c'est l'ouverture. Dans certains quartiers populaires, des jeunes – ou des moins jeunes – n'ont pas accès aux autres franges de la population, soit parce qu'ils ne s'en donnent pas les moyens, soit pour d'autres raisons – mais peu importe –, et inversement. Nous vivons par conséquent dans une société de renfermement. Lorsque vous habitez à 50 kilomètres de Paris, vous n'êtes pas connecté au reste de la population, de même que, lorsqu'on se trouve dans le VIIe arrondissement de Paris, on n'est pas connecté à la population qui se trouve dix kilomètres plus loin.

L'ouverture est donc primordiale à mes yeux. J'estime n'avoir pas réussi en termes d'excellence académique parce que je ne disposais pas de l'information nécessaire à l'époque où j'ai fait mes études – car malheureusement, en France, il existe des fléchages en matière d'excellence. Je n'en suis certes pas moins épanoui et heureux, mais j'ai appris par la suite que la réalité ne se réduisait pas à l'environnement dans lequel j'avais grandi. Certains enfants dont les parents n'ont pas de moyens – parfois même des enfants vivant à Paris – ne connaissent pas le Louvre. J'en suis très malheureux car le rôle de la République est de faire accepter, de faire comprendre que l'histoire de ce pays est aussi leur histoire. Il faut faire comprendre à ces gens-là que la République les aime et qu'ils sont eux aussi l'histoire de France ; et, d'un autre côté, la République doit accepter que ces gens-là apprécient, découvrent et aiment la République.

J'en viens au monde de l'entreprise : il est évident qu'il n'est pas « entré » dans l'éducation nationale. En classe de troisième, les élèves sont tenus d'effectuer une immersion dans le monde de l'entreprise. Eh bien, même quand les enfants des quartiers populaires arrivent à trouver un stage, très souvent, l'enseignant qui a conseillé l'élève ne connaît absolument pas le monde de l'entreprise. Cela paraît caricatural mais c'est une réalité. Nous avons trop souvent été, en France, dans une logique de confrontation avec l'entreprise.

En ce qui concerne le financement des jeunes entrepreneurs, faute de prêt, certains parmi les plus brillants partent. Je pense au Franco-Ivoirien qui a pris la tête du Crédit suisse la semaine dernière : c'est un pur produit du système français d'excellence. Nous voilà ramenés au plafond de verre que j'évoquais tout à l'heure. Mon épouse travaille dans un grand établissement bancaire. Née à Saint-Cloud, elle n'a pas grandi dans un quartier populaire, elle a toujours cru en la République. Elle n'a jamais vécu la discrimination et a suivi un parcours que j'estime d'excellence. Elle s'est aperçue trop tard avoir été bridée dans sa progression hiérarchique, non pas pour des motifs professionnels – elle est excellente, c'est ma femme ! –, mais elle a été bridée pendant les mois et les années nécessaires pour qu'elle ne puisse jamais accéder à ce qu'on appelle le top management.

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Farid Temsamani

En plus, en effet, c'est une femme… (Sourires.) Et, j'y insiste, mon épouse n'a jamais vécu aucune discrimination. Nous avons donc tous, à chaque niveau, besoin de nous affranchir des stéréotypes.

Je terminerai par la notion de respect. Se déroule en ce moment le procès concernant deux enfants – je dis bien deux enfants – qui ont perdu la vie il y a dix ans. Ce drame a conduit la France à l'embrasement de plusieurs quartiers, les violences urbaines étant le fait de gens qui ne connaissaient pas ces enfants. À mes yeux, ce fameux respect dont doivent faire preuve ceux qui représentent la République, ceux qui sont dépositaires de l'autorité publique, doit être le plus important. Cela va sans doute de soi pour vous mais, sans nier la difficulté du travail de ces agents, cette notion nous est parfois comme enlevée. Je n'entends pas verser ici dans la victimisation mais on peut être amené à « s'écraser » volontairement pour ne pas avoir à engager de frais d'avocat. Ce n'est pas un fantasme et cette réalité dépasse même les quartiers populaires : elle peut toucher aussi bien la métropole que l'Île de Beauté ou l'outre-mer. On a tendance, lorsqu'on milite dans une association concernant certaines personnes et certains territoires, à ne pas comprendre ce qui se passe ailleurs et au sein reste de la population. Certains – sans vouloir faire de politique politicienne – en jouent et essaient de diviser les citoyens.

Malgré les difficultés, les drames, je suis très heureux de vivre à l'époque présente parce que, même si je peux me faire très critique vis-à-vis de la République – estimant qu'elle a pu ici et là échouer –, elle vit. Si nous nous retrouvons ici, c'est bien qu'elle existe toujours et qu'elle a vocation à redonner espoir à ces habitants-là, qu'ils appartiennent à des minorités religieuses, ethniques ou autres. Je crois beaucoup à ce projet républicain qui consiste à ne pas considérer le citoyen en fonction de sa couleur de peau ou de sa religion mais en fonction du seul fait qu'il est, précisément, citoyen à part entière. À nous de faire revivre cette idée de la République.

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Je reviendrai sur l'école, enjeu très présent dans les travaux de cette mission. Je ne voudrais pas qu'on oublie la réforme des réseaux d'éducation prioritaire. Quand vous avez deux collèges et treize écoles – comme c'est le cas dans ma circonscription – qui sortent de l'éducation prioritaire pour que les moyens soient mieux répartis au profit des zones qui en ont le plus besoin, on peut considérer que quelque chose se passe. En outre, je confirme les propos d'Annick Lepetit qui cassent le mythe selon lequel on remplace d'un claquement de doigt un professeur absent dans un établissement parisien. La réalité est de fait égalitaire – Paris n'est pas ou en tout cas plus privilégié.

J'ai été pendant plusieurs années maire du XIe arrondissement et donc du bas Belleville et nous avons porté nos efforts sur une école du boulevard de Belleville, située en zone d'éducation prioritaire (ZEP), luttant, année après année, pour empêcher des fermetures de classes. Malheureusement, on en fermait une tous les deux ans, dans ce quartier pourtant très jeune et dynamique. Les parents, souvent d'origine immigrée, préféraient en effet placer leurs enfants dans des écoles privées, malgré les moyens considérables dont bénéficiait l'école de Belleville – avec notamment une moyenne de 17 à 18 élèves par classe. C'est que la diversité des nationalités était considérée comme une sorte de repoussoir.

Comment peut-on redonner confiance dans l'école publique pour qu'elle soit un facteur d'intégration et de réussite sociale – ce qu'on appelait l'ascenseur social ? Cette confiance ne semble plus exister alors que l'école était, sous la IIIe République, le premier facteur d'intégration et de réussite sociale. Comment redresser cette image qui s'est tant détériorée ces dernières années ?

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La métropole parisienne n'est pas homogène. La différence du prix du mètre carré entre les différents territoires qui la composent montre bien que le marché a déjà pris en compte cette donnée. Pour l'entreprise, la question n'est pas de savoir comment créer une opportunité mais de savoir comment on l'accompagne. Je fais attention dès lors qu'il s'agit d'inciter à la création d'entreprise : si un accompagnement plus fort n'est pas prévu auprès de ceux qui en ont besoin parce qu'ils ne connaissent pas cet univers, parce qu'ils n'ont pas les relations qu'il faut, on les envoie dans le mur au bout de deux ans. Et l'on ne mesure pas la souffrance et la catastrophe personnelle – et collective – qu'un tel échec peut représenter. Si on dit à certains jeunes diplômés de se lancer dans l'aventure de la création d'entreprise et qu'on les laisse se débrouiller, c'est un miroir aux alouettes.

Pour l'école, la question n'est pas d'avoir tous les agrégés, même s'ils sont les bienvenus, mais d'avoir la même dépense dans les lycées des quartiers populaires que dans les lycées prestigieux. Les jeunes professeurs sont les bienvenus car ils ont une énergie incroyable, mais à condition que la dépense publique soit à même de les aider pour organiser le temps scolaire différemment.

Il existe certainement une possibilité de « réinstallation » dans ces territoires en difficulté d'entrepreneurs, de cadres qui ont bénéficié de la promesse républicaine sur les plans social et culturel. Mais, pour parvenir à une réelle réappropriation des valeurs républicaines dans ces quartiers, ne faudrait-il pas insister sur la nécessité de vouloir vivre ensemble ? En effet, certains de nos compatriotes ont l'impression que les principes républicains ne sont plus que des mots qu'ils peuvent lire sur le fronton des mairies sans n'en rien percevoir dans leur propre vie – n'ayant plus le sentiment, précisément, d'être ensemble. Qu'en pensez-vous ?

Les différences entre les propos du président Larcher et les miens sur l'organisation institutionnelle nous ont conduits à ne pas présider ensemble la présente mission de réflexion. On peut, en fin de compte, y voir au moins un avantage : celui de défendre deux visions complémentaires. Gérard Larcher réclame en effet une plus grande exigence dans l'examen des capacités d'intégration des demandeurs de titre de séjour, le renforcement de l'exigence républicaine dans l'acquisition de la nationalité française et la prohibition des circulaires générales de régularisation. La philosophie de la présente mission ne me paraît par conséquent pas tout à fait correspondre à celle du président du Sénat. Je tenais à le signaler, en termes choisis compte tenu des liens amicaux que je peux entretenir avec le président Larcher, car cette différence se fera sentir dans les conclusions que donneront les deux assemblées.

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Farid Temsamani

Monsieur Bloche a évoqué l'ascenseur social que constituait l'école jusqu'à il y a peu. Je dois faire partie d'une des dernières générations à en avoir bénéficié. Comme le monde de l'entreprise, l'éducation nationale, au sens large, n'a pas réussi à s'adapter aux réalités des individus et à leurs problèmes. Il a été question de l'égalité de moyens. Au risque de vous choquer, je ne prône pas l'égalité de moyens : je prône un surcroît de moyens là où il y en a besoin et une diminution des moyens là où il y en a le moins besoin. C'est peut-être dogmatique mais l'éducation nationale le pratique déjà dans une certaine mesure. Reste que nous n'avons pas été assez vigilants quant au phénomène criant, ces vingt dernières années, du décrochage et aux besoins qu'il entraîne dans certains territoires – le rattrapage s'en trouve d'autant plus difficile.

L'éducation doit être la priorité en France et, pour en finir avec le sentiment d'humiliation déjà évoqué, la République doit donner plus de moyens. Mais il n'est pas ici question que de moyens matériels : certains établissements des quartiers populaires sont parfois mieux équipés que les établissements de certains arrondissements de Paris. On a trop négligé l'instruction, les moyens humains et intellectuels. Ainsi, l'idée lancée par la ministre de l'éducation nationale de faire apprendre une seconde langue étrangère plus tôt est excellente, mais dans certains quartiers, loin de maîtriser ne serait-ce que la première langue étrangère, les élèves en sont encore à devoir maîtriser et comprendre le français – notre langue nationale –, ce qui n'est absolument pas normal. Quand vos parents ont des difficultés matérielles, doivent travailler très loin de chez eux, font les trois-huit – même si c'est de moins en moins fréquent –, votre famille aura tendance à décrocher par rapport à une famille qui ne sera pas forcément plus aisée matériellement mais qui le sera en matière de temps disponible, de compréhension, d'informations.

Je vous ai dit tout à l'heure que j'estimais ne pas avoir fait un parcours d'excellence. On caricature souvent la conseillère d'orientation : dans nos quartiers, on dit d'elle qu'elle nous oriente là où on ne voudrait pas, c'est-à-dire vers des voies de garage. Or il convient de mener ce travail pédagogique d'orientation, même s'il est lourd.

Avons-nous la volonté politique de permettre à l'ensemble des enfants de ce pays d'accéder – tout le monde ne sera certes pas ingénieur, entrepreneur, polytechnicien… – à une égalité potentielle ? Il s'agit de ne pas freiner celui qui aura l'ambition de faire quelque chose. Or, dans certains territoires, cette possibilité n'existe plus, l'éducation ne permettant plus, comme ce fut très longtemps le cas, la hausse du niveau de ces enfants.

Je suis très attaché à l'idée d'accompagnement. Il ne suffit pas, bien sûr, de créer sa propre entreprise pour réussir, même si l'on a la meilleure idée du monde, même si l'on est très motivé et même si l'on dispose des financements nécessaires. Pour l'ensemble du monde de l'entreprise, le taux d'échec au bout de cinq ans est de 50 %. Il faut donc accompagner l'entrepreneur. Dans certaines grandes entreprises, on demandait aux futurs retraités de transmettre leur savoir aux nouveaux arrivants.

Enfin, la facilité avec laquelle, aux États-Unis, on s'approprie le drapeau, avec laquelle on est fier d'appartenir au pays et ce, quelle que soit son origine, ne se vérifie pas forcément en France. En avons-nous vraiment la volonté ? C'est une question de pédagogie. Appartenir à une nation, c'est avoir des droits, mais c'est aussi avoir des devoirs. Il ne faut pas avoir peur d'aborder ces questions. L'engagement est un devoir. Par exemple, aux États-Unis toujours, on lève le drapeau tous les matins dans les écoles. Il serait intéressant de savoir si, en France, on ne pourrait pas, dès le plus jeune âge, développer la notion de patriotisme. La République ne doit pas être confisquée par les extrêmes et, que vous habitiez en Seine-Saint-Denis ou à Mayotte, l'appartenance républicaine et l'appartenance française doivent être affichées et assumées.

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Nous vous remercions de nous avoir fait profiter de votre expérience et de vos remarques.

L'audition s'achève à dix heures dix.

Membres présents ou excusés

Mission de réflexion sur l'engagement citoyen et l'appartenance républicaine

Réunion du 19 Mars 2015 à 10 heures.

Présents. – M. Guillaume Bachelay, M. Claude Bartolone, M. Jean-Luc Bleunven, M. Patrick Bloche, Mme Annick Lepetit, M. Bernard Lesterlin.

Excusés. – M. Christophe Bouillon, M. Hugues Fourage, M. Yves Fromion.