Mission de réflexion sur l'engagement citoyen et l'appartenance républicaine

Réunion du 26 mars 2015 à 9h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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L'audition débute à neuf heures vingt.

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Je suis heureux de présider cette sixième séance d'auditions de la mission de réflexion sur l'engagement citoyen et l'appartenance républicaine, consacrée aujourd'hui au modèle français de sécurité civile et aux moyens de son confortement.

Le secteur de la sécurité civile et de la protection est sûrement le premier qui vient à l'esprit lorsque l'on évoque le volontariat et les actions bénévoles, puisqu'il s'agit de l'engagement pris dans son sens classique. S'il apporte une contribution essentielle à l'intérêt général, il constitue aussi un carrefour de rencontres facilitant la mixité sociale, le vivre-ensemble et l'ouverture aux autres.

Le modèle français de sécurité civile est très spécifique, puisqu'il rassemble sur le terrain à la fois des volontaires, des professionnels et des réservistes. Les pompiers volontaires, qui représentent 80 % de nos effectifs de secours, assurent la majorité des opérations. Ce modèle conjugue aussi, par le biais des actions de la Croix-Rouge par exemple, tous les champs de l'engagement : lutter contre la précarité, sauver des vies, accompagner les plus vulnérables ou encore mener des projets solidaires. Nos concitoyens y sont particulièrement attachés, car il est porteur de valeurs et de sens, en permettant tout à la fois la protection et l'accompagnement des personnes, et un brassage social fondamental. C'est pourquoi il participe à l'apprentissage permanent de la citoyenneté, ce qui le place au coeur des réflexions de notre mission.

Colonel Éric Faure, vous présidez la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF) ainsi que l'Œuvre des pupilles orphelins et fonds d'entraide des sapeurs-pompiers de France. Vous connaissez de longue date le fonctionnement de la FNSPF puisque, dès 1998, vous y animiez le comité d'expertise de la réforme de la formation. Depuis 2012, vous êtes directeur départemental des services d'incendie et de secours de la Seine-et-Marne, vaste département où cohabitent territoires urbains et monde rural. Nous serons très intéressés de bénéficier de votre expérience et de votre analyse sur l'évolution des effectifs des sapeurs-pompiers volontaires et des jeunes sapeurs-pompiers, et sur celle de la durée de leur engagement. Nous souhaitons également entendre vos propositions pour améliorer la situation des volontaires et favoriser l'engagement.

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Colonel éric Faure, président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF

L'engagement citoyen et les valeurs républicaines sont au coeur de notre modèle français de sécurité civile et de secours. Avant de vous présenter quelques pistes de réflexion susceptibles de contribuer à la consolidation de ce modèle, j'en évoquerai les éléments structurants et les grandes tendances qui le traversent.

Le modèle français de sécurité civile est à la fois original et hybride, performant et fragile. Principaux acteurs de la protection des populations, les sapeurs-pompiers en sont la colonne vertébrale. Consolidé par la loi de modernisation de la sécurité civile de 2004, ce modèle n'a pas été institué par la République : il est né du terrain, de l'association volontaire d'hommes et de femmes pour la défense de leur territoire. Souple et pragmatique, il a su s'adapter au fil du temps. Les Français y sont très attachés, comme en témoigne la confiance de la population envers les sapeurs-pompiers.

Notre modèle de sécurité civile est, tout d'abord, un service public qui associe des citoyens engagés – les 192 300 sapeurs-pompiers volontaires, hommes et femmes, qui exercent cette activité en parallèle de leur vie professionnelle et familiale –, 40 000 sapeurs-pompiers professionnels et 12 000 militaires basés essentiellement à Paris et à Marseille. Il représente une force de près de 250 000 hommes et femmes.

C'est, ensuite, un service public où les collectivités locales et l'État agissent de concert.

C'est également un service public qui apporte, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, une réponse de proximité, tout en restant capable de monter en puissance dans des circonstances exceptionnelles. C'est une caractéristique très importante à une époque où les crises diverses se multiplient, ce qui nécessite la mobilisation rapide de forces sur le terrain.

Enfin, c'est un service public qui se complète d'un réseau associatif solidaire, qui exerce nombre de missions de service public auprès de la population : enseignement des gestes de premiers secours, actions en prévention des risques, prise en charge des jeunes sapeurs-pompiers (JSP), présence forte autour du service civique, mais aussi solidarité auprès des sapeurs-pompiers à travers l'Œuvre des pupilles orphelins de sapeurs-pompiers – la FNSPF a créé son propre dispositif de couverture, car les orphelins de sapeurs-pompiers décédés n'étaient pas pupilles de la Nation. Ce réseau associatif est consubstantiel au service public, l'un enrichissant l'autre en permanence.

Le modèle des secours français est donc profondément républicain, fonctionnant grâce à la citoyenneté et l'engagement de ceux qui y participent. Toutefois, il est fragilisé par les évolutions sociologiques.

D'une part, il doit répondre à une sollicitation opérationnelle de plus en plus importante. Contrairement à de nombreux pays d'Europe, il n'est pas mobilisé seulement contre l'incendie, mission historique des “soldats du feu” que sont les sapeurs-pompiers ; plus de 80 % de ses interventions concernent des opérations de secours d'urgence aux personnes, tant sur la voie publique – lors d'accidents de la circulation ou de sport – qu'à domicile lorsque la vie est menacée. D'autre part, il n'échappe pas à la pression budgétaire qui s'exerce de plus en plus fortement sur toutes les activités de notre société.

Trois points de fragilité principaux menacent son équilibre, à commencer par l'érosion de la ressource humaine. Je l'ai dit, 80 % de la ressource est volontaire, mais l'on constate une baisse régulière des effectifs, avec 13 000 sapeurs-pompiers volontaires en moins en dix ans. Lors du congrès des sapeurs-pompiers à Chambéry, en octobre 2013, le Président de la République a fixé l'objectif de retrouver un niveau de 200 000 pompiers volontaires d'ici à 2017. C'est un objectif qui nous satisfait.

Deuxième point de fragilité : l'effritement du maillage territorial. Ces six dernières années, 750 casernes ont été fermées, s'accompagnant de la perte de 7 000 sapeurs-pompiers volontaires. En plus de leur impact sur le tissu territorial – en particulier sur la ruralité où se trouvent la plupart des casernes – il est clair que ces fermetures affectent directement l'engagement citoyen. Malheureusement, cette tendance se poursuit, nombre de départements institutionnalisant les logiques de fermeture, essentiellement pour des raisons budgétaires.

Troisième point de fragilité, la coopération entre l'État et les collectivités territoriale s'avère insuffisante, voire inexistante. La compétence partagée est pourtant prévue par les textes pour être une force du système. Aujourd'hui, chacun travaille de son côté : l'État est de moins en moins présent auprès des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) et les communes et intercommunalités sont évincées au profit du conseil général, qui a été érigé chef de file. Au final, il y a autant de politiques que de départements, ce qui pose problème au regard de l'égalité des citoyens devant le service public de sécurité, sans parler des conséquences sur la réponse opérationnelle, notamment en cas de mobilisation importante.

Dans ce contexte, les sapeurs-pompiers portent plusieurs propositions pour, à la fois, consolider le modèle de sécurité civile et en faire auprès des populations un puissant vecteur d'engagement citoyen et de renforcement de l'appartenance républicaine. Nous partons d'un simple constat : nos concitoyens sont aujourd'hui consommateurs de secours et très peu acteurs de leur propre sécurité, contrairement à ce qu'était le fondement de la loi de modernisation de la sécurité civile de 2004. Il y a là un chantier important à conduire, sur quatre axes principaux : la prévention et la formation de tous, la contribution au renforcement de l'appartenance républicaine, la participation au développement du service civique, le développement des possibilités d'engagement bénévole et volontaire.

La prévention et la formation de tous doivent répondre au chiffre effrayant de 20 000 décès par an en France dans des accidents de la vie courante – incendies, chutes, accidents de sport. C'est cinq fois plus de morts que par les accidents de la route, et cela se passe dans l'indifférence générale. Pourtant, ces accidents pourraient être évités par des gestes simples de prévention. On a ainsi constaté dans les pays étrangers qui l'ont mis en oeuvre qu'un détecteur de fumée, qui coûte entre 10 et 20 euros, permet de diminuer par deux le nombre de morts, et de manière importante le nombre de blessés. Toutefois, nous voulons faire plus que sensibiliser la population à la nécessité de s'équiper en détecteurs ; nous voulons la préparer. Le slogan de la campagne des sapeurs-pompiers sur les détecteurs de fumée – « Bien équipé, bien préparé, je suis en sécurité » – a d'ailleurs été repris par le ministère du logement et celui de l'intérieur.

Notre fédération s'est engagée résolument dans ce chantier de prévention contre les accidents de la vie courante, qui consiste à rendre le citoyen acteur de sa propre sécurité en le sensibilisant aux risques et, surtout, en lui donnant les éléments pour y faire face. Avec la Croix-Rouge et la Fédération nationale de la protection civile, nous proposons que la lutte contre les accidents de la vie courante soit déclarée grande cause nationale pour l'année 2016.

Ce chantier implique également d'éduquer le grand public aux gestes qui sauvent. En la matière, la formation aux premiers secours est essentielle. Le président de la Croix-Rouge vous le dira, notre jeunesse est trop peu formée aux gestes de premiers secours. La Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France et la Croix-Rouge, principaux acteurs de la formation, souhaitent s'engager dans ce domaine. Une initiative parlementaire prévoit la formation aux premiers secours dans le cadre du permis de conduire ; c'est une très bonne chose. Il faut continuer.

Le deuxième axe du chantier auquel nous voulons contribuer est le renforcement de l'appartenance républicaine. À cette fin, le principal levier à actionner est le développement des sections de jeunes sapeurs-pompiers (JSP), autrefois dénommés « cadets ». Cette formation à destination des jeunes garçons et filles âgés de onze à dix-sept ans regroupe trois écoles en une : une école de la vie, une école de la citoyenneté et une école du savoir-faire sapeur-pompier, ce qui en fait un sas vers le volontariat puisque beaucoup de ces jeunes deviennent sapeurs-pompiers volontaires (SPV). Avec 27 000 jeunes sapeurs-pompiers répartis sur le territoire, bien que très inégalement, ce dispositif est moteur pour notre sécurité civile, pour l'engagement citoyen. Comme le volontariat néanmoins, il souffre d'une baisse des effectifs.

Dès lors, plus que jamais, il importe de renforcer la coproduction entre notre réseau associatif, qui gère les jeunes sapeurs-pompiers, et le service public, qui possède les casernes où les formations sont dispensées par des pompiers professionnels ou volontaires. Cela implique beaucoup de pragmatisme, en particulier d'abandonner le dogmatisme juridique qui veut que des mineurs mis en présence d'adultes sont en danger ; faute de quoi, plus rien ne sera possible avec les mineurs et tout un pan de notre activité s'arrêtera.

D'autres initiatives sont à consolider, telles les sections JSP dans les collèges, notamment en milieu rural. Malheureusement, l'éducation nationale s'en désengage pour des raisons budgétaires.

Ces JSP méritent d'être impliqués dans de grands événements. C'est ainsi que, tous les deux ans, nous organisons un rassemblement national des jeunes sapeurs-pompiers. Le prochain, en 2016, se déroulera à Verdun, dans le cadre des célébrations du Centenaire de la bataille de Verdun. En y participant, ces jeunes deviendront des acteurs de la transmission et du devoir de mémoire.

Nous devons, enfin, valoriser l'activité de JSP dans le cursus scolaire ou dans d'autres circonstances. Nous y travaillons avec le ministère de l'intérieur et venons d'obtenir, en lien avec le ministère de la jeunesse et des sports, une équivalence qui permettra aux animateurs de jeunes sapeurs-pompiers d'exercer comme animateur dans des dispositifs jeunesse et sports. C'est un premier pas très important.

D'une manière générale, il est primordial de renforcer le partenariat entre les sapeurs-pompiers et l'éducation nationale.

Un autre levier est la participation des sapeurs-pompiers aux Journées Défense et citoyenneté (JDC), qu'il faut renforcer et généraliser. Aujourd'hui, elle se fait au gré des conventions locales entre les centres d'accueil et les SDIS ; il serait nécessaire que ces JDC donnent lieu à une information systématique sur le volontariat chez les sapeurs-pompiers et sur notre capacité à accueillir cette forme d'engagement citoyen.

Troisième volet du chantier : la participation au développement du service civique. Notre fédération et les services départementaux d'incendie et de secours ont été parmi les premiers acteurs agréés du service civique. Nous sommes également membres du comité stratégique de l'Agence du service civique. Aujourd'hui, nous poussons deux projets : l'un, pour un service civique adapté au monde des sapeurs-pompiers, qui est actuellement expérimenté avec une douzaine de personnes en région Lorraine ; l'autre, pour développer les missions d'intérêt général au sein des SDIS, dans le cadre du service civique universel souhaité par le chef de l'État. Il s'agit de réaffirmer le lien entre jeunes engagés dans le service civique et volontariat dans le corps des sapeurs-pompiers, la formation reçue en caserne durant l'engagement en service civique dans un SDIS ouvrant la porte à l'engagement dans les sapeurs-pompiers volontaires. Nous souhaitons également élargir les voies d'accès à ce volontariat, aussi avons-nous pris contact avec deux structures d'accueil du service civique, Unis-Cité et la Ligue de l'enseignement, qui sont prêtes à le proposer à leurs jeunes.

Le quatrième axe du chantier touche au coeur de notre dispositif de sécurité civile puisqu'il vise à y développer les possibilités d'engagement bénévole et volontaire. Cela passe d'abord par le rétablissement, essentiel pour notre fédération, des effectifs de sapeurs-pompiers volontaires au niveau de 200 000, conformément au souhait du Président de la République.

Il est tout aussi primordial d'investir nos efforts en direction de populations aujourd'hui sous-représentées dans nos rangs. En premier lieu, les femmes représentent 15 % seulement des sapeurs-pompiers volontaires, alors que les jeunes femmes expriment une forte volonté à s'engager – le taux de jeunes filles dans les sections de JSP dépasse d'ailleurs les 30 %. Par conséquent, c'est à notre communauté de leur faciliter l'accès, de mieux les accueillir, car elles sont une source importante pour renforcer nos effectifs de sapeurs-pompiers volontaires. Les jeunes issus de la diversité, en second lieu, doivent également être mieux accueillis. Dans ce chantier de construction de l'appartenance républicaine, nous avons un gros travail à mener dans les zones périurbaines, historiquement peu dotées en casernes. Là où elles existent, nous devons en faciliter l'accès à ces jeunes. Pour toucher ces deux publics, nous devons donc faire un effort de communication et d'intégration.

Enfin, si la durée d'engagement chez les sapeurs-pompiers volontaires est assez faible – un peu plus de onze ans, avec un taux de déperdition très fort les premières années –, il existe néanmoins un potentiel de mobilisation dans notre pays. Ces personnes ont acquis des compétences, un savoir-être au sein d'une organisation structurée ; elles pourraient très bien, demain, être mobilisées dans le cadre d'un dispositif allégé, intervenant non pas au moment crucial d'une crise, mais dans les heures qui suivent, pour des opérations de nettoyage ou d'accueil. Bref, nous avons, avec ces personnes, une marge de manoeuvre pour créer des réserves citoyennes de sécurité civile que les sapeurs-pompiers actifs pourraient encadrer et coordonner. D'ores et déjà, des initiatives en ce sens ont été lancées dans les départements des Deux-Sèvres et des Vosges, où les anciens sapeurs-pompiers sont appelés en appui au service public. Et cela fonctionne très bien ! Ces groupes pourraient être complétés par des personnes qui ont fréquenté nos rangs pendant quelques années et des citoyens désireux d'aider les autres. Nous avons la capacité de mettre en place ce type de dispositif souple, en lien avec les associations de sécurité civile. Cela nous semble une belle piste.

En conclusion, notre modèle français de secours se nourrit de l'engagement citoyen et de son appartenance républicaine. Il nous faut le consolider à travers le renforcement des effectifs de sapeurs-pompiers volontaires, tout en le renouvelant pour renforcer cette fonction citoyenne. Nous proposons de développer la prévention des risques et l'éducation aux gestes qui sauvent ainsi que les actions à destination de la jeunesse, et de favoriser la mobilisation citoyenne dans le cadre de réserves citoyennes de sécurité civile.

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Colonel, je retiens de votre exposé qu'il n'y a pas de crise du volontariat, mais que la durée d'engagement est plus courte qu'auparavant. La question est de trouver la combinaison pour que ce temps court ne soit pas finalement, au regard de l'investissement en formation, un engagement « perdant-perdant », pour l'État comme pour le bénéficiaire.

Le service civique nous intéresse beaucoup, surtout si nous nous dirigeons, comme le souhaite le Président de la République, vers un service civique universel.

Pour ce qui est de la réserve citoyenne, pensez-vous qu'elle puisse contribuer à l'égalité entre les territoires, plus précisément entre zones urbaines ou périurbaines et zones rurales ? Pourrait-elle être élargie à d'autres domaines que ceux qui lui sont dévolus aujourd'hui ?

Où en est la mise en oeuvre des vingt-cinq mesures contenues dans le plan d'action pour les sapeurs-pompiers volontaires présenté en 2013 ? Les employeurs sont-ils davantage sensibles à la nécessité d'offrir à leurs salariés sapeurs-pompiers volontaires la disponibilité nécessaire à l'exercice de leurs missions, sans toutefois négliger leurs obligations professionnelles ? Faut-il pousser en ce sens ?

Enfin, le dispositif jeune sapeur-pompier, qui s'adresse aux élèves de onze à dix-huit ans, ne devrait-il pas faire l'objet d'une publicité plus importante dans les collèges et les lycées ? Il est si peu visible que j'en avais moi-même oublié l'existence.

Colonel Éric Faure. Le volontariat souffre, d'une part, de la baisse des effectifs et, d'autre part, d'une fidélisation moyenne de onze ans, en hausse toutefois depuis quelques années. Ce que nous regrettons, c'est une déperdition très forte les premières années, puisque près de 40 % des sapeurs-pompiers volontaires ne franchissent pas le cap de leur premier engagement de cinq ans.

Plus gênant encore, la population consommatrice de secours demande des acteurs d'une technicité de plus en plus forte. Ce qu'elle ne voit pas, c'est que proximité et rapidité d'intervention rendent les gestes de haute technicité moins nécessaires que lorsque les secours arrivent après une heure de route. En clair, c'est le débat entre le médecin généraliste, qui est au plus près de ses patients, et l'urgentiste, qui intervient avec une technicité très élevée. Nous revendiquons un modèle privilégiant la proximité et la rapidité d'intervention, car c'est ce qui facilitera l'engagement citoyen. De fait, on ne peut pas demander à un sapeur-pompier volontaire les mêmes gestes techniques qu'un intervenant de catastrophe ultime.

Il faut donc trouver un équilibre entre engagement citoyen, proximité et technicité pour sortir de ce qui est un cercle vicieux : plus le nombre de sapeurs-pompiers volontaires baissera, plus on fermera de centres, plus les centres restants seront éloignés des lieux potentiels d'intervention, plus le besoin de technicité sera important et plus on aura de difficulté à trouver des sapeurs-pompiers volontaires disponibles pour se former. C'est ainsi que nous risquons d'aller progressivement vers une professionnalisation rampante du dispositif, qui engendrerait des coûts exorbitants et surtout un maillage territorial créant de vraies ruptures territoriales.

S'agissant de l'attitude des employeurs dans la facilitation du volontariat, les choses avancent. Avec le ministère de l'intérieur et la direction générale de la sécurité civile, nous sommes parvenus à développer des dispositifs avec de grands employeurs – trop peu malheureusement. Actuellement, entre 30 % et 40 % des sapeurs-pompiers volontaires sont salariés du privé et 30 % salariés du public ; environ 40 % sont travailleurs indépendants, lycéens, étudiants ou sans emploi. Malheureusement, le service public ne donne pas toujours l'exemple, en se montrant parfois réticent à laisser partir les SPV pour se former ; il y a donc un gros travail à faire en la matière. La coupure entre les communes et l'organisation départementale d'incendie et de secours a fait bouger le modèle, puisqu'on trouve de moins en moins de sapeurs-pompiers volontaires employés communaux. Dans le privé, la logique de compétitivité amène les employeurs à accorder de moins en moins de facilités aux sapeurs-pompiers volontaires. Et si, autrefois, l'entreprise et la commune se nourrissaient mutuellement, ce n'est plus le cas aujourd'hui – comme nombre de Français, le sapeur-pompier volontaire travaille aujourd'hui très loin de son domicile.

Quant aux jeunes sapeurs-pompiers, ils sont essentiels, et nous y croyons beaucoup. J'y insiste, le ministère de l'intérieur et les services départementaux d'incendie et de secours doivent être à nos côtés pour faciliter le développement des sections de JSP.

Enfin, s'agissant de la réserve citoyenne, les groupes d'anciens sapeurs-pompiers dans les Deux-Sèvres et les Vosges commencent à fonctionner. Ce type de dispositif n'est pas appelé à faire du primo-secours, mais à intervenir dans les tâches liées au retour à la vie normale et en appui au service public. Un tel dispositif, souple, ouvert aux bonnes volontés, encadré par des personnes compétentes, est à même de faciliter l'aide à la population dans certaines circonstances, comme les tempêtes ou les inondations. D'autant que, nous le constatons, beaucoup de gens en France sont prêts à se mobiliser pour cela.

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Pendant vingt ans, j'ai désespérément tenté de créer une section de jeunes sapeurs-pompiers dans le centre de secours de la petite ville du Cher dont j'étais maire. Les sapeurs-pompiers m'opposaient le manque de volontaires pour encadrer une telle section. Comment résoudre ce problème pour favoriser le développement des JSP ?

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J'ai eu l'occasion de passer une journée en immersion dans le centre de Ferrières-en-Brie, en Seine-et-Marne où vous êtes directeur du SDIS, ce qui m'a permis de mesurer ce que recouvre le mot de « technicité ». Ce sont notamment les gestes du quotidien qui permettent à vos troupes – professionnels comme volontaires – d'être efficaces pour sauver des vies. Et je tiens ici à saluer le très haut niveau de professionnalisme de vos volontaires. J'en profite pour remercier le colonel Petit qui m'a accueilli et le lieutenant Roi qui dirige ce centre.

Votre proposition de réserve citoyenne est très intéressante au regard, non seulement de l'engagement citoyen, mais aussi des missions qui vous sont confiées dans l'ensemble des centres de secours. Pouvez-vous développer davantage la conception que vous en avez ? Je sais qu'elle s'inscrit dans votre autre préoccupation – que je partage avec vous – de la gestion des grandes crises, qu'elles résultent d'accidents graves ou d'attentats terroristes. À cet égard, il est clair que vous jouez un rôle majeur et que votre place doit être confortée dans le dispositif de sécurité civile. C'est particulièrement vrai en ces temps de menace très élevée, mais je sais que vous menez cette réflexion avec les autorités à ce sujet. La réserve citoyenne est importante pour développer l'engagement citoyen et l'appartenance républicaine, mais aussi pour la structuration des forces de sécurité civile sur l'ensemble du territoire. Je crois qu'il faudrait aussi la développer dans le domaine de la défense – on le voit dans le cadre de l'opération Sentinelle –, mais aussi peut-être de la police nationale.

Comment voyez-vous les premières étapes de la création et du développement de cette réserve citoyenne, qui doit renforcer l'engagement citoyen et permettre concrètement à nos concitoyens de s'engager davantage dans des missions de sécurité civile très importantes pour la nation ? Ce serait là une piste pour améliorer le maillage territorial, dont vous avez démontré la dégradation de façon très convaincante.

Pour revenir au centre de Ferrières-en-Brie, une quinzaine de professionnels y côtoient environ quarante-cinq volontaires, soit un rapport d'un à trois. C'est dire l'importance du volontariat. Comment améliorer la fidélisation dès les premières années ? Comment renforcer votre présence sur les territoires, et quels types de partenariat pouvez-vous nouer, avec les collectivités locales en particulier ?

J'ai clairement conscience que les volontaires jouent un rôle très important pour assurer les missions de sécurité civile sur le territoire, aussi bien en zone périurbaine qu'en milieu rural. Le centre de Ferrières-en-Brie couvre différentes communes, tout comme ceux de Pontault-Combault, de Vaires-sur-Marne ou de Lognes, mais en dépit de cette diversité des territoires, vos forces doivent assurer des missions équivalentes, pour lesquelles temps de parcours et technicité comptent avec la même acuité. J'ai la conviction profonde qu'une réserve citoyenne forte de sapeurs-pompiers peut être une solution solide.

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Gilles Finchelstein, directeur général de la Fondation Jean-Jaurès

Peut-on expliquer la baisse des effectifs et de la fidélisation par la méconnaissance des dispositifs ou le peu de reconnaissance qu'ils reçoivent ? L'engagement est-il devenu trop exigeant ? En d'autres termes, qu'est-ce qui tient de l'évolution vers l'individualisme de notre société et qu'est-ce qui tient de notre organisation collective ? De ce fait, considérez-vous ce mouvement comme irréversible ?

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La défense comporte une réserve opérationnelle et une réserve citoyenne, composée d'anciens réservistes et qui est plutôt un club des amis de la défense. Par réserve citoyenne, entendez-vous réserve opérationnelle ou réserve citoyenne proprement dite ?

Colonel Éric Faure. Je veux insister sur le lien important qui doit être développé entre le service public – le SDIS –, et le réseau associatif. Aujourd'hui, dans de nombreux départements, les jeunes sapeurs-pompiers sont considérés par les acteurs du service public comme les gamins qui jouent dans la cour. Or ils doivent devenir une priorité. C'est d'ailleurs l'une des vingt-cinq mesures de l'engagement signé en 2013, et nous en demandons la mise en oeuvre. C'est ainsi que, contrairement à aujourd'hui, l'engagement d'un sapeur-pompier, professionnel ou volontaire, comme animateur de JSP devrait être pris en compte pour une promotion de grade. Cela susciterait des vocations pour encadrer les jeunes.

Dans l'esprit de notre fédération, la réserve citoyenne n'est pas une réserve opérationnelle. Celle-ci est déjà à la disposition du corps des sapeurs-pompiers, à travers les 192 000 sapeurs-pompiers volontaires qui lui donnent la capacité d'agir au quotidien et de se mobiliser en force. Il s'agit bien d'une réserve citoyenne qui interviendrait non pas sur des actes d'urgence, mais pour aider les services publics et la population.

Dans les Vosges, j'ai été à l'origine de la création de la réserve des anciens sapeurs-pompiers dont j'ai précédemment parlé. En fait, sans avoir besoin de créer un service public ou une structure associative, nous avons mis en place une organisation très souple s'appuyant sur l'existant. Ces anciens sapeurs-pompiers étaient sollicités en trois occasions : pour des missions logistiques au quotidien, comme conduire un camion à l'atelier départemental pour le faire réviser ; pour du soutien opérationnel, la mise en place du dispositif d'alimentation, par exemple, lors d'opérations importantes sur plusieurs jours, notamment à la suite de catastrophes naturelles ; pour des actions de formation aux premiers secours dans les institutions du conseil général où sont installés des défibrillateurs automatisés externes (DAE). L'intervention de ces anciens est très utile, car elle évite à un actif d'avoir à poser une journée de congé et permet de réserver les ressources actives pour d'autres types de mission.

Cette expérience fonctionne très bien. J'imagine tout à fait qu'on puisse l'étendre à tous les départements et aux citoyens qui seraient intéressés. Un tel dispositif prolongerait efficacement les actions des pompiers en situation de crise, en particulier lors de catastrophes naturelles. Au cours des récentes inondations, on a vu que, passées les premières vingt-quatre heures, les services publics actifs se retirent rapidement et que la population est livrée à elle-même, les services de voirie susceptibles de l'aider étant eux-mêmes démunis face à l'ampleur de la tâche. Dans ce type de situation, des équipes composées de trois ou quatre personnes et d'un responsable se révéleraient très efficaces, et il ne serait pas difficile de basculer d'un dispositif composé d'anciens sapeurs-pompiers vers une organisation intégrant des citoyens, voire de jeunes anciens sapeurs-pompiers volontaires. En tout cas, mieux vaut un dispositif souple qu'une organisation rigide qui nous conduirait droit à l'échec.

Pour ce qui est de l'engagement, il a effectivement évolué au cours des dernières décennies. Autrefois, il s'agissait d'un engagement de proximité : on était pompier volontaire dans sa commune, en contrepartie de quoi on était valorisé lors des cérémonies du 14-Juillet. Aujourd'hui, les motivations sont différentes : la montée d'adrénaline en intervention d'urgence, la pratique du sport, l'insertion dans un dispositif structuré. Il faut tenir compte de ces nouveaux besoins, en veillant toutefois à ne pas porter le niveau d'exigence de professionnalisme dans l'action plus haut que nécessaire. Nous fabriquerions, sinon, des sapeurs-pompiers professionnels, ce qui signerait la mort du volontariat ; la requalification du SPV en travailleur impliquerait de mettre en place un nouveau dispositif, plus coûteux et moins proche de la population. D'où la nécessité de rester dans une logique de proximité sans alourdir la technicité.

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Salima Saa, membre du conseil de surveillance de la Fondation pour l'innovation politique

Les jeunes issus de la diversité sont-ils nombreux dans vos effectifs ? Comment les attirer dans l'engagement volontaire ?

Colonel Éric Faure. Il faut commencer par leur dire qu'ils ont leur place dans nos rangs. Notre système est souvent raillé pour son image de pompiers de père en fils. Beaucoup de gens pensent que l'on ne peut pas entrer dans notre communauté sans avoir un lien familial ou historique établi par la proximité d'une caserne. Inciter les jeunes issus de la diversité à nous rejoindre est difficile, car le maillage des casernes n'évolue pas beaucoup : les casernes qui ferment en centre-ville ne sont pas déplacées vers les zones périurbaines. Comme le coeur des banlieues difficiles comporte très peu casernes, on manque de portes d'entrée dans le volontariat dans ces zones périurbaines.

Nous devons également adapter notre formation. Même si celle-ci est essentiellement pratique, certains de nos jeunes sont en décrochage scolaire depuis longtemps, et il faut en tenir compte. Dans ce domaine, le service civique peut être utile. Diverses expériences ont été menées ces quinze dernières années, mais elles restent encore trop minoritaires. Nous devons nous efforcer d'améliorer les choses, car un jeune qui se sent bien dans sa caserne y reste – et là nous avons gagné socialement.

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Merci infiniment, colonel, pour cette présentation empreinte d'un grand humanisme.

L'audition s'achève à dix heures trente.

Membres présents ou excusés

Mission de réflexion sur l'engagement citoyen et l'appartenance républicaine

Réunion du 26 Mars 2015 à 9 heures.

Présents. – M. Patrick Bloche, M. Xavier Breton, M. Yves Fromion, M. Eduardo Rihan-Cypel,

Excusés. – Mme Patricia Adam, M. Guillaume Bachelay, M. Claude Bartolone, M. Florent Boudié, M. Christophe Bouillon, M. Bernard Lesterlin.