Commission des affaires étrangères

Réunion du 8 avril 2015 à 9h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • antarctique
  • arctique
  • groenland
  • pôles

La réunion

Source

Présentation du rapport d'information sur l'Arctique et l'Antarctique (M. Hervé Gaymard, président - M. Noël Mamère, rapporteur).

La séance est ouverte à neuf heures trente.

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Mme Élisabeth Guigou m'a prié d'excuser son absence à cette réunion. Elle participe en ce moment même à un entretien entre le Président de l'Assemblée nationale et le Président de la République tunisienne, M. Essebsi. Elle m'a donc demandé de la suppléer, pensant sans doute qu'un méditerranéen était le mieux à même de se pencher sur les pôles.

Par ailleurs, nous accueillons des magistrats de la Cour des comptes qui ont souhaité assister à une réunion de notre commission dans le cadre d'un stage qu'ils effectuent à l'Assemblée nationale. Je profite de cette occasion pour vous indiquer que je viens d'écrire au Premier président de cette institution à propos de la coopération décentralisée, car les régions sont à cet égard dans une situation contradictoire. D'un côté, alors que les crédits nationaux de coopération baissent, on voudrait qu'elles fassent plus. De l'autre, leurs propres moyens sont également réduits et elles se heurtent souvent aux observations des chambres régionales des comptes, pour qui il semble que la Corrèze doive passer avant le Zambèze.

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Notre mission avait pour objectif de faire le point sur les deux pôles, qui sont en quelque sorte les miroirs réfléchissants de notre monde. Nous nous sommes centrés sur trois problématiques.

D'abord, l'évolution du climat. Ce qui se passe en Arctique est très symptomatique de l'évolution du monde depuis un demi-siècle, tandis qu'en Antarctique, nous n'en sommes encore qu'aux prodromes du réchauffement. L'importance de cet enjeu climatique fait que la conférence qui se tiendra en décembre prochain à Paris sera stratégique ; parmi toutes les conférences qui se sont tenues, ce sera sans doute l'évènement le plus important pour l'avenir de l'Arctique.

Ensuite, ce qu'on peut appeler les nouvelles frontières. Les hommes ont toujours besoin d'un Far West et l'Arctique, surtout, fait fantasmer, avec ses ressources naturelles, en particulier les hydrocarbures, et la question des passages : nous connaissions depuis longtemps le passage du Nord-Ouest et maintenant celui du Nord-Est suscite l'engouement, même s'il faut relativiser celui-ci.

Enfin, les aspects géostratégiques. L'Arctique était une région exposée pendant la Guerre froide ; les prologues de plusieurs films de James Bond nous montrent des occidentaux affrontant en Arctique des membres du KGB. Aujourd'hui encore, l'Arctique n'a pas de statut international. Au sud, la situation est différente, avec le Traité sur l'Antarctique de 1959, mais ce texte est structurellement fragile. De nouvelles puissances, comme la Chine, pourraient être tentées de s'affranchir des règles internationales.

La France a des intérêts historiques et majeurs dans les régions polaires. En Arctique, nous avons toujours eu une recherche très active, avec des personnalités comme Charcot, Paul-Émile Victor et Jean Malaurie. Nous devons aussi à l'histoire de posséder encore au Svalbard, dans le Kongsfjord, une station scientifique qui est une sorte d'enclave française dans ce territoire au statut international très particulier. Dans la zone subantarctique, nous sommes une puissance riveraine, avec nos possessions insulaires des Kerguelen, de Crozet, de Saint-Paul et d'Amsterdam, qui appartiennent à la France depuis le XVIIIème ou le XIXème siècles selon les cas. Pour cette raison, la France est le premier pays pour le nombre de publications scientifiques concernant le Subantarctique. Dans l'Antarctique enfin, la situation est différente, car il y a le statut international dont la France est partie prenante. Nous entretenons des équipes de chercheurs dans notre base Dumont d'Urville, en terre Adélie, et, en partenariat avec l'Italie, à la station Concordia, située dans le secteur australien.

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Il y a effectivement de grandes différences entre l'Arctique et l'Antarctique.

Elles sont d'abord géographiques, l'un étant une mer glacée, l'autre un continent. Les conséquences du réchauffement climatique n'y sont donc pas les mêmes.

Les différences sont aussi politiques. L'Antarctique est pour le moment sanctuarisé, grâce au traité de 1959 complété par d'autres textes, notamment le Protocole de Madrid de 1991, lequel dédie l'Antarctique à la science et interdit l'exploitation minière. Cela dit, ce dispositif va arriver à échéance en 2048 et il y a déjà des craintes qu'il ne soit remis en cause par des pays. La Chine a été citée, mais on doit aussi évoquer la Russie, qui a indiqué en 2011 qu'elle envisageait une exploitation minière. Il y a aussi la menace représentée par le développement du tourisme, avec aujourd'hui 50 000 visiteurs par an – le même constat vaut d'ailleurs pour l'Arctique, où le tourisme est encore beaucoup plus développé. Bref, bien des revendications pourraient s'exprimer en 2048 et remettre en cause l'avenir du continent.

La France est très présente en Antarctique, avec en particulier la station Concordia que nous partageons avec l'Italie. Cette station est située à plus de 3 000 mètres d'altitude, ce qui ajoute encore à la dureté des conditions. Il s'agit d'endroits où l'on peut avoir 90 degrés au-dessous de zéro !

L'une de nos recommandations, concernant le Subantarctique, est de veiller à maintenir les outils que nous avons sur place, malgré les restrictions budgétaires. Il y a notamment plusieurs navires qui doivent être renouvelés pour assurer la continuité de notre présence. Nous n'avons qu'un navire adapté à la navigation dans les eaux englacées, alors que d'autres pays sont très bien dotés en brise-glaces, je pense notamment à la Russie.

Le caractère océanique de l'Arctique fait que les conséquences du réchauffement climatique n'y sont pas les mêmes. Cette année, nous avons atteint la plus petite limite de banquise. La fonte de la banquise est très rapide et elle pourrait disparaître, en été, d'ici vingt ou trente ans. Tout cela attire des prédateurs, à la recherche d'hydrocarbures, de minerais rares ou de nouvelles routes maritimes faisant économiser plusieurs milliers de kilomètres, lesquelles suscitent beaucoup d'intérêt en Chine. L'Arctique est le meilleur témoin du réchauffement climatique, qui y est beaucoup plus fort. Le risque pour les décennies à venir, c'est de prendre dix degrés en plus, soit la différence de température moyenne entre Naples et Stockholm. Vous imaginez les changements que cela peut induire !

Étant plus proche des grands pays industriels, l'Arctique est également plus touché par la pollution.

Face aux fortes pressions pour exploiter l'Arctique, la meilleure protection serait un statut équivalent à celui de l'Antarctique. Mais l'Arctique est une mer entourée par des terres qui appartiennent aux États-Unis, au Canada, au Danemark, à la Norvège et à la Russie. Le droit de la mer s'y applique, c'est-à-dire la convention de Montego Bay, donc la liberté de naviguer et même, souvent, de pêcher ce que l'on veut. Il y a aujourd'hui une forte extension de la pêche qui menace de nombreuses espèces.

Quant aux pays riverains, ils n'ont mis en place qu'une gouvernance assez faible : les pays arctiques forment le Conseil arctique, qui comprend aussi douze États observateurs, dont la Chine, ainsi que des représentants d'ONG et des peuples locaux. Car c'est un autre point à souligner : alors que l'Antarctique est inhabité, l'Arctique est peuplé, avec 4 millions d'habitants. Du moins l'est-il pour partie, car il n'y a pas « un » Arctique, mais « des » Arctiques, comme l'ambassadrice norvégienne chargée des pôles nous l'a expliqué à Oslo. On ne peut pas comparer l'archipel du Svalbard, où se trouve le village scientifique le plus septentrional, avec le Groenland, qui a une population traditionnelle.

Ces pays riverains ont des prétentions de souveraineté et se disputent notamment le plateau continental dans l'océan Arctique. Tout cela a été avivé par une étude de l'institut géologique des États-Unis, d'où il ressort que peut-être 30 % du gaz et 13 % du pétrole encore à découvrir sur terre pourraient être au-delà du cercle polaire, ce qui attire évidemment les grandes compagnies pétrolières.

Les risques écologiques sont pourtant énormes. Je rappelle que pour récupérer une petite partie de la fuite de la plateforme Deep Water Horizon dans le golfe du Mexique en 2010, il a fallu plus de 6 000 bateaux. Quant à ce qui pourrait arriver en cas de marée noire dans des eaux froides, notre référence est la catastrophe de l'Exxon Valdez : un quart de siècle après, il y a toujours des conséquences de cet accident sur l'écosystème, qui est très fragile ; pourtant, c'était dans le nord du Pacifique, pas dans l'Arctique, où ce serait pire.

Plus généralement, la biodiversité est gravement menacée dans l'Arctique. L'ours polaire ou la mouette ivoire sont en danger, car ils ont besoin de l'existence d'une banquise pour se nourrir. Pour ces animaux, à la différence d'autres, il n'y aura pas de possibilité de se réfugier plus au nord pour suivre l'évolution climatique. Ils risquent donc de disparaître, d'autant qu'ils subissent la concurrence des animaux, notamment des oiseaux, qui, du fait du réchauffement, envahissent les régions arctiques depuis les zones tempérées.

Pour ce qui est des perspectives de gouvernance de l'Arctique, on peut être relativement pessimiste, avec des pays riverains qui ont des attitudes différentes.

Pour les États-Unis, l'Arctique n'est pas une priorité, ce qui fait qu'ils sont assez ouverts à la coopération internationale et soutiennent des mesures de protection, comme les aires marines protégées, où la pêche et l'exploitation des hydrocarbures sont interdites.

Mais pour le Canada du Premier ministre Stephen Harper, l'Arctique permet surtout d'exalter la souveraineté nationale.

La Norvège, quant à elle, joue sur l'ambiguïté. C'est un pays soucieux de protéger l'environnement et ouvert aux discussions internationales. Mais c'est aussi un pays qui n'est pas prêt à accepter une gouvernance commune sur l'Arctique, en particulier sur la mer de Barents et ses réserves d'hydrocarbures.

Le Danemark est présent en Arctique du fait du Groenland. C'est là que les risques sont les plus grands, car le Groenland est très riche en minerais, notamment les terres rares, qui suscitent bien des appétits. Ce n'est pas pour rien que le Président sud-coréen s'y est rendu. Les intérêts chinois s'implantent aussi.

Enfin, la Russie est très dépendante de l'Arctique pour sa production d'hydrocarbures. Vous vous souvenez de l'opération montée par Greenpeace contre une plateforme russe, au demeurant très ancienne et très dangereuse. La Russie renforce sa présence et remilitarise l'Arctique. Nous avons aussi vu cette présence au Svalbard, où il existe des implantations russes comme Barentsburg : même si le Svalbard bénéficie, en application du traité de Paris de 1920, d'un statut d'ouverture internationale et de démilitarisation, on est en droit de s'interroger.

Les perspectives de développement de l'exploitation économique dans l'Arctique restent limitées par certains facteurs : les nouvelles lignes maritimes seront peut-être un jour exploitées, mais pour le moment demeurent chères, car il faut l'aide de brise-glaces, et aléatoires, car l'extension de la banquise est différente chaque année, de sorte que le trafic se limite encore à quelques dizaines de bateaux. Quant aux compagnies pétrolières, elles sont retenues par la crainte des conséquences exceptionnellement graves qu'aurait une marée noire : on ne pourrait pas la traiter et ce serait l'accident de Deep Water Horizon multiplié par dix ou cent !

Mais on ne peut pas trop compter sur le Conseil arctique pour réguler cela, car cette instance, que Michel Rocard avait à juste titre qualifiée de syndicat de copropriétaires, n'a pas été capable de produire des décisions protectrices. Il s'oppose aussi toujours à ce que l'Union européenne y devienne observatrice, en raison de son conflit avec le Canada sur la chasse aux phoques, même si celui-ci est en cours de règlement.

La France ne peut pas non plus jouer un rôle trop important, car elle n'est pas possessionnée dans l'Arctique et y a seulement une base, la station AWIPEV, que l'Institut polaire français Paul-Émile Victor partage avec l'Institut allemand Alfred Wegener ; ce sont les cinq pays riverains de l'Arctique qui mènent la danse.

De plus, il reste des travaux à finir en interne : pour mieux structurer notre recherche, il y a une démarche du CNRS qui s'appelle le Chantier arctique, mais celui-ci est encore en cours de mise en place. De même, on attend toujours la publication d'une Feuille de route nationale sur l'Arctique, alors que dans un premier temps nous espérions pouvoir présenter notre rapport en même temps que cette publication. Enfin, l'Arctique ne sera pas au programme de la COP21, ou, s'il l'est, c'est qu'il sera entré par la fenêtre. Notre ambassadrice chargée de préparer cet évènement, Laurence Tubiana, nous a expliqué les efforts qu'elle faisait pour y introduire la dimension arctique, mais ce n'est pas facile.

L'idéal serait bien sûr de considérer l'Arctique comme un patrimoine commun de l'humanité et de le sanctuariser comme l'est l'Antarctique, mais ce sera difficile, voire impossible. C'est pourquoi nous recommandons d'encourager le Conseil arctique à se renforcer, en lien avec l'Organisation des Nations-Unies. Comme pour l'Union européenne, il s'agit de dépasser le fonctionnement purement intergouvernemental de façon à surmonter les souverainismes.

Pour conclure, l'Arctique est une région déterminante aussi bien pour ce qui concerne le réchauffement climatique, où elle nous annonce ce qui va arriver, que du point de vue géopolitique. De ce point de vue, c'est une région sensible entre l'Ouest et l'Est, à laquelle il faut prêter attention quand on voit la politique actuelle du président Poutine. Nous n'avons pas fini de parler de l'Arctique.

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Je voudrais évoquer la circulation maritime, notamment dans l'Arctique. À moyen terme, des évolutions économiques peuvent toucher certaines régions du monde et contribuer à modifier les intérêts des uns et des autres. Mais ma question porte sur un sujet qui n'a pas été évoqué : l'évolution du niveau des océans et ses incidences. Quelles sont les prévisions pour la France, tant en métropole qu'en outre-mer ?

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Je voudrais d'abord féliciter nos deux collègues pour leur très bon travail. Cet intérêt pour les pôles peut sembler un peu pittoresque, mais il n'en est rien pour ceux qui suivent les questions d'économie mondiale, l'évolution du monde et la géopolitique.

Quand j'étais aux affaires européennes, j'ai moi-même siégé au Conseil arctique, en compagnie de l'ancien Premier ministre Michel Rocard, qui est notre ambassadeur pour les pôles. C'était la première fois qu'il y avait une telle représentation au niveau ministériel. Michel Rocard réalise un excellent travail, avec une toute petite équipe. La première suggestion que je vous demanderai d'ajouter à vos propositions, si vous en êtes d'accord, est d'ailleurs de transformer cette fonction d'ambassadeur en représentant spécial de la France sur les pôles. Cela permettrait d'avoir une vision interministérielle de ces sujets, et non pas seulement diplomatique. J'ai eu à exercer ces fonctions de représentant spécial, notamment en Afghanistan, et je sais à quel point c'est utile pour mobiliser les autres ministères. Les pôles ne représentent pas seulement des intérêts diplomatiques, mais aussi écologiques, économiques et stratégiques. On a besoin de regrouper ceux qui connaissent ces sujets en France.

Ce qui a été dit sur le Conseil arctique est absolument exact. Les pays riverains n'ont tout simplement pas envie de partager et de voir arriver d'autres acteurs. Il a été très compliqué pour la France d'obtenir un siège d'observateur et il n'en est pas question pour l'Union européenne. Il faut donc arriver à modifier la convention de Montego Bay pour doter cet océan glacé d'un statut qui le prémunisse contre tous les risques soulignés par Noël Mamère et Hervé Gaymard. Des intérêts mondiaux sont en jeu, en particulier le climat mais aussi la stabilité. Comment y arriver ? Il me semble qu'il faudrait passer par l'ONU et la réécriture d'une convention internationale sur le droit de la mer, en profitant de la neutralité américaine. Mais les Russes et les Canadiens ne nous aideront pas.

En ce qui concerne l'Antarctique, il est important de renforcer le statut de 1959, mais je crois que cela figure dans votre rapport, pour éviter des tentations de dérive qui se manifestent déjà.

Un mot aussi sur le Groenland, que je connais un peu. L'exploitation a déjà commencé. Il faut bien voir que les liens entre le Groenland et le Danemark ne sont pas si simples. La souveraineté danoise n'est pas absolue. Le Danemark offre une porte d'entrée pour l'Union européenne…

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Le statut du Groenland est plutôt proche de celui de la Polynésie française. Il y a une politique économique locale et un gouvernement local qui est d'ailleurs bien déterminé à tirer le plus grand parti possible de ses ressources. Il y a là aussi un problème. Au total, la stabilisation de la région arctique représente un immense défi pour la France.

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La situation semble relativement claire et bien établie en ce qui concerne l'Antarctique, mais tout devient compliqué pour l'Arctique, dont le statut est celui d'un océan, dès qu'il s'agit de protection. Comment trouver une solution pour son classement éventuel au patrimoine mondial de l'humanité ? Faut-il s'en remettre à un certain nombre de conventions, comme vous le suggérez dans votre proposition 15 ? Ou, plus classiquement, est-ce à un État de demander le classement ? En l'espèce, les Etats sont multiples. Peut-on alors imaginer une demande dans le cadre de l'ONU, par la voie d'une résolution ? Après tout, l'UNESCO est une émanation de l'ONU.

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J'ai suivi avec grand intérêt vos propos. Salut aux chercheurs d'aventure ! Vos propositions sont ambitieuses, mais ne seront jamais inscrite dans le droit. Il faut continuer ce combat, mais il manque le côté opérationnel. Il faut être conscient de ce hiatus entre les objectifs légitimes que vous poursuivez et la réalité géostratégique du monde imparfait.

Autre question : que viennent faire les îles Éparses du Mozambique dans votre proposition n° 4 ?

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Le débat de ce matin nous fait voyager. La Russie joue évidemment un rôle majeur dans la zone, mais quid de celui des États-Unis, que vous n'avez pas abordé ? Ces deux acteurs ont-ils des positions antagonistes sur la question des pôles ?

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Lors de la précédente législature, un groupe d'étude avait été créé sur les pôles, présidé par notre regrettée collègue Françoise Olivier-Coupeau. Nous avions reçu Jean Malaurie. Je suis surpris des propos optimistes de notre collègue Noël Mamère, quand je me souviens de ceux de Jean Malaurie sur l'urgence d'intervenir dans les terres australes, sur l'urgence écologique.

Deuxième point que j'aurais aimé aborder, le Groenland, qui n'a pas obtenu son indépendance et où vivent seulement quelques dizaines de milliers d'habitants : les jeunes partent sans revenir et la tendance ne semble pas vouloir s'inverser.

Enfin, pourriez-vous détailler un peu plus la question du tourisme et de ses conséquences écologiques ?

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Vous avez évoqué des chiffres impressionnants sur la hausse des températures. Quelles sont exactement les conséquences pour l'Arctique du réchauffement climatique ?

Par ailleurs, Paul-Émile Victor avait le projet, dans les années 1960, de faire venir des blocs de glace de l'Antarctique, pour réduire les problèmes de sécheresse de la Corne de l'Afrique ou des Émirats. L'idée – peut-être farfelue – a-t-elle été abandonnée ?

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Pour répondre à la question de Didier Quentin, je pense que le glaçon a fondu !

Pour répondre à la question portant sur la montée des océans, la véritable menace pour l'Arctique n'est pas tant cela que l'acidification des océans, laquelle met en péril la biodiversité, en s'attaquant notamment aux espèces marines à exosquelette comme le corail. Cela dit, quand vous avez l'équivalent d'une région de France qui se détache de l'Antarctique, effectivement, cela peut avoir un impact majeur sur le niveau des eaux. Mais la montée des eaux n'est pas liée uniquement au réchauffement des pôles, elle est également liée à d'autres facteurs, comme les divers courants marins, ce qui la rend inéluctable.

Sur le statut de patrimoine commun, la proposition de Pierre Lellouche me semble la plus réaliste. En effet, il nous faut réviser de la convention de Montego Bay de 1982, à laquelle il faudrait ajouter l'extension et l'utilisation plus intense de la convention OSPAR, ce sont d'ailleurs des propositions que nous formulons. Voilà la solution. Mais je ne suis pas convaincu que les conditions soient réunies pour y arriver.

Je crois que M. Bacquet a confondu les terres australes et l'Arctique, qui faisait l'objet des cris d'alarmes de Jean Malaurie. Mais on peut être également inquiet pour l'Antarctique. Le système du Traité sur l'Antarctique pourra être révisé en 2048 ; or ce continent possède des terres extrêmement riches en minerais, on peut donc s'inquiéter de son avenir.

Sur l'Arctique, je suis d'accord avec Jacques Myard : il sera difficile de faire accepter aux pays riverains une réglementation commune protectrice ; je ne suis pas convaincu que nous y parviendrons.

La Russie de Poutine, comme le Canada de Harper, font beaucoup d'esbroufe sur ce sujet. Mais vous le savez, comme le disait Clausewitz, la politique extérieure est guidée par des motifs de politique intérieure et la Russie n'a aucun intérêt à provoquer un conflit dans cette zone. Ce sont plutôt des effets de manche. L'Arctique ne figure pas non plus parmi les priorités des États-Unis et je ne pense pas que cela change.

L'un des vrais enjeux c'est le Groenland, car s'y trouvent d'énormes ressources. Il faut réussir à l'intégrer, via le Danemark, dans une convention internationale protectrice. La population locales, qui est constituée d'Inuits, est divisée entre ceux qui voient un eldorado dans la recherche des hydrocarbures et ceux qui souhaitent conserver leur mode de vie.

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Avant la période de glaciation du XVème siècle, le Groenland était habité par des Scandinaves qui l'avaient baptisé « Greenland », le pays vert. En effet, à l'époque, ce n'était pas une zone glacée. Les archéologues et historiens estiment d'ailleurs que les premières populations ayant migré sur le continent nord-américain étaient passées par ce Greenland. Il y a eu ensuite une période de glaciation pendant laquelle toutes les populations ont été éliminées, mis à part les ancêtres des Inuits actuels. Puis, à partir du XVIème et du XVIIème siècles, le Groenland est devenu une terre danoise, avec des relations compliquées avec la couronne. En effet, après l'adhésion du Danemark à l'Union européenne en 1973, le Groenland en a fait partie intégrante. Mais ensuite, une négociation spécifique a été entamée pour que le Groenland sorte de l'UE. Actuellement, la situation est compliquée. Jean-Paul Bacquet parlait du cri d'alarme de Jean Malaurie. Jean Malaurie a lui-même reconnu que sa position était contradictoire : il a milité pour l'autonomie puis l'indépendance des autochtones du Groenland, mais il en reconnaît aussi les risques. Mentalement, le Danemark a cessé de penser à une souveraineté territoriale ailleurs que sur son « pré carré » – le pays a renoncé à ses colonies (îles Vierges, Islande) avant et pendant la Première guerre mondiale – et une grande partie de l'opinion publique danoise souhaite un retrait du Groenland. C'est une question disputée au sein des autorités danoises. Il s'agit d'un sujet compliqué, car le Groenland, grand pays avec peu de population, a une élite susceptible d'être influençable.

Je voudrais faire une dernière remarque pour rebondir sur ce qu'a dit Jacques Myard. Pompidou a déclaré, lors de son discours sur la crise du monde moderne à Nice en 1967, que l'action devait être la soeur du rêve. Il disait qu'il faut élever la ligne d'horizon et ne pas se contenter des pesanteurs de la souveraineté. Je pense que sur les pôles Nord et Sud, il faut résolument une action internationale, même si cela peut paraitre à court terme vain, naïf ou idéaliste. Il est important de garder cette part d'idéalisme.

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Alors que les explorateurs y ont débarqué en 1821, le Traité sur l'Antarctique a été signé en 1959. Cela montre donc qu'il faut du temps. Je ne dis pas qu'on aura besoin d'autant de temps pour l'Arctique, mais je veux dire qu'il ne faut pas désespérer.

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Une question sur les nodules au fond de la haute mer. Il était prévu dans la convention de Montego Bay que ce soit une autorité internationale qui organise leur exploitation. Cela n'a jamais été mis en application.

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Pour l'instant, il n'y a pas d'exploitation des nodules.

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Pouvez-vous répondre à ma question sur le tourisme ?

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Le tourisme arctique est en développement. Il est réservé à un public doté de moyens. Il y a d'ailleurs une société française, la société Ponant, qui organise beaucoup de ces voyages. Quand nous étions au Svalbard, nous avons vu des touristes débarquer. À Ny-Ålesund, il y aurait plus de 20 000 touristes d'avril à septembre. Le tourisme est effectivement une menace. Il existe une forme de régulation qui lie les agences de voyage.

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Vous avez parlé de la particularité de cette région et notamment de son extrême vulnérabilité climatique. J'ai lu que vous vouliez faire de l'Arctique un sujet pour la COP21. Mais étant donné l'organisation actuelle de la conférence, je n'ai pas l'impression que cette question ait été mise à l'agenda. Au-delà de votre proposition, que je trouve pertinente, comment envisagez-vous que cette question soit prise en considération dans les mois à venir ?

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Vous avez raison. En effet, il nous semble que l'Arctique devrait faire partie intégrante des travaux de la COP21. Nous avons auditionné Laurence Tubiana qui nous a expliqué qu'il y avait peu de chance d'y parvenir, ce que nous regrettons.

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Je voudrais finir par quelques brèves remarques. Noël Mamère l'a dit mais je veux insister : nous avons une remarquable recherche française sur l'Arctique et l'Antarctique, qui de plus ne coûte pas cher, quelques dizaines de millions d'euros. Cette recherche joue un effet de levier considérable pour l'influence française.

Ma deuxième remarque concerne la très bonne synergie que nous avons avec nos partenaires européens. Il existe une relation qu'on peut qualifier de fusionnelle entre la France et l'Allemagne avec la station commune AWIPEV au Svalbard. Avec les Italiens, il y a une coopération exemplaire, tant du point de vue des équipes que des financements, en Antarctique sur la base Concordia.

Enfin, je vous conseille de lire la bande dessinée d'Emmanuel Lepage, aux éditions Futuropolis, dont les deux tomes sont intitulés « Voyages aux îles de la Désolation » et « La lune est blanche » et sont illustrés d'aquarelles magnifiques.

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En complément je vous conseille aussi, aux éditions Gallmeister, « Rêves arctiques » de Barry Lopez.

À propos de la tradition française de recherche arctique, lors de notre voyage au Svalbard, nous avons visité la station Corbel. Cette station porte le nom d'un chercheur français qui est arrivé sur l'archipel en 1963 et depuis se sont succédé là-bas de grands scientifiques français – je pense par exemple à Mme Masson-Delmotte, parmi bien d'autres – en collaboration avec l'Institut allemand Wegener. J'insiste sur ce que disait Hervé Gaymard : il faut sanctuariser les moyens de l'Institut polaire français Paul-Émile Victor, faute de quoi les chercheurs du CNRS n'auront plus la possibilité matérielle de continuer leurs travaux dans les régions polaires.

Pour finir, je vous conseille un livre culte aux États-Unis, « Le gang de la clef à molette », qui vous fera découvrir une écologie bien plus radicale que celle que l'on présente comme telle en France.

La commission autorise la publication du rapport d'information à l'unanimité.

La séance est levée à dix heures quarante-cinq.