Mission de réflexion sur l'engagement citoyen et l'appartenance républicaine

Réunion du 2 avril 2015 à 11h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • associatif
  • associative
  • civique

La réunion

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L'audition débute à onze heures.

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Madame Nadia Bellaoui, vous êtes présidente du Mouvement associatif depuis juillet 2012, et « personnalité associée » du Conseil économique, social et environnemental, à la section de l'éducation, de la culture et de la communication. Votre expérience au sein du Mouvement associatif – vous étiez chargée de l'engagement entre 2006 et 2012 – vous a notamment amenée à animer le collectif inter-associatif de l'année européenne du bénévolat et du volontariat, ainsi qu'à initier la création du Comité du service civique associatif. Vous avez également, il y a quelques années, été présidente du réseau national des juniors associations et fondatrice du réseau Animafac. Votre témoignage sera donc extrêmement intéressant pour nous, qui nous penchons sur les leviers concrets à activer pour encourager l'engagement de notre jeunesse et, plus largement, celui de l'ensemble de nos concitoyens.

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Nadia Bellaoui, présidente du Mouvement associatif

Merci de me recevoir au moment de finaliser votre mission. Nous avons constaté que vous vous étiez surtout intéressés aux jeunes et nous pensons que vous avez eu raison de le faire. La jeunesse est en effet un moment de la vie où chacun construit son identité. Mais nous considérons également que la question de l'engagement se pose tout au long de la vie, dans toutes les catégories sociales et sur tous les territoires de la République.

Vous avez consacré d'importants travaux à l'école. Là encore, nous estimons que vous avez eu raison d'accorder une attention particulière à cette institution. De mon côté, je voudrais mettre l'accent sur certains propos relatif à l'engagement qui ont été tenus avant moi par d'autres responsables associatifs.

Il est absolument indispensable que notre système éducatif change de culture à l'égard de la question de l'engagement. Il est en effet fondé sur la compétition scolaire et sur une citoyenneté formelle, qui entre très quotidiennement en contradiction avec la citoyenneté vécue. Ainsi, l'élection des délégués élèves est sans doute le premier exemple éclatant du grand écart existant entre des droits affichés, ou même l'injonction de l'institution à être citoyen, et la réalité du poids donné par cette institution aux délégués élèves qui découvrent la prise de responsabilités.

Compétition, grand écart entre une citoyenneté formelle et la réalité vécue, défiance même vis-à-vis de la prise de responsabilités : nous avons été nombreux, en tant que responsables associatifs, à être meurtris par les récents débats menés par le Sénat autour de la pré-majorité associative. Manifestement, la représentation nationale est encore inquiète de voir des jeunes assumer, au-delà d'une fonction bénévole, la présidence d'une association dans l'enceinte scolaire. L'idée que des jeunes puissent être en responsabilité directe charrie des représentations sur les risques, les écueils auxquels ils peuvent être confrontés, et pas sur leurs potentiels ou leurs capacités.

Notre culture est très académique, et finalement incapable de prendre en compte les apprentissages acquis hors des bancs de l'école. Nous sommes persuadés quant à nous qu'une culture de la coopération, du débat, une culture de la confiance, une « culture du oui » et une éducation plus ouverte sont des éléments-clé de votre travail autour de la notion d'engagement.

Mon propos d'aujourd'hui tournera essentiellement autour d'une institution – l'association – qui est très largement sous-exploitée dans son potentiel démocratique, républicain ou d'appartenance.

La loi de 1901 est une loi de liberté, qui ne dit rien de l'action conduite dans une association. Donc, on trouve de tout : des associations de lutte contre l'avortement, mais aussi le Planning familial, des associations militantes, des associations de pratiques, des associations communautaires, des associations qui assument un projet d'intérêt général, etc.

Notre conception de l'association, qui nous paraît être portée très largement au-delà de nos rangs de responsables associatifs, a été développée par Patrick Viveret. Selon ce philosophe, l'association a vocation à s'appuyer sur un trépied : une expérimentation, une résistance et une vision transformatrice. De fait, une expérimentation sans vision se perd et ne crée pas grand-chose. Et il faut commencer par résister, par dire non, par refuser l'inacceptable, pour pouvoir créer et inventer de nouvelles façons de répondre à des besoins.

Lorsque j'ai dit que nous ne tirions pas tout le potentiel démocratique et républicain des associations, je parlais au nom de la société tout entière. Mais je visais tout particulièrement les responsables politiques que vous êtes. En effet, la relation entre les pouvoirs publics et les associations est très marquée par une double instrumentalisation, fonctionnelle et souvent politique.

L'instrumentalisation fonctionnelle part d'une bonne intention. Je ne crois pas qu'il y ait en France de tentations réelles – au-delà de quelques individualités – d'instituer une Big Society où l'on abandonnerait la centralité de l'État pour se doter, dans une période de crise des finances publiques, d'une sous-fonction publique. Il y a plutôt une certaine incapacité à imaginer autre chose que des services publics pensés par le haut et déployés sur des territoires, à parier sur la capacité d'innovation sociale et d'initiative issue du terrain et de la société elle-même, et une inquiétude de voir les citoyens s'auto-organiser dans une relation peut-être conflictuelle avec le pouvoir.

Le Mouvement associatif représente une association sur deux. En réalité, nous sommes constitués des grandes institutions associatives : l'Union nationale des associations familiales, le Comité national olympique et sportif, l'UNIOPSS (Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux), l'Union nationale des associations de tourisme, la Ligue de l'enseignement, et d'autres institutions que l'on désigne souvent, et à raison, comme « historiques ».

L'idée que le mouvement associatif a vocation à se structurer et à fournir un interlocuteur légitime aux pouvoirs publics a été une préoccupation très forte de l'après-guerre. Depuis, il y a eu la Charte des engagements réciproques entre l'État et les associations, signée en 2001, au moment du centenaire de la loi de 1901. Mais honnêtement, a-t-elle vécu ? En 2014, nous en avons signé une autre – malheureusement à la veille d'un remaniement ministériel. A-t-elle vécu ? Plus récemment, le Comité interministériel à l'égalité et à la citoyenneté évoquait un New Deal avec le mouvement associatif.

C'est notre seule proposition : se donner effectivement les moyens de concevoir une réelle doctrine publique, « transpartisane », sur ce que l'on attend aujourd'hui des associations. Lorsque l'on questionne les citoyens, ils n'hésitent pas longtemps : selon eux, en dehors du vote, l'essentiel de l'engagement passe par les associations. Pourtant, il nous semble qu'il n'y a pas aujourd'hui de doctrine publique sur le rôle que doivent jouer les associations. D'ailleurs, la manière dont vous avez choisi les intervenants associatifs dans le cadre de cette mission de réflexion révèle que le premier réflexe, lorsqu'il s'agit d'engagement, n'est pas d'interroger les associations sur ce qu'elles sont, mais sur ce qu'elles font. Or l'association est d'abord un lieu d'engagement, un lieu où les personnes ont prise sur leur avenir parce qu'elles prennent collectivement en charge un besoin.

Je termine en disant que le Mouvement associatif partage les décisions qui ont été prises après le 11 janvier et qu'il a d'ores et déjà ouvert deux chantiers pour répondre à la situation nouvelle créée par ce drame.

Le premier chantier est celui du service civique : 82 à 90 % des jeunes accueillis aujourd'hui en service civique le sont dans une association ; 3 500 associations ont ainsi été agréées. Je ne suis pas sûre que toutes les associations – il y en a 1 300 000 en France – aient vocation à être agréées. Mais je considère qu'il est de la responsabilité du Mouvement associatif de faire en sorte que les fédérations associatives jouent leur rôle auprès des associations du territoire pour qu'elles puissent réussir une montée en charge du service civique, à la fois quantitative et qualitative.

Vous avez cité la création du Comité du service civique associatif. Nous nous appuierons sur son travail, et nous le ferons dans l'idée de créer un réseau de solidarité inter-associatif autour des jeunes. Nous prenons à la lettre le nouveau droit qui a été créé : un droit universel au service civique. Nous voulons en faire une réalité en organisant la capacité des associations pour qu'aucun jeune qui demande à faire son service civique sur un territoire ne soit laissé pour compte.

Le deuxième chantier est celui des quartiers prioritaires de la politique de la ville, où il est grand temps d'accentuer nos efforts. Nous avons donc fait des propositions et commencé à travailler, d'abord entre associations, sur la façon d'intervenir dans ces quartiers – une nouvelle façon faite de coopération – et de gagner en compétence et en efficacité, que ce soit sur le plan de la gestion ou de notre capacité à faire évoluer les mentalités et à transmettre les valeurs républicaines.

Nous travaillons également à un rapprochement entre les grands réseaux associatifs, historiques, et les « jeunes pousses », comme AClefeu et d'autres organisations, qui nous bousculent parfois mais avec lesquelles nous pouvons travailler au plus près des besoins des territoires.

Je suis maintenant à votre disposition pour répondre à vos questions.

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Je vous remercie pour ce propos très dynamique. J'ai tout particulièrement apprécié que vous ayez évoqué la question de la pré-majorité associative. Les députés de la commission des affaires culturelles et de l'éducation se sont en effet mobilisés pour permettre à des mineurs d'assumer des responsabilités au sein des associations.

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Merci pour votre propos introductif, qui nous amène à réfléchir à l'idée que l'on se fait du rôle des associations. Je pense moi aussi que l'on ne tire pas suffisamment profit du potentiel des associations, alors même que leur action est souvent utilisée politiquement – un sujet encore tabou.

On peut s'interroger sur le contenu de l'action conduite par les associations. Chacune d'elles a sa culture, sa vision et sa façon de répondre aux besoins qui se présentent. Mais prenons le domaine de l'éducation. Les besoins éducatifs sont identifiés. Selon vous, faut-il coordonner les missions en fonction de ces besoins, tout en respectant l'histoire, la culture et l'identité même des associations ?

Ensuite, je crois fortement à l'impact de l'éducation populaire, qui est elle aussi sous-exploitée. On le sait, l'éducation nationale ne peut pas tout faire et les familles sont parfois dépassées : d'où une rupture au niveau éducatif, plus particulièrement dans les quartiers populaires. Jean Zay disait que l'éducation ne s'arrête pas aux grilles de l'école. Qu'en pensez-vous ?

J'ai longtemps rêvé d'un service public de l'éducation populaire. Sans aller cependant jusque-là, je crois que l'idée de coordonner les missions en fonction des besoins ciblés serait un moyen de valoriser ceux qui interviennent sur les questions éducatives, qu'ils soient salariés ou bénévoles d'associations. Mais cela pose la question de la formation des intervenants, qui est extrêmement importante.

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Je m'interrogeais sur la difficile intégration des jeunes et sur la question du risque. Dans le monde associatif, on prend beaucoup de risques, comme dans la vie. En revanche, au niveau de l'État, il y a une difficulté structurelle à prendre des risques. Beaucoup de jeunes se rendent compte que s'ils ne prennent pas de risques dans leur vie, leur chance de trouver une place dans la société sera faible. Or ils se trouvent face à un mur de précautions, qu'ils trouvent eux-mêmes inadaptées. N'y a-t-il pas là une contradiction ?

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Je crois moi aussi qu'il était très important de conclure cette mission de réflexion sur l'engagement citoyen par un exposé sur ce qu'est une association, et je remercie Mme Bellaoui de sa participation.

Ma première question porte sur l'obligation de l'engagement citoyen. Plutôt que de rendre obligatoire le service civique – obligation encadrée par les textes et distincte de celle qui s'appliquait autrefois aux jeunes hommes appelés sous les drapeaux – ne pourrait-on pas inscrire de façon solennelle dans la loi que « toute la Nation a une obligation de proposer l'engagement citoyen aux jeunes » ? Cette obligation concernerait l'État, les collectivités, mais aussi les associations, comme parties prenantes de la Nation. Cela nous mettrait-il en infraction par rapport à la grande loi de liberté de 1901 ?

Ma deuxième question porte sur la valorisation de l'engagement associatif. En dehors des grands dispositifs, nobles, longs, encadrés comme le service civique, auquel nous tenons beaucoup les uns et les autres, il existe d'autres formes d'engagement citoyen. Faut-il toutes les prendre en compte et comment ? Comment la Nation doit-elle reconnaître et valoriser le bénévolat associatif ? Quid du militantisme du samedi après-midi, de l'aide aux devoirs assurée par les jeunes de l'Association de la fondation étudiante pour la ville, l'AFEV, auprès des gamins des quartiers ou du travail des moniteurs de colonies de vacances – qui dérogent d'ailleurs, sur tous les plans, au droit du travail ?

Ma dernière question porte sur l'idée avancée par quelques-uns, et notamment par notre ministre, de créer un passeport citoyen où seraient consignées les différentes étapes d'engagement. Qu'en pensez-vous ?

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Nadia Bellaoui, présidente du Mouvement associatif

Sur la question des enjeux comme ceux de l'éducation populaire, qui nécessitent de se coordonner au-delà des cultures politiques particulières et des projets particuliers des associations, je voudrais dire que, d'ores et déjà, aujourd'hui, la vie associative est le résultat d'une interaction entre les pouvoirs publics et les citoyens organisés.

Souvent, les politiques sous-estiment leur influence sur la vie associative et l'engagement. Il est même arrivé que certaines associations attendent énormément de l'impulsion des pouvoirs publics – parfois au-delà du raisonnable. Aujourd'hui, on n'observe plus la même attente de la part des responsables associatifs. Mais il y a incontestablement un espace pour que les associations transcendent leurs différences, acceptent de s'interroger pour travailler en commun et avec les pouvoirs politiques, au niveau national ou local, si les conditions sont réunies : un véritable enjeu, et une réelle prise en compte de leur légitimité – même si cette légitimité est moindre que celle des élus de la République qui sont là pour prendre des décisions.

Ensuite, nous avons pu contribuer au débat sur la question de savoir si le service civique devait rester volontaire ou devenir obligatoire, et nous avons fait une contribution construite autour de la notion d'opportunité. Ce qui compte pour nous, c'est qu'à des âges charnières de la vie, les citoyens aient des opportunités de s'engager. Nous avons effectivement considéré que le rôle de l'État et de ses partenaires était de lever certains freins et de corriger certaines inégalités territoriales, catégorielles, etc. Par exemple, vous savez tous comme moi qu'un président d'association sur deux est un homme de plus de 55 ans, de catégorie sociale supérieure.

L'idée qu'une loi oblige l'État à lever les freins à l'engagement, tout particulièrement lorsqu'il s'agit de volontariat, est pour nous souhaitable, dès lors que cela ne remet pas en cause la liberté du bénévole. En effet, selon nous, le bénévolat ne peut pas avoir de statut. Il est de l'ordre de la liberté quotidiennement exercée par les citoyens et n'a pas à être enregistré. D'ailleurs, l'INSEE le comptabilise dans le cadre des études sur les ménages : c'est une part de la vie domestique. Cela nous semble pertinent. S'il a vocation à être mieux connu, il n'a pas vocation à être encadré par l'État.

S'agissant du volontariat, c'est tout à fait différent. Je voudrais en profiter pour faire une remarque. Certes, nous sommes partie prenante du service civique. Mais nous avons dit à plusieurs reprises que si l'État avait su intégrer dans la loi une forme de volontariat qui était sans doute la plus compatible avec la culture publique, il n'avait pas su, à ce stade, prendre en compte les formes de volontariat que les associations avaient déjà pu développer en France.

En 2010, nous avons eu raison de donner un élan fort au service civique, forme de volontariat encadré, continu et spécialement destiné aux jeunes. Mais aujourd'hui, nous avons l'opportunité d'aller plus loin et d'ajouter dans une nouvelle loi – ou à celle de 2010 – d'autres formes de volontariat encadré. Vous avez cité les animateurs de colonies de vacances. On peut penser à toutes sortes d'activités saisonnières – comme les maraudes dans les périodes hivernales, la rénovation de chantiers pendant l'été, etc. – qui, certes, ne durent pas très longtemps mais se préparent tout au long de l'année.

Il n'est pas question de remettre en cause la nature dense et continue du service civique, qui justifie que l'État intervienne en encadrant l'engagement et en le distinguant du bénévolat. Mais il me semble que nous avons la responsabilité d'y regarder d'un peu plus près, par exemple en nous intéressant au volontariat de sapeurs-pompiers ou au volontariat de solidarité internationale, et en nous interrogeant sur certains contrats de travail, qui sont indûment passés pour organiser telle ou telle activité.

Mon propos n'est pas naïf. Nous devons prendre en compte que les jeunes sont à un âge où ils s'insèrent professionnellement et que c'est pour eux une impérieuse nécessité. Cela n'enlève rien à leur volonté de s'engager, mais commencer leur vie professionnelle par un sous-emploi constituerait un message dramatique. Voilà pourquoi il faut faire en sorte que le service civique actuel et les formes de service civique que nous pourrions créer ne se substituent pas à l'emploi. Les associations ont pris leurs responsabilités en la matière, même s'il y a encore beaucoup à faire, précisément en créant une structure qui les oblige, par des évaluations externes, à mettre en place en interne des processus qui empêchent la substitution à l'emploi, mais également la substitution au bénévolat – question particulièrement importante pour nous. Bien sûr, il y a des risques, mais il me semble que l'opportunité est plus forte et qu'il est possible, ce faisant, de contribuer au renforcement de la cohésion nationale.

J'en viens à votre question sur la valorisation de l'engagement. Sachez que les responsables associatifs ou les bénévoles n'attendent pas qu'on valorise leur engagement personnel. Ils attendent qu'on valorise leur engagement collectif, c'est-à-dire l'institution associative. Cela dit, il y a un sujet qui a été mal traité depuis des années : celui de la validation des acquis de l'expérience (VAE).

C'est vrai qu'il y a quelques années, un premier pas avait été fait vers une approche plus praticienne : une réforme avait permis de capitaliser des expériences sans repasser par les bancs de l'université. Mais en réalité, on a finalisé une généralité au lieu de valoriser l'engagement associatif. On n'a pas vraiment cherché à appliquer ce nouveau droit à ceux qui auraient été les plus intéressés.

Les endroits où l'on a le plus parlé de « valorisation des acquis de l'expérience » sont l'université – même si c'était de façon insuffisante – et différents mouvements, en particulier le mouvement sportif. Mais le travail accompli en matière de VAE revenait davantage à conforter ceux qui étaient déjà engagés, et éventuellement à mieux identifier leur rôle dans l'institution, qu'à permettre que les compétences acquises dans le milieu associatif leur fassent gagner des qualifications et leur permettent d'évoluer positivement dans leur carrière.

Il est très utile que des retraités fassent le point sur leur parcours citoyen, mais, en ce qui les concerne, il n'y a plus d'enjeu d'insertion professionnelle. Ce n'est pas le cas, par exemple, des femmes qui ont mis de côté leur carrière professionnelle pour élever leurs enfants. Lorsqu'elles s'investissent dans l'association de parents d'élèves ou dans l'organisation d'activités sportives et culturelles, elles acquièrent de réelles compétences qu'elles pourraient reconvertir professionnellement. Mais cela ne se fait pas. Bref, la généralité est utile, mais encore faut-il en assurer l'application. Sinon, les nouvelles opportunités profitent toujours aux mêmes.

Monsieur Lesterlin m'a demandé mon avis sur la création d'un « passeport citoyen ». Je crains que ce ne soit qu'un livret de plus. En outre, je ne sais pas s'il sera destiné aux élèves en formation initiale ou s'il sera utilisé tout au long de la vie. Quoi qu'il en soit, si l'on veut que le dispositif soit pertinent, il faudra d'abord travailler, au sein de l'école, sur les fondamentaux développés par les personnes qui sont intervenues ce matin. Si l'école n'est pas capable de reconnaître des compétences acquises ailleurs, elle ne sera pas capable de les valoriser dans un livret, pas plus qu'elle n'est capable aujourd'hui de les valoriser dans le quotidien.

Sur la question des risques, je suis parfaitement d'accord avec ce qui a été dit, à mon avis de manière très courageuse. Je pense que c'est un vrai problème. En disant tout à l'heure que nous ne tirions pas tous les bénéfices de l'institution associative, je visais la société tout entière, qui a des progrès à faire en la matière.

Nous sommes bien conscients qu'il existe une demande sociale de normes et de protection, alors même que la meilleure protection est bien l'éducation au discernement, qui permet justement de savoir faire face aux risques. Seulement, on ne nous l'apprend pas. Sans doute savez-vous que les étudiants français sont, au monde, les plus mauvais dans la réponse aux QCM ? Ils ne répondent que quand ils savent, alors que dans les autres pays, les étudiants se lancent, même s'ils ne sont pas sûrs d'avoir la bonne réponse. Franchement, c'est un véritable enjeu culturel…

Vous êtes souvent confrontés, dites-vous, à des blocages, au fait que les réformes ne sont pas acceptées. Mais peut-être faudrait-il s'interroger sur la façon de conduire les affaires publiques et se demander si l'on ne peut pas exercer différemment le pouvoir, en exploitant toutes les possibilités, quitte à prendre des risques. Vous avez parlé d'éducation populaire. Or, l'une des choses auxquelles je suis le plus attachée, c'est justement d'accepter le tâtonnement, l'erreur et de le valoriser. En France, on retient d'un élève qui se trompe qu'il s'est trompé. J'aimerais qu'on retienne qu'il a essayé.

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Ce que vous venez de dire sur le droit à l'erreur est extrêmement important, et cela m'amène à faire moi aussi le lien avec l'éducation populaire. Toute la difficulté que l'on a dans les quartiers, s'agissant plus particulièrement de l'accompagnement à la scolarité, c'est justement d'avoir des intervenants formés, même bénévoles, pour faire de l'accompagnement à la scolarité, et non du soutien scolaire.

Il me reste une question très rapide à vous poser. Ne pensez-vous pas que la valorisation collective des intervenants pourrait, notamment, passer par des missions spécifiques qui seraient fixées entre les associations elles-mêmes et les pouvoirs publics ? Les uns et les autres s'entendraient sur certains sujets ciblés, voire sur une mission nationale. Pensez-vous que ce soit un outil de valorisation ?

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Madame Bellaoui, vous nous dites que lorsqu'on parle d'engagement, les Français répondent « association ». Certes. Mais en même temps, lorsque nous vous écoutons, nous constatons qu'entre 2001 et 2012, on s'est contenté de faire du droit mou, à savoir des chartes, des « trucs » qui n'engagent personne. J'aimerais donc savoir quelles sont, selon vous, les priorités qui devraient faire l'objet d'un droit dur, pour être effectivement mises en oeuvre.

Ensuite, je remarque que le premier obstacle auquel on se heurte, dans les différents rapports qui ont été produits sur la vie associative, est la confusion apportée par le terme générique de « vie associative ». Comme j'ai régulièrement l'occasion de le dire dans mes communications, les associations recouvrent des réalités très différentes : ainsi, la Chambre de commerce américaine en France est une association de la loi de 1901, tout comme le MEDEF. Les services fiscaux en sont d'ailleurs bien conscients et se disent que lorsque l'on tire un fil, on ne sait jamais quelle pelote on va dérouler. Donc, on ne fait rien. Ou plutôt, on fait du droit mou. Sans doute faudra-t-il un jour se poser la question du périmètre des associations.

Ma collègue s'est demandée s'il fallait un contrat entre l'État et la vie associative. Oui, mais pas avec toutes les associations. Du reste, toutes n'en sont sans doute pas demandeuses. Pas plus que l'État ne souhaite, selon moi, contractualiser avec celles qui ne remplissent pas une mission d'intérêt général. D'où ma question : ne faudrait-il pas prendre des dispositions un peu plus audacieuses afin de paramétrer le secteur associatif suivant qu'il contribue, ou non, à l'intérêt général ? Ce serait le moyen de distinguer, parmi les associations, celles que l'on entend soutenir.

Enfin, on parle régulièrement du congé d'engagement et de la formation des bénévoles. Quelles sont vos priorités en la matière ?

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J'ai envie de dire que la « confiance » est le mot clé de la révolution culturelle dont nous avons besoin. La société française doit faire confiance aux jeunes qui s'engagent, et elle a vis-à-vis d'eux une obligation morale de créer les cadres dans lesquels cette confiance s'exercera. Mais peut-on aller jusqu'à envisager que ce soit le jeune lui-même qui définisse le pourtour de la mission qu'il se propose d'assumer ? Pourrait-il définir lui-même son projet ainsi que le cadre dans lequel il l'exercera ? Pourrait-il faire valider son projet par la collectivité locale ou par l'association, sans que celle-ci en ait pris l'initiative ? Cette validation pourrait-elle valoir signature d'un contrat de service civique ? Qu'en pensez-vous ?

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Nadia Bellaoui, présidente du Mouvement associatif

Commençons par la notion de valorisation collective et l'entente sur certains sujets. Selon moi, il est en effet possible d'envisager des modes d'évaluation collectifs, à la place de systèmes de contrôle de chaque association. Mais ce n'est pas si courant que cela. Il y a peu de dispositifs publics destinés à évaluer de manière globale l'action d'associations sur un sujet précis.

À vrai dire, les inspections générales de l'État ou des collectivités territoriales – je pense à la Ville de Paris – font souvent un travail de cette nature mais, là encore, il est totalement inexploité. Ainsi, le rapport de l'inspection générale de la DASES (Direction de l'action sociale, de l'enfance et de la santé) de la Ville de Paris sur la prévention spécialisée, que j'ai lu très attentivement, rend compte de manière éclatante du potentiel et des difficultés de coopération entre les clubs de prévention sur un territoire d'une part, et entre les clubs de prévention et la Ville, d'autre part.

Par ailleurs, il rend compte assez bien de deux manières de faire. La première passe par la standardisation : chaque association a le même modèle de rapport d'activité, de comptabilité ; et on finit par gommer les spécificités pour ne retenir que des contraintes formelles, qui sont souvent des contraintes de présentation. La seconde passe par la mise en place d'une méthodologie d'évaluation plus complexe : à plusieurs étapes de l'action, on s'interroge sur le sens de l'action, sur les critères et la valeur des indicateurs.

C'est une façon de répondre à monsieur Blein, qui dit qu'il faut préférer le droit dur au droit mou. Je suis plutôt d'accord avec lui. Reste que l'intervention des associations dans l'intérêt général dépend de la façon dont l'action publique est conduite. Or il est frappant de constater que la « modernisation de l'action publique », créée en 2012 pour prendre la suite de la RGPP, ne s'intéresse pas à l'action associative, alors même qu'un pan entier des activités de service public est conduit par les associations.

Pour moi, il faut avant tout créer cette culture de la confiance et de la coopération entre des associations qui acceptent de travailler entre elles, et la puissance publique. Cela dit, j'observe que les diverses composantes de la puissance publique devraient également accepter de travailler entre elles. Car nous n'avons pas parlé de la réforme territoriale, mais force et de constater que la puissance publique ne donne pas toujours une image très positive de la façon dont elle sert l'intérêt général. Mais je ne fais aucun procès particulier…

Revenons sur la question du droit dur, que monsieur Blein connaît bien. Nous vous savons gré de votre intervention législative, qui a consisté à définir la subvention. En effet, ce qu'il y a de dur entre les associations et la puissance publique, c'est la convention de financement. Or, au-delà des montants des financements, la nature des conventionnements passés entre la puissance publique a une grande importance, dans la mesure où elle rend compte de la relation que l'on veut mettre : soit il s'agit d'une initiative publique, d'une commande publique, et la puissance publique cherche des opérateurs ; soit les citoyens s'auto-organisent, et la puissance publique contribue volontairement, par la subvention, à l'action conduite par les associations.

Je ne dis pas que la loi va tout régler, mais nous vous savons gré de l'avoir faite. Peut-être doit-on s'attendre à des effets pervers. Mais c'est pour nous un droit dur, sur lequel nous voulons construire une dynamique politique en discutant avec les élus territoriaux, afin de revaloriser cette relation un peu singulière.

Nous avons également été très intéressés par la loi sur le service civique, dans la mesure où elle a créé du droit dur sans remettre en question certaines réalités auxquelles nous tenons. Nous pensons que l'État doit se garder d'intervenir en droit dur, sauf s'il est sûr que cela ne viendra pas entamer notre liberté d'intervention.

Il y a un sujet sur lequel on n'a jamais légiféré en droit dur – sauf une fois, il y a bien longtemps, au moment de la création du Conseil national de la vie associative. C'est celui du dialogue civil, qui est pourtant fondamental au niveau politique et culturel.

Vous avez cité mon appartenance au Conseil économique, social et environnemental. Sept représentants d'associations seulement y siègent ès qualités et objectivement, aujourd'hui, il n'y a aucune stratégie associative au sein du CESE. Celui-ci n'est d'ailleurs pas pensé pour organiser un dialogue civil. En tout cas, il n'est pas à l'image de la société actuelle et ne permet pas de faire jouer aux associations le rôle qu'elles devraient avoir dans l'élaboration de la loi.

J'avais compris que le CESE était au service des deux autres chambres, qu'il devait travailler sur un temps long et sur ce que les gens sont capables de faire sur le terrain – en complément du Sénat, notamment. Aujourd'hui, nous nous interrogeons sur sa pertinence. Quoi qu'il en soit, ce qui est sûr, c'est qu'il serait très intéressant de discuter d'un droit dur sur la question de la concertation citoyenne.

Je terminerai sur la définition des missions de service civique par les jeunes eux-mêmes. Je crois que le développement du service civique passe par de grands programmes prioritaires et par un affichage des priorités de la Nation auxquelles on demande aux jeunes de contribuer. Mais il passe aussi par leur capacité d'initiative. Vous avez dit que j'avais présidé le réseau national des juniors associations. En l'occurrence, nous nous sommes contentés d'apporter une réponse simple et concrète à un jeune qui ne comprenait pas pourquoi il n'était pas possible, pour un mineur, de créer une association. La junior association a été créée pour apporter un compte bancaire et une assurance, et rien de plus – si ce n'est l'accompagnement d'un adulte, dans la mesure où le jeune le souhaite.

C'est à l'occasion d'un rassemblement étudiant que le jeune dont je vous parle est intervenu devant le directeur de la jeunesse et des sports de l'époque, la Ligue de l'enseignement et quelques autres. Mais dans son esprit, il n'était pas question de mettre en place un dispositif privé, de nature associative. Simplement, nous n'avons pas su trouver – du moins pas encore – les conditions d'entente pour faire en sorte que cette forme tout à fait adaptée d'apprentissage de la citoyenneté concerne tous les jeunes, et pas seulement 10 000 d'entre eux.

Je pense que les associations sont prêtes à faire cet effort. Je pense aussi que le chantier « La France s'engage » lancé par le Président de la République constitue une initiative intéressante. Elle revient à dire que la puissance publique ne peut pas tout inventer, mais qu'elle peut créer les conditions de son essaimage, de son transfert, en énonçant des règles – dans la mesure où les associations ne sont pas l'intérêt général, mais bien des intérêts collectifs qui dialoguent avec l'intérêt général.

Cette nouvelle façon de conduire l'action publique en démultipliant l'action des citoyens permet de répondre à la question suivante : est-ce que le jeune peut choisir sa mission ? Oui, le jeune doit pouvoir contribuer au choix de sa mission. Et la mission est une entente entre ses aspirations et celles de la société, le tout sous la responsabilité de la puissance publique.

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Merci pour votre disponibilité et tout ce que vous nous avez dit de passionnant et d'utile.

L'audition s'achève à douze heures.

Membres présents ou excusés

Mission de réflexion sur l'engagement citoyen et l'appartenance républicaine

Réunion du 2 avril 2015 à 11 heures.

Présents. – M. Guillaume Bachelay, M. Yves Blein, M. Jean-Luc Bleunven, M. Patrick Bloche, Mme Annick Lepetit, M. Bernard Lesterlin, Mme Julie Sommaruga.

Excusés. – M. Sébastien Denaja, M. Yves Fromion.