Mission de réflexion sur l'engagement citoyen et l'appartenance républicaine

Réunion du 2 avril 2015 à 10h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • agrément
  • associatif
  • civique

La réunion

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L'audition débute à dix heures dix.

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Madame Hélène Paoletti, c'est avec plaisir que nous vous accueillons pour cette audition.

Vous occupez depuis avril 2014 le poste de directrice de l'Agence du service civique. Vous êtes aussi, depuis deux ans, membre de l'assemblée plénière du Conseil national de l'éducation populaire et de la jeunesse.

Par le passé, vous avez également été chef du bureau Familles et parentalité à la Direction générale de la cohésion sociale auprès du ministère du travail, de l'emploi et de la santé. Il sera très intéressant pour nous de connaître votre analyse d'un dispositif du service civique désormais universel, qui doit se préparer à accueillir cinq à six fois plus de jeunes dans ce cadre.

Nous souhaiterions également vous entendre sur la création d'un véritable statut du bénévole, commun aux différentes formes d'engagement, dont le service civique. C'est l'une des pistes de réflexion de notre mission.

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Hélène Paoletti, directrice de l'Agence du service civique

Pour compléter votre intervention sur mon parcours, monsieur le président, j'ai enseigné auparavant, pendant une dizaine d'années, dans des lycées polyvalents de banlieue parisienne. C'est un lien intéressant avec la thématique de l'engagement des jeunes.

Je vais commencer par poser un diagnostic. Je ferai ensuite quelques propositions concrètes.

Je parle du point de vue d'une agence qui est chargée du service civique, et plus spécifiquement de l'une de ses formes, l'engagement de service civique. L'engagement de service civique, réservé aux jeunes de seize à vingt-cinq ans, consiste en un engagement volontaire, d'une durée de six à douze mois – huit mois en moyenne –, vingt-quatre heures par semaine minimum.

Le diagnostic que j'ai envie de faire, après cinq ans d'existence du service civique et, pour ma part, deux ans passés à la direction de l'Agence, c'est que le service civique répond à un très fort désir d'engagement des jeunes. Sur le sentiment d'appartenance républicaine qui peut sous-tendre ce désir d'engagement, mon constat sera plus nuancé.

Depuis 2010 et la création du service civique sous sa forme actuelle, nous avons accueilli chaque année toujours plus de jeunes. Nous étions dans une dynamique de progression, même si, très forte au début, elle a ensuite été plus faible. En 2015, elle reprend, après les annonces fortes qui ont été faites. Depuis 2010, plus de 85 000 jeunes sont passés par le service civique.

En termes de représentativité de la jeunesse, il y a un peu plus de filles que de garçons, avec, en 2014, 58 % de jeunes filles et 42 % de garçons. Nous ne sommes pas tout à fait à l'équilibre, mais c'est un dispositif qui représente correctement les garçons, ce qui est moins le cas, par exemple, dans le service volontaire européen.

Concernant l'âge moyen et le niveau d'études, les volontaires sont à peu près à l'image de la jeunesse française. L'âge moyen est de vingt et un ans et la proportion, depuis 2010, de jeunes volontaires diplômés d'études supérieures est de 42,4 %, contre 42 % dans l'ensemble de la jeunesse. Les jeunes les plus diplômés ne sont donc pas surreprésentés. Les jeunes sans aucun diplôme, quant à eux, représentent 17,5 % des volontaires, contre 15 % dans l'ensemble de la jeunesse française. Il y a une légère surreprésentation des jeunes sans aucune qualification.

La catégorie la moins bien représentée, ce sont les jeunes titulaires d'un BEP ou d'un CAP, qui représentent seulement 6 % de nos volontaires, alors qu'ils sont 14 % dans la population française. On ne peut donc pas dire que le service civique n'est pas parvenu à toucher très largement la jeunesse française, même s'il faudrait analyser plus finement pourquoi les jeunes qui sortent de l'apprentissage s'en saisissent moins.

À l'entrée du service civique, les jeunes sont majoritairement demandeurs d'emploi ou étudiants – pour un tiers d'entre eux.

Pour tenter d'établir un diagnostic plus précis, je vais utiliser des chiffres issus d'études menées depuis 2010 sur les jeunes en service civique.

En décembre 2014, 65 % des jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans interrogés se disaient prêts à réaliser un service civique. Un jeune sur quatre est ainsi prêt à faire un service civique, ce qui correspond au fort désir d'engagement dont je parlais tout à l'heure.

Les motivations des jeunes en service civique à l'égard de l'engagement sont très diverses. On a identifié quatre catégories de jeunes. Certains ont une vision très altruiste, avec une implication très désintéressée dans le dispositif. D'autres ont, au contraire, une vision utilitariste, avec un intérêt personnel par rapport à une mission qui pourra les préparer à leur projet professionnel. Une partie des volontaires ont des attentes très précises, qu'il s'agisse de projets personnels ou professionnels. À l'opposé, certains jeunes ont des attentes très floues et sont moins dynamiques dans leur démarche d'engagement, mais ils trouvent dans le service civique un passage vers autre chose, dans un moment – qui peut être compliqué – de transition entre la formation et la vie professionnelle.

Les jeunes en service civique sont-ils plus porteurs d'un sentiment d'appartenance républicaine ?

Nous avons fait quelques études qui permettent d'apporter quelques précisions. Dans l'ensemble, on peut dire que les jeunes qui effectuent un service civique sont majoritairement plus engagés, ont plus le sentiment de pouvoir changer les choses autour d'eux que l'ensemble des jeunes. Quand on pose les mêmes questions à la sortie du service civique, on constate une amélioration du sentiment d'engagement, en particulier lorsqu'on interroge les jeunes en service civique sur leur volonté de faire bouger les choses.

À cet égard, la population française générale est très partagée : les jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans, pour la moitié d'entre eux, disent qu'ils n'ont pas la volonté de faire bouger les choses là où ils habitent, contrairement à l'autre moitié. Si l'on pose la même question aux jeunes qui s'engagent en service civique, 80 % d'entre eux répondent qu'ils pensent pouvoir faire bouger les choses près de chez eux. Et à la sortie du service civique, on passe quasiment à 90 % de réponses positives. Cela montre que ceux qui n'étaient pas tout à fait convaincus et qui s'étaient engagés par utilitarisme sortent du service civique en ayant activé leur citoyenneté et en ayant constaté à quel point on pouvait être utile près de chez soi.

Pour ce qui est de la confiance à l'égard des autres, deux questions ont été posées aux jeunes volontaires : Peut-on faire confiance à la plupart des gens ? A contrario, est-on jamais assez prudent quand on a affaire aux autres ?

Chez les jeunes de seize à vingt-cinq ans, 83 % répondent qu'on n'est jamais assez prudent quand on a affaire aux autres, 17 % seulement répondant qu'on peut faire confiance à la plupart des gens. Au moment où ils intègrent le dispositif, les jeunes qui s'engagent sont tout de même 34 % à répondre oui à la première question – il reste que 65 % considèrent qu'on n'est jamais assez prudent quand on a affaire aux autres. À l'issue du service civique, on est quasiment à 5050. Si le service civique ne change pas radicalement l'ensemble des jeunes sur ce plan, il apporte néanmoins une nette amélioration de la relation positive à autrui.

Le service civique a trouvé son public puisqu'il compte 85 000 engagements depuis son lancement. Le seul frein, ces dernières années, portait sur la capacité de développement en termes budgétaires et non pas en termes de demandes des jeunes ou d'organismes pour les accueillir. Le service civique s'adresse d'abord à des jeunes qui ont plus que les autres le sentiment que l'engagement fait partie d'un projet, mais il transforme aussi les jeunes qui entrent dans le dispositif en leur donnant une citoyenneté plus active ou en la révélant.

Je serai plus nuancée en ce qui concerne le sentiment d'appartenance républicaine. On s'est demandé, après les élections européennes de 2014, si les jeunes en service civique étaient allés voter plus que les autres. Or les jeunes volontaires ont plutôt moins voté. Lorsqu'on les a interrogés pour savoir s'ils regrettaient, au vu des résultats, de ne pas avoir voté, on s'est rendu compte qu'ils n'étaient pas allés voter parce qu'ils étaient plus critiques que l'ensemble des jeunes. Ils ont un désir d'engagement, en particulier près de chez eux, mais se retrouvent encore moins que les autres jeunes dans l'offre politique qui leur est faite. Il apparaît ainsi que la citoyenneté est aussi une relation par rapport à ce que l'on vit comme un geste citoyen. Si nous avons été déçus de constater que cette étape de la citoyenneté – par rapport à un vote qui peut être considéré comme un geste symbolique de citoyenneté – n'était pas plus active que chez les autres jeunes, les explications sous-tendant leur abstention nous ont semblé intéressantes.

Quand on interroge les organismes d'accueil sur la formation civique et citoyenne qu'ils sont amenés à dispenser aux jeunes, on se rend compte que certains sujets sont très difficiles à aborder avec les jeunes, en particulier avec ceux qui sont les plus éloignés de la citoyenneté ou des dispositifs publics. Tant qu'on leur parle d'environnement ou de discrimination, on arrive à avoir des débats riches et ouverts, mais dès lors qu'on aborde la question des valeurs citoyennes, ou des thèmes plus précis, comme le rapport qu'on a à la place de la femme ou à l'homosexualité, cela peut devenir extrêmement compliqué.

On peut tirer de ce constat l'idée que le service civique est un dispositif qui fonctionne très bien pour donner aux jeunes le goût de l'engagement. Il répond à une demande d'engagement et il permet à un jeune, qu'il soit opportuniste ou, au contraire, altruiste, de bénéficier d'un temps pour s'engager au service des autres, réaliser qu'il peut se rendre utile, et que l'interaction avec ses concitoyens peut être positive. Il en sort valorisé et dans un rapport beaucoup plus apaisé à son environnement.

En revanche, on ne peut pas en faire une étape d'acquisition de valeurs qui serait plus adaptée que l'école ou qu'un autre temps citoyen. Les sujets compliqués à aborder dans les étapes précédentes du parcours citoyen le restent dans le service civique, pour un certain nombre de jeunes. Sans en faire un vade-mecum ou une réponse absolue, nous sommes persuadés que c'est un temps propice à la remobilisation des jeunes sur tous les aspects, mais également dans la dimension citoyenne. Ce sera l'occasion – en passant par le biais d'une mission d'intérêt général, d'un collectif qui peut être soit celui d'un projet associatif, soit celui d'un service public ou d'une collectivité qui agit directement en faveur des citoyens – de remobiliser les jeunes et de donner la preuve par l'exemple, plus que par la formation ou par des valeurs transmises de manière directe. C'est une espèce de « pédagogie du détour » qui vise à remobiliser les jeunes sur la citoyenneté, quand ils en ont besoin, une partie des jeunes en service civique étant déjà très engagée.

J'en arrive aux propositions concrètes.

Nous pensons, à l'Agence du service civique, que ce dispositif doit être ouvert au plus grand nombre. Le Président de la République est très attaché au volontariat et il a fait part, à de nombreuses reprises, de son opposition à une obligation de service civique. Celui-ci, tel qu'il est conçu aujourd'hui, joue en effet sur le levier de l'engagement et sur la valorisation de la démarche d'un jeune pour se porter candidat à une mission d'intérêt général lourde, à plein temps, pendant plusieurs mois. C'est un levier très efficace d'activation de la citoyenneté.

Cela étant, plus le nombre de jeunes en service civique augmentera, plus le regard de la société sur les jeunes et sur leur engagement changera. Car aujourd'hui, peu de gens ont l'occasion de croiser des volontaires. Quand il y en aura 150 000, soit un jeune sur huit, cela aura un impact très fort sur la relation de l'ensemble de la population à sa jeunesse.

Il nous semble aussi très important que le service civique soit intégré dans un parcours de citoyenneté. Le service civique ne peut être qu'une étape, avec une éducation préalable. François Chérèque a eu l'occasion de développer ce qu'il entendait par « parcours de citoyenneté », qui n'est peut-être pas tout à fait le même que celui envisagé par le ministère de l'intérieur, mais qui s'intègre. Les relations avec la Journée défense et citoyenneté, avec l'éducation donnée à l'école sur ces sujets, avec le soutien aux parents dans leur appropriation des valeurs républicaines doivent constituer un parcours.

Il est également possible d'envisager d'autres formes du service civique. Ainsi, le service militaire adapté marche très bien en outre-mer. Il ne nous paraîtrait pas aberrant d'avoir d'autres types de propositions à faire. L'Établissement public d'insertion de la défense (EPIDe) est un exemple, mais on pourrait réfléchir à diversifier les propositions faites aux jeunes pour activer leur citoyenneté et s'engager.

Pour nous, il y a trois points importants : le développement quantitatif, le maintien de la notion d'engagement, de volontariat, et le temps d'engagement actif tel qu'il est avec, éventuellement, une diversification des formes sous lesquelles les jeunes peuvent s'engager, qui puissent s'intégrer dans un parcours de citoyenneté et s'adapter à tous les jeunes.

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Mme la directrice de l'Agence du service civique et moi-même avons passé la journée d'hier ensemble à rencontrer nos relais sur le terrain. Nous avons eu à cette occasion des échanges très enrichissants avec ceux qui font vivre le service civique sur nos territoires.

Compte tenu des objectifs quantitatifs annoncés par le Président de la République, ne faudrait-il pas envisager une autre répartition des agréments donnés aux organismes susceptibles d'accueillir des jeunes pour des missions de service civique et réfléchir à la validation des missions elles-mêmes, c'est-à-dire à la qualité de ces dernières, en s'assurant qu'elles ne déraperont pas sur de la substitution à l'emploi ou sur d'autres choses qui ne sont pas prévues dans la loi du 10 mars 2010 ?

Nous ne résoudrons pas le problème quantitatif uniquement en multipliant par dix les effectifs et les autorisations données à la Ligue de l'enseignement, à Unis-Cité, à l'Association de la fondation étudiante pour la ville (AFEV) et aux grands réseaux. Nous allons avoir une multiplicité de nouveaux partenaires, de nouveaux interlocuteurs qui, objectivement, ne savent pas ce qu'est le service civique. Je le dis sans connotation péjorative pour les élus locaux, les directeurs d'établissements publics, les directeurs d'entreprises coopératives ou mutualistes, qui n'ont pas cette expérience. Dès lors, ne conviendrait-il pas, pour s'assurer du maintien de la qualité des missions et de la non-confusion avec d'autres types d'activités, notamment l'emploi, de structurer le territoire en organismes de concertation afin qu'ils puissent éclairer les correspondants de l'État pour le service civique dans chacune de nos régions, chacun de nos départements, chacune de nos communes ou de nos agglomérations ? Étant entendu que la signature qui engage de l'argent public, avec l'indemnité et la couverture sociale des jeunes, est forcément la signature de l'État.

Au lieu d'attendre l'agrément et la validation d'une mission pour pouvoir signer un contrat de service civique, l'État serait sans doute plus performant et plus efficace si une petite commission locale rassemblant les partenaires pouvait donner des conseils en amont et faire de l'évaluation ex ante, comme disent les technocrates de Bruxelles, pour s'assurer que les nouveaux porteurs du service civique restent dans la ligne de ce que nous avons voulu dans la loi.

En outre, le conseil en amont permet de réduire le contrôle a posteriori. Il va falloir économiser nos forces, car ce n'est pas avec huit postes supplémentaires à l'Agence que vous pourrez gérer quatre fois plus de jeunes en service civique. Il faut un processus de déconcentration bien maîtrisé, dans un partenariat local avec tous les partenaires.

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Quelle appréciation portez-vous sur la réflexion, qui a traversé un moment la société française, concernant l'obligation ? Non pas l'obligation du service civique en tant que tel, mais celle d'un temps qui, cette fois, s'adresserait à l'intégralité d'une tranche d'âge – c'est-à-dire à 800 000 jeunes – et permettrait de favoriser le mélange et la connaissance de l'autre, de mixer les origines, de s'initier à un certain nombre d'expériences pratiques, ce que l'école ne peut pas faire. En effet, correspondant à un territoire, elle ne mélange pas les jeunes de différentes origines. Elle n'est pas non plus un terrain d'expériences à proprement parler, mais plutôt un terrain exclusif d'apprentissages.

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Hélène Paoletti, directrice de l'Agence du service civique

Monsieur Lesterlin, votre question révèle une excellente connaissance du service civique et une vision très concrète des difficultés auxquelles nous sommes confrontés.

L'agrément de service civique a deux caractéristiques qui vont peut-être devoir évoluer à moyen terme. C'est d'abord l'acte administratif qui autorise juridiquement une structure à accueillir des jeunes, en s'assurant que tous les éléments constitutifs de la loi et du décret, et leur déclinaison dans les textes réglementaires, sont bien intégrés et qu'ils seront respectés par la suite.

Il résulte d'une instruction qui interroge le projet de la structure sur le type de mission offert. Cette mission est-elle une mission d'intérêt général ? Est-elle substitutive, ou non, à un emploi ? Le jeune aura-t-il un tuteur ? Quelle sera la formation de ce dernier ? Sous quelle forme la formation civique et citoyenne sera-telle faite ? Sera-t-elle externalisée ou internalisée ? L'agrément valide le projet d'accueil d'un jeune.

L'autre dimension de l'agrément, ce qui fait la grande dynamique du service civique, mais qui pose peut-être des difficultés par rapport à la problématique que vous soulevez, c'est qu'il constitue également l'autorisation financière d'accueillir un jeune et la garantie qu'il sera indemnisé tous les mois. Dès lors que l'agrément est signé, il n'y a plus d'acte secondaire validé par l'Agence ou par ses délégués. Les agréments servent aussi bien à assurer la qualité du service civique qu'à piloter financièrement le dispositif. Nous avons une enveloppe d'agréments et il est très important que ces agréments prévoient des départs mensuels de jeunes puisqu'un jeune qui commence son service civique en septembre et un autre qui le commence en novembre ne pèsent pas de la même façon sur le budget de l'Agence. Depuis 2010, il nous est très difficile d'accueillir le plus de jeunes possible avec un budget très inférieur à la demande.

L'agrément n'est peut-être plus le bon outil pour avancer dans la direction que vous souhaitez et mieux distinguer ce qui relève de l'autorisation juridique du pilotage financier et de l'accompagnement de la qualité. Nous devrions sans doute réfléchir à la façon de transformer cet agrément. Après cette audition, j'ai rendez-vous avec Mme Laure de la Bretèche, qui dirige le secrétariat général pour la modernisation de l'action publique, pour aborder ce sujet.

Le deuxième volet de votre question a trait aux relais que nous allons trouver pour que le service civique puisse se développer dans le contexte d'une réforme territoriale qui bouleverse la structuration de nos services déconcentrés, d'un mouvement de réduction de ceux-ci sur le territoire et d'une restructuration sur des fonctions qui ne peuvent pas être des fonctions d'animation, ce qui nécessite de les recentrer sur du pilotage. C'est ce que nous avons constaté hier en rencontrant nos correspondants.

Même très inaboutie, notre action a consisté jusqu'à présent à positionner l'État comme le garant de l'ensemble des éléments constitutifs du service civique, qui est un engagement des jeunes financés par l'État – il est très important que nous gardions ce pilotage. Dans ce cadre, les jeunes se déploient partout sur les territoires, dans des associations, dans des collectivités territoriales, avec un bénéfice qui doit être direct et visible pour nos concitoyens. Dès lors qu'on parle de bénéfice direct pour les concitoyens, le service civique ne peut plus être que la « chose » de l'État. Un grand nombre d'établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), par exemple, dépendent des centres communaux d'action sociale et des collectivités locales. Il faut, bien entendu, que les élus locaux qui s'engagent dans cette dynamique trouvent un relais direct à des problématiques de conduite de politique publique sur leur territoire.

Nous disposons de quelques éléments solides qui nous permettent de donner des gages en la matière. La gouvernance du service civique, très centralisée dans l'attribution des agréments, bénéficie ainsi d'un comité stratégique qui nous permet d'avoir des discussions de fond sur les orientations stratégiques et sur la manière dont se décline la réglementation sur le service civique. Des parlementaires, des associations, des représentants de l'État et des grandes collectivités territoriales participent à ce comité.

Nous nous employons aujourd'hui à trouver des relais, que ce soit pour l'Agence ou sur les territoires, pour démultiplier notre action. Je ne sais pas si ce sera sous la forme de commissions sur le territoire, parce qu'il importe, selon moi, que l'instruction ne soit pas collégiale. Il faut distinguer le temps d'accompagnement, d'appropriation des valeurs du service civique, qui ne sont pas évidentes pour un élu ou pour un service de l'État qui n'a pas l'habitude d'accueillir des bénévoles ou des volontaires parce qu'elles renvoient à la citoyenneté active et à l'éducation populaire.

Je suis tout à fait d'accord avec vous, Monsieur Lesterlin, et l'Agence travaille dans ce sens, pour développer l'accompagnement ex ante et pour trouver des relais sur ce sujet. Votre commission reçoit, après moi, la présidente du Mouvement associatif. Nous sommes précisément en train d'élaborer une convention avec le Mouvement associatif pour voir comment la coordination des réseaux associatifs peut constituer un relais sur le territoire pour assurer l'information de premier niveau, accompagner les organismes d'accueil dans l'appropriation du dossier d'agrément et faire en sorte que l'instruction par l'État soit une validation des différents éléments, mais qu'il ne porte pas à lui seul l'ensemble de l'accompagnement. Je serai en revanche beaucoup plus nuancée sur l'instruction collégiale.

J'en arrive à la question de Monsieur Blein sur l'obligation. Le débat est très complexe. François Chérèque a eu l'occasion d'affirmer qu'il était opposé à l'obligation du service civique. Effectivement, le service civique fonctionne essentiellement sur le ressort de l'engagement et de la valorisation pour un jeune, quel qu'il soit, même pour celui qui est le plus éloigné des dispositifs traditionnels et des institutions.

En ce qui concerne l'obligation d'un temps pour tous les jeunes, on ne peut être que favorable à un objectif de mixité, à un brassage pour aller vers la rencontre d'autrui. Pour prendre l'exemple du service civique, on a parfois l'occasion de voir des jeunes très différents travailler ensemble – un bac moins cinq avec un bac plus cinq, par exemple. Cela montre que les temps de mixité, en particulier dans le cadre d'une action collective, sont extrêmement favorables aux évolutions positives chez les jeunes.

Conceptualiser la forme que doit prendre ce temps d'obligation est plus complexe. Il existe déjà un temps obligatoire pour tous les jeunes, la Journée défense et citoyenneté, décriée par certains, mais dont on peut constater qu'elle constitue un temps au cours duquel un certain nombre de problématiques sont abordées.

Vous avez terminé votre intervention en disant que cela ne pouvait pas être le rôle de l'école. Certes, mais si, entre zéro et dix-huit ans, un jeune n'a jamais eu l'occasion d'être brassé avec d'autres, c'est que nous avons raté quelque chose. Il y a l'école, mais il y a également tout le travail sur l'action sociale, sur l'éducation populaire, sur les temps périscolaires qui devraient être des occasions pour les jeunes de se mélanger. C'est le rôle des politiques publiques de le leur permettre. Le fait d'avoir à réparer un déficit de brassage et de mixité par un temps collectif parce qu'il n'aurait pas pu avoir lieu entre zéro et dix-huit ans doit nous interpeller sur l'éducation que l'on offre aux jeunes dans ces tranches d'âge. Pour avoir enseigné dans des lycées de banlieue, je ne peux néanmoins que constater que ce brassage ne se fait pas.

Si l'on ne peut que déplorer cet échec, il faut un temps pour y remédier et offrir aux jeunes l'occasion de se brasser. Mais comment faire pour que quelque chose qui est imposé soit vécu par les jeunes de manière positive ? On ne peut pas partir du principe qu'une expérience de mixité sera bénéfique si elle est vécue négativement. Il faut que les jeunes y trouvent un intérêt, soit par ce qu'on leur fait faire, soit par la manière dont on leur présente l'expérience.

Il faut également souligner les difficultés d'organisation d'une telle ambition. En effet, réunir 800 000 jeunes sur tout le territoire pour quelques jours ou quelques semaines pose de redoutables problèmes d'organisation. Comme le faisait observer le directeur du service national, il faudrait réinventer toute la logistique, aujourd'hui disparue, qui encadrait les jeunes engagés dans le service militaire, lesquels n'étaient pas aussi nombreux.

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Je me suis mal exprimé : l'instruction d'un dossier d'agrément ne peut pas être collégiale. Elle doit être centralisée ou déconcentrée, et faite par un fonctionnaire de l'État, qui a autorité pour cela, sur des critères précis entraînant les conséquences que vous avez très justement décrites.

Je souhaite, en revanche, qu'en amont de la soumission à validation d'une mission d'intérêt général, il y ait suffisamment de conseils pour éviter que les organismes d'accueil, quels qu'ils soient, glissent vers les dérives que l'on constate chaque année. Ce n'est pas une critique de l'Agence que je fais, mais meilleures seront les propositions de missions d'intérêt général, plus facile sera le travail de contrôle et plus grandes seront la qualité globale et la satisfaction des jeunes et des bénéficiaires des actions d'intérêt général.

La question qui se pose est de savoir s'il est opportun ou pas de dissocier ce qui relève de l'agrément de la structure – sachant que si l'on multiplie par quatre l'accueil des jeunes, on va avoir des tas de nouvelles structures. Il faut donc savoir comment s'organise cet agrément de la structure. On n'a pas à valider l'agrément d'une structure qui serait une commune puisque, par définition, on ne peut pas porter un jugement sur elle et qu'elle est forcément susceptible d'avoir un agrément. Mais pour ce qui concerne les petites associations, il faut définir comment procéder à l'agrément. Ne faut-il pas dissocier cette procédure d'agrément des structures – qui doit rester, à mon avis, très centralisée, sous le contrôle de l'Agence, avec un système de déconcentration – de la procédure d'agrément des missions d'intérêt général ?

Pour cette phase de validation, nous devons réfléchir à l'amélioration du conseil en amont pour ceux qui proposent les missions, qui définissent les conditions du tutorat, le contenu et les modalités de l'éducation citoyenne qui sera délivrée aux jeunes. Nous devons réfléchir à tout ce qui peut être fait en partenariat, en amont, avec des gens d'expérience qui vont se surveiller les uns les autres pour qu'il n'y ait pas de dérapage, de substitution à l'emploi. Cela nécessite une structuration décentralisée et une véritable gouvernance de proximité bien maîtrisée par l'État, mais très partenariale.

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Hélène Paoletti, directrice de l'Agence du service civique

Monsieur le député Lesterlin, je suis d'accord avec ce que vous préconisez. Nous rejoignons, à l'Agence, la réflexion sur ce qu'est, au sens juridique, un agrément pour certaines structures, s'agissant notamment des services de l'État. J'ai rendez-vous cet après-midi avec le préfet Régnier pour aborder ce sujet : que signifie « agréer une préfecture » ou « agréer les directions départementales de la cohésion sociale » ? D'abord, quelle est la structure juridique que j'agrée ? S'agit-il d'un démembrement de l'État ? Ce n'est pas le cas, par exemple, pour une direction départementale interministérielle (DDI).

Dans le cas d'un organisme privé à but non lucratif, comme une association, on vérifie les comptes et le nombre de salariés pour être sûr que la structuration est suffisante pour accueillir correctement les jeunes. S'agissant d'une commune ou d'un service de l'État, nous sommes aujourd'hui amenés à faire de même. Or nous voudrions ne pas perdre trop de temps sur ces aspects qui ne méritent probablement pas d'être débattus.

On en revient à l'ambiguïté de l'axe d'agrément qui, en réalité, porte très minoritairement sur ces aspects et très majoritairement sur le projet d'accueil. En l'occurrence, le projet d'accueil d'une préfecture doit être examiné autant que le projet d'accueil d'une association. Vous avez raison de dire que cette partie de l'accompagnement peut être déléguée ou partagée. C'est ce qu'on est en train de faire, timidement peut-être, mais précautionneusement, que ce soit du côté des organismes traditionnels ou avec les services de l'État. Le Premier ministre lui-même a organisé une réunion interministérielle pour mobiliser l'ensemble des ministères.

Pour ce qui est du ministère de l'intérieur, le préfet Régnier est notre relais. Nous allons veiller à lui transmettre notre culture du service civique afin qu'il puisse s'en faire le relais dans les services du ministère de l'intérieur. En outre, ce sera beaucoup plus efficace que si nous le faisions en direct puisqu'il a également la culture du ministère de l'intérieur, que nous n'avons pas.

Nous avançons progressivement. Il faudra probablement que nous soyons plus ambitieux, mais nous sommes précautionneux parce qu'il s'agit d'un domaine qui, pour nous, n'est pas traditionnel. Jusqu'à présent, l'Agence travaillait essentiellement de manière centralisée.

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Le service civique étant effectué notamment dans le milieu associatif, comment envisagez-vous la mobilisation des services de l'État et des collectivités locales ? Étant députée de Paris, je sais que la Maire de Paris a récemment signé une convention avec l'Agence. Ayant tous, pour la plupart, un mandat local, nous nous devons d'être exemplaires si nous légiférons sur ces questions.

Par ailleurs, quelle vision avez-vous aujourd'hui de celles et ceux qui encadrent les jeunes en service civique ?

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Hélène Paoletti, directrice de l'Agence du service civique

Ce que vous pointez a occupé une grande partie de la journée de travail que nous avons eue hier avec nos référents sur le territoire. Jusqu'à présent, en effet, nous étions en terrain connu avec le secteur associatif, qui a beaucoup porté le service civique, le milieu associatif étant traditionnellement une structure d'accueil pour les objecteurs de conscience, entre autres. C'est notamment l'éducation populaire qui a porté le service civique. Ce sont des secteurs que nous connaissons mieux que celui des services de l'État ou des collectivités territoriales.

La culture du bénévolat est présente dans les associations et se rapproche probablement plus de l'accueil d'un volontaire que de la relation traditionnelle que l'on a avec un salarié, s'agissant en particulier de l'encadrement des jeunes. Le jeune doit être bien encadré puisque le service civique est aussi l'occasion de retrouver un cadre : arriver à l'heure, avoir une mission à remplir, rendre compte. Mais ce cadre ne doit pas être le même que pour un salarié. Il ne doit pas y avoir de subordination directe. Il faut laisser au jeune une liberté d'initiative plus importante qu'à un salarié, car il n'a pas à être rentable. Il peut donc suivre des chemins détournés pour remplir la mission qu'on lui a confiée. Cela n'est pas évident à comprendre pour une structure autre qu'associative.

On peut dire a contrario que les services de l'État et les collectivités territoriales remplissent autant qu'une association une mission d'intérêt général, peut-être même plus. Les élus locaux, les fonctionnaires territoriaux, les fonctionnaires de l'État ont vocation à remplir des missions d'intérêt général et, pour ce qui est des fonctionnaires, ont un statut qui les protège, un statut spécifique par rapport au droit du travail traditionnel, qui comporte des obligations, des droits et des devoirs.

Il nous paraît donc, à l'Agence, non seulement possible, mais encore nécessaire, que les fonctionnaires territoriaux ou de l'État, prennent leur part dans ce projet en faveur de la jeunesse que constitue le service civique. On ne doit pas valoriser, d'un côté, l'engagement associatif qui serait adapté à l'accueil de jeunes et, de l'autre, dévaloriser ce qui se passe dans les collectivités où l'engagement quotidien des fonctionnaires est sûrement aussi fort qu'un engagement associatif. Nous sommes persuadés qu'il y a une dynamique possible pour l'accueil de jeunes dans des structures qui ne sont pas associatives.

On nous dit qu'il y a plus de risques de substitution dans les services de l'État, parce qu'on va « coller » les jeunes au guichet et remplacer les agents manquants. N'oublions pas que le secteur associatif connaît également des difficultés de gestion des ressources humaines. Dans le secteur culturel, par exemple, nos volontaires sont confrontés à la précarité. Les risques sont peut-être différents, mais il n'y en a pas plus dans le secteur public que dans le secteur privé à but non lucratif.

Enfin, je pense que nous arriverons à mieux équilibrer le nombre de volontaires engagés dans les collectivités territoriales et les services de l'État par rapport à ceux qui sont dans les associations si nous convainquons les services de l'État et les collectivités que c'est leur devoir d'accueillir des jeunes et que l'engagement de jeunes doit faire partie de leur projet.

La Mairie de Paris a été l'une des premières collectivités territoriales à demander un agrément. La démarche était positive, mais la manière dont la Mairie de Paris a intégré le projet n'était pas satisfaisante. Il a en effet été confié à la direction des ressources humaines (DRH), au bureau qui s'occupe des apprentis, des stagiaires et des emplois aidés, et on s'est borné à faire le tour des services pour demander qui voulait un volontaire. Résultat, le volontaire a remplacé un vacataire qui venait de partir !

Depuis un an, les choses ont changé. Le projet, repris par un autre service, est considéré comme un vrai projet, qui a du sens pour les jeunes, mais aussi pour les citoyens. On s'est ainsi demandé quel service supplémentaire pourrait être apporté par l'intermédiaire de ces jeunes. Cela peut être du portage de livres à domicile. Cela peut consister aussi à améliorer la participation quand il y a une grande dynamique, comme pour les budgets participatifs. Les volontaires peuvent par exemple se rendre dans les écoles, dans les PMI, pour parler aux familles de ces budgets participatifs. Dès lors que nous aurons convaincu collectivités et services de l'État que les jeunes ne sont pas des bouche-trous, mais qu'ils aident à développer des projets citoyens, je pense que cela marchera.

Pour conclure, je dirai que les questions très concrètes que l'on m'a posées nous ont amenés à parler des solutions à envisager pour que cela fonctionne. Je suis très heureuse d'avoir pu échanger avec vous de manière aussi pragmatique.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie, madame Paoletti, de votre disponibilité.

L'audition s'achève à dix heures cinquante-cinq.

Membres présents ou excusés

Mission de réflexion sur l'engagement citoyen et l'appartenance républicaine

Réunion du 2 avril 2015 à 10 heures.

Présents. – M. Guillaume Bachelay, M. Yves Blein, M. Jean-Luc Bleunven, M. Patrick Bloche, Mme Annick Lepetit, M. Bernard Lesterlin, Mme Julie Sommaruga.

Excusés. – M. Sébastien Denaja, M. Yves Fromion.