Je vous laisse la parole afin que vous nous fassiez part de votre témoignage en tant que membre du vivier des hauts potentiels de la fonction publique.
Je suis actuellement conseillère des affaires étrangères hors classe après être entrée dans ce ministère en 1990. J'ai exercé des fonctions en administration centrale et occupé cinq postes à l'étranger. J'ai rejoint le vivier en 2015, ayant été informée de cette mesure par le directeur général de l'administration centrale du ministère, mais je connaissais déjà l'existence de ce cycle interministériel de management de l'État, en ma qualité de sous-directrice de la formation et des concours. C'est d'ailleurs cette sous-direction qui finance la contribution de l'administration à la participation de ses cadres dirigeants au vivier.
J'ai été nommé récemment, le 10 février 2016, secrétaire général adjoint au ministère de la culture et de la communication. Je suis entré dans le vivier en décembre dernier et je vais suivre cette formation de futurs dirigeants jusqu'en juin 2016. Précédemment chef de service au Secrétariat général du ministère, j'avais été identifié comme pouvant entrer dans le vivier au début de l'année 2014. J'ai eu, par ailleurs, la chance de participer à une « cohorte du leadership », groupe rassemblant de huit à dix personnes pour des petits-déjeuners stratégiques interministériels reposant sur une logique de co-développement. Chacun est amené à rapporter une expérience vécue sur les compétences-clés de manager, dans un esprit de confiance et de partage avec ses pairs. Le travail de cette cohorte s'est étendu sur une période de six mois.
J'ai intégré le vivier au printemps 2015, ayant été auparavant sous-directrice des systèmes d'information sécurisés à l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI). J'ai participé depuis à de nombreuses réunions axées sur l'interministériel et notamment à l'assessment au printemps 2015. Le retour d'expérience me concernant est très positif.
Comment s'est concrètement passée votre intégration au vivier ? Comment avez-vous vécu cette expérience ?
J'ai reçu une lettre m'invitant à réaliser un assessment à l'été 2015 dans le cadre de mon intégration au vivier. J'ai fait le test Sosie, test psychologique comprenant 95 questions, puis j'ai été invitée à me rendre à Eurogroup pour une matinée de cas pratiques. Il s'agissait de mises en situation comme « vous êtes nommée directrice d'une entreprise » ou « vous discutez avec des représentants syndicaux ». Le rapport qui a été établi sur ces travaux m'a paru très éclairant sur ma manière d'être.
J'ai reçu un courrier du Secrétaire général du ministère m'informant de mon intégration dans le vivier, qui avait été précédé d'un premier courrier me demandant mon accord pour être proposé. En 2015, j'ai participé aux cohortes du leadership puis j'ai effectué le test Sosie et les exercices de mises en situation : par exemple, une situation sociale compliquée avec un directeur pris en otage. Ces cas pratiques ont été très bien gérés par les consultants. J'ai effectué également un cas pratique écrit, consistant dans la rédaction d'une note sur la reprise d'une entreprise à partir d'une nouvelle stratégie. Les consultants ont livré ensuite leur point de vue, sur la base du test et des mises en situation effectuées. Ont pu être ainsi recensés les points forts managériaux de chacun, ainsi que les marges de progrès possibles, tout cela dans une dynamique très positive. Je suis personnellement ressorti de cette expérience avec une vraie volonté d'agir. Cette expérience m'a aidé lors de mon entretien de recrutement pour mes fonctions de secrétaire général adjoint du ministère de la culture et de la communication.
J'ai vécu une expérience très proche, ayant été prévenue par le directeur interministériel des systèmes d'information et de communication (Disic) que mon inscription était souhaitée. J'ai été nommée ensuite adjointe au directeur et ai donc effectué le test Sosie puis les mises en situation. Les cas pratiques étaient très intéressants ; j'ai fait plusieurs mises en situation, notamment avec un responsable des services pénitentiaires, en ayant dû gérer une crise opérationnelle en même temps. J'ai eu également un entretien avec un journaliste, auquel j'ai eu malheureusement peu de données concrètes à transmettre, et enfin effectué un exercice écrit plus classique. D'une façon générale, ces mises en situation ont eu pour moi un aspect à la fois ludique et formateur.
J'ai suivi une session de debriefing sur l'assessment, puis j'ai été convoquée le 10 décembre à l'ENA pour mon intégration dans le vivier. Le lancement a pris une journée entière, au cours de laquelle l'équipe de « turning point », le prestataire sélectionné pour la formation nous a été présentée.
Le cycle interministériel de l'État s'est déroulé de manière très professionnelle. Il ne s'agit pas d'une formation improvisée ou d'une formation classique ; l'on est plus proche d'une logique de coaching collectif. Plusieurs modules ont été organisés : Comment accéder à une posture de dirigeant ? ; l'acquisition d'une intelligence de soi et d'une intelligence collective ; l'engagement dans la tradition digitale. Les exercices qui relevaient de thématiques très concrètes reposaient sur une pédagogie innovante. Deux modules sont à venir, l'un sur la réussite des transformations, l'autre sur la communication, permettant de développer l'art oratoire.
Ce sont les exercices qui apparaissaient peut-être au départ « les plus idiots » (construire des tours en spaghettis) qui se sont révélés les plus instructifs.
Pour l'évolution même des carrières, la dimension interministérielle vous paraît-elle importante ? Et aviez-vous bénéficié d'expériences avant de connaître le vivier ?
En tant que sous-directrice au ministère des Affaires étrangères, j'avais déjà bénéficié d'une formation au management. Le fait d'avoir reçu deux formations me semble très intéressant. S'agissant de l'avenir, les résultats de l'assessment ne sont pas encore connus. Enfin, dans le cadre d'un travail sur la transparence sur les chefs de poste pour 2016, la formation dont j'ai bénéficié s'est révélée très utile.
Je souligne le caractère interministériel de cette offre de formation. Cela me semble, en effet, très pertinent : l'on se retrouve entre pairs sans enjeu professionnel, ce qui permet une plus grande capacité à être soi-même et à comprendre que nos problèmes sont partagés. L'on mesure, par ailleurs, encore plus le fait que l'on appartient à la fonction publique d'État. Je n'avais personnellement pas connu d'expérience antérieure. Cette formation permet au minimum à chacun de donner un élan à sa carrière.
Je partage le point de vue des autres intervenants. Les formations dans un cadre interministériel sont toujours un plaisir renouvelé. La découverte d'horizons, de bagages et de codes différents, s'exprimant hors du cadre des réunions de travail, en même temps que l'identification d'éléments communs les rendent très enrichissantes. S'y ajoute l'intérêt de se retrouver tout en voyant les autres évoluer.
Alors qu'auparavant, j'avais suivi assez peu de formations, j'en suis actuellement plusieurs : en plus du cycle interministériel de management de l'État, un programme spécifiquement dédié aux cadres femmes et une formation sous coaching. Chaque fois, j'y apprends des choses nouvelles ; le résultat final est plutôt pertinent.
Ces formations ne devraient-elles pas intervenir plus tôt dans la carrière ? Par ailleurs, les participants au vivier ne pourront peut-être pas tous évoluer à la suite de la formation ; comment ce point est-il géré ?
Je pense que ces formations interviennent à un bon moment : le tournant de la quarantaine est une étape-clé dans l'orientation d'une carrière. Par ailleurs la formation est utile même si elle ne débouche pas dans l'immédiat sur un poste de directeur d'administration centrale.
La formation que je suis arrive aussi à un bon moment pour moi. Je pense qu'elle est l'occasion pour mon directeur général, qui me l'a proposée, de me signaler pour un éventuel poste de direction.
Pour moi aussi, la formation est arrivée à un bon moment. Celle que j'ai suivie était animée par une coach professionnelle et son déroulement suivi par un responsable administratif dépendant du secrétariat général du Gouvernement. Pendant les petits-déjeuners, l'alliance entre un ancrage administratif et l'utilisation de méthodes ad hoc par un coach extérieur m'a paru très bénéfique. Pouvoir bénéficier d'une telle formation après 15 ou 20 ans de carrière est intéressant. Je trouve cependant dommage qu'il ne soit pas possible de se voir ouvrir plus tôt de telles formules de partage avec les pairs, hors de tout enjeu directement opérationnel. Tout en reconnaissant le grand intérêt de la formation, l'ensemble de la cohorte qui y participait a, en effet, considéré qu'elle intervenait un peu trop tard. Il devrait être possible d'accéder à ce type d'échange, qui permet de comprendre comment résoudre des difficultés de management, après 3 ou 4 années de carrière.
Que pensez-vous du système d'évaluation appliqué aux fonctionnaires ? Quelles améliorations pourraient y être apportées ?
Il existe deux sortes d'évaluations, l'une réservée aux directeurs d'administration centrale et l'autre aux autres hauts fonctionnaires d'autorité.
Dans le deuxième cas, tout en étant adapté aux fonctions exercées, le dispositif d'évaluation est très proche du dispositif d'évaluation de l'ensemble des agents, avec notamment un entretien avec la personne évaluée.
Dans le cas des directeurs d'administration centrale, l'évaluation est formalisée non pas dans le cadre d'un entretien mais par une lettre d'objectifs, et est corrélé à une part variable de rémunération.
Oui.
Au ministère des affaires étrangères, une forme d'évaluation à « 360 degrés » a été mise en place depuis 2006. D'abord utilisée pour les ambassadeurs, elle a progressivement été élargie aux directeurs d'administration centrale, aux sous-directeurs – depuis trois ans – et est actuellement en cours d'application à l'adjoint direct de l'ambassadeur lorsque l'effectif de l'ambassade est supérieur à 50.
Désormais, un collège d'évaluateurs – trois anciens ambassadeurs – reçoit l'ensemble des évaluations, et en rédige une synthèse ; cet instrument est considéré comme une aide à la connaissance du mode de management du personnel d'encadrement.
Une partie de la fiche est réservée à l'expression des collaborateurs. Ceux-ci doivent cocher 25 cases environ, et disposent d'un espace de libre expression. En contrepartie, il a fallu garantir l'anonymat de l'expression sur les fiches « 360 degrés » car les collaborateurs s'y expriment sur la façon de manager de leurs supérieurs.
Jusqu'ici, je n'ai connu que les méthodes très classiques d'évaluation ; dans ce cadre, ce qui est dit me paraît plus important que ce qui est écrit. La démarche dite à « 360 degrés » me semble permettre d'obtenir un vrai retour des collaborateurs, des pairs et des supérieurs, et me semble plus intéressante que le dispositif actuel, qui est très formel et qui dépend beaucoup du notateur.
Quelle est votre opinion sur la proposition de ne pas prendre en compte les passages en cabinet ministériel au titre de la mobilité ?
Lorsque j'ai été affecté en cabinet, j'avais déjà effectué ma mobilité. Je serais néanmoins partisan de ne pas prendre en compte les passages en cabinet au titre de la mobilité : quelle que soit son utilité pour l'administration, cette expérience est de nature très différente d'une expérience administrative.
Pour revenir aux questions sur la formation, ce qui me paraît essentiel dans les formations organisées est la diversité de points de vue. À mon sens, l'État et la fonction publique ont intérêt à disposer d'une grande diversité de profils, de façon à bénéficier d'une certaine complémentarité et éviter la culture unique.
Quel est votre sentiment sur la formation continue organisée par l'École nationale d'administration ?
Quoi qu'ayant régulièrement consulté, avec intérêt, le catalogue de formations de l'ENA, je n'en ai suivi aucune. L'intérêt du vivier, c'est qu'il oblige chacun à y procéder ; j'ai découvert que j'étais capable de m'arrêter une journée par semaine pour suivre une formation et d'en tirer un retour sur investissement, ce que je ne croyais pas forcément possible.
Ce catalogue de formations est utilisé dans le plan de formation du ministère.