La commission examine le rapport d'information de la mission d'évaluation et de contrôle (MEC) sur la formation continue et la gestion des carrières dans la haute fonction publique (MM. Jean Launay et Michel Zumkeller, rapporteurs).
Mes chers collègues, nous examinons ce matin le rapport de l'une des trois missions d'évaluation et de contrôle que nous avons menées cette année : celle qui portait sur la formation continue et la gestion des carrières dans la haute fonction publique, sujet proposé par Jean Launay, que j'en remercie.
Monsieur le président, mes chers collègues, le 20 janvier dernier, la Commission des finances a confié à la mission d'évaluation et de contrôle (MEC) une réflexion sur les enjeux de la formation continue et de la gestion des carrières dans la haute fonction publique. Nous vous remercions d'avoir accepté cette proposition, née pour ma part de mon expérience à l'Institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN) – où j'ai pu apprécier le modèle militaire de formation des cadres – mais aussi du souci de mener une réflexion transversale sur cette question.
Alors que le Gouvernement a exprimé, pour 2016, l'ambition de mettre en place une nouvelle gestion des ressources humaines de l'État, il nous a paru important de nous saisir de ce sujet qui constitue l'une des conditions de l'efficacité des politiques publiques. Plus les contraintes budgétaires sont fortes, plus la fonction publique se doit d'être efficace ; et cet impératif concerne tout particulièrement l'encadrement. Plus que jamais, il faut bien choisir et bien former les hommes et les femmes qui devront prendre des décisions qui engagent notre avenir.
C'est dans cette optique que nous avons travaillé, Michel Zumkeller et moi-même, en nos qualités respectives de commissaires aux lois et aux finances. Le rapport que nous vous présentons ce matin découle classiquement d'auditions nombreuses, ainsi que des compléments écrits apportés par certaines des personnes auditionnées.
Nous avons formulé une vingtaine de propositions, d'importance inégale, mais qui visent toutes à donner aux pouvoirs publics les moyens de répondre, aujourd'hui et demain, à trois besoins fondamentaux de l'État : recruter et affecter ; former ; enfin et surtout distinguer et promouvoir ses talents.
La première question que nous nous sommes posée est celle de l'identification, de la formation et de l'accompagnement des fonctionnaires futurs cadres dirigeants de l'État.
Des outils sont déjà été développés. L'un des apports de nos travaux est précisément d'évaluer la mise en place progressive, depuis 2010 et par trois Premiers ministres successifs, des procédures qui visent à professionnaliser le recrutement et à systématiser l'évaluation des agents comme l'entretien professionnel, la revue des carrières, ou encore les plans managériaux des ministères, la constitution du vivier des cadres dirigeants et les comités d'audition préalables aux nominations. Il a notamment été recouru à cette dernière procédure pour nommer la nouvelle directrice générale du Trésor.
Comment cette démarche de professionnalisation de l'encadrement supérieur et dirigeant de l'État fonctionne-t-elle, et comment pourrait-elle être encore améliorée ?
La première réponse, à court et à moyen terme, réside dans la consolidation du dispositif créé par la circulaire de 2010 : progressivement, le vivier des futurs cadres dirigeants – dans lequel l'administration va pouvoir puiser en fonction des besoins de nomination – prend sa place.
Il comprend à ce jour près de 650 membres, 650 hauts fonctionnaires considérés comme possédant, ou comme susceptibles de développer, les compétences ou les aptitudes exigées de l'encadrement supérieur et dirigeant de l'État. L'inscription au vivier est mise en oeuvre par la mission « cadres dirigeants » du secrétariat général du Gouvernement. Dans le cadre de la revue des carrières, les ministères identifient et sélectionnent ces hauts fonctionnaires sur la base d'un référentiel des compétences ; ils proposent leur inscription à la mission, qui soumet les hauts fonctionnaires pressentis à une évaluation. Depuis 2015, celle-ci s'appuie sur l'expertise d'un cabinet extérieur de conseil en ressources humaines, que nous avons pu rencontrer. Le comité des secrétaires généraux des ministères, présidé par le secrétaire général du Gouvernement, se prononce ensuite sur l'inscription au vivier.
Les hauts fonctionnaires admis suivent le cycle interministériel de management de l'État (CIME), programme de formation destiné à les préparer à l'exercice des fonctions de cadre dirigeant, qui comprend un coaching, des rencontres entre pairs et des formations.
Le vivier des futurs cadres dirigeants recueille aujourd'hui des appréciations assez largement positives. Mais nos travaux montrent que des interrogations subsistent sur sa portée effective. Celles-ci portent aussi bien sur son format que sur son rôle dans le recrutement de l'encadrement supérieur de l'État. De surcroît, certains observateurs mettent en cause la transparence des conditions dans lesquelles les hauts fonctionnaires peuvent prétendre y être admis. C'est pour aider à lever ces hypothèques que le présent rapport comporte quatre propositions visant à étayer cet outil de sélection des hauts potentiels.
Nous proposons d'abord de consolider les moyens de la mission « cadres dirigeants ». Ce service du secrétariat général du Gouvernement disposait, à la fin de l'exercice 2015, de sept emplois et de 1,1 million d'euros ; cette dotation est stable depuis 2012. Cette mission doit avoir les moyens d'assumer pleinement les multiples tâches qui lui incombent, notamment la mise en oeuvre des procédures de sélection et d'accompagnement des hauts potentiels.
Notre deuxième proposition porte sur la taille du vivier et les modalités d'admission en son sein. Les besoins avérés de qualification et d'objectivisation de l'inscription ont conduit la mission « cadres dirigeants » à restreindre le nombre des hauts fonctionnaires admis depuis 2015. Nous approuvons cette sélectivité nouvelle qui permet d'une part de s'assurer de l'adéquation des profils et d'autre part de donner aux membres du vivier de réelles perspectives de carrière. Le pire serait de laisser prospérer l'idée que ce vivier est un marais… Il faut donc garantir un accompagnement en rapport avec la réalité des postes offerts. Nous préconisons cependant le réexamen systématique de la situation des membres du vivier en leur appliquant à tous les procédures d'évaluation – assessment, en anglais – actuellement en vigueur.
Dans ce même souci d'une objectivisation des conditions d'appartenance au vivier, nous considérons comme indispensable l'institution d'un appel à candidatures, afin de garantir la transparence des modalités de l'admission en son sein. En effet, les pratiques d'évaluation peuvent différer entre les ministères et, en conséquence, affecter l'identification des hauts potentiels. Il convient donc de réduire autant que possible la part d'aléa que peut comporter la sélection ministérielle.
Enfin, pour être efficace, l'inscription dans le vivier doit exercer une influence sur le devenir de ses membres. En application de la circulaire du Premier ministre du 3 mai 2013, les ministères sont tenus d'adresser au secrétariat général du Gouvernement trois propositions pour la nomination à un emploi vacant ; celles-ci comprennent au moins un candidat de chaque sexe et au moins un candidat figurant dans le vivier ministériel. Nous proposons d'augmenter ce dernier chiffre. Notre propos n'est pas d'instituer une sorte de droit à nomination de ceux qui appartiennent au vivier des futurs cadres dirigeants, mais de donner à ses membres la possibilité d'être mieux identifiés, à l'échelle interministérielle, comme susceptibles d'occuper des emplois vacants, y compris en dehors du périmètre de leur affectation.
D'après les chiffres communiqués par la mission « cadres dirigeants », les hauts fonctionnaires du vivier des futurs cadres dirigeants occupent une place croissante au sein de l'encadrement supérieur et dirigeant de l'État. Pour ce qui est des emplois à la décision du Gouvernement, la part de ses membres est ainsi passée de 18 % des nominations en 2012 à 23 % en 2015. Il faut conforter cette dynamique.
Nous avons souhaité prolonger la réflexion en évaluant l'apport d'autres méthodes qui visent à donner tout son sens, pour l'encadrement dirigeant et supérieur, à la notion de parcours professionnel.
En ma qualité d'auditeur de plusieurs sessions de l'IHEDN, j'ai pu mesurer quelle force les armées françaises pouvaient tirer de leur gestion des ressources humaines. L'identification et la sélection des hauts potentiels en leur sein reposent sur deux principes cardinaux.
Le premier principe est celui d'une sélection exigeante et progressive, en rapport avec les aptitudes démontrées et les savoir-faire acquis. La carrière militaire compte trois grandes étapes qui, au sortir des écoles de formation initiale, mêlent étroitement service actif et formation professionnelle continue. Après une première phase d'enseignement militaire de premier degré (EMS 1), les jeunes officiers entrent sur concours à l'École de guerre, entre 33 et 35 ans, ce qui correspond pour l'essentiel à l'enseignement militaire du deuxième degré (EMS 2) ; l'enseignement militaire de troisième degré (EMS 3) vise à apporter aux officiers, à compter de l'obtention du grade de colonel, un élargissement de leurs connaissances dans les domaines de la politique militaire et de l'emploi des forces. Il existe, à ce niveau, un brassage avec d'autres personnes issues de la société civile. Les très hauts potentiels suivront les sessions de l'IHEDN puis, éventuellement, celles du Centre des hautes études militaires (CHEM).
Le second principe est celui de la structuration des parcours individuels, avec une progression dans les responsabilités et une ouverture professionnelle. D'une part, les armées organisent, en général, un suivi individualisé à l'issue de l'École de guerre. D'autre part, une gestion prévisionnelle des emplois très active permet le renouvellement de l'encadrement supérieur tout en rendant possible les réorientations, dans l'intérêt même du service et des personnels.
Certes, comparaison n'est pas raison : la hiérarchie militaire présente des caractéristiques singulières, tant du point de vue de la démographie que du déroulement des carrières. Mais il est incontestable que des enseignements peuvent être tirés de ce que notre rapport appelle le « modèle militaire » pour apporter des réponses à moyen et à long terme aux questions de l'encadrement supérieur et dirigeant de l'État.
Nous proposons ainsi, en nous inspirant du modèle de l'École de guerre, la création d'une école supérieure de management public. Cet établissement aurait pour mission de former les très hauts potentiels ayant exercé des responsabilités leur permettant de prétendre à l'encadrement supérieur et dirigeant de l'État.
L'école recruterait de huit à dix ans après la première affectation suivant la fin de la scolarité à l'École nationale d'administration (ÉNA). L'admission en son sein pourrait reposer sur un examen professionnel et faire une place à la validation des acquis de l'expérience professionnelle. Cette formation, mêlant une préparation à l'exercice de compétences managériales et l'acquisition de compétences plus techniques, marquerait une première étape dans la reconnaissance des futurs cadres supérieurs et dirigeants de l'État.
Fondée sur l'exemple de la sélection des membres de l'encadrement supérieur des trois armées, une autre de nos propositions envisage un véritable cursus qui lie progression dans les responsabilités et ouverture à des problématiques plus générales et stratégiques. Après la scolarité à l'école supérieure de management public, le parcours des hauts potentiels devrait passer par des sessions de formation construites sur le modèle et avec les objectifs de celles organisées par le CHEM. Celui-ci accueille chaque année une trentaine d'officiers, dont six officiers provenant de pays alliés proches ; la formation porte sur les aspects stratégiques des domaines politico-militaire, opérationnel et de la préparation de l'avenir. Elle accorde également une large place aux aspects interministériels et internationaux des questions de défense.
Afin d'assurer le renouvellement de la haute fonction publique après-guerre, l'ordonnance du 9 octobre 1945 avait établi un dispositif de formation fondé sur trois piliers : les instituts d'études politiques, l'ÉNA mais aussi le Centre des hautes études administratives (CHEA). L'article 10 de l'ordonnance donnait notamment pour mission à ce dernier de « [parfaire] la formation nécessaire à l'exercice de hautes fonctions publiques ». Le CHEA a été supprimé en 2007. Nous ne recommandons pas sa reconstitution mais il importe que, dans l'offre de formation destinée aux hauts fonctionnaires, il existe un cadre institutionnalisé pour le partage des expériences professionnelles et l'échange de vues sur des problèmes généraux et stratégiques. Dans la mesure où ces questions intéressent l'ensemble des collectivités publiques, cette instance – qui pourrait être l'ÉNA – accueillerait des agents des deux autres versants de la fonction publique et des États de l'Union européenne.
Nous nous sommes également penchés sur la question du recrutement et de l'affectation des hauts fonctionnaires de l'État : la diversification des profils est un élément de la réponse aux exigences de politiques publiques et d'organisation de plus en plus complexes.
La formation initiale et le début des carrières représentent une période décisive qui doit permettre l'identification des compétences et des potentiels, ce qui exige notamment la mise en oeuvre de procédures d'affectation transparentes et interministérielles. C'est la raison pour laquelle les réformes des concours d'entrée à l'ÉNA et à l'École polytechnique et de leurs scolarités méritent une attention toute particulière.
Mais la diversification des profils n'est pas qu'affaire de postes offerts à l'issue d'un concours : elle implique une réelle promotion de l'égalité et de la diversité. C'est pourquoi nous jugeons nécessaire la fixation d'un objectif de présentation de dossiers d'inscription en classes préparatoires d'élèves à fort potentiel issus de lycées établis en zone d'éducation prioritaire. Par ailleurs, la sous-féminisation des écoles publiques d'ingénieurs prive l'État de nombreux jeunes talents ; c'est pourquoi nous recommandons la généralisation des démarches pédagogiques engagées dans les lycées afin de favoriser une augmentation de la proportion de femmes dans les classes préparatoires scientifiques.
Le deuxième impératif est celui de la formation, autour de l'acquisition d'une culture professionnelle ouverte, de la transmission de savoir-faire techniques et du renouvellement des compétences. À cette fin, notre rapport présente sept propositions qui visent à faire plein usage de dispositifs aujourd'hui peut-être insuffisamment exploités ainsi qu'à systématiser certaines pratiques. Je pense par exemple au tutorat, ainsi qu'aux formations à la prise de poste, dont nous prônons la généralisation. Le rapport appelle aussi au développement des bilans de compétence. En effet, tout commanderait de faire de la formation continue un instrument de promotion dans le déroulement des carrières mais, par manque d'intérêt ou de temps, les hauts fonctionnaires n'utilisent pas suffisamment l'offre de formation qui leur est destinée.
C'est sur la base de ce constat que nous estimons nécessaire d'inciter les cadres supérieurs de l'État à suivre des formations en management. Il est également nécessaire de résoudre la question de la différence de coûts de l'accès aux formations entre les ministères.
Les modalités pratiques de l'accès à la formation continue constituent une question essentielle. Il conviendrait d'établir une répartition des rôles efficace entre les différents opérateurs susceptibles de concourir, à un moment ou à un autre de la vie professionnelle des hauts fonctionnaires, à l'acquisition de compétences métiers ou de savoir-faire plus généraux. Nous appelons donc à un renforcement des liens entre les écoles de formation initiale et continue des trois versants de la fonction publique, mais aussi à une meilleure coordination des offres de formation continue entre l'ÉNA, Polytechnique et les autres organismes de formation destinés aux hauts fonctionnaires. Il est également nécessaire, naturellement, d'en évaluer les coûts.
Dans notre réflexion sur l'attractivité des carrières, je commencerai par insister sur la question de l'exercice de fonctions au sein des cabinets ministériels.
En 2015, on comptait 495 équivalents temps plein dans les cabinets. Chacun sait ici la part que les collaborateurs directs des membres du Gouvernement prennent dans le fonctionnement des administrations centrales. Leur rôle peut d'ailleurs inspirer des jugements contrastés, tant du point de vue de la continuité de l'action de l'État que de l'efficacité des politiques publiques. Par ailleurs, une promotion prématurée à la suite d'un passage en cabinet n'est pas sans risque et bouscule la structuration des parcours de carrière.
Cette période formatrice dans la vie professionnelle d'un haut fonctionnaire ne saurait conduire à des pratiques préjudiciables à une véritable évolution de carrière. C'est la raison pour laquelle nous jugeons nécessaire de mieux encadrer le passage en cabinet ministériel. Nous proposons donc que cette période ne compte pas pour la mobilité statutaire prévue par certains corps et que la durée des services effectifs requis des hauts fonctionnaires pour pouvoir devenir membre d'un cabinet soit fixée à six ans.
L'attractivité des carrières renvoie aussi à la mobilité – interministérielle, à l'intérieur de la fonction publique ou vers le privé – qui constitue l'un des principaux vecteurs de l'enrichissement des parcours professionnels pour les hauts fonctionnaires.
Or, de nombreux obstacles demeurent – différences de rémunérations entre les ministères, crainte d'être « placardisé » au retour. De réels efforts pour mettre un terme à ces difficultés ont été entrepris, mais nous recommandons vivement de poursuivre dans cette voie. Afin de faciliter la mobilité entre les trois versants, notre rapport recommande, en particulier, l'alignement du taux de contribution aux charges de pension versé par une collectivité lorsqu'elle emploie un fonctionnaire de l'État en détachement sur celui versé quand elle emploie un fonctionnaire territorial.
Nous sommes également convaincus que la haute fonction publique gagne à développer les passerelles public-privé, en exploitant pleinement les possibilités offertes par les textes statutaires en vigueur. Mais il ne saurait être question pour les hauts fonctionnaires de s'affranchir des principes déontologiques ; de ce point de vue, la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie des fonctionnaires a établi un cadre relativement strict. Cette question va d'ailleurs être discutée au cours de l'examen du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
L'allongement des vies professionnelles pose enfin le problème de la valorisation des troisièmes parties de carrière. Nous encourageons ainsi la généralisation de certaines pratiques constatées dans des ministères consistant à proposer des missions de conseil à haut niveau d'expertise ou de tutorat. Un tel titre devrait être officiellement créé et intégré au répertoire interministériel des métiers et une formation permettant la reconversion de l'intéressé devrait être instituée.
Enfin, je voudrais insister sur la féminisation de l'encadrement supérieur de l'État. Le législateur a fixé des obligations et des objectifs volontaristes depuis 2011, que ce soit la loi Sauvadet du 12 mars 2012 ou la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes. Le pouvoir réglementaire en a tiré les conséquences et, aujourd'hui, cette politique porte ces fruits : le taux de primo-nomination de femmes aux emplois de direction et à la décision du Gouvernement a atteint près de 30 % en 2014. L'actualité récente fournit encore un exemple de la féminisation de l'encadrement supérieur et dirigeant de l'État, avec la nomination de Mme Odile Renaud-Basso à la tête de la direction générale du Trésor. Elle est la première femme à la tête de cette administration.
Des disparités persistent toutefois entre les ministères. Nous appelons à une convergence des actions conduites et nous proposons de garantir des moyens efficaces au service de ces politiques.
Il faut, cela apparaît clairement à l'issue de nos réflexions, raisonner de façon transversale : la gestion des ressources humaines de la fonction publique – recrutement des hauts fonctionnaires, formation, système de mobilité, procédures de sélection des cadres dirigeants… – doit revêtir une véritable dimension stratégique et pour cela être guidée par un centre d'impulsion aux compétences élargies, une véritable « DRH de l'État », pour reprendre la formule du Premier ministre en décembre 2015. Or, actuellement, la gestion des ressources humaines de la haute fonction publique d'État répond encore à des logiques ministérielles et à des logiques de corps.
Ce projet de gestion véritablement interministérielle de la haute fonction publique suppose de lever un certain nombre d'obstacles qui résultent de l'accumulation de pratiques désordonnées. C'est le cas en particulier des régimes indemnitaires. Leur grande dispersion a pour effet de faire varier parfois substantiellement d'un ministère à l'autre les rémunérations de hauts fonctionnaires appartenant à un même corps. C'est pourquoi nous encourageons les pouvoirs publics à s'engager plus avant dans la voie de l'harmonisation.
Plus globalement, la réforme ne saurait, selon nous, se limiter à un simple renforcement des fonctions RH au sein des ministères. Nous proposons que le champ des sujets traités au niveau interministériel soit élargi et que certains corps puissent être directement gérés par la future DRH de l'État, sans toutefois que le principe d'un programme spécifique à destination des hauts potentiels et des cadres dirigeants au plus haut niveau de l'État ne soit remis en cause.
Mes chers collègues, notre haute fonction publique doit s'adapter et se moderniser pour répondre au mieux aux besoins du service public. Ce rapport formule des propositions en ce sens, sans prétendre à l'exhaustivité. Ce que nous souhaitons, c'est un projet politique d'ensemble, au service de tous, pour ne pas, selon le mot de Pierre Legendre, substituer à l'indispensable « conscience morale et politique » une simple « correction gestionnaire ».
Merci, chers collègues. La gestion des ressources humaines est un sujet d'une extrême importance pour un État que nous voulons performant.
Jeune stagiaire de l'ÉNA en 1974, je me rappelle que le sous-préfet de Saint-Gaudens m'avait prévenu que, pour faire carrière dans l'administration, il me faudrait « être aspiré par le tuyau des cabinets »… Je n'ai pas tout de suite compris de quoi il me parlait, mais j'ai pu constater par la suite les effets de ce système tout à fait pervers – que l'on parle de réformer depuis des décennies ! Aujourd'hui, un ministre veut à son cabinet quelqu'un du Conseil d'État, de l'Inspection des finances, de la Cour des comptes, éventuellement un ingénieur des Mines ou des Ponts… Ce phénomène alimente une hyperconcentration des nominations sur ceux qui sont issus des grands corps, et plus encore sur ceux qui ont travaillé en cabinet ministériel. On préfère toujours nommer quelqu'un qui sort d'un cabinet plutôt que quelqu'un qui est passé par une école de management ! Je m'empresse d'ajouter que je n'ai jamais moi-même mis les pieds dans un cabinet ministériel –il est vrai que j'ai emprunté une autre voie !
C'est en effet un sujet très grave, mais qui à vrai dire n'intéresse pas grand monde, hélas. Seule l'armée a une vraie gestion des ressources humaines sur le long terme – et les cabinets ministériels y exercent une influence plus que réduite.
À mon sens, messieurs les rapporteurs, vous vous arrêtez en chemin. La question de la construction d'une haute fonction publique méritocratique se pose depuis longtemps – je me rappelle des débats à l'Association des anciens élèves de l'ÉNA, il y a bien trente-cinq ans de cela… Votre proposition n° 16, qui porte sur l'encadrement des passages en cabinet ministériel, ne va pas assez loin. Il faut revenir sur ce système parfaitement aberrant : de jeunes hauts fonctionnaires y passent quelques années, avant de revenir dans leur administration d'origine pour y être nommé avant plus expérimenté qu'eux ! Une partie des meilleurs hauts fonctionnaires, ceux qui ne souhaitent pas s'engager politiquement – ce qui est parfaitement légitime –, se font dépasser, et partent. Vous n'allez pas au bout de votre démarche : à quoi servent, au fond, ces cabinets ministériels pléthoriques ? Quelle démocratie moderne fonctionne de cette façon, avec des cabinets qui font écran entre les responsables politiques et la haute administration ? C'est un système très malsain.
Vous avez laissé de côté une autre question : à quoi peut bien servir aujourd'hui l'École polytechnique ?
C'est une question à laquelle s'est attaché récemment notre collègue François Cornut-Gentille.
C'est une école militaire, dont de temps en temps sort un militaire ! On marche sur la tête. On entend beaucoup critiquer l'ÉNA, mais au moins les anciens élèves de l'ÉNA vont presque tous dans l'administration, et une grande partie y font toute leur carrière. Ce n'est pas le cas de Polytechnique.
Merci de ce très bon travail. Vous partez de l'existant, pour essayer de l'améliorer, à la marge. C'est un parti pris légitime, mais à mon sens, une réforme beaucoup plus radicale est nécessaire. On ne peut se concentrer sur certaines grandes structures – l'ÉNA et quelques autres grandes écoles. Aujourd'hui, une grande partie des élites internationales sont formées à l'université. En France, au contraire, on n'assure pas suffisamment la promotion des docteurs. C'est un point qu'il est très regrettable de passer sous silence. Notre enseignement supérieur, et notamment les universités, a beaucoup à apporter, notamment dans le domaine juridique.
D'autre part, une plus grande mobilité entre le public et le privé me semble nécessaire – dans les deux sens. Comment se fait-il que l'on n'arrive pas à attirer vers le secteur public de grands talents du privé ? Pour faire évoluer notre fonction publique, il faut croiser les cultures, au lieu de les laisser coexister. J'aurais aimé que vous revenir plus longuement sur ces questions.
Votre rapport est remarquable, mais je regrette qu'il laisse ouvertes ces questions.
Pour préparer ce rapport sur la nécessaire mobilité des fonctionnaires, messieurs les rapporteurs, vous avez été aidés des fonctionnaires de l'Assemblée nationale. Ceux-ci sont d'extrême qualité, mais ils ne sont absolument pas mobiles, dans la plupart des cas. Je ne veux pas ici faire le procès de la gestion des ressources humaines à l'Assemblée nationale, mais les compétences et les savoir-faire des fonctionnaires de cette maison justifieraient qu'ils aient également accès à la mobilité.
Quant à la fongibilité des statuts, il faut avancer ! Trop souvent, on se heurte à la capacité d'auto-organisation et de cooptation de certains corps. La fongibilité est possible, mais dans les faits elle n'existe pas : pourquoi un énarque ne peut-il pas devenir directeur d'hôpital ? Et, si l'on peut parfois aller de l'armée vers la haute fonction publique, le chemin inverse est bien plus difficile. Pourquoi les affaires immobilières sont-elles gérées au ministère de la justice par des magistrats, au ministère des affaires étrangères par des ambassadeurs ? Je rêverais d'un corps interministériel de la gestion immobilière.
Nous vivons dans un monde de plus en plus connecté, et l'ouverture extérieure est de plus en plus nécessaire. Allonger la durée des stages en entreprise à l'ÉNA me paraît une bonne idée, mais ces stages devraient en outre se dérouler souvent à l'étranger. Il faudrait également accueillir plus d'étrangers, en particulier francophones, dans nos formations.
Enfin, pardonnez-moi de poser une question de Béotien : quel est le coût de ces formations ? Il me semble avoir lu qu'une formation à l'ÉNA coûtait au contribuable – c'est-à-dire aussi aux ouvriers qui travaillent en usine – quelque 250 000 euros. La Nation doit recevoir un service en retour de cet investissement important. L'obligation de passer dix ans au service de l'État est-elle respectée ? Si l'on dépense beaucoup d'argent pour former un jeune polytechnicien et que celui-ci file aussitôt travailler pour une start-up américaine, c'est une perte sèche. Or je lis que 17 % seulement des anciens élèves de l'École polytechnique rejoignent la fonction publique de l'État.
Je connais peut-être mal le sujet, mais les propositions du rapport me paraissent, au contraire, plutôt ambitieuses : autant le dire tout de suite, nous ne sommes pas à la veille de la mise en place d'une « DRH de l'État » !
J'aurais aimé savoir dans quels types d'entreprises les élèves de l'ÉNA accomplissent leurs stages : vont-ils dans des PME, vont-ils en province, vont-ils dans des entreprises de l'économie sociale et solidaire (ESS) ? Avez-vous déjà réfléchi aux suites qui pourraient être données à ce rapport ? Y a-t-il un véhicule législatif adapté, ou toutes les mesures sont-elles d'ordre réglementaire ?
Vous me pardonnerez mon iconoclasme : je n'appartiens pas à la caste des hauts fonctionnaires – car c'est bien d'une caste souvent consanguine qui tient notre pays qu'il faut parler. Le fonctionnement de l'Agence des participations de l'État (APE) le montre très bien. Pourquoi y a-t-il un mur dressé entre le secteur public et le secteur privé ? C'est regrettable, et cela n'existe pas partout. Permettre à des gens venus de l'entreprise de prendre des responsabilités dans le secteur public nous amènerait à réfléchir autrement. Il faut remédier à l'omnipotence de la technostructure, progressivement bien sûr : il n'est pas ici question de dire que les hauts fonctionnaires font mal leur travail. Mais faire venir des gens de l'extérieur permettrait de renouveler les pratiques.
Il faut tout de même commencer par rappeler que l'administration publique française est compétente, loyale, républicaine, et que bien des pays nous l'envient. Le sujet abordé par la mission d'évaluation et de contrôle ne peut pas se résumer au rôle des cabinets ministériels – et, au demeurant, il faut choisir entre le rejet des cabinets et celui de la technostructure.
Mon expérience est particulière : j'ai d'abord été assistant social, puis, alors que j'étais devenu permanent d'une organisation syndicale réformiste, j'ai passé le concours interne de l'ÉNA. J'ai intégré à la sortie un grand corps de l'État, puis très rapidement un cabinet ministériel… et permettez-moi de vous dire que, de temps en temps, on y fait de bonnes choses : ce n'est pas la direction de la sécurité sociale qui aurait proposé l'instauration du RMI ou de la CSG ! Un équilibre est nécessaire entre la technostructure et le pilotage politique. Les effets pervers de notre système existent, c'est un constat que nous partageons. Mais il ne faut pas oublier tout ce qui est positif.
L'investissement consenti dans la formation initiale est important, c'est vrai, et il est légitime de s'interroger sur sa pertinence. Notre pays a des traditions : si l'ÉNA ne remonte qu'à l'après-guerre, on retrouve parfois dans les grands corps des éléments qui remontent à l'Ancien Régime… Notre pays n'aura pas du jour au lendemain une fonction publique à l'anglo-saxonne, mais nous pouvons évoluer.
Le rapport aborde le problème crucial de la troisième partie de carrière. On entre jeune dans la fonction publique, et on travaille souvent énormément en début de carrière. Mais, hors les grands corps et les inspections, l'État ne sait pas organiser les fins de carrière. Cela concerne un nombre important de hauts fonctionnaires, après 45 ou 50 ans. Beaucoup n'arrivent pas jusqu'en haut de la hiérarchie ; ils finissent par exercer des missions d'expertise ou de tutorat, voire par être payés à ne rien faire, ce qu'on ne peut d'ailleurs pas leur reprocher. La façon dont les ministères sont structurés crée un véritable, un immense gâchis humain. À Bercy, le cimetière des éléphants, c'est le contrôle d'État…
L'État ne sait pas, aujourd'hui, construire des carrières de façon intelligente pour plus de vingt ans. Il faut réfléchir autrement sur les tâches et les missions : trop de fonctionnaires compétents et expérimentés sont aujourd'hui sous-employés. Ralentir les déroulements de carrière, en passant de vingt à vingt-cinq ans, ne réglera pas tout le problème. Et les promotions de l'ÉNA étaient, au début des années 1980, pléthoriques ! Mais ce n'est plus le cas aujourd'hui.
Par ailleurs, hors le ministère de la défense, il n'y a pas de préparation à l'exercice des plus hautes responsabilités. Ayant été directeur du cabinet du ministre de l'éducation nationale au début des années 1990, je rappelle que n'étaient nommés recteurs que des professeurs d'université. Nous avions alors l'idée de créer un institut des hautes études de l'éducation nationale pour assurer une formation préalable à ce type de nomination. Professeur d'université, recteur, ce sont des responsabilités tout de même très différentes.
Nous avons en effet adopté volontairement une démarche pragmatique, voire modeste ; nos propositions, qui s'inspirent pour beaucoup du modèle militaire, visent à améliorer la situation. Mais, monsieur de Courson, il n'est pas vrai que les gouvernements successifs ne s'intéressent pas à la gestion des carrières des hauts fonctionnaires.
Je partage les interrogations sur le rôle des cabinets ministériels qui se sont exprimées. Plus largement, une réflexion sur le fonctionnement de nos institutions serait nécessaire : car il existe des cabinets ministériels, mais aussi un cabinet à Matignon, et un autre à l'Élysée.
Il ne s'agissait pas d'écrire un énième rapport sur l'ÉNA ou sur Polytechnique, même si nous traitons aussi des changements en cours dans l'une et l'autre école. En revanche, nous avons voulu mettre en avant les leçons à tirer du modèle militaire. L'armée est elle-même de plus en plus soucieuse d'interministérialité : les échanges sont plus nourris. Tous les hauts fonctionnaires doivent d'ailleurs être animés d'un esprit de défense.
Sur la question des relations entre le public et le privé, on ne saurait trop souligner l'importance du croisement des cultures, ni insister trop sur la nécessité d'une plus grande mobilité, entre les ministères, entre les fonctions publiques, et au-delà. S'agissant de la qualité des fonctionnaires parlementaires, je ne peux que vous rejoindre, monsieur Terrasse ; vous avez aussi raison de dire qu'ils pourraient se voir offrir plus d'occasions de mobilité. Monsieur Goua, vous avez parlé de caste et de consanguinité. Ce sont des mots forts. C'est une impression que nous avons pu ressentir nous aussi : l'image renvoyée par Bercy, par exemple, est souvent celle d'un État dans l'État.
Mais vous prenez comme référence le ministère de la défense… Or c'est une véritable citadelle !
On pourrait évoquer, à un moindre degré, le ministère des affaires étrangères. Nous assumons en tout cas la volonté de mener une politique de petits pas. Nous ne sommes pas des Don Quichotte : nos propositions sont concrètes et pragmatiques.
J'approuve tout ce qui vient d'être dit. Notre rapport ne vise nullement à remettre en cause la qualité de la haute fonction publique, qui est grande ; il pointe, en revanche, une nécessité de décloisonnement, tant entre les différentes fonctions publiques qu'entre le secteur public et le secteur privé. En cela, notre fonction publique est à l'image de notre pays, qui a besoin d'évoluer et de s'ouvrir.
Il est très bon que des hauts fonctionnaires partent dans le privé. Toutefois, il faut prendre en compte deux limites : celle de la déontologie, car le mélange des genres peut être dangereux, et celle résultant des différences de rémunérations, si l'on veut attirer des cadres du privé.
Je voudrais préciser que l'une des qualités de l'évolution des carrières au sein du ministère de la défense, c'est aussi que l'on ne commence jamais tout en haut de l'échelle : tous les généraux ont exercé d'abord des fonctions subalternes. Nous ne prônons pas, vous l'avez compris, une révolution, mais une évolution.
Je précise enfin que je ne suis pas revenu sur certains aspects du sujet : la multiplication des instituts de hautes études dans les ministères, par exemple, ou le rôle des inspections générales comme « cimetières des éléphants », pour reprendre les termes employés par Dominique Lefebvre. La question des fins de carrière est, en effet, essentielle.
Il n'y aura pas d'amélioration de la gestion des carrières sans réflexion sur les compétences et les emplois. À l'heure du bilan de la promotion de l'ÉNA 1984-1986, à laquelle j'ai appartenu, je peux vous dire que beaucoup ne sont parvenus ni aux grands corps, ni aux inspections, ni au contrôle d'État… Il y a là un gâchis humain, et un gâchis de compétences.
En application de l'article 145 du Règlement, la commission autorise, à l'unanimité, la publication du rapport de la mission d'évaluation et de contrôle sur la formation continue et la gestion des carrières dans la haute fonction publique.
Membres présents ou excusés
Réunion du mercredi 8 juin 2016 à 11 heures
Présents. - M. Éric Alauzet, M. Jean-Claude Buisine, M. Gilles Carrez, M. Jérôme Chartier, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Alain Fauré, M. Marc Goua, M. Patrick Hetzel, M. Jean Launay, M. Dominique Lefebvre, M. Marc Le Fur, Mme Christine Pires Beaune, Mme Monique Rabin, Mme Eva Sas, M. Pascal Terrasse, M. Michel Vergnier, M. François-Xavier Villain
Excusés. - M. Alain Claeys, M. Marc Francina, M. Jean-Claude Fruteau, M. Joël Giraud, M. Jean-Pierre Gorges, M. Victorin Lurel, Mme Valérie Rabault, M. Philippe Vigier, M. Laurent Wauquiez
Assistait également à la réunion. - M. Michel Zumkeller