Intervention de Philippe Duron

Séance en hémicycle du 19 juillet 2016 à 15h00
Régulation responsabilisation et simplification dans le secteur du transport public particulier de personnes — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Duron :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous sommes saisis aujourd’hui traite d’un sujet très sensible dans notre société depuis plus de vingt ans : la question du transport public particulier de personnes, que l’on connaît depuis toujours par ses représentants historiques, les taxis.

C’est en 1994 qu’apparaît la première crise majeure du secteur. Une clientèle en berne et un nombre pléthorique de conducteurs exacerbent la concurrence : la profession accuse un lourd déficit d’image et de grandes difficultés économiques. Charles Pasqua, alors ministre de l’intérieur, dépose un projet de loi visant à moderniser et revaloriser la profession.

Parmi les principales mesures de ce texte figurent la limitation de l’accès à la profession, avec la généralisation du certificat de capacité professionnelle et, surtout, la cessibilité des licences, qui permet à tout artisan de revendre son autorisation de stationnement cinq ans après l’avoir achetée, ou quinze ans après l’avoir obtenue gratuitement.

Cette loi atteint son but, celui de limiter l’accès à la profession, mais bien au-delà de ce qui était nécessaire. Le numerus clausus qu’elle instaure conduit à une raréfaction des taxis, dont le nombre par habitant apparaît très faible au regard de ce que l’on constate dans les grandes métropoles occidentales, à Londres, à New York ou ailleurs. De même, elle entraîne une bulle spéculative sur la revente des licences, qui peuvent atteindre 200 000 euros à Paris et 400 000 euros sur la Côte d’Azur !

Le rapport Attali de janvier 2008 consacre un changement de stratégie. Entendant résoudre cette question, il propose de libéraliser le secteur, en mettant notamment fin au numerus clausus des taxis, arguant que depuis 1981, 8 000 licences supplémentaires auraient dû voir le jour pour satisfaire la demande. Inquiet des suites que le gouvernement d’alors pourrait donner à ces préconisations, le secteur entame une mobilisation nationale, qui conduira François Fillon à y renoncer – provisoirement du moins.

Ces mesures seront en effet transposées quelques mois plus tard, dans la loi Novelli du 22 juillet 2009 de développement et de modernisation des services touristiques. Apparaît pour la première fois la dénomination des véhicules de tourisme avec chauffeur, les VTC, qui visent à remplacer les anciennes grandes remises, c’est-à-dire les voitures avec chauffeurs pour des trajets longs ou coûteux.

La loi encadre cette nouvelle profession, en précisant la réglementation les concernant. Ainsi, contrairement aux taxis, les VTC n’ont pas le droit de prendre des clients dans la rue – ce que l’on appelle la maraude –, mais doivent avoir fait l’objet d’une réservation préalable. Par ailleurs, ils n’ont pas les mêmes droits que les taxis en termes d’utilisation de la voirie et ne peuvent emprunter les voies de bus.

Pour les taxis déjà durement touchés par la crise économique de 2007, ces quelques contraintes pèsent toutefois peu au vu des avantages dont disposent les VTC, comme l’exonération des très coûteuses licences ou la souplesse tarifaire. Cette déréglementation déstabilise brutalement le secteur car, contrairement au début des années 1990, deux données ont complètement changé : d’une part, le besoin de véhicules de transport public de personnes est très fort, avec une évolution importante de la mobilité des personnes ; d’autre part, le développement très rapide de l’économie digitale et collaborative permet l’intermédiation entre les conducteurs et les consommateurs et fait émerger des acteurs économiques très innovants et réactifs.

On le voit notamment au travers du covoiturage qui exerce une concurrence très forte sur les transports publics, notamment la SNCF, ainsi que, bien sûr, avec les VTC, qui ont facilité l’arrivée de nouvelles voitures dans le secteur du transport public particulier de personnes – T3P – et de nouveaux usages de la mobilité urbaine.

Cette évolution, les taxis peuvent la regretter, la contester.

Il est vrai que l’on a pu constater depuis quelques années une double pression sur les conducteurs : une pression sur les salaires, du fait de la forte croissance de l’offre, qui fragilise les conditions de travail et conduit les conducteurs de taxis comme de VTC à multiplier les heures souvent au-delà du raisonnable, et parfois au détriment des exigences de sécurité ; une pression sur les titulaires récents de licences à titre onéreux, qui voient la valeur de leur fonds de commerce se dégrader rapidement, ce qui menace à terme leur activité, leur niveau de vie et celui de leur famille.

Toutefois, cette évolution n’a pas eu que des conséquences négatives : elle bénéficie aux clients, qui disposent désormais d’un choix beaucoup plus large et peuvent se décider en fonction de la qualité, de la disponibilité et du prix. Elle a aussi permis d’ouvrir le transport urbain à de nouveaux usagers, de satisfaire le besoin croissant de mobilité, et aussi de créer des emplois nouveaux et non délocalisables qui profitent en partie à des jeunes issus des quartiers sensibles. Elle a enfin engagé une évolution positive des taxis, qui ont modernisé leurs conditions d’accueil et de prise en charge, ce qui leur était depuis longtemps demandé.

Cette évolution se doit donc d’être encadrée, non par une remise en cause des VTC, mais par une régulation efficace afin que les taxis puissent continuer à exercer leur activité et que les artisans comme les salariés soient rémunérés convenablement. Tel est le sens du texte qui nous est présenté aujourd’hui et qui constitue la seconde étape de l’action législative que nous menons depuis 2012.

En effet, à la suite de la crise survenue au début de l’année 2014 entre les taxis et les VTC, une première proposition de loi avait été déposée par notre collègue Thomas Thévenoud afin de redéfinir les règles en vigueur dans le secteur du transport routier léger de personnes : cela a abouti à la loi du 1eroctobre 2014. Ce texte, rappelons-le, apportait un premier ensemble de règles claires et stables à un secteur économique en profonde transformation. Il ouvrait une perspective de modernisation des taxis, avec le développement de la « maraude électronique ». Il mettait fin au statut de locataire simple, très pénalisant pour les chauffeurs, et généralisait le droit commun, à savoir le statut de locataire-gérant. Il rendait les licences incessibles et gratuites pour mettre fin à un système de transactions devenu choquant. Il contraignait les VTC à un retour systématique à la base entre chaque course afin que les taxis conservent le monopole de la maraude physique. Il créait un statut d’intermédiaire pour les centrales de réservation, en précisant leurs responsabilités.

Ces avancées, réelles et reconnues, ont permis de corriger les dérives de la loi Novelli de 2009. Néanmoins, elles n’ont pas apporté toutes les réponses attendues et des contournements à la loi ont été observés à de trop nombreuses reprises. Un nouveau conflit social a vu le jour au début de l’année 2016, mené par l’ensemble des conducteurs : ceux des taxis, ceux des VTC, ceux des « LOTI ».

C’est notre collègue Laurent Grandguillaume qui s’est vu confier par le Gouvernement la mission délicate de trouver une issue à cette situation de crise.

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