Intervention de Lionel Tardy

Séance en hémicycle du 19 juillet 2016 à 15h00
Régulation responsabilisation et simplification dans le secteur du transport public particulier de personnes — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLionel Tardy :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission du développement durable, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, « c’est toujours quand les empires s’effondrent que les lois s’y multiplient », disait le romancier Philippe Muray. Avec deux lois en moins de deux ans pour un même secteur, on reconnaît en tout cas la marque d’un gouvernement qui patine.

Oui, cette proposition de loi est la deuxième en moins de deux ans pour tenter d’apaiser les tensions entre les VTC et les taxis qui éclatent régulièrement dans notre pays. En avril 2014, mis devant le fait accompli, le Gouvernement s’était décidé à agir sur cette question il est vrai épineuse. Alors que le problème était latent et géré à coups de petites modifications réglementaires décidées sans concertation, un rapport avait été commandé, rapport qui avait débouché sur une proposition de loi, le tout en l’espace de quelques semaines. De ces délais très courts a forcément résulté une solution partielle du problème – c’est d’ailleurs la position que j’avais exprimée à l’époque en tant qu’orateur du groupe de l’UMP.

Force est de constater que la fameuse loi « Thévenoud » n’a pas réussi, comme nous l’avions prédit, à organiser un cadre concurrentiel équilibré pour le secteur. Que reste-t-il, par exemple, du registre numérique des taxis, qui est géré aux frais de l’État, mais auquel les taxis ne sont pas pour autant obligés de s’inscrire ? Sauf erreur de ma part, le rapport du Gouvernement, qui, selon l’article 3 de la loi Thévenoud, aurait dû être remis le 1er octobre 2015, n’existe toujours pas. L’interdiction de la tarification horokilométrique a été censurée par le Conseil constitutionnel. L’interdiction de la géolocalisation et le retour au dépôt n’ont pas été censurés, mais restent toujours autant contestés. Les bonnes idées, comme la couleur unique pour tous les taxis, à l’instar de ce qui se fait partout ailleurs dans le monde, ont visiblement été oubliées.

Il aurait été utile de commencer par appliquer la loi existante ! Au lieu de cela, le Gouvernement a reproduit exactement le même schéma : grève des taxis, nomination d’un médiateur, remise d’un rapport et nouvelle proposition de loi, que nous examinons aujourd’hui. Certains, en particulier les plateformes, déplorent de ne pas avoir été associés à la concertation.

Cela m’amène à parler d’un vrai problème de méthode. Pourquoi la procédure accélérée a-t-elle été engagée sur cette proposition de loi ? Nous n’aurons sans doute pas, une fois encore, le temps nécessaire pour étudier un texte qui va pourtant bouleverser tout un secteur. Monsieur le secrétaire d’État, je serais curieux d’en connaître les raisons – même si j’ai ma petite idée ! Cette proposition de loi a été déposée le 21 juin dernier et débattue en commission dès le 5 juillet : même en passant sur le fait que la commission des affaires économiques, dont je fais partie, aurait pu être saisie pour avis, ces délais sont tout simplement inacceptables. Et si le Gouvernement nous a habitués à des fins de sessions parlementaires dans la précipitation, avouez que ce texte aurait pu être étudié bien plus sereinement en septembre ! C’est d’autant plus vrai que tous les Français et les médias n’ont d’yeux cette semaine que pour la prorogation – ou pas – de l’état d’urgence, dont nous débattrons ici même ce soir.

Autre problème de méthode, que j’avais déjà déploré lors de l’examen de la proposition de loi Thévenoud : il n’y a pas de vision globale de la part du Gouvernement. Il existe bien une feuille de route parue à la suite de la réunion du 4 avril, mais son articulation avec la proposition de loi est un mystère pour nous : le présent texte arrive soit trop tôt, soit trop tard.

L’une des mesures phares de cette feuille de route, le rachat des anciennes licences de taxi, est absente et renvoyée à la loi de finances. Le dispositif présenté il y a quinze jours par le Gouvernement aux représentants de la profession a été rejeté – à juste titre d’ailleurs, car les modalités de financement du fonds de garantie sont douteuses. Ce fonds serait de 100 millions par an jusqu’à épuisement, ce qui veut dire que ceux qui n’y ont pas eu accès devraient patienter jusqu’à l’année suivante. Il serait financé par une taxe forfaitaire sur les réservations ou par une taxe sur le chiffre d’affaires qui toucherait tout le secteur. Un nouveau problème, une nouvelle taxe : voilà qui nous manquait !

Enfin, s’agissant toujours de la méthode, nous ne voyons pas de diagnostic profond de l’état du marché, ni d’analyse des problèmes au sens large. Une étude d’impact aurait sans doute permis de poser un diagnostic et de légiférer autrement que dans le court terme et l’urgence. Elle nous aurait également permis d’évaluer les effets de la proposition de loi sur l’emploi, sachant que les VTC ont créé des milliers emplois : négliger cet aspect alors que nous comptons plus de 3,5 millions de chômeurs ne serait pas raisonnable. Une étude d’impact nous aurait aussi permis de connaître les apports du texte pour les consommateurs – c’est important, aussi, les consommateurs ! Dans cette affaire, la priorité devrait être la satisfaction du client, s’agissant de la disponibilité des véhicules et du rapport qualitéprix, qui doit être correct, le tout dans le respect de la concurrence.

À défaut de vision globale clairement affichée, il semble que cette proposition de loi tende vers une harmonisation progressive des professions de chauffeur de taxis et de chauffeur de VTC. Ce choix a le mérite d’exister, mais il est très étonnant dans la mesure où ce postulat a été largement validé ces dernières années : les deux professions sont différentes, car les taxis ont le monopole de la maraude.

Preuve de cette philosophie : le texte interdit aux LOTI d’effectuer des services occasionnels de transport de personnes avec des véhicules de moins de dix places dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants !

Je rappelle qu’à l’heure actuelle au moins trois régimes juridiques différents s’appliquent au secteur des transports de personnes : les taxis, qui relèvent du ministère de l’intérieur ; les VTC, qui relèvent de celui chargé du tourisme ; enfin, les LOTI, entreprises de transport public routier relevant du droit communautaire et du ministère des transports.

Cette proposition revient, sans le dire, à préparer l’extinction d’une certaine profession. Afin de ne pas pénaliser l’emploi des salariés, il faut donc que la transition vers le statut de VTC soit rendue facile. L’interdiction, par les centrales, d’appliquer la clause d’exclusivité aux chauffeurs de taxi et la possibilité, pour ces derniers, d’exercer une activité directe avec les clients, sans intermédiaire, va dans le bon sens car elle protège la liberté d’entreprendre à laquelle nous sommes profondément attachés.

De même, l’exigence de sécurité du passager et la vérification de la qualité, de l’intégrité et de la compétence des chauffeurs doivent être respectées, à condition que de telles obligations ne pèsent pas trop lourdement sur des plateformes qui n’ont qu’un rôle d’intermédiaire.

Une approche réaliste vis-à-vis des plateformes a été retenue en commission mixte paritaire sur la loi pour une République numérique, mais je crains qu’il n’en soit pas vraiment de même ici. En réalité, les quelques avancées sont malheureusement contrebalancées par la création de nouvelles barrières.

Là où la loi Thévenoud avait imposé des barrières artificielles, cette proposition de loi en instaure de façon détournée par l’augmentation des charges et des contraintes et par des clauses excessives : j’y reviendrai avec l’examen de l’article 2. À première vue, les dispositions semblent techniques ; en réalité, elles accumulent les lourdeurs pour les entreprises – car il s’agit bien d’entreprises – et donnent la curieuse impression que l’on entend administrer économiquement tout un secteur.

Or la solution, mes chers collègues, est ailleurs. Face à un fonds de commerce, la licence, qui a perdu de sa valeur – les nouvelles licences ne pouvant plus être revendues –, force est de constater que la profession de taxi a tardé à s’adapter, malgré la bonne volonté de certains. Il faut dire que, jusqu’à présent, l’État n’a pas spécialement rendu service aux exploitants en maintenant des barrières et des contraintes pour les protéger. Ces barrières sont en effet en train de céder car elles étaient artificielles et peu pertinentes dans un pays où la liberté de commerce est heureusement un principe non négociable depuis plusieurs siècles.

Du coup, la majorité croit bien faire en déposant des poids de l’autre côté de la balance. L’article 6 de la proposition de loi, qui confiait la mise en place d’une formation et d’un examen communs à l’ensemble du secteur, a été jugé irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution car il représente une charge supplémentaire pour l’État. Mais le Gouvernement veut réintroduire cette disposition par voie d’amendement.

Même si l’harmonisation des conditions d’exercice de ce métier par la mise en place de modules communs est nécessaire pour certains aspects, comme la sécurité, le fait de confier la tenue des examens aux chambres des métiers suscite quand même quelques doutes. Cette disposition induit en effet un changement radical de la pratique actuelle, en vigueur depuis moins de six mois seulement.

Par ailleurs, la fréquence actuelle des examens – deux par an environ – ne paraît pas suffisante au regard du flux des demandes d’entrée dans le marché. S’agirait-il d’instaurer, sans le dire, une restriction de l’accès à la profession de VTC ? Une telle barrière à l’entrée serait inacceptable. Les numerus clausus, quels qu’ils soient, sont à proscrire.

En résumé, cette proposition de loi n’apporte qu’une réponse partielle au défi posé, alors qu’il aurait fallu concilier la lutte contre la concurrence déloyale dans le secteur et la modernisation de la profession de taxi, le tout au bénéfice du consommateur et de l’innovation.

Certaines mesures apparaissent pertinentes au départ, mais elles sont contrebalancées par un surcroît de bureaucratie. Le groupe Les Républicains ne votera donc pas le texte : il s’abstiendra ; à titre personnel, en fonction de l’évolution du texte au cours de nos débats, je me réserve le droit de voter contre.

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