Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Séance en hémicycle du 12 octobre 2016 à 15h00
Statut des magistrats et conseil supérieur de la magistrature - modernisation de la justice du xxie siècle — Présentation

Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice :

Madame la présidente, messieurs les rapporteurs de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, mesdames, messieurs les députés, présentant ce projet de loi devant votre commission le 3 mai dernier, je vous avais indiqué mon état d’esprit. À mes yeux, la justice du XXIe siècle doit être une justice faite pour l’homme. C’est pourquoi j’avais affiché une ambition modeste : ne chercher qu’à améliorer le service public rendu au justiciable. Cela me fut reproché et pourtant, parallèlement, quasiment toutes les nouvelles évolutions qui justifiaient les nombreux amendements du Gouvernement furent combattues, ici à l’Assemblée nationale, ou au Sénat. Le Gouvernement se félicite donc que les amendements qu’il avait initialement déposés aient été rétablis, et en remercie votre commission.

C’est faire oeuvre utile que de mettre fin à des situations de souffrances et de discriminations. En simplifiant et en démédicalisant la procédure de changement de sexe à l’état civil, les personnes transgenre pourront bénéficier le plus rapidement possible de papiers en adéquation avec leur identité. C’est agir dans l’intérêt de tous que de rendre la justice plus lisible. À cette fin, fusionner progressivement les contentieux de la Sécurité sociale dans un contentieux unique confié au pôle social d’un tribunal de grande instance – TGI – départemental permettra d’améliorer la lisibilité du traitement de ces contentieux, aujourd’hui répartis entre plusieurs types de juridictions.

C’est un souci louable que de rendre la justice plus accessible en faisant évoluer le divorce par consentement mutuel. En ne passant plus devant le juge, les époux attendront moins longtemps et les situations se régleront plus rapidement. Les modes alternatifs de règlement des conflits seront favorisés, avec, par exemple, une conciliation gratuite obligatoire pour les litiges de moins de 4 000 euros.

C’est défendre l’intérêt général que de faciliter le quotidien de chacun. Les déclarations de naissance pourront se faire dans un délai de cinq jours au lieu de trois. Cela apporte plus de souplesse aux parents et atténue le risque de devoir recourir à la justice pour avaliser les déclarations tardives.

C’est faire évoluer positivement nos habitudes en cherchant toujours à mieux protéger les plus faibles. Les actions de groupe ayant un socle commun, elles offriront de nouvelles garanties à nos concitoyens de pouvoir agir pour défendre leurs droits. Elles pourront désormais concerner les discriminations, les questions environnementales ou la protection des données personnelles. En supprimant l’homologation des plans de surendettement des particuliers, dont 98 % ne font pas l’objet d’un litige, ces procédures pourront être mises en place plus rapidement.

C’est choisir l’avenir que de soulager les professionnels en les aidant à se recentrer sur leurs missions essentielles. En forfaitisant certains délits routiers, comme le défaut de permis de conduire ou le défaut d’assurance, le fonctionnement des juridictions s’améliorera et la répression des délits concernés sera renforcée. En transférant la gestion du pacte civil de solidarité – PACS – et le contentieux du changement de prénom aux officiers de l’état civil, nous favoriserons un meilleur audiencement des autres contentieux.

C’est respecter nos engagements que de donner la primauté à l’éducation et un sens à la sanction. La suppression des tribunaux correctionnels des mineurs allégera le fonctionnement des juridictions, tout en garantissant une spécialisation de la justice des mineurs, assurance de l’efficacité dans la sanction. Toutes ces avancées, qui ont été combattues ici et là, seront demain consensuelles, tout simplement parce qu’elles relèvent du bon sens.

L’expérience montrera aussi que ce texte aura finalement été novateur dans sa volonté d’engager des réformes de structures. Je suis, en effet, convaincu que l’une des pistes qu’il faudra demain continuer à poursuivre est celle de la déjudiciarisation de bien des contentieux. Nous ne pourrons pas uniquement répondre à l’embolie de la justice pas un accroissement de moyens.

Acceptons ainsi de regarder sans fard la réalité. Comment expliquer cette apparente contradiction entre une justice sans cesse décrite depuis des décennies comme sinistrée et des moyens qui progressent en permanence ? Cela tient d’abord au fait que l’attente vis-à-vis de la justice est immense, peut-être d’ailleurs insatiable, tant il est clair pour tous qu’elle est le lieu de la reconnaissance des droits et celui des responsabilités. Cette tendance jamais démentie doit nous alerter. Ce n’est pas parce que les difficultés sont de nature matérielle qu’elles seront réglées uniquement par des solutions de cet ordre. En vérité, il n’y a pas de symétrie entre la question et la réponse. On ne résoudra pas les questions d’intendance par des solutions d’intendance, ou, à tout le moins, pas seulement.

Si l’on se limite à des solutions matérielles, si l’on s’y enferme, si l’on pense qu’arracher une augmentation de budget dispensera d’une réforme, alors la course est perdue d’avance : la soif de justice ne sera jamais assouvie, tout simplement parce que le droit est parfois la seule reconnaissance qui reste à un individu, sa seule marque de citoyenneté. Dès lors, le jugement produit cette reconnaissance, car le juge incarne désormais le droit mieux que ne le fait souvent la loi.

L’institution judiciaire ne sera donc jamais en mesure de réguler les demandes qui seront formulées auprès d’elle. Au contraire, on peut même faire l’hypothèse que plus les moyens augmenteront – et je vous proposerai une mesure en ce sens dans le projet de loi de finances pour 2017 –, plus l’institution judiciaire deviendra performante et plus elle suscitera des demandes. Des réformes de structures s’imposeront donc pour renforcer la qualification de la justice comme un service public. En votant ce texte, je suis convaincu que vous allez contribuer à poser les fondations de ces évolutions futures.

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