Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé des affaires européennes, madame la rapporteure générale, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, la discussion sur le prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne nous donne l’occasion une fois de plus de nous interroger sur les politiques mises en oeuvre au niveau européen et sur leur financement.
Nous notons – les orateurs qui m’ont précédée l’ont rappelé – que la contribution de la France au budget de l’Union européenne demeure relativement stable : elle s’élève à un peu plus de 19 milliards d’euros en prévision dans le projet de loi de finances pour 2017. Le caractère relativement modeste, convenons-en, de cette contribution interpelle d’autant plus l’observateur avisé que notre pays demeure le troisième contributeur net en volume au budget européen. En d’autres termes, le niveau de cette contribution traduit une évidence : le budget de l’Union européenne est exagérément faible. Ma conviction est pourtant que mieux d’Europe passe par plus d’Europe, et que plus d’Europe passe par un budget renforcé.
Un tel constat doit nous interpeller tout particulièrement en cette année 2016, qui aura été très marquante pour l’Europe. À la menace d’implosion et de fragmentation de l’Union, il nous faut répondre par une Europe non seulement plus résiliente, plus solidaire, et bâtisseuse de paix, mais aussi plus proche de nos concitoyens. Cette ambition ne pourra prendre corps qu’à condition de s’en donner les moyens politiques, donc financiers. Je voudrais rappeler plusieurs éléments qui me semblent significatifs de ce point de vue.
Je pense évidemment en premier lieu aux résultats du référendum britannique et à la perspective du Brexit qui anime depuis juin dernier les débats politiques nationaux et européens ; mes prédécesseurs à cette tribune l’ont rappelé. Aux incertitudes sur la nature et l’ampleur des conséquences économiques de la sortie de l’Union européenne d’un de ses membres s’ajoute le défi considérable qu’une telle sortie impose à l’Europe de relever.
Ainsi, sur le plan strictement budgétaire, le Brexit constitue une opportunité de réfléchir au principe et aux mécanismes de rabais qui allègent parfois considérablement la contribution de certains États membres au budget européen. Je voudrais en effet rappeler que les différents rabais consentis pèsent de plus en plus lourdement sur les États qui ne font pas de la politique du juste retour l’alpha et l’oméga de leur contribution au budget européen. C’est d’ailleurs le cas de la France, pour qui les mécanismes dérogatoires représentent un coût supplémentaire croissant. La rapporteure générale le rappelait l’année dernière : au cours de la période 2010-2016, la France a financé la compensation en faveur du Royaume-Uni à hauteur de 27 % en moyenne.
La lecture du budget pour 2017 donne également à voir les défis supplémentaires et d’actualité que représentent pour l’Union européenne la menace terroriste, d’une part, et, d’autre part, la gestion de la crise des réfugiés. Je regrette d’ailleurs que l’urgence climatique et la mise en oeuvre de l’Accord de Paris ne figurent pas parmi les priorités de ce budget. Les engagements pris par les chefs d’État et de gouvernement pour répondre aux enjeux de sécurité et à la crise des réfugiés impliquent, au niveau budgétaire, des dépenses supplémentaires dans un contexte de finances publiques encore dégradé, où les marges de manoeuvre disponibles sont extrêmement rares.
Le renforcement des moyens consacrés à la sécurité en Europe est pourtant particulièrement visible dans le projet de budget pour 2017 présenté avant l’été par la Commission européenne. J’en veux pour preuve le fait que les dépenses de la rubrique 3 « Sécurité et citoyenneté » consacrées à la crise des migrants et à la sécurité représentent plus de 70 % du total des dépenses sous plafond. La consolidation du renforcement d’Europol et la création d’un corps de garde-frontières européen sont autant de mesures bienvenues mais dont les implications budgétaires doivent être prises en compte. Ainsi, cette augmentation nécessaire des dotations initiales se fait-elle, pour respecter les plafonds du cadre financier pluriannuel, par une mobilisation maximale des instruments de flexibilité.
En regardant de plus près, on constate que certains réajustements opérés au sein des rubriques du budget ou entre celles-ci procèdent d’un bricolage à certains égards problématique et susceptible de fragiliser la structure d’ensemble. Je prendrai un exemple : le prélèvement d’une partie significative de la marge disponible sous plafond de la rubrique 2, à partir de laquelle sont notamment financées les dépenses agricoles, au profit des mesures destinées à répondre à la crise migratoire et des réfugiés risque de se révéler problématique en cas de nouvelle crise du secteur, dont l’éventualité ne peut raisonnablement pas être écartée à ce jour.
Par ailleurs, la reprise économique est encore fragile au sein de l’Union européenne, et certains États membres, particulièrement touchés par la crise économique et financière de 2008, notamment sur le plan social, peinent encore à se relever. La crise a également durement et durablement affecté le niveau d’investissement en Europe. Fin 2014, le montant total des investissements en Europe était de 15 % inférieur à celui de 2007.
C’est dans ce contexte que la Commission européenne a lancé le plan Juncker, que nous avons tous salué. Les premiers succès constatés, notamment en juin dernier, contribuent à plaider pour un renforcement budgétaire et une prolongation de ce dispositif. Il repose en grande partie sur les financements accordés aux investisseurs par le Fonds européen pour les investissements stratégiques – FEIS –, qui bénéficie notamment d’une garantie de 16 milliards d’euros, dont la moitié provient directement du budget de l’Union européenne. Le plan Juncker a donc vocation, grâce à un effet de levier estimé de un à quinze, à relancer l’investissement en Europe.
Compte tenu du contexte et des premiers résultats publiés, la proposition de la Commission européenne de renforcer ce plan me semble une bonne chose, d’autant que la France paraît être bien placée dans cette affaire. Force est de constater toutefois que, pour être pleinement satisfaisante, la dotation supplémentaire accordée par le FEIS ne devrait pas s’effectuer à financements constants. Elle devrait au contraire s’accompagner d’un effort particulier de la part des États membres, effort d’autant plus facilement envisageable que les éventuelles contributions nationales sont, en principe, susceptibles de relever de dérogations au pacte de stabilité et de croissance, celui-là même qui trop souvent empêche une relance par des politiques publiques de la demande.
Plus généralement, l’année 2016 est également celle d’un rendez-vous important pour le cadre financier pluriannuel 2014-2020. Sa révision à mi-parcours était, je le rappelle, la condition sine qua non de l’accord auquel sont difficilement parvenues les institutions européennes lors des négociations préalables à la mise en oeuvre de ce cadre financier. Nous nous montrerons donc très attentifs aux propositions de la Commission européenne en la matière. Les discussions sur cette révision seront, je le crois, un moment particulièrement important pour les années à venir, car ce cadre financier pluriannuel, dans le respect duquel s’inscrivent, depuis 2014, les projets de budgets européens, est plus limité que le cadre précédent, qui couvrait la période 2007-2013, et alors même que les défis que l’Union européenne s’est engagée à relever sont bien plus importants qu’alors. Les traditionnelles oppositions entre un Parlement européen accusé d’être trop dépensier et un Conseil trop économe devront être enfin surmontées et les moyens budgétaires de l’Union européenne véritablement augmentés.
À terme, c’est évidemment la question d’un réel budget pour l’Union européenne qui se pose, comme l’a souligné Guy-Michel Chauveau. Le budget européen n’est pas, ne doit pas être un instrument comptable ; c’est bien plutôt un outil au service de politiques ambitieuses.
Dans cette perspective, je voudrais appeler votre attention sur les travaux réalisés, depuis maintenant plus de deux ans, par le groupe de haut niveau sur les ressources propres de l’Union européenne présidé par M. Mario Monti, que le précédent orateur a évoqué lui aussi, et dont le rapport sera prochainement publié – probablement au début de l’année 2017. Il est important que nous réfléchissions en profondeur au système des ressources propres de l’Union européenne.
Je me permets de rappeler à cet égard que ces ressources, dont les traités prévoyaient à l’origine qu’elles constituent la principale source de revenus de l’Union européenne, sont devenues secondaires, tandis que la ressource RNB – c’est-à-dire le prélèvement sur le revenu national brut de chaque État membre –, qui devait être une simple variable d’ajustement, est désormais la principale ressource du budget européen. Nous marchons donc sur la tête depuis un certain temps déjà. Dans la pratique, les choses se sont en effet inversées, et le budget européen n’en est devenu que plus dépendant du bon vouloir des États membres.
Le rapport Monti devrait présenter plusieurs pistes pour introduire de nouvelles ressources européennes ; la taxe sur les transactions financières serait enfin reconnue comme un outil et une taxe carbone aux frontières aurait également sa place. L’instauration d’une taxe sur les transactions financières avance donc enfin. J’espère que celle-ci cessera bientôt d’être une Arlésienne. Le ministre de l’économie et des finances, Michel Sapin, nous a rassurés voilà quelques jours sur ce sujet.
J’ajoute enfin que la réflexion sur les ressources propres doit s’accompagner d’un passage en revue des priorités et des objectifs de l’Union européenne. La cohérence entre les recettes et les dépenses pourrait en être grandement améliorée au niveau européen. Dans cette perspective, il convient de noter l’initiative récente de la Commission européenne, qui consiste en quelque sorte à « lolfiser » le budget européen : il s’agit de mettre davantage l’accent sur la rationalisation, la transparence, la performance et l’efficience des actions et programmes financés par le budget européen. Dans le cadre de cette initiative, la Commission nous invite à porter un regard critique sur la façon dont est dépensé l’argent du contribuable européen. Nous ne pouvons qu’être d’accord avec cela.
La qualité de la programmation budgétaire européenne, particulièrement critiquée – à juste titre, me semble-t-il – l’année dernière au moment de la crise des paiements, et marquée par des montants considérables de restes à liquider, doit également être améliorée. L’évaluation sur laquelle se fondent les contributions RNB des États membres se doit d’être toujours aussi rigoureuse, en particulier dans le contexte de finances publiques contraintes que nous connaissons actuellement. Les flexibilités introduites dans le cadre financier pluriannuel 2014-2020 sont importantes mais elles ne peuvent pas tout, et le fait de s’appuyer exclusivement sur ces mécanismes d’ajustement ne peut constituer une saine gestion des deniers européens.
Voilà les quelques réflexions que la commission des affaires européennes tenait à faire valoir au moment où nous discutons de ce sujet éminemment européen. Elle vous rejoint néanmoins, monsieur le secrétaire d’État, quant à l’approbation de ce prélèvement sur recettes.