Monsieur le président, mesdames, messieurs, le 4 mai dernier, alors que nous étions tous dans l'attente d'échéances électorales importantes, l'abrogation du délit de harcèlement sexuel a fait irruption dans la vie de nos concitoyens, dans notre débat public. J'ai, en particulier, souvenir de ces quelques centaines de militantes qui se sont rassemblées place Colette, dès le lendemain, avec des pancartes évoquant un « affront aux droits des femmes » ou encore la « réouverture d'un permis de chasser ». Quelques jours plus tard, l'une de mes augustes prédécesseures, Yvette Roudy, s'interrogeait dans la presse sur la question de savoir si le Conseil constitutionnel, lui-même, était conforme ou pas à la Constitution.
Il ne m'appartient évidemment pas de commenter la décision du Conseil constitutionnel, mais le Gouvernement a dû, dès sa prise de fonctions, en tirer toutes les conséquences et ouvrir une course contre la montre pour en atténuer les effets. La situation dans laquelle se sont retrouvées toutes les femmes qui, depuis le 4 mai dernier, attendent que les tribunaux se prononcent pour des faits de harcèlement sexuel et ont vu tomber la protection que leur apportait la loi, n'est tout bonnement pas tolérable. En m'exprimant aujourd'hui devant votre assemblée, c'est d'abord à elles que je pense et que je veux témoigner mon soutien. Certes, ce débat n'est pas un réconfort pour elles, mais elles attendent légitimement de nous une réaction et un comportement exemplaire. Je crois qu'elles peuvent compter sur notre détermination – celle du Gouvernement, bien sûr, celle du Sénat que nous avons constatée, et je sais que nous pouvons compter sur celle de l'Assemblée nationale – pour que, d'ici à la fin du mois de juillet, un nouveau texte soit adopté et qu'un délit sanctionnable par les juridictions soit reconstitué.
Le 4 mai a bel et bien été un déclic pour nous, responsables publics, membres du Gouvernement, parlementaires... Il y a un peu plus de deux mois, quelques jours à peine après notre prise de fonction, la garde des sceaux, Christiane Taubira, et moi-même étions accueillies par des associations qui se sont beaucoup impliquées pour préparer déjà le débat que nous avons aujourd'hui, pour entendre des victimes, recueillir les demandes et mettre en chantier un texte législatif plus précis, plus solide et surtout plus efficace que par le passé. Dans le même temps, vos collègues sénateurs annonçaient la constitution d'un groupe de travail pour débattre des conditions de rétablissement de ce délit, laisser s'exprimer les opinions et proposer une synthèse dont tout le monde s'accorde à dire qu'elle a clairement posé les enjeux, identifié les points de clivage, mais surtout les convergences. Depuis, cette convergence s'est faite lors d'un vote unanime en séance publique, le 12 juillet dernier, vote que je tiens ici à saluer à nouveau.
Vous-mêmes, l'Assemblée nationale à peine nouvellement élue, avez pris ce sujet à bras-le-corps, dans un contexte difficile, dans des délais, je le reconnais sans difficulté, très serrés. Je regrette que l'urgence vous ait contraints à ce point et je sais le travail phénoménal que vous avez dû accomplir. Je pense, en particulier, aux rapporteures. Mais je crois que chacun, ici, comprend l'impératif qu'il y avait à faire voter ce texte rapidement.
Je veux saluer, à mon tour, la mobilisation des présidents et présidentes de vos commissions, le président Jean-Jacques Urvoas, la présidente Catherine Lemorton, la présidente Catherine Coutelle, et de la présidente de la délégation aux droits des femmes,mais aussi le travail accompli par Pascale Crozon, Barbara Romagnan et Ségolène Neuville que je remercie.
Le Gouvernement, je le disais, s'est engagé à répondre à l'urgence. Le texte qu'il vous propose n'est peut-être pas parfait, mais il est juridiquement solide. Il est, au fond, beaucoup plus protecteur que l'ancien texte. C'est une qualité à laquelle nous attachons un grand prix. Il est issu du travail réalisé avec les associations pour éviter que telle ou telle situation, bien qu'intolérable, ne finisse par buter sur une imprécision, un interstice du code pénal, un terme, une qualification ou un adjectif qui n'auraient pas été suffisamment réfléchis. Il est vrai que les situations à prendre en considération sont nombreuses. Des témoignages qui nous sont remontés, je retiens ceux de cette femme harcelée au moment où elle signe un contrat de bail, de cette autre qui subit les agissements répétés et insidieux de ces propres collègues, et ce depuis des années, ou encore de cette femme qui s'est fait licencier parce qu'elle refusait les avances répétées de son supérieur hiérarchique et qui n'arrivait pas à faire considérer ce licenciement comme discriminatoire.
Parce que cette loi sur le harcèlement sexuel est une des toutes premières de la législature, elle porte un message très fort. Le harcèlement est un fléau social. Il prend ses racines dans une culture de la domination masculine dont certaines manifestations deviennent intolérables et ne doivent plus être passées sous silence. Tel est le message que porte ce texte, au-delà des situations qu'il cherche à résoudre.
Vos rapporteures Pascale Crozon et Ségolène Neuville l'ont souligné dans leurs rapports, le harcèlement sexuel reste encore malheureusement un bastion de la loi du silence et a bénéficié, en dépit des lois, d'une sorte de tolérance. Oui, le harcèlement est une violence. Il repose sur des mécanismes de domination, que vient parfaitement de décrire Christiane Taubira, et qui, pour reprendre les propos du médecin psychiatre Marie-France Hirigoyen, consistent à « marquer son pouvoir, à considérer la femme comme étant un objet sexuel à disposition ».
Ces actes sont intolérables. Ils le sont pour eux-mêmes, pour les souffrances imposées aux victimes, mais ils le sont aussi pour la société tout entière, la société que nous voulons fondée sur la justice, sur le respect et sur l'égalité entre les femmes et les hommes. Le harcèlement, comme toutes les violences faites aux femmes, pèse sur les victimes et met plus largement en cause l'ensemble du fonctionnement de notre société.
Avec cette loi, nous protégerons les victimes et nous poserons une pierre supplémentaire à l'édifice d'une société pacifiée, fondée sur l'égalité des sexes.
On réprime le harcèlement sexuel depuis maintenant vingt ans. Je veux saluer, à mon tour, le travail de mon collègue Michel Sapin qui y a apporté sa contribution en portant le tout premier grand texte sur ce sujet en 1992.