Intervention de Najat Vallaud-Belkacem

Séance en hémicycle du 24 juillet 2012 à 15h00
Harcèlement sexuel — Présentation

Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement :

Mais la loi n'a visiblement pas suffi. La mise en lumière de la réalité de cette violence est demeurée beaucoup trop confidentielle pour que la réprobation inscrite dans les textes s'accompagne d'une réprobation de toutes et tous, dans la vie sociale.

Concernant l'ampleur du délit, notre connaissance est beaucoup trop parcellaire, et les données dont nous disposons au niveau national sont anciennes ou de portée très réduite.

Il nous faut remonter à 2000 et à la grande enquête nationale sur les violences envers les femmes pour avoir quelques éléments démontrant la fréquence de ces agissements et soulignant l'ampleur de l'occultation des faits chez les victimes. Nous allons prochainement, je m'y engage, renouveler cette enquête, mais nous ne disposons pas aujourd'hui de données suffisamment récentes.

Le Bureau international du travail rapportait, dans une étude réalisée en 2011, que, dans l'Union européenne, entre 40 % et 50 % des femmes interrogées signalaient avoir subi une forme de harcèlement sexuel ou de comportement sexuel indésirable sur leur lieu de travail. La question ne concernait que le lieu de travail, mais le texte dont nous abordons la discussion est bien plus large.

Les conséquences pour les victimes ont été évoquées par la garde des sceaux, je n'y reviens pas : conséquences sur la santé, le bien-être des victimes, l'équilibre personnel et familial, certes, mais aussi conséquences économiques et sociales, relatives au déroulement de carrière, aux arrêts de travail, à l'efficacité collective de l'entreprise.

Pour toutes ces raisons, nous devons mettre fin au silence sur le harcèlement sexuel, qui participe d'un tabou collectif. Cela passe par des enquêtes, par une meilleure centralisation des données disponibles. C'est le sens de l'observatoire national des violences que cette Assemblée avait appelé de ses voeux en 2010 et que le Gouvernement s'est engagé à créer dans quelques mois, à travers un texte plus global, dont vous aurez à débattre, sur les violences faites aux femmes. Rendre la protection effective pour les victimes, c'est notre maître-mot.

Lors de notre audition devant la commission des lois, Dominique Raimbourg a eu une formule que je reprendrai volontiers : « Ce n'est pas tant la sévérité de la sanction qui est dissuasive que la certitude de la condamnation. » C'est ce à quoi nous voulons aboutir. Nous avons rappelé le faible nombre de procédures par an, le faible nombre de procédures ne faisant pas l'objet d'un classement, le faible montant des amendes ou des peines d'emprisonnement prononcées.

Le texte que nous vous proposons, enrichi par les débats au Sénat, veut modifier cette situation pour que la procédure ne soit plus hasardeuse pour les victimes, ne soit plus un parcours du combattant. On sait à quel point elle est longue, difficile, et les preuves complexes à établir.

Pour garantir une loi protectrice et efficace, nous avons d'abord voulu que la définition soit la plus claire et la plus précise possible. Ce délit, nous l'avons défini avec des mots parfaitement choisis et pesés. Cela nous a parfois conduits à écarter des termes des directives européennes pour reprendre le vocabulaire très précis du code pénal, et cela nous conduira sans doute à préciser encore le délit, de façon à éviter les risques de déqualification soulignés à juste titre par certaines associations.

Deuxièmement, le projet de loi propose une approche globale. Certes, l'incrimination figurant dans le code pénal est la seule à avoir été abrogée par le Conseil constitutionnel, mais on sait que les dispositions figurant dans le code du travail et dans le statut général des fonctionnaires s'en sont trouvées fragilisées. Il fallait donc que le projet traite de l'ensemble des situations. Je sais cependant que vous êtes sensibles à la coordination des textes. Nous reprendrons cette discussion lors des débats.

Troisièmement, le projet de loi vise à ce qu'aucune situation ne soit laissée en dehors du droit, afin que toutes les discriminations résultant du harcèlement sexuel puissent être réprimées.

La garde des sceaux vous a rappelé l'ensemble des points sur lesquels la contribution au Sénat a été essentielle. Je soulignerai pour ma part l'abandon de la référence à l'exigence de faveurs sexuelles, ce qui permettra de réprimer désormais des situations comme le harcèlement sexuel quotidien, répétitif, que taisaient les femmes jusqu'à présent.

Les débats au Sénat nous ont également permis de prendre en considération la vulnérabilité économique et sociale, la précarité, la situation des stagiaires, que les deux assemblées ont à coeur de protéger, et, plus généralement, de prévoir toutes les garanties que nous pouvons apporter aux victimes et aux témoins des discriminations résultant de faits de harcèlement.

Nous avons aussi profité de l'examen de ce texte pour enrichir notre dispositif législatif sur la question, très précise, de la lutte contre la transphobie. Le fait de reconnaître l'identité sexuelle parmi les motifs de discrimination sanctionnés est une grande avancée. Je sais que vous souhaitez y revenir dans le débat, je ne m'y attarde donc pas.

Dernier point, le projet de loi sanctionne plus sévèrement les faits de harcèlement dans le cadre d'une approche cohérente des peines. Deux ans et 30 000 euros d'amende, c'est tout de même plus répressif que par le passé, et cela reste dans la logique d'une échelle des peines qui va d'un an pour l'exhibition sexuelle à cinq ans pour l'agression sexuelle.

Nous avons entendu les critiques des associations quant au fait que ces peines seraient trop légères, moindres que celles encourues pour un vol de téléphone portable. La révision globale de l'échelle des peines est une question que vous aborderez sans doute avec la garde des sceaux au cours de cette législature, mais il nous a semblé que cela n'avait pas la même urgence.

En revanche, sensibles à vos remarques, nous proposerons d'aggraver dès maintenant les peines sanctionnant le harcèlement moral, de manière à ne pas hiérarchiser entre les souffrances, celle du harcèlement moral ou celle provoquée par un harcèlement sexuel répété ou fait unique. Nous y reviendrons dans la discussion, mais je vous annonce déjà que nous vous suivrons sur ce point.

L'ensemble de ces évolutions sont le fruit d'un travail d'écoute et de dialogue. Je veux espérer que nous continuerons dans le même esprit.

Outre ce texte pénal, la lutte contre le harcèlement sexuel devra se faire par un travail de prévention, absolument indispensable si nous voulons lutter contre les stéréotypes sexistes qui président à ces phénomènes de harcèlement.

Ce travail de prévention passe d'abord par une meilleure information des victimes sur leurs droits, et je mobiliserai dès la publication de la loi les réseaux d'accueil, d'information et d'orientation des femmes à cette fin.

Nous devons aussi faciliter l'accès aux tribunaux, et je salue à cet égard le rôle des associations, ainsi que les avancées permises par le Sénat pour qu'elles puissent exercer les droits reconnus à la partie civile en matière de harcèlement sexuel.

La prévention, c'est aussi mener une grande campagne de communication comme nous le ferons pour attirer l'attention du grand public sur ces phénomènes. Même si le texte concerne toutes les situations et ne s'applique pas seulement au monde du travail, c'est souvent là qu'ils se produisent, et les partenaires sociaux sont extrêmement désireux d'avancer sur la prévention. Je suis très heureuse que, dans la discussion au Sénat, nous ayons pu reconnaître aux délégués du personnel le pouvoir de saisir immédiatement l'employeur des agissements de harcèlement sexuel ou moral.

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