Je résumerai le cadre dans lequel s'inscrit ce projet par le paradoxe suivant : le harcèlement sexuel était réprimé jusqu'alors par des instruments juridiques variés et nombreux, nationaux et internationaux ; pourtant, il n'a donné lieu qu'à un nombre très faible de condamnations et demeure un fait de société très mal connu.
En France, c'est un délit pénal depuis 1992 et la loi Roudy, dont le champ a été étendu en 1998 et 2002. Il est également sanctionné par le code du travail qui interdit toute discrimination faisant suite à un harcèlement sexuel. Le code du travail prévoit explicitement depuis 2008 le délit de harcèlement, soumis de surcroît à une procédure plus favorable aux victimes en ce qu'il permet un aménagement de la charge de la preuve et une représentation par les institutions représentatives du personnel.
L'Union européenne s'est également impliquée très tôt dans la lutte contre le harcèlement sexuel. Dès 1986, le Parlement européen s'est saisi de cette question et a invité les États membres « à s'efforcer de parvenir à une définition juridique du harcèlement sexuel ». Aujourd'hui, le droit communautaire offre un corpus juridique varié, composé de plusieurs directives et d'un code de pratiques.
Les Nations unies et les organes internationaux se sont également saisis, dès le début des années quatre-vingt-dix, de cette problématique grave. En 1992, le Comité des Nations unies pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes a adopté une définition du harcèlement sexuel. Un an plus tard, en 1993, le harcèlement sexuel a été jugé incompatible avec la dignité et la valeur de la personne humaine. Les Nations unies continuent aujourd'hui de mener des actions visant à éliminer le harcèlement sexuel. L'Organisation internationale du travail a également développé différents outils. Et la liste n'est pas exhaustive.
Malgré cela, force est de constater que le nombre de condamnations est très faible – entre 70 et 85 chaque année –, tout comme le nombre de procédures engagées : autour de mille par an.
Le phénomène n'est pourtant pas rare. Les quelques enquêtes dont nous disposons révèlent en effet la très grande fréquence de ces comportements et la gravité de leurs conséquences psychologiques, morales et économiques, qui ont déjà été soulignées. Le rapport de 2011 du directeur général du Bureau international du travail montre notamment que, dans l'Union européenne, ainsi que Mme la ministre l'a rappelé, 40 à 50 % des femmes ont déjà été victimes de harcèlement sexuel ou de comportements sexuels indésirables sur leur lieu de travail.
Ce contexte brièvement exposé nous obligeait, au regard d'un double enjeu : d'une part, assurer une protection juridique renforcée et harmonisée à l'ensemble des salariés, du public comme du privé, sur tout le territoire, d'autre part, engager une grande concertation pour lutter contre ces comportements avant même qu'ils se produisent. À ces deux niveaux, il nous semble que le projet de loi a répondu aux nécessités.
De ce rapport se dégage la volonté forte d'accroître la protection des victimes. Protection, tout d'abord, au point de vue des infractions couvertes, laquelle a été considérablement étendue. En effet, l'article 1er précise la définition du délit de harcèlement sexuel, conformément aux exigences formulées par le Conseil constitutionnel. Il fallait un texte précis et sûr, afin que la situation de vide juridique que nous connaissons depuis le 4 mai ne se reproduise plus.
Cet article assimile par ailleurs le chantage sexuel au harcèlement, pour permettre de sanctionner enfin les faits uniques d'une particulière gravité, tels que ceux qui peuvent se produire dans le cadre d'un entretien d'embauche.
Un autre mérite de cette loi est d'étendre la protection en dehors du lieu de travail. Nous avons bien noté la suppression de la formulation « dans le cadre des relations de travail » ; en commission des affaires sociales, il nous avait semblé que cette expression conférait une valeur législative à l'interprétation jurisprudentielle selon laquelle les comportements de harcèlement sexuel ne sont pas prohibés uniquement sur le lieu de travail mais également à l'extérieur, la relation de travail ne s'arrêtant pas à la frontière du lieu de travail.
Je souhaiterais également attirer votre attention sur la nouveauté que constitue l'interdiction claire de sanctions et de discriminations par l'employeur à la suite de faits de harcèlement sexuel. Il s'agissait d'une attente forte des salariés, des organisations syndicales et des associations de défense de victimes. La loi opère désormais une distinction claire entre les faits de harcèlement sexuel eux-mêmes et les conséquences qui en résultent. Il fallait absolument prendre en compte cette répercussion professionnelle, en la distinguant des dommages psychologiques causés par le harcèlement lui-même. Elle fait donc l'objet d'une sanction spécifique.
La protection est également accrue du point de vue des personnes auxquelles s'applique la loi. Jusqu'alors, de nombreuses personnes se trouvaient face à un vide juridique. Je tiens à souligner la pertinence de l'amendement, déposé au Sénat, qui étend la protection contre le licenciement ou toute autre mesure discriminatoire, notamment en matière de rémunération, de formation ou de promotion, aux stagiaires et aux personnes en formation. Il existe de véritables situations de détresse chez ces personnes, qui ne s'estiment pas légitimes à porter plainte, au motif qu'elles ne sont pas, à proprement parler, régies par le code du travail. Dans un souci de protection élargie et lisible pour ces personnes, j'ai déposé un amendement visant à leur garantir également une protection en cas de harcèlement moral.
Malgré, encore une fois, le choix fait par la commission des lois, je crois – et c'est la position de la commission des affaires sociales – que l'harmonisation opérée par le renvoi du code du travail vers le code pénal permettait d'assurer la meilleure protection possible à l'ensemble des victimes et garantissait la cohérence du droit à long terme.
L'harmonisation territoriale permise par la coordination avec le régime applicable à Mayotte et dans les autres collectivités d'outre-mer tend là encore à répondre aux exigences d'égalité et d'universalisme.
Après le renforcement de la protection, la deuxième ambition très forte réalisée par ce projet loi a consisté en un premier dialogue avec les différentes associations, les professionnels, les avocats, les magistrats, visant à prévenir les comportements de harcèlement sexuel ou moral. En effet, il ne peut être question seulement de punir les coupables, même si c'est évidemment un élément essentiel du dispositif : il s'agit avant tout de changer les comportements.
Est également ressortie des débats, et je partage cette conviction, la nécessité de mieux connaître le harcèlement sexuel. Vous le savez, nous manquons de données. Les différentes associations que nous avons rencontrées, les victimes, les représentants de la médecine du travail, ont tous fortement déploré cette absence de sources, alors que ces dernières sont une condition essentielle de la reconnaissance du phénomène et de la lutte contre le harcèlement sexuel.
Il est urgent de se doter des outils adaptés pour recueillir les informations nécessaires. Sur ce sujet, la délégation aux droits des femmes du Sénat a proposé, dans une recommandation adoptée à l'unanimité, la création d'un observatoire des violences faites aux femmes. Par ailleurs, la ministre des droits des femmes, Mme Vallaud-Belkacem, s'est également engagée dans ce sens. Les informations collectées permettront d'apporter des réponses préventives adaptées pour prévenir les situations d'infraction et de grave souffrance.
D'une manière générale, un constat unanime ressort des travaux des différentes commissions : il importe de développer la communication et la formation sur ces faits graves et dévastateurs. Les médecins du travail, les délégués du personnel, d'une manière générale tous les acteurs des structures dans lesquels se produisent des faits de harcèlement sexuel, doivent être sensibilisés. C'est pourquoi les sénateurs et le Gouvernement ont jugé pertinent de souligner le rôle du personnel médical et syndical : l'article 3 étend les compétences de ces derniers afin qu'ils puissent être des relais sûrs de l'action de prévention.
De même, des travaux parlementaires se sont inspirés de la Commission européenne, qui avait publié un code de pratiques en 1991. Ce code fait la promotion de pratiques « permettant d'établir des lieux de travail exempts de harcèlement sexuel ». La loi a un devoir de diffusion, d'encouragement et de promotion des pratiques favorisant un environnement social sain. Le projet de loi va d'ores et déjà dans ce sens, mais nous devrons encore approfondir ces réflexions lorsque nous disposerons de données précises.
Je voudrais conclure mon propos en évoquant ce qui s'est passé le 4 mai. Chacun le sait, ce jour-là, un article de loi a disparu, laissant dans la tourmente les victimes, dont les procédures ont été éteintes. Le souci principal de la nouvelle loi a été de répondre aux exigences formulées par le Conseil constitutionnel, afin d'assurer la validité des définitions retenues par le texte. Mais cette période de réflexion a également été l'occasion de revoir notre conception du harcèlement, notre idée des lieux qui le renferment, de revoir également les multiples avatars du harcèlement, ainsi que les dispositifs pour le prévenir.
C'est donc un projet clarifié, équilibré, enrichi par le Sénat et l'Assemblée nationale qui vous est soumis aujourd'hui, et je vous invite à l'adopter. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR.)
(Mme Sandrine Mazetier remplace M. Claude Bartolone au fauteuil de la Présidence.)