Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Séance en hémicycle du 24 juillet 2012 à 15h00
Harcèlement sexuel — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

De surcroît, dans le cas du harcèlement, au-delà même de l'indépendance du législateur, cela poserait la question de la marge d'appréciation du juge pénal.

On peut donc aussi parfaitement défendre l'idée qu'il ne faut pas mélanger les genres, et laisser les citoyens libres de se saisir d'un droit que le constituant leur a conféré.

Je note d'ailleurs que, même si les députés ou le Gouvernement prenaient, sur ce nouveau texte, l'initiative de saisir le Conseil constitutionnel, nous ne purgerions pas nécessairement tout risque de QPC. En effet, dans l'hypothèse d'une saisine dite traditionnellement « blanche », c'est-à-dire qui n'appelle pas de motifs précis, si aucun motif d'inconstitutionnalité ne ressortait prima facie de nos travaux, il est probable que le Conseil refuserait d'examiner spécialement d'office les dispositions législatives déférées dans le cadre de son contrôle a priori. La loi serait alors uniquement déclarée conforme dans le dispositif et non dans les motifs. Je renvoie ceux que cette question intéresse à la décision du Conseil constitutionnel du 26 mai 2011, particulièrement éclairante.

La possibilité d'une QPC resterait donc ouverte, sauf à cibler précisément les dispositions que nous estimerions fragiles, et à accepter, après les avoir votées, de soulever contre elles des griefs particuliers. Chacun mesure le caractère absurde de la démarche ou, en tout cas, de l'enchaînement.

Le dernier point que je voulais soulever n'est pas lié directement à celui que je viens d'évoquer, mais il est totalement corrélé au texte que nous étudions : le rôle crucial joué par les associations dans l'aide aux victimes de harcèlement sexuel. Nous avons tous dit le bien que nous pensions de leur rôle essentiel, mais nous ne pouvons pas masquer la réalité de ce qu'elles vivent. En effet, depuis plusieurs années, la majorité précédente a rogné les moyens des associations de victimes. Les budgets, en régression en 2011, l'ont été encore en 2012 de près de 300 000 euros. Il s'ensuit, et les uns et les autres, vous avez dû le constater dans vos circonscriptions, que leurs activités diminuent, leurs salariés malheureusement de plus en plus souvent licenciés et les permanences qu'elles assurent dans les juridictions ont tendance à diminuer.

Ainsi, l'association Agora Justice, qui travaille à Quimper, dans la circonscription dans laquelle j'ai le privilège d'être élu, a une politique très active d'aide aux victimes et d'accès au droit dans toute la Cornouaille, et a terminé son exercice avec un déficit de 20 000 euros alors même qu'elle n'avait jamais été autant sollicitée, non seulement par le public mais aussi par les magistrats. Elle a appelé mon attention sur le fait que ces difficultés financières, insurmontables pour elle, mettaient en péril le principe même de son existence. Au plan national, les conséquences d'une telle politique de restriction budgétaire sont absolument catastrophiques : depuis 2009, le nombre de personnes ayant pu rencontrer les associations est en baisse, et celui des personnes suivies ayant bénéficié d'au moins deux entretiens a chuté de près de 10 % ! Madame la garde des sceaux, il faut sortir de cette spirale de la précarisation dans laquelle nous sommes insidieusement en train de plonger.

Il y a une solution très simple que je soumets à votre appréciation et qui, dans le contexte budgétaire que chacun ici connaît, aurait l'immense avantage de ne pas grever les finances publiques. Il s'agirait de contraindre les auteurs d'infractions définitivement condamnés à participer financièrement à un fonds dédié à l'aide aux victimes. Ce serait une « suramende », une contribution additionnelle à l'amende pénale. Une telle disposition existe notamment au Québec et dans d'autres provinces canadiennes. La mise en place de cette source de financement me paraît nécessaire. En France, on l'appelle la « contribution victime », et sa création est soutenue par l'INAVEM, l'Institut national d'aide aux victimes et de médiation, qui fédère les associations d'aide aux victimes. Cette disposition a reçu, à la fin de la précédente législature, un large soutien dans cet hémicycle puisque des propositions de loi provenant d'au moins trois groupes en avaient repris l'idée – je pense, pour le groupe SRC, au remarquable texte qu'avait préparé et déposé en notre nom Martine Carrillon-Couvreur. Je souhaite, madame la garde des sceaux, que nous en discutions et qu'elle puisse voir le jour dans les meilleurs délais. Ce serait conforme à l'intérêt général. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR.)

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