Je souhaite d'abord vous remercier, Madame la garde des sceaux, pour les très belles paroles que vous nous avez prodiguées avec le lyrisme qui est le vôtre.
Le délit de harcèlement sexuel est une infraction relativement récente. Il remonte à très exactement vingt années. Sa paternité peut être revendiquée par une députée du Calvados – étant moi-même élu de ce département, j'y suis sensible –, Yvette Roudy, à l'occasion de la loi du 22 juillet 1992. Il fut très vite admis que le harcèlement pouvait se traduire par plusieurs actes, ou par un seul acte d'une particulière gravité.
Six ans plus tard, la loi du 17 juin 1998, codifiée par l'article L 222-33 du code pénal, définit les actes matériels constitutifs du harcèlement sexuel.
La loi du 17 janvier 2002 relative à la modernisation sociale – je m'en souviens bien, l'ayant votée – s'employa à redéfinir le harcèlement sexuel et à créer une nouvelle infraction, le harcèlement moral.
Dans sa dernière acception, l'article 222-33 du code pénal définit le harcèlement sexuel comme le fait de harceler autrui dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle. On définissait donc, comme cela a d'ailleurs été souligné, le harcèlement comme le fait de harceler. Les auteurs n'eurent pas de mal à stigmatiser un texte qui, selon la doctrine, « semblait vouloir laisser les juges naviguer entre la Charybde de la violation du principe de légalité et la Scylla du déni de justice ». Que tout cela est bien dit !
Ce qui devait arriver, arriva : le Conseil constitutionnel, saisi par une QPC, annula le 4 mai 2012 la loi comme étant contraire au principe de légalité, principe fondateur défini par l'article 8 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Le Conseil constitutionnel décida donc, les juristes me comprendront, de casser sans renvoi, tant la violation des principes généraux du droit était grande. Il déclara l'article 222-33 du code pénal contraire à la Constitution, et mit un terme aux procédures judiciaires en cours, y compris aux condamnations non définitives.
Le législateur a décidé de combler, dans les plus brefs délais, le vide juridique créé par le Conseil constitutionnel. C'est un geste fort !
Il n'en reste pas moins vrai que des questions de principe d'une exceptionnelle gravité, soulignées par le président Urvoas, se posent à l'occasion de l'élaboration d'un texte trop vite travaillé, trop vite rédigé, même si chacun peut et doit comprendre les angoisses des victimes relayées par leurs associations, et ce à juste titre.
Réfléchissons, comme le président Urvoas, sur la décision du Conseil constitutionnel. Les radicaux de gauche ont voté la réforme de la Constitution qui a permis, à une voix près, d'adopter le principe des questions prioritaires de constitutionnalité.
Ils s'en félicitent ; mais les plus belles créations donnent parfois naissance à des monstres hybrides. La QPC devait permettre de renforcer les droits individuels, telle était sa justification – « Le citoyen contre l'Etat », comme aurait pu l'écrire Alain, le grand philosophe radical.
Mais en l'espèce, tout s'est fait au détriment du droit des victimes. Tout s'est fait contre les femmes, victimes d'un délit dont chacun s'accorde à reconnaître le caractère inadmissible.
Le Conseil constitutionnel aurait pu, comme pour la réforme de la garde à vue, saluée par nous tous, impartir un délai au Parlement pour légiférer, tout en conservant les textes anciens. On nous a opposé le fait qu'il s'agissait d'un côté du code pénal, et de l'autre du code de procédure pénale. Fadaises que tout cela !
Le Conseil constitutionnel a préféré innover, fragilisant ainsi notre état de droit. On tremble en imaginant ce qu'il adviendrait si une QPC sur l'assassinat, dont on vient de modifier le texte constitutif, était déclarée recevable par le Conseil constitutionnel.
L'article 221-3 du code pénal a en effet introduit le guet-apens comme l'un des éléments constitutifs de l'assassinat – article 149 de la loi du 17 mai 2011 – ce qui ne manque pas de nous interpeller.
Il se dit, par ailleurs, qu'il pourrait y avoir une QPC sur les violences. Voyons-nous toutes les conséquences susceptibles de se produire si l'on suit la logique du Conseil constitutionnel ?
Je sais bien ce que propose le président de la commission des lois. Pouvons-nous, pour autant, saisir contre nos propres lois, votées à l'unanimité, le Conseil constitutionnel d'un recours qui, par définition, irait très au-delà d'un simple examen de constitutionnalité ? On s'acheminerait ainsi vers une véritable cour suprême, et non plus vers le Conseil constitutionnel.
Or, nul ne peut attaquer les décisions du Conseil constitutionnel. Il faudrait, dès lors, envisager une réforme de la Constitution, faute de quoi notre socle juridique lui-même en sera ébranlé.
J'examinerai ensuite les apports de la nouvelle loi sur le harcèlement, tout d'abord concernant les éléments constitutifs.
Le harcèlement est devenu, cela a été souligné, l'une des infractions les plus répandues de notre société. 5 % des femmes, voire 10 % ou 20 % selon les enquêtes, auraient à un moment de leur vie été victimes d'un harcèlement sexuel. Et pourtant, on ne relève que 80 condamnations.
Quant au harcèlement moral, l'une des plaies de notre société, il concerne plusieurs centaines de milliers de personnes, salariées ou non, chaque année. La vie dans l'entreprise, la vie au travail sont profondément perturbées par le harcèlement moral.
Le harcèlement sexuel était défini sur le plan pénal par l'article 222-33 du code pénal, et sur le plan social par l'article 1153-1 du code de travail, de la façon suivante : « Les agissements de harcèlement de toute personne dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d'un tiers sont interdits. »
J'ai vérifié la jurisprudence de la Cour de Cassation, en particulier son arrêt du 14 novembre 2007 qui dispose que « le harcèlement ne peut être caractérisé par un seul acte ». La Cour de Cassation affine même sa position le 26 mai 2010 en précisant : « La répétition, inhérente à la notion même de harcèlement, peut intervenir sur un court laps de temps. »
On allait donc de contradiction en contradiction. Le législateur voulait retenir comme élément constitutif du harcèlement un seul fait, un fait unique dont la gravité était avérée. Les magistrats s'y opposaient.
Les faits de harcèlement sexuel étaient punissables, eux, d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.
Tout se compliquait encore avec le harcèlement moral, dont l'un des éléments constitutifs peut être le harcèlement sexuel. L'article 1152-1 du code du travail définit le harcèlement moral de la manière suivante : « Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. » La Cour de Cassation exigeait de pouvoir contrôler si les faits retenus par les juges du fonds étaient bien établis – voir en ce sens l'arrêt du 24 septembre 2008.
L'article 222-23-2 du code pénal retenait la définition établie par l'article 1152-1 du code du travail et punissait l'infraction de harcèlement moral d'une peine d'emprisonnement d'un an et de 15 000 euros d'amende.
Code pénal et code du travail – c'était la raison de la présence tout à l'heure du ministre du travail, Monsieur Sapin – se chevauchaient lorsqu'ils ne se contredisaient pas.
Certes, la définition du harcèlement sexuel était la même dans le code pénal et le code du travail. Il en allait de même pour le harcèlement moral. Mais la définition même du harcèlement n'était pas trouvée avec un socle commun au harcèlement sexuel et au harcèlement moral. Il fallait donc, à l'évidence, revoir l'ensemble de la législation touchant au harcèlement, en établissant un tronc commun autour du harcèlement lui-même, avec deux déclinaisons, l'une assez globale sur le harcèlement moral, l'autre beaucoup plus précise sur le harcèlement sexuel.
Il n'a pu en être ainsi du seul fait du vide juridique insupportable créé par le Conseil constitutionnel. Il nous fallait donc faire ce que nous nous sommes engagés à ne plus jamais faire : rédiger une loi dans la précipitation, une loi qui touche aux droits fondamentaux de centaines de milliers de personnes, une loi sur l'atteinte au droit des personnes, ce qui est tout de même plus important que l'atteinte au droit de propriété.
Nous sommes arrivés à voter un texte à l'unanimité, tant au Sénat qu'à la commission des lois de l'Assemblée. C'est un geste politique fort, mais ce n'est pas la garantie d'une bonne législation. Prenons donc l'engagement que c'est bien la dernière fois que nous légiférerons ainsi.
Le texte sur le harcèlement est un véritable progrès par rapport à la législation antérieure et je tiens à en remercier Mme la garde des sceaux, Mme la ministre des droits des femmes et Mme la rapporteure de la commission des lois.
Quels sont les progrès de la loi ? La définition même du harcèlement est désormais précise. Son élément matériel répond aux exigences du Conseil constitutionnel. Les moyens utilisés – propos, ordres, menaces, contraintes – permettent aux juges de sanctionner en fonction d'éléments désormais précisés dans leur matérialité et dans leur but, à savoir une situation intimidante, hostile ou offensante. Si bien que nous avons désormais une base même de l'élément matériel du délit.
La différence est désormais bien établie entre la répétition des actes et l'agissement unique pour lequel est retenu le caractère constitutif de gravité qu'il appartiendra au juge de définir pour permettre le contrôle exigé par la Cour de cassation qui ne manquera pas de le rappeler. Mais le législateur n'a pas voulu hiérarchiser les infractions. Madame la garde des sceaux, vous avez eu raison de ne pas vouloir établir de hiérarchie entre, d'un côté la répétition et, de l'autre l'acte unique d'une certaine gravité.
La nouvelle définition de l'article 1152-1 du code du travail est précise et la référence à l'article 222-33-2 du code pénal est exempte d'ambiguïté.
Les termes de la nouvelle loi française sont à l'évidence inspirés des directives européennes qui, il est vrai, sont plus préoccupées par la discrimination que par le harcèlement. C'est pour nous un sujet de réflexion et on voit là toute l'influence du droit anglo-saxon. C'est sans doute une garantie par rapport aux éventuels recours devant la Cour européenne de justice.
Nous avons voulu étendre le domaine de la loi au monde du travail et à la fonction publique, et nous avons eu raison. Certains auraient aimé que l'on aille au-delà : au monde sportif, au monde de l'enseignement supérieur et – pourquoi pas ? – au monde carcéral dont on a si bien parlé tout à l'heure et dont on sait toutes les violations de la personne qui y sont commises. Vous nous avez assurés, mesdames les ministres, que des circulaires seront prises en ce sens car l'information doit toujours précéder la répression.
On ne peut que noter l'interaction permanente entre les affaires portées devant la juridiction prud'homale et devant la juridiction répressive. La possibilité de saisir soit la voie pénale, soit la voie civile, devrait inciter la Chancellerie à demander aux différents conseils de prud'hommes d'informer le parquet en cas de saisine de dossier de harcèlement. Il faut absolument qu'une passerelle existe entre les juridictions sociales et pénales, ce qui permettrait dans l'idéal – mais ne rêvons pas trop – au parquet, à ses avocats généraux, à ses procureurs, à ses substituts, de prendre des réquisitions civiles devant les conseils de prud'hommes alors que le parquet a déserté nos conseils de prud'hommes sur des faits aussi graves.
Je tiens à remercier Mme le garde des sceaux et Mme la rapporteure d'avoir bien voulu prendre en compte l'examen de deux propositions que j'ai faites. Le texte prévoit qu'au sein de l'entreprise le rôle de prévention et de dénonciation est réservé au délégué du personnel. Il doit être étendu à l'ensemble des représentants du personnel, ce qui inclut les délégués syndicaux, les membres du CHSCT et les membres du comité d'établissement ou d'entreprise. La position de Mme la rapporteure a un peu évolué – et je lui dis de façon très sympathique. Je comprends les impératifs qu'un rapporteur peut avoir face à un membre du Gouvernement.