Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collèges, proposée par la gauche depuis les années 90, rejetée par la droite jusqu'en 2008 et finalement adoptée et entrée en vigueur le 1er mars 2010, la question prioritaire de constitutionnalité n'a pas fini de produire ses effets et d'enrichir l'agenda du Parlement.
En effet, ce sont bien les juges de la rue Montpensier qui ont en l'espèce imposé ce texte dans notre calendrier, avec le caractère d'urgence que l'on sait.
Dans sa décision du 4 mai 2012, le Conseil constitutionnel a censuré l'article 222-33 du code pénal qui réprimait le délit de harcèlement sexuel. Cette censure était, hélas ! prévisible puisque le délit de harcèlement n'était plus défini que par une formule tautologique : « Le fait de harceler dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle est puni d'un an d'emprisonnement et de 1 500 euros d'amende ». Cette formule méconnaissait à ce titre le principe de légalité des délits et des peines proclamé par l'article VIII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ainsi que les principes de clarté, de précision et de prévisibilité et sécurité juridiques.
Ce principe, théorisé par Cesare Beccaria-Bonesana au xviiie siècle, impose au législateur lorsqu'il crée un délit d'en définir les éléments constitutifs de manière suffisamment précise. Beccaria résume d'une phrase la portée de ce principe « Je ne trouve aucune exception à cet axiome général : tout citoyen doit savoir quand il est coupable et quand il est innocent ».
Cette censure était aussi prévisible que nécessaire. Tel n'est pas le cas, à l'inverse, du choix opéré par le Conseil d'abroger cette disposition sans délai, et de créer ainsi un vide juridique aux effets dramatiques pour les victimes.
Une définition provisoire, inspirée de la loi initiale de 1992, aurait pu être posée par le Conseil dans le cadre d'une réserve d'interprétation. Elle aurait permis d'éviter ces fâcheuses conséquences.
Nous voilà dès lors, en ce début de législature, chargés de combler ce vide juridique créé par le Conseil constitutionnel.
Il est temps, dès le début de cette législature, de prendre les bonnes habitudes qui éviteront au législateur que nous sommes de telles déconvenues constitutionnelles.
La première des leçons à tirer est une invitation à la vigilance. À vouloir satisfaire la demande sociale de lois, c'est parfois l'intérêt de la cause qui s'en trouve sacrifié. En l'espèce, le détricotage de la loi de 1992, par plusieurs lois successives, n'était motivé que par la noble intention de couvrir le plus grand spectre possible de cas devant relever du délit de harcèlement. C'est par générosité que le législateur a péché. Il en a oublié d'être vigilant.
La deuxième leçon que nous devons tirer a trait à la méthode d'élaboration de la loi et pourrait être résumée par un dicton de bon sens : « chaque chose en son temps ». L'histoire de ce texte doit nous interpeller sur les erreurs à ne pas reproduire. C'est à l'occasion de l'examen d'un texte « fourre-tout », la loi dite de modernisation sociale, qui comportait pas moins de 224 articles, que les parlementaires ont souhaité modifier la définition du harcèlement sexuel. Du coup, ils sont allés trop loin, ou du moins ils y sont allés trop légèrement.
À l'origine, seul le harcèlement moral devait être réformé. Et c'est à l'occasion de cette modification de la définition du harcèlement moral que les parlementaires ont souhaité modifier l'incrimination de harcèlement sexuel.
Au départ, il s'agissait simplement de supprimer la condition hiérarchique posée par l'article du code pénal. Puis, en cours de route, ce sont les éléments constitutifs de l'infraction, et partant sa définition elle-même, qui ont été supprimés. Voilà qui doit nous inciter à la mesure. Gageons cependant que le changement sera à l'oeuvre aussi sur cette question. Nul doute, à cet égard, que le nouveau président de la commission des lois y veillera. Je crois avoir compris, en l'écoutant tout à l'heure, qu'il était tout à fait disposé à le faire, et à nous montrer la voie.