Intervention de Sonia Lagarde

Séance en hémicycle du 24 juillet 2012 à 15h00
Harcèlement sexuel — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSonia Lagarde :

« Bien trop de femmes, dans bien trop de pays, parlent la même langue : le silence. » Cette citation de l'historienne indienne Anasuya Sengupta est révélatrice de l'un des maux de notre société : le manque de considération de la souffrance de certaines femmes qui, par crainte des représailles, par peur de se lancer dans des procédures interminables, en viennent à garder le silence et à accepter ainsi l'inacceptable.

Pour celles qui ont osé briser ce silence, la décision du Conseil constitutionnel du 4 mai dernier, déclarant le délit de harcèlement sexuel contraire à la Constitution, a été vécu comme un choc et un nouveau traumatisme. En rendant cette décision, les juges mettaient un terme immédiat à des centaines de procédures judiciaires en cours. Ils créaient ainsi un vide juridique qui laissait de nombreuses victimes sans recours face à leurs agresseurs présumés.

Nous ne le répéterons jamais assez, le harcèlement sexuel peut être source de profonds traumatismes. À ce titre, il est regrettable que le Conseil constitutionnel n'ait pas différé sa décision. Néanmoins, je forme l'espoir que ce projet de loi permette de mieux appréhender le délit et d'offrir ainsi aux victimes la protection qui leur est due. Plus largement, j'attends de ce texte qu'il modifie profondément l'approche par notre société du délit de harcèlement sexuel et de l'ensemble des violences qui sont faites aux femmes.

Nous savons que la réalité sociologique du harcèlement sexuel dépasse sensiblement la traduction juridique qui lui est donnée : en France, le nombre de condamnations, comparé à celui des femmes qui se disent victimes de harcèlement sexuel, est très faible et les peines les plus graves sont bien souvent déqualifiées. Le harcèlement sexuel, parfois considéré comme une simple forme de séduction appuyée, n'est donc pas toujours abordé avec le sérieux qui s'impose.

L'arrêt d'une cour d'appel, évoqué lors des auditions du groupe de travail du Sénat, illustre ce phénomène : après avoir employé les termes de « plaisanteries, certes pas toujours de bon goût », cette décision a finalement conclu à « l'absence de contrainte ou l'absence de conscience d'un non-consentement ». Ce décalage entre la réalité sociologique du harcèlement sexuel et sa traduction juridique est révélateur de mentalités bien ancrées dans notre société, qui consistent à considérer que, finalement, le harcèlement sexuel « ne serait pas si grave que cela ». Ce décalage vaut également pour l'ensemble des violences faites aux femmes, souvent niées, encore aujourd'hui, par le corps social.

Rappelons qu'en France une femme est tuée tous les trois jours du fait de violences et que 75 000 femmes sont violées chaque année. En tant que députée de la première circonscription de Nouvelle Calédonie, je tiens à préciser qu'à 22 000 kilomètres de la métropole une femme sur quatre est battue contre une sur dix en France métropolitaine. C'est vraiment intolérable et inacceptable.

Certes, les choses évoluent car aujourd'hui certaines d'entre elles ne sont plus dans le silence et osent déposer plainte. De plus, nous avons fait le choix de mettre en place le traitement psychologique des violents en liaison étroite avec le procureur ; mais il reste tant à faire pour faire évoluer les mentalités. Cette violence faite aux femmes, dans la majorité des cas, sur fond conjugué d'alcool et de cannabis, est un problème majeur de la société calédonienne, un véritable fléau.

La question de la place des femmes dans la société française, n'est pas une question de reconnaissance, c'est une question de justice.

Dans un autre registre, comment ne pas s'indigner que l'écart de rémunération entre les hommes et les femmes, à diplôme égal, soit encore de 27 % en moyenne ? Cette injustice, si j'ai bien compris, fera l'objet d'un projet de loi dès la rentrée. J'ai envie de dire : enfin ! Car nous sommes en 2012.

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