Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, chers collègues, l’île de Clipperton est un territoire français situé dans le Pacifique Nord, à 1 200 kilomètres des côtes américaines et à 4 000 kilomètres du point le plus proche de la Polynésie française. Elle est isolée dans cet océan, comme perdue, presque oubliée, négligée et depuis longtemps délaissée par la France, à laquelle elle appartient.
S’il n’y a pas de vie humaine sur l’île, les visiteurs s’y rendant plus ou moins occasionnellement et le hasard des courants marins y ont déposé des déchets et des objets, parfois dangereux, qui dégradent et polluent gravement l’environnement. L’État n’y faisant pas respecter ses droits souverains, l’île pourrait peu à peu abriter le siège d’activités illicites telles que le pillage des ressources, les atteintes de plus en plus fortes à l’environnement ou, pire encore, devenir une plaque tournante de trafics divers en servant de base arrière logistique aux trafiquants.
Et pourtant, l’île de Clipperton n’est pas dépourvue d’intérêt. Sa zone économique exclusive, qui s’étend sur 435 000 kilomètres carrés – le maximum possible selon la Convention de Montego Bay –, recèle de ressources non évaluées et non exploitées rationnellement – du moins pas par la France, ni sous son contrôle – et occupe une position géographique exceptionnelle.
Du reste, notre expérience dans la mise en valeur des TAAF définit un champ des possibles pour Clipperton : au fond, c’est une affaire de volonté que de définir déjà ce que nous souhaitons faire de ce bout de terre, au-delà de l’affichage d’une surface d’aire marine protégée destinée à conforter notre leadership dans le volontarisme environnemental.
L’île de Clipperton pourrait, à l’instar des TAAF, constituer un point d’appui beaucoup plus vaste dans la poursuite des objectifs mondiaux en termes de surveillance et d’étude du réchauffement climatique et de ses conséquences. La passivité, fondée sur le statu quo, ne peut plus durer dans un monde qui bouge plus que jamais autour de nous et face à la montée d’enjeux nouveaux décuplant la convoitise de ce territoire par les puissances environnantes.
Si le spectre des activités possibles recouvre les activités économiques – y compris halieutiques –, scientifiques et environnementales, il n’est pas mûr, à l’heure où nous examinons cette proposition de loi. Issue d’un travail remarquable mené par notre collègue Philippe Folliot, que je salue, cette proposition expose un dispositif institutionnel maximal, supposant que l’action à court terme à mener sur cette île serait déjà définie et actée.
Elle propose de l’ériger en une collectivité de l’article 74 de la Constitution, sur le modèle des TAAF, par modification de la loi du 6 août 1955 portant statut des terres australes et antarctiques françaises et de l’île de Clipperton, dotant cette dernière de la personnalité morale et lui reconnaissant l’autonomie administrative et financière.
Elle créerait un administrateur supérieur pour gérer le territoire qui pourrait, par délégation de la ministre des outre-mer, dynamiser l’administration de cette île. Un conseil consultatif serait également créé pour assister l’administrateur supérieur.
Elle modifierait le régime législatif applicable en y instituant la spécialité législative, laquelle stipule que les textes n’y sont applicables que sur mention expresse, sauf pour ceux qui le seraient automatiquement en vertu de la présente proposition de loi. Elle instituerait enfin des mesures de coercition à l’égard de ceux qui enfreignent la souveraineté territoriale, notamment pour les mouillages non autorisés.
Ainsi conçue, cette proposition de loi suppose actées les ressources futures d’une telle collectivité : celles-ci proviendraient des droits de pêche qui seraient à renégocier avec le Mexique et à accorder de manière onéreuse dans le futur, ce qui n’est pas acquis à l’heure actuelle. Elle suppose également la création d’une station scientifique à caractère international, dont le financement proviendrait des ressources déjà citées, d’une part, et de contributions privées, d’autre part. Tout cela est prématuré, même si il y a là matière à réflexion pour le futur conseil consultatif, dont la composition et la mission devront être précisément ajustées au vu des attentes qui sont les nôtres.
En conséquence, si nous considérons qu’il convient d’améliorer la gestion de ce territoire, d’y affirmer notre souveraineté et de définir clairement les activités que nous souhaitons voir s’y développer, nous estimons néanmoins que la proposition de loi qui nous est soumise ici est trop ambitieuse au regard de la réalité de ce territoire, et définit un dispositif dont la lourdeur institutionnelle n’est pas, en l’état, justifiée par l’intérêt que nous poursuivons ensemble.
C’est pourquoi nous souhaitons ramener ce dispositif à une dimension appropriée : franchir dès maintenant cette étape nécessaire permettra, sur la base des progrès ainsi engrangés, de laisser les organes créés travailler et définir de manière collective, transparente et pérenne, les étapes futures du devenir de cette île, notamment en termes d’activités appelées à s’y développer. Il sera temps, le moment venu, d’apprécier si les dispositions institutionnelles arrêtées aujourd’hui sont les plus appropriées pour franchir d’éventuelles étapes ultérieures.
Dans l’immédiat, il nous apparaît pertinent de nous limiter à instituer un administrateur supérieur pour gérer cette île et de préciser les voies et moyens par lesquels il exercera ses missions – tel est l’objet de l’amendement no 10 , troisième rectification, à l’article 2 proposé par le Gouvernement – ; de lui adjoindre un conseil consultatif pour l’assister et le conseiller dans ses tâches, le cas échéant ; de mettre en place des dispositifs destinés à réglementer le mouillage, le débarquement, l’atterrissage, le séjour et toute activité sur l’île – à ce propos, je voudrais qu’il soit clair que cette réglementation concerne pleinement les eaux territoriales qui lui sont attachées – ; d’instituer des sanctions pour les contrevenants à ces règles et, naturellement, de s’organiser dans le futur pour faire respecter lesdites règles.
Cet amendement gouvernemental reprend donc l’essentiel des mesures à retenir, à nos yeux, à ce stade. Son adoption, sauf éventuelles modifications rédactionnelles ou de coordination, entraînerait le rejet de tous les autres amendements à cet article. Il exclut l’idée de créer une collectivité ad hoc et les dispositions s’y attachant, et maintient l’identité législative.
Par ailleurs, une disposition, somme toute symbolique, de cette proposition de loi, semble poser difficulté. Elle fait l’objet de son article 1er : il s’agit du nom de ce territoire – actuellement « Clipperton » –, nom repris à l’alinéa 3 de l’article 72 de la Constitution. Le texte propose de consacrer son nom initial, à savoir « La Passion », soit de manière alternative, soit de manière complémentaire – la ministre de l’environnement l’a d’ailleurs fait cette semaine dans son communiqué annonçant la création de l’aire marine protégée dans la ZEE de cette île.
Cette proposition ne me paraît pas soulever de difficultés majeures et, au regard des enjeux réels qui se jouent autour de ce territoire, il serait dommage que nous nous querellions à ce sujet. Adoptons donc cette appellation et laissons chacun libre de l’appeler comme il le souhaite – pour nous, francophones, l’appellation « île de La Passion » est tout à fait bienvenue. Le Conseil constitutionnel n’irait tout de même pas nous chercher querelle sur ce point !
Le groupe socialiste, écologiste et républicain souhaite donc, dans cet esprit, l’adoption de cette proposition de loi avec les modifications apportées par l’amendement gouvernemental à l’article 2 évoqué plus haut. Nous savons pertinemment qu’elle n’épuise pas les débats et que des sujets restent à préciser dans le proche avenir sur au moins deux points : l’aire marine protégée créée par la ministre de l’environnement sur l’île de La Passion, et la renégociation des accords de pêche avec le Mexique, qu’il est naturellement nécessaire d’engager.