Cette mise au point étant faite, je me dois de souligner que ce texte soulève de nombreuses questions, tant sur la forme que sur le fond.
Sur la forme, nous nous interrogeons avec les membres de notre groupe sur l’opportunité d’un tel texte. Est-il vraiment nécessaire de faire croire qu’un réel danger pèse sur l’accès à l’avortement en France aujourd’hui ? Pourquoi un tel empressement législatif dans le contexte actuel, où l’accès à l’emploi et le droit à la sécurité font partie des véritables préoccupations de nos concitoyens ?
Pourquoi mettre autant en avant l’accès à l’avortement, alors que nos politiques en faveur d’une meilleure contraception semblent moins visibles, madame la ministre, et que, contrairement à ce qui se passe dans plusieurs de nos pays voisins, le nombre d’avortements pratiqués chaque année en France ne baisse pas et se situe toujours aux alentours de 200 000 ? Avons-nous bien conscience qu’un avortement est toujours un échec ? C’est souvent un drame.
C’est donc sur le fond que notre opposition est la plus formalisée. Ce texte, vous l’avez souligné vous-même en commission en reconnaissant que sa rédaction initiale risquait la censure du Conseil constitutionnel, flirte dangereusement avec la création d’un délit d’opinion. Cela, nous pouvons d’autant moins le cautionner que, si c’est vrai sur ce sujet, cela le sera sur n’importe quel autre. Vous commencez aujourd’hui par l’IVG. Vous, ou d’autres d’ailleurs, pourraient s’engouffrer dans la brèche, que vous auriez ainsi ouverte, pour s’attaquer à d’autres sujets.
Qu’est-ce que la liberté d’opinion ? Affirmée solennellement dès la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, et donc protégée par le Conseil constitutionnel, elle signifie que toute personne est libre de penser comme elle l’entend, d’affirmer des opinions contraires à celles de la majorité et de les exprimer.
Afin d’être effective, la liberté d’opinion doit s’accompagner du respect d’autres libertés, notamment la liberté d’expression, qui permet à chacun d’exprimer librement ses idées par tous les moyens qu’il juge appropriés, dont la liberté de la presse, la liberté de la communication audiovisuelle et la liberté d’expression sur le réseau internet.
Évidemment, nous sommes unanimes à le penser, cette liberté implique également le respect d’autrui. Ainsi les propos diffamatoires, racistes et incitant à la haine raciale ou au meurtre sont punis par la loi, ces limites à la liberté d’expression visant à protéger les tiers – nous y reviendrons.
La liberté d’expression implique aussi la liberté d’association, qui permet aux personnes partageant les mêmes opinions de s’associer au sein d’une même organisation, la liberté de réunion et la liberté de manifestation. Le délit d’entrave, tel qu’il est prévu aujourd’hui par le code de la santé, vise à la protection d’une liberté accordée aux femmes qui le souhaitent, d’avoir recours, dans les meilleures conditions, à l’IVG. C’est la raison pour laquelle il prévoit une pénalisation de tout acte visant à « empêcher ou tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur une interruption de grossesse ou les actes préalables ». Il est puni de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende, ce que personne, ici, ne remet en question.
Toutefois l’honnêteté intellectuelle oblige à reconnaître qu’il existe une grande différence de nature entre le fait « d’entraver » les femmes qui ont choisi d’avoir recours à l’IVG, comme le faisaient, par exemple, ces commandos que Mme la ministre a évoqués et qui s’enchaînaient aux grilles des hôpitaux, et le fait de mettre à disposition sur internet une information différente des sites officiels pour ceux et celles qui cherchent à s’informer et choisissent d’aller les consulter, même si ces sites mettent à disposition des numéros verts dits d’écoute.