La séance est ouverte.
La séance est ouverte à neuf heures trente.
La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, le projet de loi autorisant la ratification du protocole au traité de l’Atlantique Nord sur l’accession du Monténégro, signé à Bruxelles le 19 mai 2016, qui est soumis aujourd’hui à l’approbation de l’Assemblée nationale, est important puisqu’il concourt à nos efforts de stabilisation des Balkans occidentaux.
Après les adhésions à l’OTAN de la Slovénie en 2004, de la Croatie et de l’Albanie en 2009, celle du Monténégro sera un gage de stabilité pour la région des Balkans occidentaux, alors même que la stabilisation durable de cette région est un enjeu de première importance pour la sécurité européenne.
Notre pays a, dans ce domaine, une responsabilité particulière, liée à l’histoire et au rôle qui a été le sien dans les Balkans au cours des vingt dernières années, responsabilité qu’il assume aujourd’hui pleinement dans le cadre des processus de coopération régionale de Brdo-Brioni et de Berlin. Le succès du sommet des Balkans occidentaux qui s’est tenu, à l’invitation du Président de la République, le 4 juillet dernier en a été une illustration. La stabilité des Balkans est un enjeu de sécurité pour l’Europe aujourd’hui, comme elle l’a toujours été.
Le Monténégro, dès le lendemain de son indépendance, en juin 2006, a signifié sa volonté de se rapprocher de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord et d’en devenir membre. Il a été invité par les Alliés, en décembre 2009, à rejoindre le plan d’action pour l’adhésion, qui donne le statut officiel de candidat et engage formellement le processus d’adhésion.
Dans le cadre d’un dialogue étroit avec l’OTAN, le Monténégro a conduit de nombreuses réformes. Il a fait d’importants efforts en matière de modernisation des forces armées et de réforme du secteur de la sécurité et du renseignement, comme l’ont souligné plusieurs rapports de l’OTAN. L’effort de défense du pays a été porté à 1,7 % du PIB, légèrement en deçà de l’objectif de 2 % que se sont fixés les Alliés lors du sommet du Pays de Galles en septembre 2014. Le Monténégro a également conduit des réformes dans le domaine de la justice pour renforcer l’indépendance du système judiciaire, intensifier la lutte contre la criminalité organisée et la corruption et assurer l’état de droit.
Ces progrès constants ont été salués lors des sommets de Lisbonne en 2010 et de Chicago en 2012. Le sommet du Pays de Galles de septembre 2014 a ouvert un « dialogue renforcé » avec le Monténégro en vue de permettre aux Alliés de se prononcer, à la fin de l’année 2015, sur l’opportunité d’une adhésion à l’OTAN.
Lors de la réunion des ministres des affaires étrangères de l’OTAN des 1er et 2 décembre 2015, les Alliés ont pris par consensus la décision d’inviter le Monténégro à engager d’ultimes pourparlers en vue de son adhésion. Cette démarche a abouti à la signature par les États membres de l’OTAN du protocole au traité de l’Atlantique Nord sur l’accession du Monténégro le 19 mai 2016. Le Monténégro a alors obtenu le statut de pays « invité » et a pu ainsi participer au sommet de Varsovie.
La ratification du protocole au traité de l’Atlantique Nord sur l’accession du Monténégro permettra à ce pays, au terme des procédures de ratification par chaque membre de l’Alliance, de devenir, de plein droit, le vingt-neuvième allié de l’OTAN. Aujourd’hui, treize des vingt-huit membres de l’Alliance atlantique, ont d’ores et déjà ratifié ce protocole, et cela devrait être le cas d’une vingtaine d’Alliés d’ici la fin de l’année.
Pour la France, l’adhésion du Monténégro à l’OTAN sera bénéfique car ce pays joue un rôle important dans la région des Balkans occidentaux.
Le Monténégro a recouvré son indépendance, perdue après la Première guerre mondiale, le 3 juin 2006, en se séparant pacifiquement par référendum de la communauté de Serbie-et-Monténégro. Son indépendance a été reconnue immédiatement par l’ensemble de la communauté internationale et, j’insiste particulièrement sur ce point, le Monténégro n’est en litige territorial ou diplomatique avec aucun de ses voisins. Pays multiethnique apaisé, il est au contraire un élément moteur de la coopération régionale dans les Balkans. Malgré sa taille modeste, la contribution du Monténégro à la sécurité de l’Alliance sera réelle. Entre l’Albanie et la Croatie, ce pays assurera le long de l’Adriatique un continuum géographique qui a son importance stratégique en matière de défense collective – ce point était particulièrement important pour nos Alliés de la zone.
Le Monténégro participe d’ores et déjà, comme partenaire et à hauteur de ses moyens, à plusieurs opérations de stabilisation : Resolute Support en Afghanistan s’agissant de l’OTAN, mais aussi dans le cadre de l’Europe de la défense…
…et aux côtés des armées françaises au travers d’European Union Naval Force Operation Atalanta et de la mission de formation de l’Union européenne au Mali – EUTM-Mali. Ce sont des opérations européennes que la France a souhaitées, monsieur Myard. L’adhésion du Monténégro s’inscrira donc dans la continuité de cet engagement.
Concernant les conséquences de cette adhésion sur la politique d’élargissement de l’OTAN, je tiens à rappeler que l’ouverture du processus au Monténégro s’est faite dans le cadre d’un accord plus large entre Alliés sur le traitement des questions d’élargissement à l’OTAN, en amont du sommet de Varsovie. La France s’est assurée, dans le cadre de cet accord, que l’invitation faite au Monténégro ne serait pas entendue comme le signal d’un élargissement non maîtrisé. J’insiste sur ce point qui est essentiel : pour la France, l’adhésion du Monténégro n’ouvre en aucun cas la voie à une relance générale de la politique dite « de la porte ouverte ».
Pour la France, vous le savez, l’élargissement de l’OTAN n’est aujourd’hui ni une priorité, ni une fin en soi. Il ne peut s’envisager que dans la mesure où il renforce effectivement la sécurité de l’espace euroatlantique et la crédibilité de la défense collective.
Ainsi, nous avons accepté de considérer les mérites propres du Monténégro mais nous avons veillé à ce que soit parallèlement adoptée une série de conditions s’agissant des autres pays candidats pour l’adhésion desquels il n’existe pas aujourd’hui de consensus.
L’accord entre Alliés sur ce point, dont les principes ont été repris dans le communiqué du sommet de Varsovie, stipule ainsi que l’attribution d’un plan d’action pour l’adhésion reste une étape incontournable pour la Géorgie ; qu’il revient aux pays candidats de prendre les mesures nécessaires s’ils souhaitent avancer dans la voie de l’adhésion, et non aux Alliés de renoncer aux conditions posées ; que les candidatures seront évaluées, en priorité, à l’aune de la capacité des candidats à assumer les responsabilités et les obligations liées au statut de membre, en particulier, à contribuer à la sécurité de l’espace euroatlantique.
Rappelons-nous qu’au lendemain de la guerre froide, la politique d’élargissement de l’OTAN a été un facteur de renforcement de la sécurité du continent européen. Une forte demande de stabilité et de sécurité émanait des anciens pays membres du pacte de Varsovie. Tout comme l’Union européenne, l’Alliance y a répondu en définissant des modalités d’accession flexibles. L’objectif était de contribuer à une vaste architecture de sécurité européenne où les processus d’élargissement de l’OTAN et de l’Union européenne seraient perçus comme complémentaires, tout en étant clairement distincts.
Vingt-cinq ans plus tard, nous continuons de refuser l’idée d’un partage de l’Europe en sphères d’influence, comme celle d’un droit de regard extérieur sur le processus d’adhésion. Mais la dégradation durable de notre environnement stratégique a conduit l’OTAN à reconsidérer les perspectives d’élargissement actuelles. Nos partenaires comprennent bien désormais que les candidats à l’adhésion doivent être considérés, en premier lieu, en fonction de leur capacité à contribuer à notre défense collective et de la capacité de l’OTAN à garantir leur sécurité.
Voici, en résumé, les enjeux de la ratification de ce protocole d’accession aujourd’hui proposé à votre approbation.
L’adhésion du Monténégro n’affectera ni ne remettra en cause les conditions que notre pays avait fixées lors de sa réintégration dans la structure de commandement intégrée de l’OTAN, en 2009. Il ne préjuge en rien des décisions que l’Union européenne pourra prendre le jour venu s’agissant de l’adhésion du Monténégro à l’Union européenne, dont la procédure suit son cours et dont les critères d’accession sont différents, même si certains peuvent se recouper.
Je vous invite donc à juger ce projet de loi pour ce qu’il est : un développement circonscrit au cas du Monténégro, dont l’adhésion à l’OTAN est un signe positif pour la stabilité des Balkans occidentaux.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, les principales observations qu’appelle le protocole au traité de l’Atlantique Nord sur l’accession de la République du Monténégro, qui fait l’objet du projet de loi aujourd’hui proposé à votre approbation.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
La parole est à M. Pierre-Yves Le Borgn’, rapporteur de la commission des affaires étrangères.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, chers collègues, nous sommes appelés ce matin à examiner le projet de loi autorisant la ratification du protocole au traité de l’Atlantique Nord relatif à l’accession du Monténégro. Ce projet de loi est important, non seulement pour le Monténégro, pour qui l’adhésion à l’OTAN est un objectif depuis l’indépendance du pays en 2006, mais aussi pour le message de stabilité, de paix et de développement qu’il adresse aux États des Balkans occidentaux.
Je sais, comme rapporteur et plus encore comme député des Français établis dans les Balkans, familier de cette région profondément attachante, combien la paix y demeure toujours fragile.
Dois-je rappeler que le Monténégro et les Balkans se situent dans l’histoire à la confluence de plusieurs lignes de séparation, depuis la division entre l’Empire romain d’Occident et l’Empire romain d’Orient jusqu’aux luttes d’influence consécutives au recul de l’Empire ottoman. Il y a dans les Balkans le meilleur et le pire. Le meilleur, c’est la passion européenne, l’envie irrésistible de liberté, en particulier de la jeunesse. Le pire, ce sont les atavismes, les haines recuites et les périls nationalistes. Adhérer à l’OTAN, c’est pour le Monténégro regarder devant et concrétiser le choix exprimé il y a dix ans de rejoindre la communauté euroatlantique.
Dès décembre 2006, le Monténégro a adhéré à la convention sur le statut des forces du partenariat pour la paix. Il a pu ainsi développer une coopération et se joindre à des exercices avec les États parties au traité de Washington, acte de base de l’OTAN. Étape après étape, le Monténégro est devenu un partenaire fidèle, fiable, stable. Il était logique, dès lors, que les ministres des affaires étrangères des pays de l’OTAN réunis à Bruxelles en décembre 2015 invitent le Monténégro à engager formellement des pourparlers d’adhésion. Ces pourparlers ont abouti à la signature du protocole au traité de Washington, le 19 mai dernier. Si le processus de ratification aboutit, le Monténégro sera le vingt-neuvième État partie, le plus modeste aussi.
L’effort de défense du Monténégro représente quelque 47 millions d’euros. À la hauteur d’une population totale de 620 000 habitants, ses forces armées comptent 1 850 personnes et sont, pour une part d’entre elles, déjà au niveau de la certification OTAN.
Je souhaite saluer leur engagement international au titre de l’OTAN en Afghanistan, avec la mission Resolute Support, et au titre de l’Union européenne au Mali, avec la mission EUTM Mali.
Les conséquences de l’accession du Monténégro seront très limitées pour l’OTAN. La contribution aux financements communs de l’Alliance est évaluée à hauteur de 0,027 %, soit environ 1 million d’euros. Aucun projet de stationnement de forces étrangères ou d’installations militaires étrangères n’est prévu sur le territoire monténégrin.
L’accession monténégrine peut-elle être vue comme une provocation vis-à-vis de la Russie, a fortiori par la Russie elle-même ? La Russie a une position de principe opposée à tout élargissement de l’OTAN et cela s’applique également au Monténégro. La Douma avait d’ailleurs voté un appel en ce sens à la fin de l’année 2015, rappelant les liens historiques entre les peuples russe et monténégrin pour dire son hostilité au choix du gouvernement de Podgorica. Cependant, au même moment, les autorités russes ont déclaré également qu’elles respecteraient la décision des autorités du Monténégro. L’ancien Premier ministre Milo Djukanovic a assuré dans les médias russes que l’intégration de son pays à l’OTAN ne devait pas être lue comme une marque d’hostilité à l’égard de Moscou, mais comme la pleine et entière adhésion du Monténégro aux objectifs et aux valeurs de la communauté euroatlantique.
En commission des affaires étrangères, cette crainte d’une crispation russe liée à l’accession du Monténégro à l’OTAN a été exprimée. Elle est infondée. D’autres collègues ont jugé que le Monténégro ne serait pas encore un État de droit et qu’il serait malheureux, dès lors, de lui ouvrir les portes de l’OTAN. Je conteste cette lecture. Loin de moi l’idée d’affirmer que le Monténégro cocherait toutes les cases d’une démocratie idéale, mais je ne peux souscrire à un portrait à charge de ce pays, dont je mesure les efforts, efforts consentis, faut-il le rappeler également, en qualité d’État candidat à l’adhésion l’Union européenne depuis 2012 sur la base d’une « nouvelle approche » reposant sur des exigences renforcées en matière d’État de droit et de lutte contre la criminalité organisée.
Je ne soutiendrais pas ce matin, devant notre Assemblée, l’accession du Monténégro a l’OTAN si je n’avais pas connaissance de ses résultats. En janvier 2015 à Strasbourg, j’avais été l’orateur du groupe socialiste à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur la levée du mécanisme de suivi des engagements du Monténégro. Je l’avais défendue en raison des progrès notables accomplis sur l’indépendance du pouvoir judiciaire et l’élection du procureur suprême. Comme le député finlandais Kimmo Sasi, qui en était le rapporteur, j’avais appelé le Monténégro à agir en matière de la lutte contre la corruption, qui est un thème majeur. Le respect de cet engagement a été entrepris depuis, avec de premiers résultats que je juge probants.
J’ai également entendu en commission que la vie politique monténégrine serait clivée entre les défenseurs et les opposants de l’accession à l’OTAN. Je le confirme. J’ai pu le constater moi-même en me rendant au Monténégro entre les 10 et 12 novembre derniers. Les élections législatives du 16 octobre se sont jouées autour de cette question de l’OTAN. Elles ont donné une majorité nette en sièges aux défenseurs de l’accession, dont le DPS du nouveau Premier ministre Dusko Markovic, le petit parti social-démocrate SDP, les parlementaires représentant les minorités et même une partie de l’opposition. Reste contre ce choix essentiellement le Front démocratique, anti-OTAN et pro-russe. Il se trouve ainsi, au sein du Parlement monténégrin, une majorité claire et solide qui votera en faveur de la ratification du protocole du 19 mai, sitôt que nous aurons, de notre côté – les vingt-huit États parties, dont la France –, ratifié ce texte.
C’est ce que je vous invite à faire, mes chers collègues, après l’approbation du projet de loi par la commission des affaires étrangères mardi dernier. Je vous invite à le faire pour consolider la marche vers l’état de droit et la stabilité dans les Balkans, parce que le Monténégro oeuvre activement et utilement pour la paix dans cette région, parce que ses objectifs de politique étrangère sont ceux de l’Union européenne, parce que c’est l’espoir de la jeunesse monténégrine, parce que c’est l’intérêt de l’Europe et parce que c’est l’intérêt de la France.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires étrangères.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en complément de la présentation du secrétaire d’État et du rapporteur, que je félicite, je souhaite apporter quelques commentaires à propos de ce protocole d’adhésion du Monténégro au traité de l’Atlantique Nord.
D’abord, c’est évidemment notre intérêt national qui doit dicter notre décision et non pas les souhaits de tel ou tel État, qu’il soit membre de l’Alliance ou non.
L’intérêt de la France est que le Monténégro, comme tous les États des Balkans, se réforme et se stabilise durablement. Notre intérêt n’est pas que les Balkans soient à nouveau la proie de leurs vieilles querelles qui ont manqué de les détruire. Notre intérêt est qu’ils se modernisent et contribuent à notre propre sécurité, notamment en réduisant à néant les divers trafics dont ils sont encore le théâtre.
En deuxième lieu, il appartient principalement à l’Union européenne, comme le secrétaire d’État l’a souligné, d’accompagner les Balkans occidentaux sur la voie de la réforme et de la stabilité. Une perspective d’adhésion a été offerte à l’ensemble de ces pays en 2000 et, depuis l’adoption d’une « nouvelle approche » en 2012, l’Union met l’accent sur le renforcement de l’état de droit. Les négociations d’adhésion du Monténégro à l’Union européenne, ouvertes en 2012, permettent un suivi très étroit des progrès dans ce domaine, notamment s’agissant de la lutte contre la corruption, le blanchiment et le crime organisé.
Certes, je n’ignore pas toutes les difficultés qu’il y a pour l’Union à s’ouvrir à de nouveaux membres, compte tenu de la montée des populismes et de la multiplication des difficultés internes à l’Union. Mais nous ne pouvons pas renoncer à cette politique qui permet de sécuriser cette région et, par là même, d’accroître notre propre sécurité. Tout ce qui se passe dans cette région très proche a un effet quasi immédiat chez nous. Une récente visite que j’ai faite en Albanie m’a d’ailleurs permis de vérifier à quel point la politique européenne contribuait fortement au progrès de ces pays. Rappelons qu’en 2009, la commission des affaires étrangères présidée alors par Axel Poniatowski avait approuvé l’accession de l’Albanie à l’OTAN.
En troisième lieu, je veux souligner, après le secrétaire d’État, qu’il n’y a pas d’automaticité entre l’adhésion à l’Union européenne et l’adhésion à l’OTAN, mais cette dernière peut contribuer aussi à conforter les réformes et à stabiliser les Balkans occidentaux. C’est dans cette perspective, essentiellement, qu’il convient d’apprécier l’adhésion du Monténégro à l’OTAN. Elle est complémentaire, mais bien distincte, de la politique de l’Union, ce qui appelle un renforcement de la coopération entre les deux organisations comme le sommet de Varsovie l’a clairement affirmé. Le principal intérêt de la politique d’élargissement de l’OTAN dans les Balkans, et peut-être même le seul, est d’encourager les candidats à respecter les valeurs démocratiques et l’état de droit, et à entretenir des relations de bon voisinage avec leurs voisins. Le Monténégro s’est engagé dans cette voie. C’est une première raison d’approuver ce projet.
En quatrième lieu, cet élargissement, contrairement à d’autres, ne présente à mes yeux aucun risque stratégique sérieux.
Tout d’abord, le Monténégro, en dépit de ses liens réels avec la Russie, n’a jamais été intégré au territoire russe, ni pendant la période soviétique ni avant. C’est pourquoi les autorités russes ont exprimé leur opposition à cet élargissement, le rapporteur l’a rappelé, mais ont aussi déclaré officiellement qu’elles respectaient la décision des autorités monténégrines. Nous n’avons, me semble-t-il, aucune raison de douter de leur parole.
Lors des dernières élections législatives, ce sujet a largement occupé le débat. Les autorités du Monténégro ont insisté sur le fait que cette intégration n’était pas une marque d’hostilité à la Russie. L’opinion publique monténégrine semble largement acquise à cette entrée qui ne devrait être ni une source de conflit avec la Russie ni une source de conflit interne. Au contraire, on peut en attendre un renforcement de la coopération régionale, donc une consolidation de la paix dans une zone qui a été durement éprouvée dans le passé.
Enfin, nous devons aussi conforter l’unité des Européens au sein de l’Alliance atlantique. Cette décision a été prise par les Alliés lors du sommet de l’OTAN de Varsovie. Elle a été préparée depuis 2009 par le franchissement de diverses étapes saluées à chaque fois unanimement. Elle a été fortement souhaitée par nos alliés européens, en particulier par l’Allemagne.
En revanche, le sommet de Varsovie n’a enregistré aucune autre avancée quant à la politique d’élargissement de l’Alliance. Le recentrage de l’Alliance sur la défense collective et sur les mesures de réassurance n’a pas conduit les Alliés à stigmatiser la Russie comme une menace. Même si l’Alliance a clairement condamné les agissements de la Russie en Ukraine, la porte du dialogue avec la Russie reste, elle aussi, ouverte. L’ensemble des décisions prises au sommet de Varsovie est donc très satisfaisant et correspond à nos conceptions stratégiques.
Compte tenu de tous ces arguments, notre pays n’a donc aucune raison majeure de s’opposer à l’adhésion du Monténégro à l’OTAN. Au contraire, je crois vraiment que cette adhésion est conforme à ses intérêts.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le groupe socialiste, écologiste et républicain, votera en faveur de la ratification du protocole d’adhésion du Monténégro à l’Alliance atlantique. Il le fera pour les raisons développées à l’instant par le secrétaire d’État, le rapporteur et la présidente de la commission, mais aussi pour celles qu’a fait valoir notre collègue Patrice Verchère, président du groupe d’amitié France-Monténégro, le 23 juin dernier lorsqu’il interrogeait le Gouvernement sur cette adhésion. Il rappelait que le Monténégro « avait fait le choix de l’Europe dès son indépendance », qu’il avait adopté l’euro dès sa création et que, la même année, il s’était également porté candidat à l’entrée dans l’Union européenne, avec laquelle les négociations d’adhésion ont finalement débuté en 2012. Ce parcours bénéficie d’un engagement résolu de la part de la classe politique monténégrine et fait de ce pays le « bon élève » d’une région où persistent des tensions.
Sa candidature à l’OTAN participe de la même détermination. Si elle a suscité un débat démocratique dans l’opinion publique, elle recueille l’accord de plus de 60 % de la population.
Cette ratification s’appuie sur des critères objectifs touchant aussi bien à la conformité du pays aux normes de l’OTAN – en particulier en termes de contrôle démocratique des forces armées – qu’à la contribution qu’il était susceptible d’apporter à la sécurité des Alliés. Dans le cadre de ce processus, l’Alliance s’assure aussi de l’adhésion de la population du pays au rapprochement avec elle. Vous rappeliez dans votre réponse, monsieur le secrétaire d’État qu’il s’agit « bien d’une décision souveraine, aussi bien du pays concerné que de ses alliés, parmi lesquels la France. Nul État tiers n’a de droit de regard, ni sur le processus, ni sur la décision. »
Notre collègue Verchère voulait alors savoir quand la France entendait ratifier ou non le protocole d’accession du Monténégro à l’OTAN. Nous y sommes, et le groupe socialiste, écologiste et républicain répond oui !
De fait, la croissance économique du pays a connu une reprise impressionnante après la crise de 2008-2009, avec un taux de croissance supérieur à 4 % en 2015, grâce au tourisme notamment. La marche vers l’état de droit progresse, même si des progrès restent à faire en matière de lutte contre les trafics illicites, la corruption, etc. – le rapporteur l’a rappelé dans sa présentation.
La stabilité régionale ne peut qu’être confortée par cette adhésion. Le Monténégro est un des États issus de l’ex-Yougoslavie. Il entretient des relations amicales et de coopération avec ses voisins. Aujourd’hui l’Albanie, la Croatie, la Slovénie, et au-delà la Hongrie, l’Italie, la Grèce, la Bulgarie et la Roumanie sont membres de l’Alliance. L’insertion du Monténégro va compléter un espace d’homogénéité diplomatique porteur de coopérations et de stabilité. Ce n’est pas rien dans une région aux héritages historiques fragmentés et antagonistes, d’autant que la plupart de ces pays, comme le Monténégro, ont rejoint pour certains l’Union européenne, ou sont pour d’autres sur le point de le faire. La double démarche du Monténégro ne fait que conforter le consensus collectif des pays balkaniques.
Je n’ai pas oublié qu’au-delà du Monténégro et des Balkans, des craintes ou des critiques ont été exprimées. Les autorités russes, en raison d’un contexte relationnel difficile ces dernières années avec l’Europe, les États-Unis et les pays de l’Alliance atlantique, ont parfois tendance à surinterpréter toutes les décisions ou initiatives se rapportant à l’OTAN et à l’Union européenne.
En ce qui concerne le Monténégro, cela n’a pas de sens. Comme il a été rappelé, ce dernier n’a jamais appartenu au voisinage de l’Union soviétique ni diplomatiquement, ni économiquement, ni a fortiori militairement. Il n’est donc pas dans la situation de l’Ukraine ou de la Géorgie.
Dans ces conditions, pourrait-il être victime d’un contexte diplomatique complexe, qui finalement ne le concerne pas au premier chef ?
De toute évidence non. Le Monténégro a toute sa place dans l’Alliance atlantique, comme dans l’Union européenne, à terme, s’il le souhaite et si un élargissement a lieu. Ce souhait a été manifesté par son peuple, dans les urnes, de façon répétée et démocratique. La France et la représentation nationale n’ont donc aucune raison de ne pas ratifier ce protocole d’accord.
Le groupe socialiste, écologiste et républicain votera en sa faveur.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, en mai dernier, les ministres des affaires étrangères des vingt-huit États membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord et le premier ministre monténégrin Milo Djukanovic signaient le protocole d’accession du Monténégro à l’OTAN.
En tant que président du groupe d’amitié France-Monténégro à l’Assemblée nationale depuis près de neuf ans, je souhaite rappeler que le Monténégro a fait le choix de l’Europe dès son indépendance.
Il a adopté l’euro dès sa création et, la même année, s’est également porté candidat à l’entrée dans l’Union européenne, avec laquelle les négociations d’adhésion ont finalement débuté en 2012.
Trois ans après le début de ces négociations, le pays continue de se rapprocher des critères politiques : il a accompli de nouveaux progrès dans l’établissement d’une économie de marché effective et amélioré sa capacité à assumer les obligations futures qui lui incomberont après son adhésion.
À ce jour, depuis septembre 2012, pas moins de vingt-deux chapitres, soit près des deux tiers, ont d’ores et déjà été successivement ouverts, dont deux sont déjà provisoirement refermés.
En réalité, la totalité des chapitres font l’objet de discussions formelles.
Je tiens à rappeler que le 22 janvier 2013, le Parlement européen a adopté un rapport sur le Monténégro dans lequel il salue les réformes engagées et les progrès réalisés en vue de l’adhésion.
Il a toutefois encouragé à plus d’action en matière de protection de la liberté des médias, de droits des femmes et d’égalité des sexes, ainsi que pour intensifier la lutte contre la corruption et le crime organisé.
Je puis vous assurer, pour m’être rendu à plusieurs reprises dans ce pays, parfois avec des collègues ici présents, que les Monténégrins sont particulièrement pugnaces lorsqu’il s’agit d’améliorer la situation car ils savent très bien que ce sont les conditions essentielles pour poursuivre leur chemin vers une adhésion à l’Union Européenne.
J’ai d’ailleurs pu noter, en mars dernier, lors de la communication de la présidente de la commission des affaires européennes, notre collègue Danielle Auroi, sur sa mission au Monténégro, que le parcours de ce pays, récemment indépendant, était remarquable et bénéficiait d’un engagement résolu de la part de la classe politique monténégrine, ce qui en faisait à ses yeux le « bon élève » d’une région des Balkans où persistent des tensions.
La candidature du Monténégro à l’OTAN participe de la même détermination. Si elle suscite indéniablement des questions dans l’opinion publique, elle recueille tout de même l’adhésion de plus de 60 % de la population, ce qu’ont confirmé les élections législatives d’octobre dernier.
Au niveau militaire, l’armée monténégrine, en dépit de sa modestie, présente indéniablement un bon degré d’interopérabilité et le pays a démontré son intérêt pour les missions de paix pilotées par l’Union européenne, notamment au Mali et en République centrafricaine. Elle a également participé à plusieurs opérations en Afghanistan.
Selon le Secrétaire général de l’OTAN, l’adhésion du Monténégro permettrait à celui-ci d’obtenir des avantages, mais elle profiterait également grandement à l’OTAN. En effet, selon ce dernier, cette adhésion permettra de renforcer la sécurité des Balkans, région depuis très longtemps malmenée par les conflits.
Il ajoute enfin que l’armée monténégrine, certes de petite taille, est néanmoins particulièrement expérimentée en matière de combat en montagne et de sécurité maritime.
Le gouvernement monténégrin pensait que le protocole d’adhésion pouvait être signé dès le printemps 2016, avant sa ratification par les Parlements nationaux.
Je vous avais d’ailleurs interrogé, monsieur le secrétaire d’État, le 23 juin dernier, lors des questions d’actualité, pour vous demander une date officielle de ratification.
Aujourd’hui, je ne peux donc que me réjouir que ce projet de loi arrive enfin.
En effet, je reste persuadé que cette ratification donnera au Monténégro, qui aligne déjà sa politique étrangère sur celle de l’Europe, une garantie sur sa sécurité tout en renforçant celle des pays de la côte adriatique.
Indépendant depuis une dizaine d’années et en dépit de sa petite taille, cet État peuplé de 650 000 habitants a fait un très long chemin, et bien qu’il lui en reste encore à parcourir, cela va de soi, des efforts considérables ont été faits en peu de temps.
Il a en effet rétabli sa souveraineté et consolidé ses institutions démocratiques en s’alignant au plus près sur les normes européennes. Grâce à sa coopération avec l’OTAN, les forces armées monténégrines sont désormais plus fortes et plus à même d’assurer la protection de la population du pays.
Cette invitation à rejoindre les États membres de l’OTAN qui lui est faite aujourd’hui ne se veut hostile à personne, à aucun pays. Il ne faut y voir aucune hostilité envers la Russie. Elle est simplement destinée à servir notre sécurité commune et à permettre au Monténégro de choisir librement sa route en État souverain.
Bien sûr, le processus d’accession à l’OTAN est exigeant. Il demande des réformes persévérantes et un travail constant pour renforcer l’État de droit, mais, au vu des engagements qu’a pris le Monténégro jusqu’à aujourd’hui, nul doute qu’il saura relever ses défis. D’ailleurs, treize États, parmi les vingt-huit Alliés, ont déjà procédé à la ratification.
Il est évident que le Protocole d’adhésion du Monténégro n’aurait pas pu être signé par treize pays sur vingt-huit sans que soient accomplies les conditions préalables et exigeantes d’une telle organisation.
Rappelons que, depuis son adhésion au Partenariat pour la paix, d’abord, suivie par le Plan d’action en 2009, et jusqu’à aujourd’hui, le Monténégro a pendant plus de quinze ans oeuvré avec détermination et volonté afin d’acquérir les standards et les valeurs de l’Alliance, qui sont d’ailleurs complémentaires de ceux exigés pour l’adhésion à l’Union européenne.
Dans cette perspective, l’adhésion à l’OTAN peut représenter pour le Monténégro une première étape vers une adhésion à l’Union européenne, sans pour autant le dispenser des efforts indispensables qu’il lui reste à faire pour remplir tous les critères nécessaires et rendre cette dernière effective.
Mes chers collègues, c’est pour toutes ces raisons que je voterai ce projet de loi autorisant la ratification du protocole au traité de l’Atlantique sur l’accession du Monténégro et que j’invite mes collègues du groupe Les Républicains à faire de même.
Applaudissements sur divers bancs.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes invités ce matin à nous prononcer sur l’adhésion du Monténégro à l’OTAN, conformément à la procédure qui veut que tout protocole soit soumis au Parlement avant sa ratification par la France.
Si nous adoptons ce projet de loi, nous rejoindrons ainsi les treize des vingt-huit États membres qui ont d’ores et déjà procédé à la ratification du protocole sur l’accession du Monténégro.
Je le rappelle, la France, membre fondateur de l’OTAN, a fait son retour dans ses structures militaires intégrées en 2009. Ce retour avait principalement deux objectifs : d’une part, accroître notre présence et notre influence dans l’Alliance, d’autre part relancer l’Europe de la défense.
Nous en sommes persuadés, aux côtés de l’OTAN, la sécurité du continent européen doit pouvoir s’appuyer sur une véritable Europe de la défense. Pour cela, l’Europe doit peser davantage dans la définition de la stratégie de défense avec nos alliés.
C’est dans cet esprit que nous abordons la question de l’élargissement de l’OTAN sur le continent européen.
Après la Bulgarie et la Slovénie en 2004 puis l’Albanie et la Croatie en 2009, la demande d’adhésion du Monténégro s’inscrit dans la continuité d’ouverture aux pays des Balkans après la chute de l’URSS. Elle pose la question d’un élargissement de l’OTAN aux partenaires des Balkans occidentaux.
Adhérer à l’OTAN est un acte éminemment important, sur le plan de la sécurité comme sur le plan politique.
C’est rejoindre des États qui se sont unis en 1949 pour sauvegarder leur liberté et leur sécurité et qui, au lendemain de la guerre froide, ont invité les pays qui le souhaitaient à faire de même.
C’est s’engager, à travers cette organisation et conformément à l’article 10 du Traité de l’Atlantique Nord, à « favoriser le développement des principes du Traité et à contribuer à la sécurité de la région de l’Atlantique Nord ».
C’est aussi respecter l’obligation d’assistance, base du principe fondamental de l’OTAN, prévue à l’article 5 du Traité selon lequel une attaque armée contre un ou plusieurs membres doit être considérée comme une attaque dirigée contre tous les membres.
Alors, mes chers collègues, le Monténégro répond-t-il aux critères lui permettant de devenir le vingt-neuvième État membre de l’OTAN ?
Après quatre-vingt-huit années d’union avec la Serbie, le Monténégro, petit pays composé d’environ 620 000 habitants, a recouvré son indépendance en juin 2006.
À compter de ce jour, le Monténégro a fait le choix de se tourner vers l’Europe, adoptant l’euro et se portant candidat, dès 2006, à l’entrée dans l’Union européenne.
Après avoir quitté la Fédération, il est ainsi devenu le cinquante-sixième État membre de l’OSCE – Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe – et le 192e État membre de l’ONU.
Il a adhéré au Partenariat pour la paix, puis il a été invité, en 2009, à participer au Plan d’action pour l’adhésion. Ont alors été soulignés les défis majeurs que doit relever le Monténégro – renforcement de l’état de droit, respect des normes, coopération avec l’OTAN.
En mai 2016, le Monténégro a obtenu le statut d’invité, permettant ainsi à ses représentants de participer en qualité d’observateurs aux réunions des Alliés.
Nous le voyons bien, si l’adhésion à l’OTAN ne recueille pas l’unanimité parmi les Monténégrins, comme cela a pu être le cas en Pologne ou dans les États baltes, on y ressent un vrai besoin d’Europe et de stabilité.
Cet État a ainsi fait preuve de coopération avec les Alliés et les pays partenaires dans plusieurs domaines.
Il a activement soutenu, de 2010 à fin 2014, l’opération dirigée par l’OTAN en Afghanistan et soutient aujourd’hui la mission de suivi consistant à offrir formation, conseil et assistance aux forces de sécurité afghanes.
En outre, le Monténégro participe au processus de planification et d’examen qui l’aide à constituer des forces destinées à mener des opérations de maintien de la paix et de secours, en cas de catastrophe, avec les forces des pays de l’OTAN et des pays partenaires.
Le pays participe également au programme de l’OTAN pour le développement de l’intégrité, qui porte sur le renforcement de la bonne gouvernance dans les secteurs de la défense et de la sécurité.
Il a pris part à diverses initiatives dans le domaine de la cyberdéfense ainsi qu’au programme de l’OTAN pour la science au service de la paix et de la sécurité.
Certes, des améliorations sont attendues. Le pays devra achever son processus de réformes démocratiques, institutionnelles et judiciaires en cours.
Cette intégration devra précisément l’inciter à continuer de se réformer, non seulement militairement mais aussi au niveau de l’État de droit.
Enfin, l’intégration des pays des Balkans au sein de l’OTAN réduit la possibilité d’un nouveau conflit dans la région.
Certes, la Russie a une position de principe : elle est opposée à l’élargissement de l’OTAN qu’elle voit comme une menace. Cependant, les autorités russes ont déclaré qu’elles respecteraient la décision des autorités du Monténégro.
Ainsi, mes chers collègues, cette adhésion est l’occasion d’envoyer un message de stabilité et de paix aux pays des Balkans occidentaux.
À travers leur déclaration au sommet de l’OTAN de Bucarest, en 2008, les chefs d’État et de gouvernement ont démontré les bienfaits du processus d’élargissement.
Le présentant comme une « réussite historique », ils considèrent qu’il a « permis de faire avancer la stabilité et la coopération, et de nous rapprocher de notre but commun, d’une Europe entière et libre, unie dans la paix, dans la démocratie et par des valeurs ». Et ils ajoutent : « La porte de l’OTAN restera ouverte aux démocraties européennes désireuses et capables d’assumer les responsabilités et les obligations liées au statut de membre ».
Dans cette perspective d’élargissement, l’adhésion du Monténégro doit permettre de renforcer le poids des pays du vieux continent dans l’organisation internationale et de garantir plus de sécurité.
Alors que l’Union Européenne traverse une crise majeure, un élargissement de l’OTAN sur le continent européen est un signal positif : il permet de renforcer la coopération entre les pays européens au sein de l’Alliance transatlantique, donc de marquer une nouvelle étape dans la volonté d’aboutir à une Europe commune de la défense.
Vous l’aurez compris, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, le groupe de l’Union des démocrates et indépendants, par ma voix, votera en faveur de ce projet de loi autorisant la ratification du protocole au traité de l’Atlantique Nord sur l’accession du Monténégro.
Applaudissements sur tous les bancs.
Monsieur le Président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, chers collègues, depuis 1949, vingt-huit États ont rejoint l’Organisation de l’Atlantique Nord, dont la France, qui fit partie des douze premiers membres.
L’objectif essentiel de l’OTAN est de préserver la sécurité des États membres face à des risques d’agression majeure et des menaces nouvelles. Néanmoins, après la disparition de l’URSS et de son alliance militaire, le Pacte de Varsovie, l’OTAN s’est adaptée aux nouvelles réalités géostratégiques, en devenant un système de sécurité internationale. Purement défensive à l’origine, l’Alliance s’est vu alors confier des missions de prévention et de gestion des crises pouvant porter atteinte à la sécurité européenne et mondiale.
Dans ce cadre, le Monténégro, petit pays des Balkans de 630 000 habitants, a fait de l’adhésion à l’OTAN – tout comme à l’Union européenne – l’un des principaux objectifs de sa politique extérieure. Cette ambition s’explique par le fait que ce pays a recouvré son indépendance récemment, en juin 2006, après quatre-vingt-huit années d’union avec la Serbie.
Depuis cette date, il est devenu membre de l’OSCE et de l’ONU. En parallèle, il a noué des liens sans cesse plus étroits avec l’OTAN, puisqu’il a adhéré, en décembre 1995, à la convention entre les États parties au traité de l’Atlantique nord et les autres États participant au partenariat pour la paix. Ce programme de coopération bilatérale permet aux partenaires euro-atlantiques de développer une relation individuelle avec l’OTAN, en choisissant leurs propres priorités de coopération.
Le Monténégro a fait part, depuis, de sa volonté de se rapprocher davantage de l’Alliance. Ainsi, il a été invité à rejoindre, en décembre 2009, le Plan d’action pour l’adhésion, programme dans le cadre duquel l’OTAN apporte des avis, une aide et un soutien pratique, spécialement adaptés aux différents besoins des pays désireux d’adhérer à l’Alliance.
En 2012, les Alliés ont émis au sommet de Chicago un signal très positif en faveur de l’adhésion du Monténégro, tout en rappelant la nécessité de certains axes d’amélioration. Puis, constatant les progrès effectués, ils ont ouvert, lors du sommet du pays de Galles, en septembre 2014, un dialogue renforcé avec le Monténégro et, en décembre 2015, l’ont invité à entamer des pourparlers d’adhésion à l’Alliance.
Enfin, le 19 mai 2016, ils ont signé le protocole d’accession, après quoi le Monténégro a obtenu le statut de pays invité et commencé à assister – sans droit de vote – à des réunions du Conseil de l’Atlantique nord.
L’accession du Monténégro au traité de l’Atlantique nord est ainsi parfaitement justifiée. Au premier chef, elle aura pour effet d’étendre le principe de la défense collective, stipulé à l’article 5 du traité, à un allié supplémentaire. Cet article, rappelons-le, est à la base du principe fondamental de l’OTAN. Il prévoit qu’une attaque armée contre un ou plusieurs membres est considérée comme dirigée contre tous les membres, et que chacun des alliés prend en conséquence les mesures qu’il juge nécessaires pour apporter une assistance à l’allié attaqué. Les parties au traité s’engagent également à développer leurs moyens, à se prêter mutuellement assistance et à accroître leur capacité individuelle et collective de résistance à une attaque armée.
Dans cette perspective, le Monténégro a décidé, en 2010, de fournir des troupes à la Force internationale d’assistance à la sécurité, la FIAS, dirigée par l’OTAN en Afghanistan et, depuis l’achèvement de l’opération de la FIAS, fin 2014, il a contribué à la mission de suivi qui consiste à offrir formation, conseil et assistance aux forces de sécurité afghanes. Le Monténégro a offert, entre autres, des armes et munitions pour aider à équiper et à entraîner l’armée nationale afghane. Il s’est par ailleurs engagé à fournir un soutien financier pour le développement futur des forces de sécurité nationales de ce pays.
Il a également mené, en 2013, une nouvelle stratégie de défense et a élaboré un plan de développement à long terme pour ses forces armées. Ces documents ont jeté les bases d’une réforme complète de son dispositif de défense.
En outre, il participe au programme de l’OTAN pour le développement de l’intégrité, qui porte sur le renforcement de la bonne gouvernance dans les secteurs de la défense et de la sécurité. Ce programme a pour objectif d’aider à la sensibilisation, à la promotion des bonnes pratiques et à l’élaboration d’outils concrets, permettant ainsi d’améliorer la transparence et la responsabilité.
Dernier argument en faveur de l’accession du Monténégro au traité de l’Atlantique nord, on estime que l’intégration d’un État des pays des Balkans au sein de l’OTAN réduira la possibilité d’un nouveau conflit dans la région, d’autant que l’indépendance tardive du Monténégro, dans la dislocation de la Yougoslavie, a emprunté une voie pacifique, hors du contexte de guerre qui a entouré les premières indépendances, particulièrement celle de la Croatie et de la Bosnie.
Depuis, le Monténégro veut jouer un rôle actif dans la stabilisation des Balkans occidentaux, notamment par des initiatives de coopération régionale et la négociation d’accords bilatéraux destinés à créer un cadre juridique favorable aux échanges économiques. C’est ainsi qu’a été lancée une initiative du « G6 + 2 », forum qui réunit les pays des Balkans occidentaux non-membres de l’Union européenne, ainsi que la Croatie et la Slovénie.
Ces coopérations sont d’autant plus importantes que la Bosnie-Herzégovine et l’Ancienne République yougoslave de Macédoine sont aussi candidates à l’adhésion de l’OTAN.
Par conséquent, le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste soutient la ratification du protocole d’accession qui permettra au Monténégro d’accéder au traité de Washington et de devenir membre à part entière de l’Alliance. (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, et sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain, du groupe de l’Union des démocrates et indépendants, et du groupe Les Républicains.)
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je pense que vous vous attendez à entendre une autre musique pendant mon intervention. Je vais vous faire ce plaisir.
Après un quinquennat marqué par l’américanophilie de Nicolas Sarkozy et le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN, celui de François Hollande est allé encore plus loin.
Il y a quelques mois, l’Assemblée nationale et le Sénat ont approuvé le projet de loi autorisant la ratification du protocole de Paris sur l’OTAN. Par cette décision, la France renonce à son indépendance sur la scène internationale, notre diplomatie s’inscrivant désormais dans une vision atlantiste et néoconservatrice du monde.
La France est devenue le bras armé de l’OTAN sur tous les théâtres de conflit, du Kosovo à l’Afghanistan en passant par la Libye. Cette position rompt avec celle défendue par le général de Gaulle en 1966, qui faisait jurisprudence en France et rassemblait toute notre nation.
Le projet de loi sur lequel nous nous prononçons aujourd’hui prévoit l’intégration dans l’OTAN d’un vingt-neuvième pays, le Monténégro. Toutefois, plus que cette intégration, qui à mon sens est anecdotique, il pose la question de la stratégie, adoptée par l’organisation, d’élargissement sur le flanc oriental de l’Europe.
Depuis une vingtaine d’années et la fin de l’Union soviétique, l’OTAN mène une politique agressive et n’a de cesse de chercher à isoler la Russie en multipliant les initiatives d’encerclement et les tentatives d’implantation de matériel militaire dans les pays frontaliers.
Depuis 1999, elle a successivement intégré la Pologne, la République tchèque, la Hongrie, la Bulgarie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie, l’Albanie et la Croatie. Des tentatives sont menées aux marges de la Russie. Je pense notamment aux négociations très avancées en vue d’intégrer l’Ukraine et la Géorgie.
L’adhésion du Monténégro n’est qu’une étape supplémentaire de cette politique expansionniste, qui va à rencontre des engagements pris par les Occidentaux en 1990 auprès de Mikhaïl Gorbatchev, selon lesquels aucun pays membre de l’URSS ne devait rejoindre l’organisation atlantique.
Pire, l’OTAN a multiplié les provocations en promouvant une nouvelle stratégie de « dissuasion et dialogue », dont le récent sommet de Varsovie, en juillet 2016, a défini les contours. Cette politique inamicale et humiliante se traduit par un quadruplement des dépenses militaires en Europe de l’Est : plus de 3 milliards de dollars sont destinés à renforcer massivement la présence de l’OTAN en Pologne, en Ukraine et dans les États baltes, ainsi qu’à mettre en place un bouclier antimissile dans ces pays, dans le but d’atteindre le territoire russe. L’organisation transatlantique remet ici en cause l’accord tacite conclu en 1997, lors des négociations préalables à l’élargissement de l’OTAN à l’Est : aucune base permanente ne devait être déployée dans un des pays frontaliers de la Russie.
Cette stratégie ne vise qu’au retour à une situation de guerre froide. La soutenir risque de braquer la Russie et de nous entraîner dans une spirale de provocations et d’intimidations. J’ajoute que cette politique d’isolationnisme et de provocation vis-à-vis de la Russie ne fait que renforcer le pouvoir et le régime de Vladimir Poutine.
Cette erreur stratégique est si dangereuse pour la paix du monde que même l’Allemagne, si soucieuse de son intégrité sur le flanc oriental, s’en alarme. À ce sujet, permettez-moi de citer M. Frank-Walter Steinmeier, ministre allemand des affaires étrangères, inquiet d’un tel projet : « Celui qui croit augmenter le niveau de la sécurité avec des parades de chars sur le front est de l’Alliance se trompe ».
Force est de constater que l’OTAN est aujourd’hui un outil dépassé. Celle-ci est restée arc-boutée sur le logiciel désuet de l’affrontement Est-Ouest, alors que le monde est devenu incontestablement multipolaire, avec la puissance de la Chine, des pays émergents et des pays du Golfe. Nous devons nous poser les bonnes questions. Cet outil militariste permet-il aujourd’hui à la France d’assurer sa sécurité ? Moins que jamais, hélas. Permet-il de promouvoir les valeurs démocratiques auxquelles la France est attachée ? Je ne crois pas.
Loin d’être une force pour la paix et la stabilité mondiale, l’OTAN a multiplié les foyers de tensions de par le monde. Son bilan est globalement négatif. Organisation défensive, elle s’est muée en organisation agressive en voulant imposer sur la planète le modèle occidental. Elle a déployé une politique belliciste et s’est constamment exonérée du droit international et des résolutions de l’ONU. Partout où elle est intervenue, en Afghanistan, en Irak ou en Libye, il en a résulté un chaos indescriptible, avec à la fois la montée du terrorisme, des millions de réfugiés, des pays exsangues et des villes rayées de la carte.
Livrant la guerre pour faire triompher le modèle occidental partout dans le monde, l’OTAN soutient au même moment de manière indéfectible la Turquie, ce pays dont le président bafoue les droits de l’homme et la démocratie, qui a fermé les yeux sur le terrorisme, tout en menant une guerre impitoyable contre le peuple kurde, notre allié le plus sûr dans la lutte contre l’islamisme politique et le terrorisme.
Elle fait aussi preuve de complicité avec les pays du Golfe, qui financent, par le truchement de grandes familles, le terrorisme et conduisent une guerre meurtrière au Yémen.
Qui peut douter aujourd’hui que les tragédies irakienne et libyenne n’aient offert un terreau propice à la propagation de l’idéologie mortifère de Daech ? Orpheline depuis la chute du mur de Berlin, l’Organisation atlantique n’a assuré sa survie qu’en se cherchant un nouvel ennemi, hérité d’une vision culturaliste de l’état du monde, largement fondée sur le choc des civilisations. C’est pourquoi elle n’apparaît plus comme l’organisation capable d’avancer vers un monde plus juste, plus solidaire et de faire progresser le désarmement et la paix.
À l’heure de l’élection de Donald Trump, qui promeut une politique extérieure isolationniste et une refonte de l’OTAN, il est temps pour la France de retrouver sa voix dans le concert des nations.
Notre pays a vocation à défendre un monde multipolaire, en s’appuyant sur ses valeurs universalistes et de défense des droits de l’homme partout dans le monde, pour une coexistence pacifique des peuples.
Je pense que l’ONU, comme organisation de paix et de sécurité mondiale inclusive, a plus que jamais un rôle fondamental à jouer dans ce nouvel ordre international. Elle doit s’affirmer comme instance suprême de médiation et de règlement des conflits internationaux.
Cette action permettrait de promouvoir l’avènement du multilatéralisme et une gouvernance plus ouverte, plus collective de l’ONU, garante de notre sécurité, par la promotion de sa Charte et de ses principes fondateurs : la prévention des conflits par le traitement prioritaire des injustices sociales et économiques, la résolution politique et non militaire des conflits, la promotion universelle des droits sociaux et démocratiques, la promotion des libertés fondamentales dont la liberté de circulation, la solidarité devant les grands défis climatiques et écologiques de notre siècle, le droit universel à l’éducation et à la connaissance, l’éradication des maladies sur tous les continents.
À l’heure où l’OTAN s’exonère de ces principes, apparaissant de plus en plus comme la gardienne de la civilisation occidentale, cherchant à imposer la loi des multinationales sur tous les continents, la France doit prendre position pour l’émergence d’espaces régionaux inclusifs de coopération et de sécurité collective, sous la supervision de l’ONU. Une telle décision honorerait la diplomatie française et permettrait de tendre la main à tous les peuples, que nous ne pouvons plus tenir à l’écart.
De nouvelles puissances émergent. Il est temps de se tourner vers elles. Il en va de notre sécurité et de celle du monde.
Pour toutes ces raisons, après avoir rappelé que l’adhésion du Monténégro à l’OTAN est anecdotique, notre groupe ne votera pas le projet de loi.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’examen en commission, puis en séance publique, de l’accord d’accession du Monténégro à l’Alliance atlantique soulève parfois des réserves sur certains bancs de cette assemblée. Pourtant, ratifier une convention internationale, un protocole, n’entraîne pas de difficulté particulière, dès lors que l’organisation internationale – en l’occurrence l’OTAN – a estimé que le pays concerné remplissait tous les critères d’accession. Il conviendrait, pour certains, de faire du Monténégro une exception, un cas d’école, en raison de « circonstances » particulières. Mais de quelles circonstances si graves s’agit-il donc ?
Une première circonstance aggravante justifiant de repousser l’accession du Monténégro à l’Alliance résiderait dans le fait que ce pays ne serait pas un État de droit ; les autorités monténégrines masqueraient leur autoritarisme pour abuser les authentiques démocraties que nous sommes et forcer une entrée dans l’OTAN, qu’elles ne méritent pas. Le Monténégro, il est vrai, est ce qu’on appelle une « jeune » démocratie, avec ses qualités et ses insuffisances : jusque-là, nous sommes tous d’accord.
En revanche, je ne partage pas le pessimisme de certains de nos collègues. La bouteille démocratique monténégrine est aussi à moitié pleine. Notre rapporteur, dont avons tous salué la connaissance fine de ce territoire et dont nous avons loué la qualité de l’analyse, a rappelé combien le Conseil de l’Europe assure un suivi circonstancié et une veille démocratique tatillonne. Or, le constat dressé par cette institution est celui d’une évolution du Monténégro dans la bonne direction, d’une consolidation de l’état de droit. C’est le constat d’un État qui a manifesté, dès le lendemain d’une indépendance acquise pacifiquement, sa volonté de se rapprocher de l’OTAN, et qui a, depuis, franchi avec succès toutes les étapes menant à l’élargissement. C’est le constat d’un État qui, dans le cadre des négociations d’adhésion à l’Union européenne, a accompli des progrès constants en matière de transparence des institutions et de lutte contre la criminalité organisée, et s’efforce de répondre à des exigences renforcées dans ce domaine. D’un État, enfin, qui a fait de cette adhésion à l’Alliance une priorité politique et diplomatique, soutenue par la majorité de sa population et de ses mouvements politiques. Oui, on peut porter un regard sévère sur ce pays, mais les avancées sont réelles et méritent d’être soutenues.
Des considérations d’équité doivent aussi entrer en ligne de compte. En 2009, notre assemblée a ratifié l’accession de l’Albanie à l’Alliance atlantique. L’Albanie de 2009, mes chers collègues, était-elle une démocratie modèle ? Pourquoi ferions-nous deux poids, deux mesures ? La confiance qui était demandée dans les capacités d’évolution de l’Albanie, le Monténégro y a droit tout autant aujourd’hui. Il me semble que la question que nous devons nous poser est la suivante : comment pouvons-nous agir le plus efficacement possible pour rapprocher de nos standards un pays comme le Monténégro, engagé avec volontarisme, depuis dix ans, dans la voie des réformes et qui contribue déjà à la sécurité de l’espace euroatlantique par une participation dans les opérations de l’OTAN et de l’Union européenne ?
Il me semble que le dialogue, dans le cadre de la coopération euroatlantique, est la tactique la plus efficace qui soit pour obtenir des progrès tangibles. S’efforcer de progresser sur tous les terrains, par un dialogue pragmatique, prudent, incitatif, donne plus de résultats que l’adoption de positions frontales. C’est d’ailleurs le choix qu’a souvent fait notre assemblée dans la ratification de protocoles ou d’accords commerciaux internationaux, il faut le rappeler. C’est cette capacité à ne pas laisser les pays en transition au bord du chemin, à ne pas les regarder de haut, à conserver une attitude d’ouverture bienveillante, qui n’exclut pas la fermeté, qui fait la grandeur et la spécificité de la diplomatie française.
On nous oppose, par ailleurs, la « circonstance » russe. La Russie grognerait contre un empiétement occidental inacceptable dans sa sphère d’influence, et l’accession du Monténégro à l’OTAN serait une provocation vis-à-vis de la Russie. L’argument aurait pu et dû sans doute être pris en compte s’agissant des pays ayant appartenu au pacte de Varsovie et qui sont entrés ultérieurement dans l’OTAN. Mais enfin, cette page, qui aurait mérité réflexion en son temps, est aujourd’hui tournée. Le Monténégro est l’un des États héritiers de l’ex-Yougoslavie, laquelle n’a jamais fait partie du premier cercle de l’Union soviétique. Et la relation de la France avec ce grand pays qu’est la Russie est suffisamment solide, empreinte de dialogue et de respect mutuel sur des enjeux majeurs, pour ne pas être entachée par cet acte.
Il est vrai que l’Europe adriatique a connu, dans un passé encore proche, une agitation génératrice d’une grave instabilité. L’appartenance à l’Alliance atlantique, comme bientôt à l’Union européenne, d’ailleurs, est un gage d’équilibre régional que la France doit encourager. La France, en tant que pays fondateur de l’OTAN, a la capacité d’envoyer un message de coopération, de paix et de développement, particulièrement bienvenu dans une région qui n’a que trop souffert au cours de son histoire. C’est dans son intérêt de consolider la marche vers l’état de droit et la démocratie.
En ce qui me concerne, comme mon groupe, je voterai donc cet accord, gage de stabilité et de consolidation démocratique pour le Monténégro, ses voisins, l’Europe et la France.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, il nous est soumis aujourd’hui, à l’ordre du jour de notre assemblée, la ratification du protocole au traité de l’OTAN sur l’accession du Monténégro. Si je pense, la plupart du temps, qu’un processus d’adhésion est toujours plus positif qu’un mouvement de gel ou de sortie, comme en a témoigné l’actualité européenne récente avec le Brexit, cette adhésion-là me semble relever davantage de l’erreur politique et de la faute morale.
Une erreur politique d’abord, car, contrairement à la présentation qui en est faite, l’adhésion du Monténégro à l’OTAN ne renforcera pas économiquement ce dernier ni ne protégera ou ne stabilisera davantage les Balkans, et ce, pour plusieurs raisons.
En premier lieu, parce que cette démarche accueille peu d’adhésion populaire de la part des Monténégrins. Bien au contraire, elle ne fait que renforcer et aviver une opposition frontale et parfois violente entre partisans et opposants, au point que 30 % de la population affiche une opposition irréductible à l’adhésion. Cette question a même été un des thèmes de campagne principal des élections municipales de mai 2014, alors qu’à l’évidence, cela n’a rien de municipal. Le souvenir du bombardement meurtrier des Alliés au nord du pays, lors des opérations au Kosovo en 1999, reste encore vif. Par ailleurs, le coût induit par la participation à des opérations lointaines avive les tensions, alors que ces interventions ne sont pas perçues par les Monténégrins comme prioritaires dans un pays dont la situation économique reste fragile. En cas de référendum, selon un rapport du Sénat français, 42 % des électeurs voteraient pour l’intégration tandis que 41 % s’y opposeraient.
Cette adhésion n’est pas facteur de stabilisation dans les Balkans non plus, en raison de la provocation qu’elle constitue vis-à-vis de la Russie. « Provocation », c’est tout simplement le mot qu’a utilisé le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov. Il n’est d’ailleurs pas à exclure que le soutien inconditionnel des États-Unis à l’adhésion du Monténégro soit directement indexé sur le niveau de crispation que cela provoque en Russie. Cette adhésion ne contribue ni plus ni moins qu’à céder à la pression des États-Unis visant à humilier un peu plus la Russie, dans un contexte international qui, pourtant, indique le manque total d’opportunité de cette démarche.
En troisième lieu, cette adhésion ne stabilisera en rien le Monténégro sur le plan intérieur, notamment en matière économique. Au-delà de l’instabilité politique actuelle et du fléau endémique de la corruption qui gangrène le pays, j’y reviendrai, la provocation que constitue cette adhésion vis-à-vis de la Russie suscitera une vive réaction des acteurs économiques et des investisseurs russes dans le pays, voire, ni plus ni moins qu’un retrait des intérêts russes du Monténégro. Or, je tiens ici à rappeler que la Russie demeure le premier investisseur au Monténégro. Les investissements directs russes représentaient, à titre de référence, 162 millions d’euros en 2012, soit plus du quart de tous les investissements directs étrangers perçus par le pays. Cette tendance s’est confirmée en 2013, avec 140 millions d’euros investis. En revanche, depuis 2015, ces investissements chutent, avec pour conséquence un effondrement des prix de l’immobilier de 15 %. Cette tendance ne fait que s’accentuer, en raison de la raréfaction des acheteurs russes. L’adhésion du Monténégro à l’OTAN ne viendrait qu’aggraver une évolution déjà lourde et inquiétante économiquement pour le pays. De même, les Russes représentent plus du quart des touristes au Monténégro, tourisme facilité par un accord bilatéral de libéralisation des visas signé entre les deux pays. Le refroidissement inéluctable des relations avec la Russie, engendré par cette adhésion, ne sera, à l’évidence, pas sans incidence sur ces secteurs économiques, le seul secteur du tourisme pesant pas moins de 10 % du PIB du Monténégro.
Une opinion publique profondément divisée, une déstabilisation des relations avec la Russie, pourtant premier investisseur économique dans le pays et dans la région : on est bien loin de la promesse de stabilisation du pays et des Balkans, au travers de ce processus d’adhésion, qui constitue donc bien là une erreur politique majeure.
Mais s’il ne s’agissait que de cela ! Au-delà de l’erreur politique, c’est une faute morale que nous sommes en train de commettre. En autorisant le Monténégro à adhérer à l’OTAN, nous fermons les yeux, et donc tolérons des pratiques inconcevables à l’échelle d’un État. Un mal ronge les fondements mêmes de ce pays : je parle évidemment du crime organisé et de la corruption. Les gangs et les cercles criminels sont toujours aussi influents qu’après la fin de la guerre. Il s’agit d’une terre de trafics : on sait désormais que les kalachnikovs ayant servi à l’attentat contre Charlie Hebdo en janvier 2015 venaient du Monténégro. Mais, presque plus grave, la lutte contre cette criminalité rampante est rendue quasiment impossible par le degré de corruption du système judiciaire et de l’appareil politique. M. Djukanovic lui-même a été maintes fois impliqué dans des affaires de corruption. En 2009, par exemple, il évita de justesse, du fait de son immunité politique, la mise en examen par la justice italienne pour son implication dans un trafic européen de cigarettes. Cette collusion entre l’État et les réseaux criminels révèle une véritable mafia d’État construite autour de la famille de Milo Djukanovic. Ce dernier est également suspecté d’avoir perçu plusieurs dizaines de millions d’euros dans le scandale des télécoms monténégrins, sans oublier le fait qu’il a ouvertement accordé 44 millions d’euros à la première banque du pays, propriété de son frère, seule institution financière à avoir reçu une aide publique pendant la crise financière de 2008. Le journal britannique The Independent estimait, en 2010, que M. Djukanovic était le vingtième dirigeant le plus riche du monde. Mais j’ai probablement l’esprit mal tourné à l’égard d’un pays si riche et qui pourtant, en termes de PIB par habitant, se situe entre le Botswana et l’île de la Dominique. Cherchez l’erreur !
Car cela ne s’arrête pas là. En 2013, c’est un scandale d’achat de voix au moyen de deniers publics qui éclate à l’occasion des élections nationales. De nouvelles accusations similaires ont émergé cette année, lors des élections législatives. Je rappelle simplement que les dernières élections d’octobre 2016 auront permis au parti de M. Djukanovic, le Parti démocratique des socialistes – PDS –, de remporter les élections législatives pour la neuvième fois consécutive depuis 1991 !
Cela peut faire rêver, mes chers collègues, mais n’y voyez-vous pas quelque chose d’anormal et de peu courant ? Cette mainmise du clan Djukanovic sur les leviers politiques et économiques bénéficie par ailleurs d’une omerta médiatique totale. Pas moins de vingt-trois cas de violences à l’encontre de journalistes dans le pays ont été dénoncés par le Centre européen pour la liberté des médias et de la presse, entre février 2014 et octobre 2015. Enfin, on veut nous faire croire que la page du clan Djukanovic est politiquement tournée, ou en passe de l’être, à la suite des élections législatives d’octobre dernier. Il ne s’agit en réalité que d’un bien pâle ravalement de façade, puisque le nouveau premier ministre n’est autre que le vice-premier ministre sortant.
Nous parlons donc d’un pays au système politique et judiciaire corrompu, où la liberté de la presse est sans cesse malmenée, et dont la légitimité démocratique est entachée de fraudes grossières.
Ce n’est pas un hasard si en 2011 l’Allemagne a décidé de suspendre les négociations avec le Monténégro sur son adhésion à l’Union européenne, notamment pour non-respect de la liberté de la presse.
C’est ce pays, ou plutôt ce régime, que nous nous apprêtons à accueillir au sein de l’OTAN, sous la dictée d’une bien-pensance qui nous invite à fermer les yeux au prétexte que l’intention à plus long terme est louable, au prétexte que c’est le type même de pays qu’il faut aider à mettre sur la bonne voie. Il n’en sera rien ; c’est même tout l’inverse : un encouragement à toutes les formes de déviance.
C’est précisément cette même bien-pensance, cette même précipitation et ce même engrenage qui nous ont conduits à accepter l’intégration dans l’Union européenne de la Roumanie en 2007 et de la Hongrie en 2004, alors que ces deux pays n’étaient à l’évidence pas prêts, et la suite l’a montré. De cette erreur découle une profonde déstabilisation de l’Union européenne.
Le Monténégro ne coche à ce stade rigoureusement aucune des cases lui permettant de prétendre rejoindre l’Organisation atlantique, à commencer par la première d’entre elle : être un État de droit. Cette question est d’autant plus cruciale que, ne nous y trompons pas, l’étape suivante est l’entrée du Monténégro dans l’Union européenne – tous les orateurs précédents l’ont évoquée – avec l’OTAN comme marchepied, alors même que tout le monde s’accorde à dire qu’il convient de mettre un frein sévère au processus continu d’élargissement de celle-ci. Monsieur le ministre, vous l’avez vous-même répété maintes fois.
Le vote d’aujourd’hui est donc à mes yeux tout sauf une formalité ou une étape évidente visant à ancrer un pays dans la zone d’influence occidentale. Je crains que cette adhésion, bien loin d’apaiser et de stabiliser le Monténégro et sa région, aboutira en fait au résultat exactement inverse, y compris pour l’Union européenne, qui poursuit sa spirale infernale de l’élargissement malgré les avertissements tant politiques qu’économiques.
Erreur politique, faute morale : voilà les deux raisons pour lesquelles je ne voterai pas la ratification du protocole soumis aujourd’hui à notre suffrage, et bon nombre de mes collègues du groupe Les Républicains me rejoignent sur cette ligne.
Cela fait désormais quelques années que la France ne joue plus son rôle sur la scène internationale. Certains ont vendu sa capacité de sécurité à l’OTAN, d’autres ont épuisé les capacités de recrutement de notre armée en lui imposant des carcans idéologiques.
Au cours de ce quinquennat, la France s’est trompée partout où la situation était délicate. Nous ne reviendrons pas sur la gestion de la crise en Ukraine, où nous nous sommes humiliés devant le monde entier. Nous n’évoquerons pas notre rôle irresponsable dans le soutien à la rébellion islamiste syrienne. Nous ne parlerons pas non plus du maintien de notre pays dans une alliance unilatérale avec les pétromonarchies du Golfe.
En revanche, il importe de poser la question de l’OTAN. J’ai vu quelques collègues de gauche en face de moi au cours de manifestations il y a quelques décennies. Communistes, anarchistes, autonomistes, ils brandissaient la honte des interventions américaines. Visiblement, leurs argentiers ont changé d’humeur, puisque les voilà désormais absolument soumis aux intérêts américains. Enfin, il est évident, et de plus en plus, que la France n’a pas intérêt à poursuivre la défense absolue des intérêts américains contre ceux des peuples, voire contre le mouvement géopolitique vers la multipolarité qui se développe aujourd’hui. À l’époque, je défendais le monde libre contre les horreurs du communisme. Et je le défends toujours aussi ardemment, alors que certains vont aller honorer la mémoire de Fidel Castro.
Pour en revenir au Monténégro, je tiens à vous dire qu’il y a bien plus et bien mieux à faire dans la région. Je pense notamment aux chrétiens du Kosovo, qui vivent dans des enclaves, souvent auprès de leurs monastères, et qui subissent la persécution bien connue des mafias albanaises, lesquelles tant par souci économique que par conviction islamiste ne cessent de tenter de les chasser de leurs terres ancestrales. Ils ont souvent le tort d’être attachés à la Serbie, et nous connaissons bien la manière dont vous traitez ce pays et sa culture. Elle est résumée parfaitement dans le titre du superbe livre du colonel Jacques Hogard : L’Europe est morte à Pristina.
S’agissant du Monténégro en lui-même, je vous alerte quant au risque immense que vous prenez. Si l’actuel président de ce pays se signale par sa complète obéissance aux ordres de Washington et aux remarques de Bruxelles, cet État reste très marqué par les influences russes, notamment sur le plan économique. Alors que le monde attend une pacification des rapports entre ce qui était l’Ouest et l’Est, vous risquerez encore une fois de donner dans la surenchère belliciste, comme si la Géorgie et l’Ukraine ne vous avaient pas suffi.
Je me souviens ici du livre de Paul-Marie Coûteaux, L’Europe vers la guerre. Que démontrait-il ? Qu’à ne pas vouloir considérer nos différences nationales, nous mettons en danger la civilisation européenne pour mieux la laisser aux marchands. C’est exactement ce que vous faites avec le Monténégro, pour lequel on perçoit mal la nécessité d’une protection de l’OTAN actuellement.
Je discutais d’ailleurs dernièrement avec un ancien militaire qui fut en poste à Sarajevo. Il me disait aimer toujours autant cette ville. Il aime moins les investissements saoudiens qui y développent l’islam radical. Prenons donc garde que le mondialisme et la soumission à l’OTAN n’aillent pas avec ce présent pour le Monténégro.
Voilà presque un an jour pour jour, les vingt-huit États membres de l’OTAN invitaient le Monténégro à rejoindre l’Alliance. Le 19 mai dernier, un protocole d’accord a été signé et nous sommes aujourd’hui appelés à le ratifier.
Le Monténégro est en passe de devenir le vingt-neuvième membre de l’OTAN, sous réserve de ratification de l’accord par les parlements des États membres. Cette adhésion à l’OTAN suscite des interrogations. Et j’ai bien entendu vos propos en commission et dans l’hémicycle, monsieur Poniatowski. Un pays qui adhère à l’OTAN doit remplir un certain nombre de critères – tant géographique que politiques et stratégiques – qui prennent en compte les principes fondamentaux de l’alliance, c’est-à-dire la démocratie, les libertés individuelles, l’état de Droit et le renforcement de la sécurité.
Sur le plan militaire, un contingent monténégrin participe d’ores et déjà à la mission de l’OTAN en Afghanistan. Pour ma part, je ne pense pas que les capacités militaires du Monténégro, une petite armée qui compte environ 2 000 hommes, soient la raison principale de l’invitation à adhérer à l’OTAN. Dès lors, que peut-on attendre de cette adhésion ?
Tout le monde s’accorde à dire qu’il reste encore à cet État beaucoup de chemin à parcourir avant d’être considéré comme un État de droit. À l’échelle du Monténégro, cette intégration, qui intervient alors que ce pays mène en parallèle des négociations d’adhésion avec l’Union européenne, va inciter le Monténégro à se réformer plus rapidement, non seulement militairement, mais aussi sur le plan de l’état de droit. Auparavant, le Monténégro, peut-être du fait de sa petite taille, n’était pas vraiment observé par la communauté internationale, ce qui lui a permis de passer à travers les gouttes, vous l’avez dit, M. Poniatowski : il est dirigé depuis 25 ans par des responsables politiques notoirement impliqués dans des affaires plus que douteuses.
Nous avons par le passé validé les adhésions à l’Alliance atlantique et à l’Union européenne de l’Albanie, de la Bulgarie et de la Roumanie. On ne peut pas dire qu’à l’époque ces États correspondaient exactement à notre conception de l’état de droit. Nous les avons pourtant accueillis, car ils s’engageaient à réformer en profondeur leur système national ; leurs intentions avaient finalement commencé à se traduire dans les faits. C’était donc à mes yeux de bonnes décisions.
Le cas du Monténégro est identique aujourd’hui. L’État monténégrin a présenté sa demande par la voix d’un gouvernement démocratique, qui vient de bénéficier du soutien renouvelé des électeurs. Vous dites, monsieur Poniatowski, que selon un rapport du Sénat les partisans de l’adhésion à l’OTAN représentent entre 40 et 41 % de la population : les sondages du Sénat sont sans doute faux, comme beaucoup de sondages, car le parti qui demandait l’intégration à l’Alliance a récolté 60 % des voix, tandis que celui qui y était opposé n’en a obtenu que 20 %.
Pendant toute cette période d’approbation, celles et ceux qui, au sein de l’OTAN et de l’Union européenne, sont chargés d’évaluer les progrès de ce pays, ont montré que des efforts avaient été faits. Doit-on donc rejeter la demande d’adhésion d’un pays qui souhaite prendre le chemin d’un État de droit et consolider son projet démocratique par une intégration dans l’OTAN ? Je ne le crois pas.
Le contexte géopolitique actuel nous oblige aussi à regarder du côté de la Russie, qui s’inquiète évidemment de l’expansion de l’OTAN. La Russie est un pays ami, mais les réticences qu’elle exprime ne peuvent avoir pour seul motif sa volonté de déployer stratégiquement son pouvoir territorial. À nos yeux, réduire la possibilité d’un nouveau conflit dans la région est un argument déterminant : cette intégration permettrait à l’OTAN de jouer son rôle et de montrer une nouvelle fois son utilité. Nous nourrissons d’ailleurs les mêmes espoirs pour la Serbie, qui participe elle aussi au programme du Partenariat pour la paix, mais n’envisage pas pour le moment d’intégrer l’OTAN. Bien qu’un conflit soit aujourd’hui très improbable, du moins je l’espère, on regarde avec inquiétude la Croatie, qui se réarme sous l’égide de l’OTAN, pendant que la Serbie se fournit en armements du côté de la Russie afin de maintenir un équilibre des forces.
Nos questionnements quant à l’adhésion du Monténégro sont tout à fait légitimes, mais ils ne peuvent remettre en cause le soutien que nous devons y apporter. Nous devons établir la confiance nécessaire avec ce pays et dépasser nos inquiétudes. C’est ainsi que nous parviendrons, ensemble, à créer et à maintenir des relations stables, fondamentales pour notre avenir à tous. C’est pour cela que l’OTAN et l’Union européenne ont été créées.
Pour toutes ces raisons, à l’instar des députés de mon groupe et de tous ceux qui souhaitent voir la démocratie triompher partout, je voterai pour la ratification de ce protocole.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Beaucoup de choses ont été dites ; il est toujours difficile d’intervenir en fin de débat. Je tiens à le dire d’entrée de jeu : le Monténégro a toute sa place dans la communauté des nations européennes membres de l’Alliance atlantique.
En effet, l’adhésion du Monténégro est un facteur d’équilibre. C’est aussi un facteur de stabilité dans une région du monde qui connaît de graves difficultés ; certains l’ont rappelé. La France a l’occasion ici de donner un signal positif à ses voisins balkaniques, à ses voisins méditerranéens, à un moment où, compte tenu de l’état du monde, et en particulier de cette zone, tout signal politique est le bienvenu.
Bien sûr, j’ai entendu les doutes et les critiques exprimés pour l’essentiel de façon résumée par M. Poniatowski tout à l’heure. Le Monténégro est un petit pays, sans gros moyens de défense, un État balkanique, mais ce n’est pas un motif pour repousser sa demande. Il est vrai aussi qu’il est lié d’une amitié particulière – préférentielle, disait-on à une autre époque – avec la Russie, laquelle pourrait être choquée par une telle adhésion. Il faut traiter cet argument avec prudence. Depuis des semaines maintenant qu’on évoque cette opposition, compte tenu notamment du nouvel avenir dessiné pour les États-Unis, je crois qu’il faut être très prudent. Ce n’est pas à nous, surtout pas ici, de ranimer d’une quelconque façon ce qui serait un autre type de guerre froide. Il faut faire attention. La demande que nous avons reçue émane d’un petit pays, certes, mais ce n’est pas parce qu’on est un petit pays qu’on doit être regardé avec condescendance.
C’est vrai ! C’est au contraire parce qu’il est petit qu’il doit être respecté !
La France est aussi un petit pays comparé à d’autres, tels l’Australie. Il y a des petits pays qui comptent beaucoup, et font partie des grandes puissances, et des grands pays qui n’en sont pas encore ; je pense notamment au Soudan ou à l’Indonésie.
Par ailleurs, le rapporteur constate que, depuis son accession à l’indépendance, le Monténégro a été un partenaire solidaire de la France, solidaire des membres de l’Alliance. À son échelle, il a fourni un effort militaire appréciable en Afghanistan, ce qui nous intéresse au premier chef. Sa présence et son soutien en République Centrafricaine sont également un fait incontestable. Regardons donc les gestes accomplis plutôt que ceux qui seraient impossibles.
J’entends beaucoup dire que la Russie s’inquiète de l’expansion de l’Alliance atlantique. Ne ranimons pas inutilement les guerres passées ! La Russie est un pays ami avec lequel la France entretient des relations anciennes et multiples. Les mesures d’élargissement de l’OTAN prises à la fin de la guerre froide auraient sans doute mérité de faire l’objet d’un calendrier et d’une feuille de route différents de ce qu’ils ont été, dans l’intérêt même de l’Europe, mais nous devons prendre acte de ce qui est, pas de ce qui aurait pu être fait autrement ! On peut difficilement revenir sur des décisions prises par d’autres gouvernements, en 2004 et en 2009, sous les présidences respectives de Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy.
Quant à l’inquiétude russe au sujet du Monténégro, nous savons tous qu’elle est dépourvue de fondement historique. Héritier de l’ex-Yougoslavie, le Monténégro ne doit pas gérer un passé de subordination et de coopération préférentielle avec l’Union soviétique. Il n’a jamais été l’une des composantes du Pacte de Varsovie ni du Conseil d’assistance économique mutuelle, moins encore de l’Union soviétique. Loin de la Crimée et du Donbass, le Monténégro est en revanche au coeur d’une région historiquement instable : les Balkans. Riverain de l’Adriatique, il est exposé à toutes les retombées des conflits agitant la rive sud de la Méditerranée. Son insertion dans le cadre européen et atlantique constitue un gage de stabilité balkanique et un apport appréciable à l’homogénéisation territoriale de la rive méditerranéenne nord de l’Alliance atlantique.
J’évoquerai pour finir les manquements aux règles de l’état de droit, sur lesquelles repose l’ultime argument largement développé par Axel Poniatowski en vue d’empêcher, ou du moins retarder, l’adhésion du Monténégro à l’OTAN aujourd’hui et à l’Union européenne demain. C’est cette marche vers l’Union européenne que vous craignez le plus, cher collègue, et cela, je l’entends parfaitement ! Personne ne conteste, pas même nous qui soutenons cette ratification, l’écart qui sépare la démocratie telle qu’elle est pratiquée à Podgorica d’une part et à Paris ou à Stockholm d’autre part. Je souscris sur ce point à l’argument défendu dans cet hémicycle visant à valider les adhésions à l’Alliance atlantique et à l’Union européenne de l’Albanie, de la Bulgarie et de la Roumanie, avancés par certains d’entre vous à un moment de notre histoire, chers collègues de l’opposition, même si vous le regrettez : ces pays ont fait des progrès depuis lors.
Je suis confiante. Un pays qui tend la main vers une alliance de cet ordre en affichant la volonté d’établir un État de droit, je reste intimement convaincue qu’il sera au rendez-vous pour progresser vers un État de droit ! Voilà ce qu’il nous faut défendre sans relâche ! C’est peut-être sur ce point qu’il faudra travailler le plus !
Aidons-nous suffisamment ces pays à progresser vers l’état de droit ? Sommes-nous au rendez-vous en termes d’organisation publique et démocratique ? Je ne le crois pas ! Voilà ce qu’il nous faut faire davantage ensemble ! Je soutiens donc cette ratification.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
La discussion générale est close.
La parole est à M. le secrétaire d’État.
Je remercie tout d’abord l’ensemble des orateurs, dont la plupart ont soutenu la ratification du protocole au traité de l’Atlantique Nord sur l’accession du Monténégro. Ils ont notamment souligné, à la suite de Mme la présidente de la commission, Élizabeth Guigou, et de M. le rapporteur, Pierre-Yves Le Borgn’, l’enjeu géopolitique que constitue l’intégration de ce pays des Balkans qui a mené certaines réformes, même s’il faudra les poursuivre, et l’enjeu de sécurité que constitue cette région pour la sécurité de l’Europe. Ils ont donc bien montré à quel point cette évolution sert l’intérêt de la France. Néanmoins, trois orateurs, MM. Poniatowski, Asensi et Bompard, usant d’arguments parfois distincts et parfois convergents, ont exprimé leur désaccord, ce qui montre qu’il importait d’avoir ce débat. J’essaierai de répondre à certains de ces arguments.
Ces trois orateurs ont notamment avancé que ce nouvel élargissement de l’OTAN constituerait une forme d’alignement sur les États-Unis et poserait donc une question de principe par-delà cette décision particulière. Telle n’est pas la façon dont cette évolution est vécue au sein de l’OTAN. La France a toujours veillé au plein respect de sa souveraineté, même depuis son retour dans le commandement intégré de l’OTAN. Lorsque le Président de la République a décidé, conformément à l’engagement pris pendant sa campagne, de mettre un terme à notre intervention militaire en Afghanistan, nous y avons procédé en toute transparence vis-à-vis de nos alliés de l’OTAN, en particulier des États-Unis.
Cela démontre que la France, qui est un partenaire essentiel au fonctionnement de l’OTAN et dont les officiers exercent d’ailleurs des commandements très importants, se détermine de façon indépendante en fonction de son intérêt national et de l’idée qu’elle se fait de la sécurité collective et non par alignement sur d’autres pays.
Un deuxième argument, miroir du précédent, consiste à présenter l’adhésion du Monténégro à l’OTAN comme une forme de provocation vis-à-vis de la Russie. J’ai d’ailleurs été un peu surpris d’entendre M. Poniatowski redouter à la fois un alignement de la France sur les États-Unis et une provocation vis-à-vis de la Russie !
Respectueux des arguments avancés, j’essaierai d’y répondre. Comme vous l’avez dit vous-même, monsieur Poniatowski, la France a déjà soutenu l’adhésion de plusieurs pays des Balkans à l’OTAN, la jugeant nécessaire à la stabilité de cette région compte tenu des progrès constatés. Ainsi, l’Albanie et la Croatie ont adhéré à l’OTAN en 2009 à la suite d’une décision prise lors d’un sommet de l’OTAN en 2008. L’Assemblée nationale a ratifié ces adhésions en 2009, sous une autre majorité, et vous avez soutenu cet élargissement. À présent, un même processus, dans cette même région, nous amène à considérer, avec beaucoup de prudence et après de nombreuses vérifications, qu’il est de l’intérêt de l’OTAN, de la sécurité collective de ses membres, donc de l’Europe, que la France soutienne l’adhésion du Monténégro à l’OTAN afin de renforcer sa façade adriatique. Il ne s’agit en aucun cas d’une provocation vis-à-vis de la Russie.
Plus généralement, s’agissant de la relation entre l’OTAN et la Russie, la France continue de défendre un équilibre entre fermeté et dialogue. Si l’OTAN prend des mesures nécessaires à la défense des alliés, elle ne menace en aucun cas la Russie, comme nous l’avons solennellement réaffirmé récemment. Lors du dernier sommet de l’OTAN à Varsovie, nous avons confirmé que l’OTAN doit rester ouverte au dialogue avec la Russie tout en étant prête à faire face à toutes les éventualités. Nous voulons que les relations internationales présentent une certaine prévisibilité, ce qui n’est pas le cas dès lors que la Russie annexe la Crimée et soutient les séparatistes dans l’Est de l’Ukraine. Nous conjuguons donc ouverture et fermeté. Désireuse qu’il existe un dialogue structuré entre l’OTAN et la Russie, la France a souhaité avec l’Allemagne que les travaux du Conseil OTAN-Russie, interrompus en 2014, reprennent. Nous avons obtenu qu’il se réunisse à nouveau. Sa troisième réunion a eu lieu. Ce dialogue nous semble nécessaire.
Un autre argument qu’il importe de prendre en considération repose sur le fait que beaucoup reste à faire au Monténégro pour s’assurer que ce pays mène la nécessaire lutte contre les trafics, d’armes en particulier, et assure le bon fonctionnement du système judiciaire et plus généralement un fonctionnement pleinement satisfaisant de l’état de droit. Bien entendu, cela fait partie de nos préoccupations, mais en la matière, l’adhésion à l’OTAN, postérieure à la vérification des progrès et de la mise en oeuvre des réformes, n’est pas un cadeau ! Elle implique au contraire la mise en place de procédures de vérification encore plus exigeantes et rigoureuses.
Que le Monténégro se soit engagé dans un processus d’adhésion à l’OTAN et que les négociations aient mené à l’adoption de certaines réformes vaut reconnaissance par lui qu’il y a là une exigence et une priorité. Tout comme l’Union européenne l’exige dans le cadre des négociations d’adhésion du Monténégro, nous voulons que celui-ci continue à réaliser des progrès substantiels en la matière. Vous avez mentionné les enjeux de sécurité. On ne peut douter que la majorité de la population du Monténégro soutienne cette décision prise par son gouvernement et ses majorités parlementaires successives. Le parti politique majoritaire n’a plus la même majorité que celle dont il jouissait avant les élections, ce qui montre que ce pays connaît aussi des évolutions.
L’inscription du Monténégro dans la communauté euroatlantique par le biais de son adhésion à l’OTAN fait l’objet d’un fort soutien politique et d’opinion. Parce qu’il en va de son propre intérêt de sécurité, parce qu’il veut contribuer à la stabilité de la région des Balkans et parce qu’il y entretient de très bonnes relations de voisinage, cette évolution doit être encouragée. Je remercie l’ensemble des orateurs et encourage la représentation nationale à soutenir largement la ratification du protocole au traité de l’Atlantique Nord sur l’accession du Monténégro.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
J’apporterai quelques éléments de réponse aux interrogations d’Axel Poniatowski. Au sujet de l’état de droit tout d’abord, observez, cher collègue, que le Monténégro, candidat à l’entrée dans l’Union européenne, se trouve être le premier pays négociant son adhésion sur la base d’une nouvelle approche selon laquelle les chapitres XXIII et XXIV, respectivement intitulés « Appareil judiciaire et droits fondamentaux » et « Justice, liberté et sécurité », sont abordés tout au début de la négociation et conclus tout à la fin. C’est dire à quel point nous oeuvrons à la construction de l’état de droit ! Je n’ai pas développé ce point à la tribune autant que j’aurais dû mais je rappelle que le Monténégro a procédé, depuis l’ouverture des négociations d’adhésion en 2012, à la création d’une agence pour la prévention de la corruption, à la nomination d’un procureur spécial d’État et à la mise en place d’une unité de police spéciale.
Il importe de saluer ces développements, qui l’ont d’ailleurs été dans le dernier rapport d’étape présenté par la Commission européenne. On peut difficilement, pour caractériser cette adhésion comme prématurée ou inutile, faire abstraction des progrès réalisés par le Monténégro. Certes, beaucoup de travail reste à faire, mais si des organisations internationales comme l’Union européenne et le Conseil de l’Europe saluent les progrès du Monténégro, notre assemblée peut difficilement ne pas les remarquer.
Le deuxième argument repose sur la contestation des élections. J’entends certes que M. Djukanovic est au pouvoir depuis longtemps. En l’occurrence, il ne l’est plus depuis quelques semaines, mais il y était en effet depuis 1991. Les neuf élections que vous évoquez ont fait l’objet d’un monitoring très précis et contraignant de plusieurs organisations internationales, l’OSCE au premier chef. Les dernières, qui ont eu lieu au mois d’octobre en présence de 500 observateurs internationaux qui se sont ajoutés aux 2 000 observateurs locaux, ont été considérées comme légitimes et validées.
Votre troisième argument repose sur le fait que l’Allemagne a suspendu les négociations d’adhésion du Monténégro à l’Union européenne en 2011. J’ai du mal à vous suivre sur ce point, car ces négociations ont commencé en 2012 et l’Allemagne suit attentivement les progrès réalisés par le Monténégro depuis lors, comme les autres États. Quant à la faute morale que vous évoquez, je dois avouer ne pas comprendre de quoi il retourne. Le débat politique, je l’admets volontiers. Vous étiez président de la commission des affaires étrangères lorsque l’Assemblée nationale a ratifié l’adhésion de l’Albanie à l’OTAN et l’état de droit n’y était pas en 2009 ce qu’il est devenu en 2016, Dieu merci ! Ce pays a fait énormément de progrès et n’est certainement pas comparable au Monténégro en la matière.
Il est important de le remarquer car il y a une forme d’incohérence à reprocher l’adhésion du Monténégro à l’OTAN en 2016, quand on a voté en faveur de l’adhésion de l’Albanie à l’OTAN en 2009.
J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, l’article unique du projet de loi.
Plutôt que sur l’intégration du Monténégro, j’aurais souhaité que ce débat porte sur le bien-fondé du maintien de la France dans le commandement intégré de l’OTAN. Je rappelle que l’OTAN est né du présupposé qu’il existait en Europe une menace russe. Aujourd’hui, celle-ci a objectivement disparu, alors que, pour le coup, la menace islamiste est réelle.
À ce titre, on peut s’étonner de l’adhésion du Monténégro, un pays où la contrebande, de cigarettes notamment, alimente les réseaux terroristes d’Al-Qaida et de l’État islamique, sans parler du fait, et cela a été rappelé, que le Monténégro n’est ni une démocratie ni un État de droit.
Si tension il y a, elle provient de la stratégie de défense antimissile balistique, coordonnée depuis la base américaine de Ramstein en Allemagne. Vous le savez, elle est orientée contre la Russie, au risque d’enclencher une nouvelle course à l’armement, digne de la guerre froide.
Nous n’avons aucun intérêt à porter main-forte à cette tactique de tension, que l’intégration du Monténégro continuera d’alimenter et qui va à l’encontre de notre tradition française de puissance non alignée. À ce sujet, je vous renvoie au rapport d’Hubert Védrine, qui s’interrogeait sur le degré de complémentarité de la défense antimissile avec la dissuasion. Demeurer dans l’OTAN, c’est acter une contradiction, à terme intenable, entre une défense antimissile balistique, censée limiter les impacts d’une agression, et la dissuasion, censée empêcher l’attaque.
Nous rejoignons donc le nouveau président américain, qui juge l’OTAN obsolète et dépassé.
À l’inverse, nous regrettons que les néoconservateurs les plus zélés se trouvent encore aujourd’hui au Quai d’Orsay. Pour toutes ces raisons, je voterai contre la résolution.
L’article unique est adopté, ainsi que l’ensemble du projet de loi.
L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, de la proposition de loi de M. Bruno Le Roux, Mmes Catherine Coutelle, Catherine Lemorton, Maud Olivier et plusieurs de leurs collègues relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse (nos 4118, 4245).
La parole est à Mme Catherine Coutelle, rapporteure de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président, madame la ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mesdames et messieurs les députés, « SOS Tout-Petits », « Laissez les vivre », « Union pour la vie », « La trêve de Dieu » : ces noms vous rappellent peut-être quelque chose. Ce sont ceux qui sont à l’origine de centaines d’opérations commandos, menés par des militants anti-avortement dans les années 1990.
Leurs cibles ? Les hôpitaux, les cliniques, et bien sûr, les centres IVG – les « avortoirs », comme ils les nommaient. Leur méthode ? Inspirés des commandos américains, ils lançaient des actions qu’ils qualifiaient d’« opérations de sauvetage », bien rodées : faire irruption dans le service, s’enchaîner avec des antivols aux tables chirurgicales, détruire les dossiers médicaux, chanter des cantiques, terroriser les patientes et le personnel jusqu’à être délogés par la police. Ces méthodes étaient l’oeuvre de groupes minoritaires, mais elles ont fait des dégâts.
Le 17 janvier 1995, vingt ans après la promulgation de la première loi sur l’IVG, Simone Veil écrivait dans Le Monde, que « l’avortement ne représente plus en France un enjeu politique ».
En décembre 1994, le président de la Conférence des Évêques, Mgr Duval, désapprouvait les commandos anti-IVG. En 1993, l’Assemblée nationale avait adopté, dans un relatif consensus, la loi Neiertz, instaurant le délit d’entrave à l’IVG. Le 21 décembre de la même année, le tribunal correctionnel de Bordeaux prononçait des peines d’emprisonnement contre les membres d’un commando anti-IVG.
La création de ce délit d’entrave a amené les militants à revoir leurs méthodes, mais pas leurs discours, toujours aussi virulent : distribution de flyers à l’entrée de centres IVG, foetus ensanglantés sur les pancartes. En 2012, c’est au Planning Familial que le fondateur de l’association SOS Tout-petits a fait irruption, pour prendre à partie des femmes venues s’informer.
Puisque les femmes ont désormais le droit d’avorter, dès lors qu’elles le décident, la bataille de l’information devient centrale. Depuis le début de ce mandat, en lien avec le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes – HCE – qui a publié dès 2013 un rapport sur l’accès à l’IVG, nous avons continué à conforter le droit à l’avortement.
Madame la ministre, votre gouvernement a rendu l’IVG gratuite. Nous avons dû lever les derniers compromis que Mme Veil avait dû accepter pour faire passer son texte, devant une assemblée composée à 95 % d’hommes et franchement hostile puisque 189 députés de sa propre majorité votèrent contre.
En 2014, lors de l’examen de la loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, nous avons supprimé – non sans opposition – la notion de « détresse », encore inscrite dans la loi. En 2015, nous avons supprimé le délai de réflexion obligatoire de huit jours, avec une conviction : les femmes sont capables de juger elles-mêmes, de décider par elles-mêmes.
Bien sûr, aucune loi n’empêche une femme de prendre le temps. Les femmes ont le droit à une consultation avec un psychologue, obligatoire pour les mineures, lors du premier rendez-vous. Elles ont droit à une écoute. Nous avons demandé, avec le HCE, l’ouverture d’un site gouvernemental sur l’IVG, qui permette aux femmes d’obtenir une information objective et fiable. Si ce site existe, madame la ministre, il doit toutefois progresser, pour être mieux référencé, plus connu, plus facile à trouver. Je l’ai encore constaté hier, lorsque l’on tape « IVG » sur un moteur de recherche, il n’apparaît toujours pas comme le premier lien.
De très nombreux sites relaient des opinions, parfois très virulentes, contre le droit à l’avortement. Ces propos, nous les combattons sur le terrain des idées. D’autres sites, très bien référencés, aux noms de domaines neutres et à l’apparence officielle, ont un tout autre but.
Au fil de la navigation dans leurs pages, ils dévoilent leur véritable discours : témoignages majoritairement négatifs, études scientifiques non prouvées sur l’effet négatif de l’avortement.
Lorsque l’on entre en contact avec des personnes travaillant pour le site, l’écoute polie se transforme rapidement en un discours de forte dissuasion du recours à l’IVG, allant parfois jusqu’au harcèlement, avec des appels continus, des textos, donnant de fausses informations.
Ces sites poursuivent un seul objectif, détourner les femmes d’une IVG. Ils avancent masqués, n’annoncent pas leur choix, ou plutôt leur « anti-choix ». Et leurs pratiques relèvent de l’entrave.
C’est pourquoi nous souhaitons les combattre sur le terrain de la loi. En 2014, l’article sur le délit d’entrave a été précisé par le législateur, qui l’a étendu à la perturbation de l’accès à l’information sur l’IVG. Ce délit d’entrave, qui remonte à plus de vingt ans, n’a jamais posé de problème juridique. Personne n’a jamais considéré qu’il contrevenait à la liberté d’expression. Pas plus qu’en 1993 et qu’en 2014, il n’est question ici de liberté d’expression. Elle est une liberté fondamentale.
Notre sujet, aujourd’hui, s’inscrit dans la lignée des débats que nous avons eus, comme d’autres avant nous, sur des mesures visant à garantir le droit à l’avortement. Cet hémicycle a d’ailleurs adopté il y a deux ans à l’unanimité…
…moins quelques voix, et j’en suis très fière, une résolution visant à réaffirmer que l’avortement est un droit fondamental.
Notre proposition de loi, chers collègues, renforce ce droit. Notre objectif n’est pas d’interdire, mais de protéger.
Avec cette loi, nous nous adressons aux premiers, et surtout aux premières concernées, les femmes qui font le choix, ou non, d’avorter, celles qui hésitent encore. Toutes ont le droit d’accéder à l’information. Plutôt que l’on décide à leur place, elles ont le droit de décider, en toute sérénité, en toute autonomie.
Or ces femmes, et ces hommes, qui viennent s’informer font d’abord des recherches en ligne. Vous le savez, internet est devenu l’une des premières sources d’information et d’orientation en matière de santé : parmi les 15-30 ans, 57 % des femmes, et près de 40 % des hommes, utilisent internet pour s’informer sur la santé, et, fait inquiétant, 80 % des jeunes qui y ont recours jugent crédibles les informations recueillies.
Sur internet comme ailleurs, il doit être permis aux personnes trompées de se défendre et de faire condamner toute atteinte à leurs droits. C’est l’objectif de la proposition de loi que j’ai cosignée avec Bruno Le Roux, Catherine Lemorton, Maud Olivier et de nombreux autres députés. Je le redis car ces derniers jours ont été particulièrement intenses en matière de désinformation.
Non, notre proposition de loi ne revient pas sur la liberté d’expression, ni sur internet, ni ailleurs.
Non, elle ne conduira pas à la fermeture administrative de sites internet ; non, elle ne se traduira pas par la censure de contenus en ligne.
Comme son titre l’indique, ce texte – que j’invite chacun à relire – étend le délit d’entrave. Ce délit devra toujours être prononcé par un juge, lorsqu’une personne ou une association estime avoir subi une entrave. Cette proposition de loi ne change pas la définition de l’entrave à l’IVG, elle la complète en visant les moyens utilisés sur internet.
Pour reprendre les termes de la résolution, adoptée à une large majorité par notre assemblée en 2014 : « Les droits de disposer de son corps, et de prendre librement des décisions autonomes sur sa santé, sans crainte de discriminations, de violences, de coercitions, sont des droits fondamentaux. Ils impliquent en particulier l’accès aux services de santé ; à une information accessible de qualité ; aux méthodes modernes de contraception ; et à un avortement sûr et légal […] Par cette résolution, la France réaffirme son engagement à défendre et promouvoir l’accès sûr et légal à l’avortement, et à faire progresser les droits des femmes dans l’ensemble de nos sociétés, en France, en Europe et dans le monde. »
Quarante-deux ans après la loi Veil, la société doit accorder aux femmes le droit d’interrompre une grossesse dans la sérénité, en toute autonomie, sans pression ni entrave. C’est pourquoi je vous demande, chers collègues, d’adopter à l’unanimité cette proposition de loi.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain, du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
La parole est à Mme la ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes.
Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes et rapporteure, mesdames et messieurs les députés, le droit à l’IVG n’est pas l’objet du débat que nous ouvrons ce matin.
D’abord parce que ce droit ne fait plus débat, mis à part pour quelques personnalités, qui y sont toujours farouchement opposées. Si j’ai bien suivi les débats récents, le libre et égal accès des femmes à l’IVG ferait consensus. L’immense majorité des Françaises et des Français y sont favorables et, plus encore, y sont légitimement attachés. Comme l’écrivait déjà Simone Veil en 1995, « l’avortement ne représente plus un enjeu politique en France ». Mais je dois aussi citer Simone de Beauvoir, pour laquelle « il suffira d’une crise économique, sociale ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en cause. »
J’aborde ce débat avec confiance et vigilance. À moins que quelqu’un n’assume le paradoxe qui consiste à défendre le droit à l’IVG tout en souhaitant, dans le même temps, limiter son libre exercice, il ne devrait pas y avoir matière à controverse.
Chacun en conviendra : un droit qui ne peut être librement exercé, un droit qui ne serait donc qu’une abstraction, un droit formel, n’est pas un droit. La proposition de loi que vous allez examiner est l’expression de cette évidence : elle n’a d’autre objectif que de consolider le droit fondamental des femmes à disposer de leur corps et de garantir à toutes nos concitoyennes un égal accès à l’IVG.
Toutes les grandes modifications législatives apportées à la loi Veil ont exprimé cette unique préoccupation.
Permettez-moi d’en rappeler quelques-unes : en 1979, la pérennisation des dispositions de la loi de 1975 dépénalisant l’avortement ; en 1982, la couverture des frais médicaux afférents à l’IVG ; en 1993, la création d’un délit d’entrave ; en 2001, l’allongement du délai légal de dix à douze semaines de grossesse et l’assouplissement des conditions d’accès à la contraception et à l’avortement pour les mineures ; en 2014, la suppression de la notion de détresse et la création d’un délit d’entrave à l’accès à l’information sur l’IVG – j’y reviendrai ; et cette année, la suppression du délai de réflexion d’une semaine préalable à l’intervention.
Dans le droit fil de cette histoire déjà longue, c’est la même exigence que nous nous fixons aujourd’hui en vous proposant d’adapter le délit d’entrave à l’IVG à la réalité numérique, car, nous le savons bien, s’il n’est plus contesté dans son principe, le droit des femmes est encore menacé dans son effectivité. Les adversaires du contrôle des naissances n’ont jamais vraiment désarmé et de multiples résistances s’exercent encore contre la reconnaissance pleine et entière de la liberté des femmes de choisir le moment de leur maternité. Malgré un arsenal juridique continuellement renforcé, notamment pour prévenir et sanctionner toute forme d’entrave à l’IVG, ses opposants n’ont jamais cessé de vouloir restreindre ou empêcher l’accès à ce droit fondamental.
Il y a trente ans, des commandos s’attachaient aux grilles des centres d’orthogénie ou aux tables d’opération pour empêcher les femmes d’y accéder. Aujourd’hui, c’est sur la toile que leurs héritiers continuent de mener la bataille, à la faveur du développement croissant des usages numériques.
Comme le rappelait le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes dans son rapport relatif à l’accès à l’IVG paru en 2013 et réalisé sur la base des chiffres du Baromètre santé 2010, l’internet est aujourd’hui la première source d’information relative aux questions de santé pour les personnes âgées de 15 à 30 ans.
Un tiers d’entre eux reconnaît même que la consultation des sites spécialisés a modifié leur manière de se soigner, tout particulièrement les jeunes femmes, qui les fréquentent davantage et plus régulièrement que les hommes.
La fiabilité et la qualité des informations qui y sont délivrées constituent donc un enjeu majeur. Les groupuscules anti-IVG ne s’y sont pas trompés : ils ont massivement investi l’espace numérique pour y mener une nouvelle forme de propagande. Certains activistes y assument clairement leur discours anti-choix, et cela relève pleinement de la liberté d’expression. Mais beaucoup d’entre eux avancent désormais masqués, dissimulés derrière des plateformes d’apparence neutre et objective, qui imitent et concurrencent les sites institutionnels d’information, sites qui constituent pourtant le premier recours des femmes qui souhaitent interrompre une grossesse. Faux nez d’une idéologie rétrograde mais toujours vivace, ces plateformes anti-choix, d’autant plus dangereuses qu’elles ne disent pas leur nom, cherchent délibérément à tromper les femmes en diffusant des informations fausses.
Qui êtes-vous pour en juger ? Ce n’est pas au Gouvernement de juger si elles sont fausses !
Pire, elles sont parfois relayées par des cellules d’écoute animées par des militants sans aucune formation, qui prétendent aider et accompagner les femmes, alors qu’ils n’ont en réalité qu’un objectif : culpabiliser les femmes et les décourager d’avoir recours à l’avortement, en les assignant au traumatisme.
De récentes opérations de testing réalisées par des journalistes ont parfaitement montré les ressorts de cette mécanique perverse, qui repose sur une parfaite maîtrise des codes de la communication numérique. D’abord, elle s’appuie sur une stratégie de référencement sur les moteurs de recherche. L’audience du site ivg.net qui, grâce à des campagnes régulières de référencement naturel et payant, reste dans le peloton de tête des résultats obtenus à partir des mots-clés « IVG » ou « avortement ». On mesure bien ici la force de frappe de ces activistes. Ensuite, les contenus ont, par leur présentation et leur ligne éditoriale, une attractivité délétère.
Aucun de ces sites internet ne diffuse les informations nécessaires aux femmes pour engager un parcours d’IVG en toute sécurité : les espaces d’écoute et de conseil ; les lieux où peuvent être pratiquées les IVG ; les délais dans lesquels elles peuvent être réalisées ; et, bien sûr, les méthodes entre lesquelles chaque femme doit pouvoir choisir. Voilà les informations que les femmes cherchent sur internet !
Selon le public visé, tout est pensé pour détourner les jeunes filles et les femmes des sites officiels où elles peuvent disposer de ces informations, conformément à une réglementation qui s’est continuellement précisée pour garantir à toutes les femmes un égal accès à la contraception et à l’avortement.
Il existe, il est vrai, des sites d’informations neutres.
Mais la consultation des plateformes administrées par les militants anti-choix est édifiante : la sobriété quasi-institutionnelle de l’ergonomie, l’apparente véracité des témoignages et des références médicales rassurent les femmes, qui pensent à tort disposer d’éléments objectifs et fiables pour ensuite engager, ou non, une démarche auprès des professionnels de santé.
C’est à cette supercherie que nous avons, aujourd’hui, la responsabilité de nous attaquer. Naturellement, ces lobbies anti-IVG ne réclament plus l’abrogation de la loi Veil, que nos concitoyennes et concitoyens considèrent comme un acquis irrévocable. Ils instrumentalisent la vulnérabilité des femmes confrontées à une grossesse non désirée pour les convaincre de renoncer elles-mêmes à y mettre un terme.
Depuis 2012, le Gouvernement lutte avec constance et détermination contre cette forme insidieuse de pression. Garantir l’égal accès de toutes les femmes à l’IVG, quels que soient leur situation, leur âge ou leur lieu de résidence, est la priorité absolue qui a nous a guidés. Avec le soutien de la majorité parlementaire, le Gouvernement s’est donc attaché à faciliter les démarches des femmes et à simplifier le parcours d’IVG, qui est aujourd’hui pris en charge à 100 %. Nous avons aussi largement renforcé l’offre de proximité, en donnant aux sages-femmes la possibilité de pratiquer des IVG médicamenteuses et aux centres de santé la capacité de réaliser des IVG instrumentales.
Comme je vous le disais, la loi du 4 août 2014 a renforcé les dispositions prévues par la loi Neiertz de 1993, en créant un délit d’entrave à l’accès à l’information sur l’IVG. Parallèlement, nous nous sommes attachés à améliorer l’accès des femmes à ces informations essentielles, avec la création de nouveaux outils, conformément aux recommandations formulées par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes : un site internet officiel, ivg.gouv.fr, mis en ligne à l’automne 2013 et régulièrement enrichi de nouveaux contenus, propose aujourd’hui l’information la plus complète, précise et objective possible sur l’avortement. Bien sûr, nous veillons à ce que ce site soit directement et très facilement accessible sur les moteurs de recherche, à partir des différents mots-clés régulièrement utilisés. Cet outil a été utilement complété par l’ouverture, en septembre 2015, d’un numéro national d’information – 0 800 08 11 11 – anonyme, gratuit et accessible six jours sur sept. Relayé par la première grande campagne d’information sur l’avortement, « IVG, mon corps, mon choix, mon droit », ce numéro reçoit aujourd’hui environ 2 000 appels par mois.
Ces mesures ont incontestablement contribué à sécuriser l’exercice du droit des femmes à disposer de leur corps, en facilitant leur accès à une information fiable et de qualité. Pour autant, nous ne sommes pas au bout du chemin. Soyons lucides : ces mesures ne parviennent pas à contrer durablement l’offensive numérique des anti-choix, dont l’audience continue de progresser sur le net. Les critères de référencement sont hérétiques. Si elles sont nécessaires, ces dispositions ne sont aujourd’hui pas suffisantes pour protéger les femmes de la duplicité de ce militantisme 2.0.
Les outils juridiques conçus pour combattre la désinformation orchestrée par ces lobbies doivent donc être spécifiquement adaptés aux évolutions de la communication sur internet et les réseaux sociaux. C’était l’objectif de l’amendement proposé par le Gouvernement, à l’occasion de la première lecture du projet de loi « Égalité et citoyenneté » : établir une nouvelle forme de délit d’entrave à l’ère numérique, pour compléter l’arsenal législatif qui sanctionne les actes visant à limiter l’accès à l’avortement et aux informations qui s’y rapportent. Le mois dernier, la majorité sénatoriale n’a pas souhaité permettre à ses collègues de débattre de ce projet,…
…mais je me réjouis que la majorité de cette assemblée ait été convaincue de son intérêt et, je dirais même, de sa nécessité.
Je tiens donc à saluer l’initiative de Bruno Le Roux, Catherine Coutelle, Catherine Lemorton, Maud Olivier et leurs collègues, qui ont repris le principe de cette disposition dans la proposition de loi qui vous est aujourd’hui présentée, et qui l’ont défendue.
Mesdames et messieurs les députés, avant de conclure, je tiens à rappeler que, si l’objet de notre débat n’est pas le droit à l’IVG, il n’est pas davantage ici question de liberté d’opinion et de liberté d’expression.
« Bien sûr ! » sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain. – Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.
C’est le coeur du sujet ! Pour vous, c’est : « circulez, il n’y a rien à voir » !
Le texte que vous allez examiner n’y porte nullement atteinte, il n’entend aucunement les restreindre. Je le dis très clairement : chacun est et reste libre d’affirmer son hostilité à l’avortement, sur internet ou ailleurs, autant qu’il le veut et comme il le veut, à condition de le faire en toute honnêteté, car la liberté d’expression ne peut se confondre avec la manipulation des esprits.
La liberté d’opinion n’est pas un droit au mensonge. Tromper délibérément des jeunes filles et des femmes, comme le font aujourd’hui les groupuscules anti-IVG de la toile, ne saurait donc être toléré. Il ne s’agit plus seulement de les démasquer : ils doivent désormais être aussi exposés à des sanctions, afin que le progrès technologique ne puisse plus être mis au service de la régression des droits des femmes.
C’est bien là le sens de cette proposition de loi, qui ne poursuit qu’une ambition : garantir à chaque femme la possibilité d’exercer un droit inscrit dans nos lois. Cette exigence, le Gouvernement la défend avec une détermination absolue. Il ne s’agit pas seulement d’un enjeu de santé publique. Permettre aux femmes de prendre elles-mêmes les décisions qui concernent leur corps, c’est aussi leur permettre de conquérir leur autonomie. C’est leur donner la liberté de construire l’avenir qu’elles choisissent. C’est promouvoir une véritable égalité entre les femmes et les hommes. Ce combat, soyez assurés que nous ne cesserons jamais de le mener.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain, du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, ce texte s’inscrit dans la continuité du combat en faveur de la liberté des femmes à disposer de leurs corps. L’interruption volontaire de grossesse est un droit reconnu pour toutes les femmes depuis la loi Veil du 17 juin 1975. Simone Veil disait ici même qu’on ne recourrait pas de gaîté de coeur à l’avortement. C’est toujours vrai. Ainsi, la politique a répondu par l’intelligence collective et le progrès, face à la pratique inacceptable des avortements clandestins.
Depuis cette date, les combats successifs ont permis la pérennisation du droit à l’IVG, son remboursement par la Sécurité sociale et l’instauration, en 1993, du délit d’entrave.
Comme l’ont rappelé Mme la rapporteure et Mme la ministre, depuis cinq ans, notre majorité a renforcé le droit à l’interruption volontaire de grossesse. Mais quarante ans après la loi Veil, le sujet suscite toujours les débats et l’acquis est illusoire.
Il existe toujours des actions « commando » devant les hôpitaux pour bloquer l’accès aux centres IVG. Il existe toujours des pays qui remettent en cause ce droit : l’Espagne, la Pologne, l’Irlande, Chypre ou encore Malte.
« Si ! » sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
L’acquis est illusoire, puisque nous devons nous battre contre le déremboursement de l’IVG voulu par certains de nos collègues. L’acquis est illusoire quand nos détracteurs nous jugent irresponsables devant la vie qui vient. La foi, dont certains se revendiquent dans leur programme, ne devrait même pas être un argument politique dans une république, qui est, aux termes de la Constitution de la Ve République, sociale, indivisible, démocratique et laïque.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
L’acquis est illusoire puisque certains de nos détracteurs osent brandir aujourd’hui le principe de la liberté d’expression dans une lettre adressée au Président de la République,…
…cette même liberté d’expression que ces gens-là malmènent lorsqu’il s’agit de théâtre, de films, de presse, de publicité !
L’acquis est illusoire, puisqu’en 2016, en commission des affaires sociales, la tension sur le sujet est telle que j’ai été obligée de suspendre l’examen du texte en raison des insultes proférées par l’opposition…
…à l’encontre d’un de nos collègues. C’était une honte ! Je n’oserai pas répéter à cette tribune les insultes proférées, car des enfants nous regardent.
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Telle est la réalité ! L’archaïsme n’a pas sa place lorsque nous défendons la liberté de toutes les femmes à disposer de leur corps.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui va permettre la reconnaissance du délit d’entrave de l’IVG sur internet. Dans les années quatre-vingt-dix, des commandos anti-IVG tentaient de dissuader les femmes d’avorter en bloquant les accès aux hôpitaux. Nous les avons tous vus.
Ils bloquaient également l’accès aux hôpitaux des couples hétérosexuels – chers à nos collèges de l’opposition – qui voulaient recourir à une procréation médicale assistée.
En 2016, ces entraves ont changé de forme. L’entrave se manifeste désormais sur internet. Certains sites se donnent l’apparence de sites gouvernementaux, en proposant notamment des numéros verts.
Sur ces sites, on peut lire, par exemple, ceci : « L’IVG, vous hésitez ? Venez en parler ! », mais venez en parler pour ne pas le faire ! Dans un article sur les troubles psychologiques liés à l’avortement, on peut également lire : « L’IVG, c’est souvent la goutte qui a fait déborder le vase ? »
Notre majorité fait le choix du réel et s’adapte au monde tel qu’il est. Notre majorité ne renonce pas et avance, face aux vagues de l’aigreur et du conservatisme.
Un droit reconnu n’a de sens que si nous prenons nos responsabilités pour lever toute entrave à l’accès à ce droit. Adopter cette proposition de loi, c’est aussi lutter contre les violences faites aux femmes. Quand une femme ne veut pas une grossesse, la lui imposer est une honte ! C’est une violence qui lui est faite !
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain, et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Puisque vous connaissez des gens « comme nous », comme vous dites, mesdames et messieurs les députés de l’opposition, vous avez déjà rencontré des femmes qui ont pris la décision d’avoir recours à l’IVG. Vous croyez qu’elles le font avec plaisir ? Bien sûr que non !
Je m’énerve en prévention de toutes les absurdités que vous allez raconter !
Rires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Vous nous dites que vous aimez les familles et les enfants – ou plutôt la famille, car les familles, c’est nous qui les aimons –, mais un enfant n’a d’existence, même virtuelle, que s’il existe un projet parental ! S’il n’y en a pas, si une grossesse n’est pas voulue, comment concevez-vous l’arrivée de cet enfant, vous qui les aimez tant, dans vos familles dites traditionnelles ?
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain. - Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Le sujet, c’est la liberté d’expression ! Vous êtes en train de noyer le poisson !
Les femmes ont le droit de disposer de leur corps et de ne pas mener une grossesse à son terme, parce que ce n’est pas leur projet de vie. L’enfant qu’on obligerait à naître devra certainement être suivi psychologiquement. Je vous le dis, chers collègues de l’opposition, car vous intentez toujours des procès d’intention contre ces femmes !
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Il convient donc de faciliter l’accès à ce droit, quand la décision est prise. Nous le faisons depuis quatre ans et cette proposition de loi est une nouvelle étape.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain, du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe Les Républicains une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.
Huées sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Monsieur le président, je pensais que ce débat avait besoin d’une sérénité bien plus grande que celle qu’a affichée Mme la présidente de la commission.
Madame la ministre, je tiens tout d’abord à vous remercier – ce sera peut-être la seule fois de mon intervention –, pour avoir bien voulu rappeler qu’il y quarante-deux ans, quasiment jour pour jour, ici même, à cette tribune, c’est une ministre issue de nos rangs…
Rires et exclamations prolongées sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain
…une ministre issue de nos rangs, dis-je, qui s’exprimait et qui, au terme d’un débat d’une grande intensité et d’une grande humanité,…
C’est faux, relisez les débats, ils ont été d’une grande violence. Une honte !
Madame la ministre, vous avez cité Simone de Beauvoir : si vous le permettez, je citerai Simone Veil, qui s’est adressé au cours de ce débat à la jeunesse, disant de celle-ci : elle « est courageuse, capable d’enthousiasme et de sacrifices comme les autres. Sachons lui faire confiance pour conserver à la vie sa valeur suprême. »
Conserver à la vie sa valeur suprême : le propos, madame la ministre, est toujours d’actualité.
Quarante ans après ces moments parlementaires d’exception, on nous présente une proposition de loi visant à créer un délit d’entrave numérique à l’IVG, un texte qui paraît, permettez-moi de le souligner, à contre-emploi des positions générales de la majorité en matière de défense des libertés.
Toutefois, que l’on ne s’y trompe pas : je veux souligner ici, par le biais de cette motion préalable, que le groupe LR est attaché à un débat apaisé et rationnel sur ce sujet qui déchaîne toujours beaucoup de passions, simplement parce qu’il touche au plus intime de chaque Française et de chaque Français.
De la même façon, je voudrais confirmer le plus solennellement possible l’attachement que nous avons au droit à l’avortement, considéré par la plupart d’entre nous comme un droit fondamental. Cette liberté existe depuis plus de quarante ans et contrairement à ce que certains veulent faire croire depuis quelque temps, cette liberté ne devrait pas être remise en cause, même, madame la ministre, mes chers collègues de la majorité, lorsque vous aurez quitté le pouvoir.
D’ailleurs cette proposition n’est pas un texte sur le droit à l’IVG et elle ne le renforce pas. C’est un texte sur la liberté d’expression et la liberté d’opinion.
« Non ! » sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Cette mise au point étant faite, je me dois de souligner que ce texte soulève de nombreuses questions, tant sur la forme que sur le fond.
Sur la forme, nous nous interrogeons avec les membres de notre groupe sur l’opportunité d’un tel texte. Est-il vraiment nécessaire de faire croire qu’un réel danger pèse sur l’accès à l’avortement en France aujourd’hui ? Pourquoi un tel empressement législatif dans le contexte actuel, où l’accès à l’emploi et le droit à la sécurité font partie des véritables préoccupations de nos concitoyens ?
Pourquoi mettre autant en avant l’accès à l’avortement, alors que nos politiques en faveur d’une meilleure contraception semblent moins visibles, madame la ministre, et que, contrairement à ce qui se passe dans plusieurs de nos pays voisins, le nombre d’avortements pratiqués chaque année en France ne baisse pas et se situe toujours aux alentours de 200 000 ? Avons-nous bien conscience qu’un avortement est toujours un échec ? C’est souvent un drame.
C’est donc sur le fond que notre opposition est la plus formalisée. Ce texte, vous l’avez souligné vous-même en commission en reconnaissant que sa rédaction initiale risquait la censure du Conseil constitutionnel, flirte dangereusement avec la création d’un délit d’opinion. Cela, nous pouvons d’autant moins le cautionner que, si c’est vrai sur ce sujet, cela le sera sur n’importe quel autre. Vous commencez aujourd’hui par l’IVG. Vous, ou d’autres d’ailleurs, pourraient s’engouffrer dans la brèche, que vous auriez ainsi ouverte, pour s’attaquer à d’autres sujets.
Qu’est-ce que la liberté d’opinion ? Affirmée solennellement dès la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, et donc protégée par le Conseil constitutionnel, elle signifie que toute personne est libre de penser comme elle l’entend, d’affirmer des opinions contraires à celles de la majorité et de les exprimer.
Afin d’être effective, la liberté d’opinion doit s’accompagner du respect d’autres libertés, notamment la liberté d’expression, qui permet à chacun d’exprimer librement ses idées par tous les moyens qu’il juge appropriés, dont la liberté de la presse, la liberté de la communication audiovisuelle et la liberté d’expression sur le réseau internet.
Évidemment, nous sommes unanimes à le penser, cette liberté implique également le respect d’autrui. Ainsi les propos diffamatoires, racistes et incitant à la haine raciale ou au meurtre sont punis par la loi, ces limites à la liberté d’expression visant à protéger les tiers – nous y reviendrons.
La liberté d’expression implique aussi la liberté d’association, qui permet aux personnes partageant les mêmes opinions de s’associer au sein d’une même organisation, la liberté de réunion et la liberté de manifestation. Le délit d’entrave, tel qu’il est prévu aujourd’hui par le code de la santé, vise à la protection d’une liberté accordée aux femmes qui le souhaitent, d’avoir recours, dans les meilleures conditions, à l’IVG. C’est la raison pour laquelle il prévoit une pénalisation de tout acte visant à « empêcher ou tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur une interruption de grossesse ou les actes préalables ». Il est puni de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende, ce que personne, ici, ne remet en question.
Toutefois l’honnêteté intellectuelle oblige à reconnaître qu’il existe une grande différence de nature entre le fait « d’entraver » les femmes qui ont choisi d’avoir recours à l’IVG, comme le faisaient, par exemple, ces commandos que Mme la ministre a évoqués et qui s’enchaînaient aux grilles des hôpitaux, et le fait de mettre à disposition sur internet une information différente des sites officiels pour ceux et celles qui cherchent à s’informer et choisissent d’aller les consulter, même si ces sites mettent à disposition des numéros verts dits d’écoute.
Or la sanction pénale prévue est la même : deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende. Vous êtes apparue mal à l’aise, madame la ministre, car vous savez que votre texte est fragile sur le plan juridique. Alors que vous avez largement répandu dans la presse l’idée qu’il est nécessaire de voir interdire ces sites internet, en les citant nommément, vous nous assurez maintenant qu’il ne s’agit plus de les censurer.
Comme d’autres ici, j’ai consulté ces sites. Bien sûr, il y a beaucoup de témoignages de femmes qui ont mal vécu leur IVG.
Est-ce ce genre de témoignage que vous voulez faire disparaître de la Toile ? En quoi peuvent-ils être considérés comme répréhensibles ? Voulez-vous vraiment contester à autrui son droit naturel, c’est-à-dire sa faculté de raisonner librement ?
Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
J’ai été étonné du témoignage, paru sur le site internet du Gouvernement, d’un gynécologue interrogé sur les conséquences possibles d’une IVG : celui-ci balaie d’un revers de la main la souffrance de certaines femmes dans un langage – je rappelle qu’il s’agit du site du Gouvernement, madame la ministre – tout à fait désinvolte : « Au moment de l’IVG, c’est sûr que ce n’est pas un moment très agréable à passer. » On s’en doute. « Mais là, c’est comme pour la douleur physique, il y a des femmes qui le vivent on va dire plutôt bien et puis il y a des femmes qui le vivent plutôt mal : donc qui sont tristes, qui pleurent. » Voilà le secours que vous apportez !
Vous avez donc pris la précaution de préciser que vous ne voulez pas entraver la liberté d’expression.
Toutefois, madame la ministre, vous feignez d’ignorer que, sans la liberté d’offenser, la liberté d’expression cesse d’exister. Or, en dépit de l’amendement que vous avez fait adopter en commission, votre texte dépasse clairement la frontière entre l’entrave et le délit d’opinion.
Vous voulez interdire diffuser ou de transmettre par voie électronique ou en ligne « des allégations, indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales d’une interruption volontaire de grossesse ».
Passons sur le fait qu’il paraît assez difficile de considérer qu’une information, même présentée de façon tendancieuse, puisse constituer un délit d’entrave dans la mesure où elle n’est imposée à personne et qu’il faut aller la chercher.
Si l’on vous suit, vous voulez instaurer un contrôle de l’objectivité de l’information sur internet. C’est particulièrement chimérique, voire dangereux.
La régulation de l’information sur les réseaux sociaux reste une véritable interrogation. Alors que les collègues membres de la commission des affaires culturelles peuvent témoigner de l’importance de la réflexion en la matière, vous voudriez le faire par le prisme de l’IVG : cela paraît grandement utopique.
Quand le texte évoque des indications ou présentations faussées et « de nature à induire intentionnellement en erreur », on se demande tout de suite qui sera chargé du contrôle. Vous nous répondrez sûrement, madame la ministre : le juge. Mais selon quels critères ? Sur un sujet aussi complexe et sensible que l’IVG, le binaire pour ou contre est particulièrement réducteur : sur un sujet d’une telle nature, qui peut prétendre à la neutralité ? Affirmer, par exemple, que l’avortement a des conséquences physiques et psychologiques, que vous niez, est-ce une allégation faussée ? Imaginons le même genre de texte visant à limiter les opinions sur d’autres sujets comme le réchauffement climatique, les perturbateurs endocriniens ou l’écriture de l’histoire par exemple. Tout le monde, vous les premières, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, crierait à la censure !
À moins que vous ne souhaitiez que ce contrôle de l’objectivité revienne à l’État ? De nouveau, vous outrepassez clairement le contrôle qu’il peut exercer sur la liberté d’expression et qui doit se cantonner à interdire les propos diffamatoires, racistes ou incitant à la haine raciale ou au meurtre, qui sont, fort heureusement, déjà punis par la loi. Attention, madame la ministre, l’État devient violent lorsqu’il s’en prend aux âmes.
On ne peut pas réserver un traitement spécifique à l’IVG sans qu’une telle démarche ait des conséquences beaucoup plus larges. Ce n’est pas au Gouvernement de décider ce qui est information légitime et ce qui ne l’est pas.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Faute de quoi, nous entrons dans le régime de la censure et de l’arbitraire, que vous ne voulez pas.
Mêmes mouvements.
Si ces sites incitaient réellement à faire de l’obstruction, en appelant par exemple à une occupation de centres qui pratiquent l’IVG, la loi existante aurait déjà sévi. Allons plus loin : le texte proposé précise bien que ces allégations seront pénalisées si elles sont présentées « dans un but dissuasif ». Pouvons-nous donc en déduire que si de telles allégations faussées sont présentées dans un but incitatif, il n’y a aucun problème ?
…qui refuse l’IVG et menace les femmes qui choisissent d’y avoir recours – il faut que nous en ayons conscience –, il existe en sens inverse des pressions pour inciter les femmes à y avoir recours. Je pense à un fait divers que vous connaissez bien et qui est récemment relaté dans les médias : une femme a raconté que son employeur lui avait recommandé, alors qu’elle annonçait sa grossesse, d’avoir recours à l’IVG si elle souhaitait garder son travail. Intolérable !
On mesure bien l’extrême difficulté d’écrire un tel texte. Quand on vous écoute ou quand on vous lit, on comprend bien votre volonté d’imposer une idée unique, une vision restrictive sur un sujet aussi fondamental en faisant condamner ceux qui pensent différemment de vous.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.
Vous voulez le faire parce qu’ils proposent un discours différent sur l’IVG, mais ils ont parfaitement le droit de s’exprimer !
Protestations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Oui, ils ont le droit de s’exprimer !
Une telle initiative s’avère liberticide. Elle est contraire à la France à laquelle nous croyons, la France des Lumières qui revendique la liberté de choix, d’expression et de réflexion. Vous voulez ainsi rompre la tradition de tolérance et de mesure de notre pays.
Vous vous en doutez, madame la ministre, tout cela est manifestement contraire à la Constitution.
Ah bon ?
En réservant à l’IVG un traitement aussi spécifique, une telle mesure dépasse le contrôle que l’État peut exercer sur la liberté d’expression. Si ce texte devait finir son parcours parlementaire, nous présenterions un recours devant le Conseil constitutionnel.
Mais dans le fond, vous ne vous en souciez guère : vous avez dit que ce qui compte vraiment, c’est l’impact qu’aura ce nouveau délit par anticipation. La peur du gendarme poussera les auteurs de ces sites à les fermer, et vous aurez le sentiment d’avoir gagné. Si ce n’est pas la création d’un délit d’opinion, qu’est-ce donc ?
Comme l’écrit Dominique Reynié dans une excellente tribune parue à la fin du mois de septembre…
Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain
Je cite donc Dominique Reynié : « En ce qui concerne l’IVG, l’appel à la réflexion constitue désormais une opinion que ce gouvernement juge urgent de réduire au silence. »
« Loin des précieux enjeux de santé, loin du légitime droit des femmes, le projet de créer un délit d’entrave numérique n’est que l’expression d’une radicalisation idéologique. »
Nous nous interrogeons sur l’opportunité de discuter ce texte mal ficelé. Pourquoi maintenant ? Pourquoi en procédure d’urgence, sur un sujet aussi sensible ?
La réponse, nous la connaissons. Vous vous servez de ce sujet pourtant tellement intime, souvent porteur de grandes souffrances pour de nombreuses femmes, comme d’un marqueur idéologique.
Nous ne vous suivrons jamais dans une telle démarche. La défense des droits des femmes mérite mieux.
Mes chers collègues, nous le savons bien : à droite, à gauche et au centre, nous sommes soumis aux mots d’ordre des groupes parlementaires qui profitent généralement des votes pour montrer leurs muscles. Dans ce débat, chers collègues de droite, de gauche et du centre, nous sommes au-delà. Nous sommes au royaume de l’intime et de la conscience. Nous pouvons tout fuir, sauf notre conscience. Lors d’un autre débat, notre collègue François Rochebloine s’interrogeait ainsi : nous ne pouvons rien faire contre notre conscience, car si nous ne l’écoutons pas, à quoi sert-elle ?
Chers collègues de la majorité, je vous le demande très sincèrement :…
…êtes-vous profondément certains que votre conscience personnelle vous commande de voter ce texte ?
Vous avez vu circuler sur les réseaux sociaux ce témoignage de Guillaume Erner, journaliste de Charlie Hebdo. Il contient quelques phrases très fortes : « Je n’ai pas un argument contre les discours hostiles à l’IVG ; j’en ai mille. Du droit des femmes à disposer de leur corps, jusqu’à la certitude qu’aucune de ces IVG n’est décidée de gaieté de coeur. » En effet, l’IVG est toujours un échec ! Je poursuis : « Mais comment comprendre cette proposition de loi visant à "condamner les sites internet accusés d’exercer des pressions psychologiques ou morales afin de dissuader de recourir à l’IVG" ? […] Vous vous souvenez de la phrase attribuée à Voltaire, usée par des générations de lycéens, "je ne suis pas d’accord avec ce que vous venez de dire, mais je me battrai jusqu’au bout pour que vous puissiez le dire". »
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
« Eh bien, oui, cette phrase doit s’appliquer à toutes les opinions, même celles que l’on trouve ignobles, tant qu’elles sont autorisées par la loi. Ce délit d’entrave à l’IVG est une très mauvaise nouvelle pour tous ceux qui sont favorables au droit à l’avortement. »
« Croyons-nous nos arguments si faibles qu’il faille interdire ceux de nos adversaires ? »
En conclusion, madame la ministre, il me reste cette question lancinante : au terme de cinq ans de mandat, le gouvernement auquel vous appartenez est-il si faible qu’il en oublie le sens même de la tolérance, qui n’est jamais que le refus de l’usage de toute autre arme que l’expression de la pensée ?
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je vous invite à adopter cette motion de rejet préalable.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Sur la motion de rejet préalable, je suis saisi par le groupe socialiste, écologiste et républicain d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Quel est l’avis de la commission sur cette motion de rejet préalable ?
Défavorable. Nous aurons l’occasion de revenir sur tous les arguments développés par M. Kert. J’ai déjà apporté quelques réponses en présentant ce texte. Nous ne voulons pas remettre en cause la liberté d’expression ou la liberté d’information,…
…mais une entrave. Mais je pense que nous aurons tout le temps de nous en expliquer…
Défavorable.
Nous en venons aux explications de vote sur la motion de rejet préalable.
La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour le groupe Les Républicains.
Au nom du groupe Les Républicains, Christian Kert a exposé avec beaucoup de précision…
…les enjeux que revêt cette proposition de loi.
Ce qui est en cause, ce n’est pas l’interruption volontaire de grossesse. La loi Veil a été proposée et votée à l’initiative de nos prédécesseurs sur ces bancs.
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Elle a été naturellement maintenue par les différents gouvernements de la droite et du centre. Aucun d’entre nous ne propose sa modification. Nous sommes naturellement favorables à l’application de la loi Veil. Mais c’est avec autant de force et de détermination que nous soutenons que, ce qui est en cause ce matin, c’est bien la liberté d’expression.
L’extrême pauvreté de l’argumentation de Mme la rapporteure et l’absence d’argumentation de Mme la ministre sur cette question précise de la liberté d’expression montrent bien le trouble qui existe au sein de la majorité. Oui, il y a un enjeu qui touche à la liberté d’expression, parce qu’elle est le corollaire de la liberté de conscience. Vous ne pouvez pas écarter d’un revers de main cette question juridique absolument majeure. La présente proposition de loi méconnaît directement nos principes constitutionnels, qui protègent le droit de chacun de s’exprimer en conscience et en toute liberté.
Je comprends que la majorité socialiste a l’intention d’adopter cette proposition de loi. Soyez sûrs de notre détermination à la contester devant le Conseil constitutionnel.
Lorsque les droits fondamentaux sont en cause, lorsque les libertés constitutionnelles de conscience et d’expression sont en cause, les députés du groupe Les Républicains sont là pour les défendre.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
La parole est à Mme Marie-George Buffet, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Dans leur long et permanent combat pour obtenir des droits et garantir ces acquis,…
…les femmes ont eu besoin de la mobilisation des hommes et des femmes favorables à l’égalité des droits. Tout au long de l’histoire, dans un rapport de forces tendu, face à la domination patriarcale,…
…ces personnes ont eu besoin d’être soutenues dans leur action par la loi.
Il y a quarante-deux ans, le combat des féministes pour le droit à l’avortement a été remporté : ce droit a été acté dans la loi. Il a fallu d’autres lois et d’autres combats des femmes pour préserver ce droit et faire en sorte que chaque femme ait librement accès à l’exercice de celui-ci. C’est de cela que nous allons débattre.
Il s’agit bien de garantir aux femmes le libre accès à un droit que la République leur a donné.
Vous pourrez continuer à manifester contre la liberté des femmes à disposer de leur corps,…
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains
…vous pourrez continuer à écrire des tribunes sur ce sujet, mais vous n’aurez plus le droit d’utiliser des sites internet pour faire pression sur les femmes et les empêcher d’utiliser ce droit. Nous voterons donc contre cette motion de rejet préalable.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
La parole est à Mme Chaynesse Khirouni, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.
Avec la loi Veil, il y a plus de quarante ans, les femmes ont obtenu de haute lutte, après des dizaines d’années de combat contre les éléments les plus réactionnaires de la société, le droit fondamental à pouvoir disposer de leur corps. Nous avons longtemps cru que ces avancées étaient irréversibles,…
…mais après avoir entendu cette motion de rejet préalable, les mots forts de Simone de Beauvoir rappelés par Mme la ministre doivent sonner comme une alerte. « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. »
C’est la liberté d’expression qui est en jeu ! Nous sommes en démocratie !
Ainsi, il nous faut encore réaffirmer dans cet hémicycle que le droit à l’avortement n’est pas une opinion, mais une liberté fondamentale pour toutes les femmes.
Aujourd’hui, nous constatons la force et la vigueur des activistes et des lobbyistes anti-IVG, qui disposent de solides relais, y compris au sein même de notre Parlement. Cette motion de rejet préalable en est l’illustration.
Durant cette législature, nous avons déjà dû nous opposer vivement à l’initiative d’une vingtaine de députés de droite qui, en 2014, souhaitaient dérembourser l’IVG,…
…considérant que seul un état de détresse pouvait justifier le remboursement de l’acte et sous-entendant ainsi que de nombreuses IVG étaient des IVG de confort. Depuis, Mme Le Callennec, cosignataire de cet amendement, est devenue vice-présidente du parti Les Républicains.
Exclamations sur divers bancs.
Oui, nous devons lutter contre l’influence grandissante et préoccupante des sites anti-IVG, qui ne s’affichent pas comme tels mais diffusent des informations faussées sur l’IVG ou ses conséquences. Ces activistes prétendent aider les femmes à prendre la bonne décision. En réalité, ils orientent les choix en inondant leurs sites de témoignages de femmes qui ont mal vécu leur IVG et la regrettent ; ils amplifient les risques encourus.
Oui, il est temps de sanctionner ceux qui tentent de culpabiliser les femmes afin de les dissuader de recourir à l’IVG, niant la capacité de ces dernières à décider, à faire leur propre choix. C’est la raison pour laquelle le groupe socialiste, écologiste et républicain votera résolument contre cette motion de rejet préalable.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain, du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants: 93 Nombre de suffrages exprimés: 93 Majorité absolue: 47 Pour l’adoption: 19 contre: 74 (La motion de rejet préalable n’est pas adoptée.)
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain, du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Ce n’est pas grave ! Cette proposition de loi sera censurée par le Conseil constitutionnel !
Je tiens à dire à Mme Khirouni, avec laquelle je siège à la commission des affaires sociales, que ses propos relèvent du fait personnel.
J’aurai l’occasion de lui répondre dans le cadre de la discussion générale.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, il règne ce matin dans l’hémicycle une atmosphère très lourde, un sentiment de malaise à l’idée que des députés français vont s’attaquer à la liberté d’expression dans ce pays
Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain
en créant un délit d’opinion. Christian Kert l’a parfaitement exprimé et les propos tenus contre une de nos collègues à l’instant en sont une parfaite illustration.
L’IVG qui est un sujet douloureux, vous en faites un sujet politique et engagez un débat qui n’aurait pas lieu d’être dans la mesure où il existe un consensus. Quarante ans après la loi Veil, personne ou presque ne remet en cause le droit de recourir à l’IVG.
Bien sûr que non, madame la rapporteure.
De quoi s’agit-il ? De créer un délit d’entrave à l’IVG sur Internet, puni de deux ans de prison et de 30 000 euros d’amende. Comment peut-on entraver une IVG sur Internet ? Une entrave est une intervention physique, par exemple le fait de s’opposer à une IVG par la force dans une clinique ou un hôpital ; elle est punie par la loi. S’agissant d’internet, il est question de sites librement consultés qui ne peuvent agir que par la persuasion intellectuelle. Les sites que vous évoquez ne sont évidemment pas neutres, ils sont forcément militants dans la mesure où ils veulent dissuader les femmes d’avorter. On peut être d’accord ou non, mais ils expriment une opinion et c’est leur droit.
Vous leur reprochez d’avoir une apparence « officielle », mais qu’est-ce qu’une apparence officielle ? Un numéro Vert ? Toute société commerciale peut avoir un numéro Vert, cela ne confère pas pour autant une apparence officielle. Ils se veulent être à l’écoute. Est-ce criminel ? Ils développent un climat de confiance, c’est leur droit et c’est la moindre des choses. Ils expriment une opinion différente de celle des sites officiels. Oui, mais c’est aussi leur droit. Ils ont même été créés pour cela, comme le précise le rapport.
Ce qui est choquant, c’est le délit d’opinion que vous voulez créer, en portant des jugements sur le contenu et les messages qui sont délivrés. C’est votre vision moralisatrise, donneuse de leçons, qui décrète ce qui est bien et ce qui ne l’est pas. C’est insupportable et dangereux pour la démocratie.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Christian Kert a indiqué que votre proposition est probablement inconstitutionnelle, et heureusement. Permettez-moi de citer l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement ». Heureusement qu’il y a la Constitution !
De toutes parts, madame la ministre, des voix s’élèvent contre votre volonté de brider la liberté d’opinion. Fait rarissime, les évêques de France – par la voix de Georges Pontier, archevêque de Marseille, connu pour sa puissance de réflexion et sa modération – se sont adressés au Président de la République pour évoquer la mise en cause de la liberté d’opinion. L’appel des évêques de France ne doit pas être ignoré. C’est assez rare pour être souligné.
Christian Kert en a parlé : à Charlie Hebdo, qui représente également une conscience – on a tous manifesté pour la liberté d’opinion et pour Charlie Hebdo –, on dit aussi que cette proposition de loi est néfaste. Je conclurai en citant les propos d’un penseur de la gauche américaine, Noam Chomsky : « Si la liberté d’expression se limite aux idées qui nous conviennent, ce n’est pas la liberté d’expression ». Il faut que vous renonciez à ce texte.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, c’est avec une profonde émotion que je m’exprime devant vous pour débattre d’un texte à la résonance toute particulière pour la famille politique à laquelle j’appartiens.
Plus de quarante ans après, l’héritage de Simone Veil est encore présent. C’est une femme d’exception qui a marqué la vie politique française et européenne et restera la première des militantes de notre famille politique. Rappelons que le 26 novembre 1974, ici même, face à la situation dramatique des avortements clandestins, Simone Veil s’exprimait à l’Assemblée nationale. Elle a eu le courage de défendre la loi qui porte son nom.
À cette époque, des femmes vivaient dans l’angoisse d’un acte perpétré dans la solitude et dans des conditions qui risquaient de les laisser mutilées à jamais ou de leur faire perdre la vie ; tandis que d’autres, disposant d’une aisance financière et d’un plus large accès à l’information, pouvaient se rendre dans un pays voisin pour subir une IVG sans encourir de risques graves ni aucunes sanctions judiciaires.
Simone Veil visait à mettre fin à une injustice et une situation de fait. Elle a tout simplement donné aux femmes la liberté de choisir. En reconnaissant ce droit, la loi relative à l’interruption volontaire de grossesse n’avait pas pour autant vocation à encourager l’avortement.
Car, s’il était impossible de continuer à ignorer l’existence de ces avortements clandestins, il était tout aussi impensable d’encourager la pratique de l’avortement.
Aussi la loi consacre-t-elle, dans son article 1er, le respect dû à tout être humain dès le commencement de la vie.
Et cet article conserve toute sa place. La loi ne fait qu’admettre la possibilité d’un avortement, pour mieux contrôler cette pratique et, surtout, mieux protéger les femmes.
Grâce au combat, au courage et à la détermination de Simone Veil, chaque femme, majeure ou mineure, qui ne veut pas poursuivre une grossesse, a désormais le droit de demander son interruption. Ce droit constitue un acquis majeur et marque une étape importante dans la conquête de la liberté la plus fondamentale pour les femmes, celle de disposer librement de leur corps.
La conquête de ce droit a été longue ; elle est le résultat du travail de conviction de femmes et d’hommes engagés et se poursuit encore aujourd’hui. Simone Veil le savait et ses propos restent justes : la législation s’adapte « au consensus social et à la situation de fait ». Aujourd’hui encore, le consensus auquel est parvenue la société française reste fragile.
Ce sujet relève de l’intime et de la conscience de chaque femme et de chaque couple. Il n’y a de place ni pour la banalisation, ni pour la diabolisation.
Ce droit acquis ne peut pas être sujet à polémique et ne devrait pas l’être.
Mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui ne répond pas à une situation nouvelle. Elle vise à étendre le délit d’entrave, introduit en 1993 dans le code de la santé publique par la loi Neiertz.
Ce délit inscrit dans le code de la santé publique sanctionne de deux ans de prison et de 30 000 euros d’amende toute personne qui tente d’empêcher une IVG en perturbant l’accès aux établissements la pratiquant. La loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes l’a ensuite élargi aux actes d’intimidation à l’égard de femmes venues s’informer sur une IVG dans un hôpital, un centre de Planning familial ou un autre centre d’information.
Depuis lors, ces agissements se sont progressivement éteints – il faut le reconnaître – à la faveur notamment de la crainte des risques judiciaires, mais ils n’ont pas disparu.
Aujourd’hui, l’obstacle à l’interruption volontaire de grossesse ne se fait plus dans la rue, en distribuant des tracts ou en empêchant les femmes d’avoir accès à des centres de santé. Il se fait sur internet. À leur domicile, les femmes, dans leur détresse – n’oublions pas ce mot – cherchent des réponses à leurs questions.
Il existe des sites officiels administrés par le ministère de la santé qui délivrent les informations nécessaires – délais, les lieux de consultation, coût, méthodes – accompagnées d’un numéro Vert parce que souvent, la parole doit se libérer. Mais il existe aussi d’autres sites, à l’apparence anodine et impartiale mais dont le but n’est pas uniquement d’éclairer celles et ceux qui doutent, mais – disons-le – d’exercer des pressions psychologiques parfois intolérables.
Derrière ces informations apparemment neutres et objectives se trouve l’intention sous-jacente de dissuader la femme de recourir à l’avortement.
Si vous tapez « IVG » sur un moteur de recherche, vous tombez eux sur eux dès la première occurrence.
La présente proposition de loi vise ainsi à sanctionner ces pratiques de dissimulation en complétant le délit d’entrave tel qu’il est déjà défini par le code de la santé publique.
Être personnellement hostile à l’avortement s’inscrit dans le cadre de la liberté d’opinion. Cette dernière, tout comme d’ailleurs la liberté d’expression, est un droit fondamental qu’il nous faut préserver. Les médecins disposent ainsi, je le rappelle, d’une clause de conscience qui leur ouvre le droit de refuser la réalisation d’une IVG et ce droit est souvent exercé.
La détresse et la vulnérabilité peut conduire certaines femmes à ne plus être en mesure – je pèse mes mots – de faire preuve de discernement. Face à la multiplication des sites internet, les pouvoirs publics ne peuvent donc plus éluder leur responsabilité. Cette proposition de loi ne crée pas une nouvelle incrimination, mais a vocation à étendre celle qui existe déjà, pour s’adapter à de nouvelles pratiques et aux nouvelles technologies. On le vit dans d’autres domaines, notamment du terrorisme : certains sites véhiculent des propos totalement inacceptables.
J’y reviendrai, monsieur Tian.
En 2016, on ne peut tolérer que soit fait obstacle à ce droit donné aux femmes, et c’est pourquoi la représentation nationale est, à nouveau, appelée à légiférer. Avec ce texte, l’Assemblée condamne toute diffusion d’allégations ou indications faussées de nature à induire intentionnellement en erreur. À nos yeux, l’objectif est que les femmes concernées puissent disposer d’une information la plus juste possible car s’il existe des positions différentes, elles méritent d’être respectées.
Nous souhaitons que chaque femme puisse mûrir sa décision, en conscience et sans pression extérieure. En outre, notre souci constant est de maintenir l’équilibre ténu entre la liberté d’expression et le droit d’interrompre sa grossesse.
Mes chers collègues, sachez que si nous souscrivons au principe défendu par cette proposition de loi, nous émettons plusieurs réserves s’agissant de son application, et je souhaite, madame la ministre, vous interroger sur ce point.
L’objet de la proposition de loi est de condamner la désinformation sur l’avortement sur les sites internet. Dont acte.
Néanmoins, comment cette désinformation sera-t-elle définie ?
Le texte évoque l’intention des auteurs et la présentation d’informations « dans un but dissuasif ». Mais est-ce désinformer les femmes que de parler des conséquences éventuellement lourdes d’une IVG ? Est-ce dissuasif que de présenter des alternatives à l’avortement en cas de grossesses non désirées ? Est-ce un délit de mettre à disposition des témoignages de femmes qui ont mal vécu l’interruption de leur grossesse ? Je pose des questions.
Nous souscrivons au fait qu’exercer des pressions psychologiques ou morales afin de dissuader les femmes de recourir à l’IVG nécessite une réponse pénale. Mais comment s’effectuera – je le dis avec gravité – le contrôle de l’objectivité de l’information ? C’est une question majeure.
Madame la ministre, vous avez précisé que l’objectif n’était pas d’engager des poursuites devant les tribunaux envers un ou plusieurs sites internet ; mais alors quelle garantie avons-nous sur l’efficacité de cet article ? Je pense que vous me répondrez.
Pour notre part, le sujet est suffisamment grave pour que ce dispositif ne repose pas seulement sur le caractère dissuasif et la peur de la répression. À terme, la question de fermer certains sites devra certainement être posée. Notre travail ne va pas s’arrêter aujourd’hui. Nous le voyons bien, il a débuté à la fin des années soixante et se poursuit encore.
Alors que le droit à l’avortement est régulièrement remis en cause en Europe, nous ne devons jamais oublier pourquoi ce combat a été mené. L’équilibre est difficile entre la liberté d’expression, la liberté d’opinion et le droit à l’IVG : nous devrons constamment veiller à ce que les garanties de chacun soient protégées.
Mes chers collègues, les députés du groupe UDI, dans leur grande majorité, sont favorables à ce texte.
Certains y sont en effet opposés, monsieur Rochebloine, mais Yves Jégo ici présent y est favorable tout comme moi. Je ne vous surprendrai pas en disant que, puisque ce texte touche la conscience de chacun, nous respecterons les différentes positions exprimées dans cet hémicycle.
Chacun votera donc en conscience, même si le groupe est majoritairement favorable au texte.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, nous étudions aujourd’hui une proposition de loi visant à étendre le délit d’entrave à l’IVG, présentée par nos collègues du groupe SER. Elle est débattue dans l’hémicycle près de quarante-deux ans, jour pour jour, après que Simone Veil a présenté ici même son projet de loi pour le droit à l’avortement. Des pas législatifs très importants ont depuis été franchis et nous ne pouvons que nous en satisfaire.
Cette proposition de loi, ne comportant qu’un seul article, vise à lutter contre les tentatives d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse, notamment sur Internet en complétant l’article L. 2223-2 du code de la santé publique qui, chacun le sait, punit l’entrave à l’interruption volontaire de grossesse.
Les auteurs de cette proposition de loi reconnaissent le droit de chacun d’exprimer son opinion, ce qui relève des principes de liberté d’expression, et dénoncent le fait que, sur internet, certains sites induisent délibérément en erreur, intimident etou exercent des pressions afin de dissuader de recourir à l’IVG, ce qui est fondamentalement problématique et est déjà interdit depuis longtemps. Le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste partage pleinement cet avis.
Notre groupe souscrit également à l’idée des cosignataires de cette proposition de loi selon laquelle, la plupart du temps, ces sites se font passer pour des outils purement informatifs et omettent de signaler clairement les opinions anti-IVG de leurs auteurs. Le groupe RRDP défend la liberté d’opinion – cela fait partie de notre ADN –, mais nous sommes foncièrement opposés à toute tentative de désinformation qui brouille le jugement objectif de nos concitoyens.
Il est en outre regrettable que ces sites utilisent souvent les codes des sites Web officiels, en proposant notamment des numéros verts.
À l’instar des cosignataires, nous déplorons également que ces sites figurent régulièrement en tête des moteurs de recherche, apparaissant même parfois avant les sites ad hoc du ministère des affaires sociales et de la santé.
En outre, ces entrées internet contiennent des témoignages de femmes ayant avorté qui présentent systématiquement un contenu plutôt négatif, sans réelle information sur les animateurs du site – lesquels possèdent toutefois un numéro SIRET et permettent aux visiteurs de faire un don en ligne.
Enfin, pour une personne avertie, c’est en consultant la liste des abonnés de comptes Twitter liés à ces sites qu’on peut se faire une idée de l’orientation de leurs auteurs : comptes revendiquant des valeurs religieuses, comptes locaux d’une organisation dénommée « Sens commun » ou compte Twitter de la Fondation Lejeune.
Sur internet, les femmes doivent pouvoir être orientées en premier lieu vers les sites offrant des garanties, afin de bénéficier à ce titre d’une explication neutre, objective et impartiale. Les professionnels de santé pourront, notamment dans les plannings familiaux, prendre le relais et répondre au mieux aux interrogations des personnes concernées.
Ma collègue Dominique Orliac a déploré, lors des débats en commission des affaires sociales, les adresses numériques, ou URL, à rallonge utilisées par l’administration, ainsi que le problème des sites de redirection, qui ne permettent pas, ou ne permettent que trop peu, que les sites officiels soient pris en compte dans les moteurs de recherche, ce qui les empêche d’apparaître parmi les premières places des sites référencés. À l’heure du tout numérique, est aussi venue l’heure d’une communication plus simple de l’État et des pouvoirs publics. Nous devons largement progresser dans ce domaine.
Madame la ministre, nous vous invitons donc à n’utiliser et à n’indiquer comme liens sur les pages de l’administration que la redirection « ivg.gouv.fr », et non plus, comme c’est le cas aujourd’hui, l’URL à rallonge « ivg.social-santé.gouv.fr ». Ainsi, sur le site service-public.fr, la redirection ivg.gouv.fr n’est pas mentionnée. Cette stratégie numérique pose problème. En effet, la communication du Gouvernement devrait désormais passer uniquement par des URL ayant beaucoup plus d’impact que les trop nombreuses URL à rallonge qui foisonnent sur les sites de l’administration et des pouvoirs publics, même si l’adresse ivg.gouv.fr apparaît bien en en-tête du site gouvernemental, dans le contenu de la page et non pas dans l’URL du navigateur.
En ce jour du 1er décembre, journée mondiale de lutte contre le VIH, permettez-moi de revenir sur l’ambiance qui entoure depuis quelque temps les démarches, tant gouvernementales que parlementaires, visant précisément à une lutte efficace contre la désinformation dans le champ de la prévention sanitaire.
Notre groupe soutient la campagne actuelle de prévention de la transmission du VIH, qui fait réagir certains élus de droite.
Ce choix de désinformation est, pour le groupe RRDP, aussi intolérable que la désinformation contre l’IVG, qui s’inscrit dans cette même mouvance réactionnaire.
Tout aussi intolérables sont, mes chers collègues, les baisses de dotations financières destinées aux plannings familiaux, en bonne partie financés par les collectivités territoriales.
S’il est en effet des budgets à maintenir et à renforcer, ce sont bien aussi ceux qui concernent les plannings familiaux, véritables lieux d’information et de prévention.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
En l’état, nous souscrivons pleinement à l’article unique de cette proposition de loi, que nous voterons. Elle s’inscrit en effet dans la volonté exprimée depuis 2012 par la majorité de faciliter les démarches, de rendre gratuits et anonymes les consultations et actes relatifs à l’IVG et de mener des politiques publiques adaptées à la problématique de l’IVG.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain, du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui traite d’un droit fondamental, fruit d’un long combat mené par les femmes : le droit à l’interruption volontaire de grossesse, un droit qui doit être préservé et garanti. C’est tout l’objet de ce texte, que nous soutenons.
Comme cela a été rappelé, c’est en 1974, voilà quarante-deux ans, que l’Assemblée nationale inscrivait à son ordre du jour cette liberté pour les femmes. La loi Veil ne fut pas votée sans heurts. Le débat fut vif, la droite conservatrice de l’époque, déchaînée, usant des pires arguments pour s’opposer à cette avancée majeure – je note du reste qu’elle reste aujourd’hui égale à elle-même, sur cette question comme à propos de la campagne de prévention du VIH : ils continuent.
La loi fut cependant votée, avec l’appui de ceux qui étaient alors dans l’opposition : les députés de gauche, dont les députés communistes de l’époque.
Tout à fait !
Ces derniers avaient, quelques mois plus tôt, déposé une proposition de loi-cadre pour la promotion de la femme et de la famille, dans laquelle figurait cette exigence. Dès 1974, ils demandaient le remboursement de l’IVG par la Sécurité sociale et posaient la question des moyens mis à la disposition des hôpitaux pour rendre ce droit effectif.
Le remboursement s’est fait attendre et les moyens hospitaliers ont, eux aussi, tardé à se déployer. Après le vote de la loi, l’accès à ce droit n’a pas été simple pour les femmes. Des barrières demeuraient : l’application de la clause de conscience, les discours moralisateurs et réactionnaires, sans parler des commandos anti-IVG qui en étaient l’expression.
Fort heureusement, ces obstacles se sont estompés avec le temps. Depuis la reconnaissance du droit à l’avortement par la loi Veil votée le 17 janvier 1975, d’indéniables progrès ont été réalisés et plusieurs textes sont intervenus pour renforcer ce droit et assurer son plein exercice.
Le délit spécifique d’entrave à l’IVG, qui nous occupe aujourd’hui, a été institué dès la loi du 27 janvier 1993, qui sanctionne le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher une IVG en perturbant l’accès aux établissements de soins concernés ou en exerçant des menaces sur le personnel ou sur les femmes elles-mêmes. Ce délit est désormais puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.
La loi du 4 juillet 2001 a renforcé ce délit d’entrave à l’IVG en ajoutant la notion de pressions morales et psychologiques pour sanctionner les menaces et les actes d’intimidation et en alourdissant les peines prévues.
Le quinquennat actuel a également été marqué par plusieurs avancées concernant le droit à l’avortement. En novembre 2014, notre groupe a ainsi cosigné une résolution proposée par le groupe socialiste visant à reconnaître le droit à l’avortement comme un droit fondamental. Cette résolution a été adoptée à la quasi-unanimité. De même, nous avons voté la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, qui élargit le champ du délit d’entrave en permettant de sanctionner les actions qui viseraient à empêcher l’accès à l’information au sein des structures pratiquant des IVG.
Le texte qui nous est proposé aujourd’hui poursuit dans la même démarche en s’adaptant aux problématiques nouvelles liées au développement du numérique. En effet, la présente proposition de loi vise à étendre aux pressions psychologiques et morales qui s’exercent sur internet le délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse.
Nous ne pouvons que souscrire à cet objectif. Personne ne peut en effet nier qu’il existe aujourd’hui sur internet et sur les réseaux sociaux des pressions à l’encontre des femmes, avec la diffusion d’informations manifestement erronées, destinées à les dissuader de recourir à l’IVG. Plusieurs sites n’hésitent pas à revêtir une apparence officielle pour diffuser de fausses informations et induire en erreur les personnes qui cherchent à s’informer.
Outre le fait qu’ils font entrave au droit à l’avortement, ces sites sont dangereux, car ils brouillent les messages des pouvoirs publics sur internet en matière de santé. Or, nous savons qu’internet constitue le premier lieu d’information, notamment pour les jeunes. Le combat des commandos anti-IVG ayant changé de terrain, il est indispensable d’apporter une réponse adaptée aux évolutions de notre société. Cette proposition de loi, si elle est adoptée, permettra de combler un vide juridique qui empêche aujourd’hui le juge de sanctionner les pressions psychologiques organisées sur ces sites.
Nous sommes conscients du fait que légiférer sur les échanges sur internet n’est pas chose facile, car un juste équilibre est requis pour préserver à la fois la liberté d’information et la liberté d’expression. Le débat contradictoire est évidemment nécessaire et rien ne doit interdire qu’il se poursuive.
De ce point de vue, si la version initiale du texte contenait certaines ambiguïtés, la nouvelle rédaction proposée offre, après le travail réalisé en commission, un équilibre satisfaisant entre ces différentes exigences. Elle permettra de rendre pleinement effectif le délit de pression psychologique et morale exercée sur les femmes cherchant des informations sur l’IVG au moyen d’internet ou sur les personnels médicaux, tout en laissant, bien sûr, la place au débat. Il appartiendra ensuite au juge, garant des libertés individuelles, de bien placer le curseur entre la légitime répression du délit d’entrave et le respect de la liberté d’expression.
Au-delà du renforcement de notre législation, tout doit être mis en oeuvre pour garantir aux femmes un accès effectif au droit à l’avortement. De ce point de vue, je crois nécessaire d’alerter sur le fait que ce droit est également menacé par les coupes budgétaires opérées ces dernières années dans les politiques de santé, auxquelles s’ajoute la fermeture de nombreux hôpitaux de proximité et de plannings familiaux. Garantir le droit à l’avortement implique certes des textes législatifs, mais aussi les moyens financiers nécessaires aux établissements de santé qui pratiquent les IVG.
En tant que législateur, nous avons la responsabilité de rester vigilants, car même les droits les plus fondamentaux ne sont jamais définitivement acquis, comme le montrent les exemples récents de plusieurs pays européens dont les gouvernements ont tenté de remettre en cause ce droit.
La proposition de loi que nous examinons participe de ce combat de tous les jours pour que le droit à l’interruption volontaire de grossesse s’exerce pleinement. C’est pourquoi les députés du Front de gauche le voteront sans hésitation.
Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, chers collègues, je rappellerai à mon tour les mots de Simone de Beauvoir que vous avez cités ce matin, madame la ministre : « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. »
Ces mots résonnent aujourd’hui et plus que jamais avec l’actualité : un futur ministre de la santé anti-IVG aux États-Unis, ou encore un projet de loi visant à bannir l’avortement en Pologne, qui a forcé les Polonaises à descendre dans la rue pour défendre leur droit. L’actualité dans le monde, si on fait le bilan, c’est plus de 21 millions d’avortements clandestins par an sur 43,8 millions d’avortements au total, engendrant près de 47 000 décès.
Partout dans le monde, ce droit est sans cesse remis en cause : l’Espagne a bien failli l’envoyer valser dernièrement ; en Amérique latine, recourir à l’IVG est parfois passible de vingt ans de prison ; enfin, en Irlande du Nord, à côté de chez nous, l’avortement est toujours un crime.
Dans notre pays même, l’actualité, c’est la lettre de Mgr Pontier au Président de la République et la remise en cause du droit à l’IVG dans les débats politiques.
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Mais nous sommes en 2016, soit quarante-deux ans après la loi Veil ! Oui, en 2016, la question de l’IVG suscite encore et encore des polémiques : c’est bien la preuve que le combat doit continuer. Il s’agit bien d’un combat politique, qui perdure depuis les années soixante en France. Certes, notre société a évolué, des avancées ont été votées, mais le combat du Manifeste des 343 demeure car, malgré les progrès, il faut rester très vigilant.
En 2016, une femme est libre de choisir si elle veut un enfant ou non. En 2016, chacun est libre d’être pour ou contre l’IVG, mais le droit à l’avortement est un droit fondamental : nous l’avons voté en 2014 à la quasi-unanimité des députés. Le droit à l’avortement, je le répète, est un droit fondamental.
Actuellement ce droit concerne 200 000 femmes chaque année : leur choix doit être respecté car elles ont le droit pour elles. Depuis 2012, la gauche s’est engagée à renforcer les droits des femmes en faisant voter des lois en leur faveur : liberté renforcée de disposer de leur corps, remboursement total de l’IVG par l’assurance maladie, création d’un site officiel d’information, institution du délit d’entrave à l’accès à l’information, possibilité pour les sages-femmes d’effectuer des IVG médicamenteuses, proposition d’un plan d’accès à l’avortement dans chaque région.
Dernièrement, la loi « Santé » a permis la suppression du délai de réflexion obligatoire dans le cadre des demandes d’avortement, une disposition d’ailleurs proposée par notre rapporteure et reprise par le Gouvernement. Cette mesure était nécessaire pour arrêter de maintenir les femmes dans un statut de mineures, jugées irresponsables ou légères, incapables de peser leur décision. Je citerai à nouveau les magnifiques mots de Simone de Beauvoir : « Une femme libre est exactement le contraire d’une femme légère ».
Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Il est incroyable de devoir encore rappeler cela en 2016 ! Aujourd’hui encore, notre société exerce une forme de culpabilisation des femmes qui veulent avorter. Le sujet reste parfois tabou. C’est intolérable ! Personne ne doit pouvoir continuer à dicter ce que les femmes doivent penser ou ressentir.
Quelle société voulons-nous ? Nous voulons une société où les femmes se sentent libres d’avorter : c’est leur droit et leur décision. Cette décision doit être respectée : les femmes ne doivent en aucun cas ressentir de la culpabilité ou même de la honte ! Nous voulons une société où les femmes revendiquent leur droit la tête haute. Nous voulons une société où les femmes sont libres d’exercer leur droit tout simplement. C’est pourquoi, en 2014, nous avons voté la loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, qui prévoit l’élargissement du champ du délit d’entrave permettant de sanctionner les actions visant à empêcher l’accès à l’information sur l’IVG.
Aujourd’hui, nous examinons une proposition de loi qui étend ce délit d’entrave à la diffusion d’informations en ligne induisant en erreur sur l’IVG dans un but dissuasif. Pourquoi cet élargissement est-il aujourd’hui nécessaire ? D’abord, nous l’avons rappelé, parce que le droit à l’avortement est un droit fondamental qu’il faut garantir.
Ensuite, parce que le monde évolue et qu’en 2016, le combat se mène sur internet : une entrave à l’IVG sur internet, c’est le même délit. En 2016, nous n’avons plus affaire à des commandos violents, comme dans les années quatre-vingt. Les anti-IVG ont changé de méthode : désormais, ils ont recours au discours lissé, biaisé, tronqué, à l’usage habile du numérique et au lobbying actif. Ces pratiques exerçant des pressions psychologiques et morales sur les femmes enceintes se multiplient depuis quelque temps.
Pourquoi devons-nous voter cette proposition de loi ? Aujourd’hui, si on tape le mot « IVG » sur Google, on a accès à des sites internet anti-IVG qui ne se déclarent pas comme tels. Au contraire, ces sites prennent l’apparence de la neutralité ou de sites institutionnels. Mais leur objectif pernicieux est de dissuader les femmes de recourir à l’IVG. Ainsi, le deuxième site qui apparaît dans la recherche Google publie, après une entrée en matière très neutre, des témoignages d’expériences dramatiques.
Je vous en donne un échantillon pour vous donner une idée de la teneur du propos quand les masques finissent par tomber : « Je le regrette tellement ! Je n’aurais pas dû faire ça pour mon copain, ni ma famille ! Alors, les filles, avant de faire une grosse connerie, réfléchissez ! » « Ma mère me fait rentrer sur ordre de je ne sais pas qui à l’hôpital et ils me font une IVG de force. Je hurlais que j’étais tout à fait normale, ils m’attachent au lit et font ce qu’ils ont à faire. Je me réveille vidée, au bout de ma vie et là, le tunnel noir commence. » C’est sidérant ! Comment tolérer ces discours ? Mot pour mot, je vous retranscris ce que, tous les jours, les femmes peuvent lire simplement en ayant tapé le mot « IVG » sur Google, alors qu’elles veulent réfléchir librement. Nous sommes en 2016 et ces pratiques sont indignes.
C’est indigne car il s’agit là de manipuler la détresse, d’exploiter le drame et des souffrances humaines. Le but ici n’est pas d’informer mais véritablement de tromper. Nous sommes dans la manipulation. Il s’agit avant tout de distiller insidieusement un discours anti-IVG – but qui n’est, bien sûr, pas affiché. Ces sites avancent masqués car leur objectif est de culpabiliser les femmes. L’objectif de ces sites, c’est de les dissuader de recourir à l’IVG : rien d’autre !
Cette proposition de loi n’a pour objet ni de sanctionner le délit d’opinion sur internet, ni de restreindre la liberté d’expression, ni de censurer une pensée.
Le but est de sanctionner les auteurs de pressions psychologiques et morales qui visent les femmes voulant avorter. II s’agit seulement de protéger les femmes et de protéger leur liberté. Il s’agit bien de liberté : la femme est libre de choisir. Mais pour pouvoir choisir, elle doit être informée.
Cela signifie qu’elle doit avoir accès sur internet à des informations véridiques et non pas à des discours de manipulation totalement biaisés.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Le temps de la culpabilité est fini et, loin d’être un renoncement, le choix est toujours un espoir ! C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous invite à adopter cette proposition de loi.
Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, chers collègues, nous examinons en séance une proposition de loi visant à créer un délit d’entrave numérique à l’interruption volontaire de grossesse. Près de 200 000 IVG sont pratiquées chaque année dans notre pays, à rapprocher des quelque 810 000 naissances. Plus de 10 000 mineures y ont recours. Les chiffres sont stables, malgré les actions de prévention et la promotion de la contraception : cela doit nous interroger.
C’est la loi Veil du 17 janvier 1975 qui a dépénalisé l’avortement en France. Pour décider d’une IVG, la femme enceinte devait se trouver en situation de détresse ; l’intervention devait être réalisée avant la dixième semaine de grossesse ; l’acte devait être réalisé par un médecin dans un établissement de santé ; les médecins disposaient d’une clause de conscience ; deux consultations médicales et une consultation psychosociale étaient obligatoires avant l’intervention.
En 1993 a été créé le délit d’entrave à l’IVG, pour lutter contre les commandos qui tentaient, dans les années quatre-vingt-dix, de dissuader les femmes aux abords des établissements de santé pratiquant les IVG. Il s’agit de la loi Neiertz, qui punissait de deux mois à deux ans d’emprisonnement et de 2 000 à 30 000 francs d’amende le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher une IVG.
En 2001, la loi Veil est réformée : le délai de recours est porté à douze semaines de grossesse ; la pratique de l’IVG est rendue possible en médecine de ville ; les mineures peuvent y avoir recours sans l’autorisation parentale, sous certaines conditions ; la consultation psychosociale n’est plus obligatoire pour les femmes majeures mais seulement proposée et reste obligatoire pour les mineures, ainsi que vous l’avez rappelé, madame la rapporteure.
En 2014, deux amendements introduits dans la loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes font évoluer la législation. Le premier amendement supprime la mention « situation de détresse » et prévoit que, désormais, peut demander une IVG une femme qui ne veut pas poursuivre sa grossesse. J’ai personnellement voté contre. J’estimais inopportun de toucher à la loi Veil à la faveur d’un amendement dans une loi qui traitait d’égalité professionnelle, de lutte contre la précarité, d’accès aux responsabilités professionnelles et sportives.
Je voulais également rappeler que si le recours à l’IVG est un droit, inscrit dans la loi, il n’est pas un acte anodin. J’ai été caricaturée pour cette prise de position, comme le sont toutes celles et tous ceux qui osent juste défendre l’idée que l’IVG ne doit pas être banalisé.
Il n’y a pas beaucoup de femmes pour cela : ce sont surtout les hommes qui en parlent !
Le deuxième amendement introduit dans la loi égalité femmes hommes étend le délit d’entrave de la loi de 1993 à l’accès à l’information, sanctionné désormais de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende. Vous visiez par exemple, madame la ministre, à empêcher la distribution de tracts dans les hôpitaux – et sur ce point, je vous rejoins.
Je rappellerai enfin que la loi « Santé » de janvier 2016 a supprimé le délai de réflexion de sept jours, le réduisant à zéro.
Je n’ai pas voté cette suppression, au risque d’être de nouveau raillée, estimant que cette période pouvait au contraire être mise à profit pour offrir à la femme, voire au couple désireux de recourir à l’IVG, toutes les informations nécessaires à une prise de décision ; une prise de décision, en toute liberté, en faisant confiance à la capacité des femmes à décider par elle-même ou des couples à décider par eux-mêmes.
C’est là l’enjeu de ce texte de loi car, aujourd’hui, tout un chacun peut aller s’informer, voire consulter sur internet. Faites le test, chers collègues ! Tapez « IVG » dans un moteur de recherche et vous constaterez qu’en effet, il y a de la diversité dans les messages : des sites clairement anti-avortement ; des sites qui insistent sur la possibilité d’être écouté et présentent, c’est vrai, des alternatives possibles à l’IVG ; enfin, le site officiel du Gouvernement, ivg.social-sante.gouv.fr, créé en 2013.
Ce dernier affirme tout de même en première page que la majorité des études scientifiques sérieuses qui ont été publiées montrent qu’il n’y a pas de séquelle psychologique à long terme de l’avortement.
Or cela peut être contesté et manque singulièrement d’objectivité – reconnaissez-le, madame la ministre.
En conclusion, l’IVG est un droit, dont l’accès a été facilité dans notre pays, médicalement et financièrement et, contrairement aux allégations, nul ici ne le remet en cause. Mais, outre le fait qu’il sera très difficile, voire impossible de circonscrire ce délit d’entrave numérique, j’y vois surtout une atteinte à la liberté d’expression et le risque de créer un précédent. Plutôt que d’entretenir une polémique stérile et risquer de faire voter une loi clairement liberticide,…
…ne devriez-vous pas, madame la ministre, vous pencher davantage sur la promotion de la contraception, notamment chez les jeunes ?
L’article 11 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen rappelle que la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme. Il y a donc fort à parier que cette loi, si vous deviez la voter – car personnellement, je ne la voterai pas –, serait frappée d’anticonstitutionnalité.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :
Suite de la proposition de loi relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse ;
Discussion de la proposition de loi portant adaptation des territoires littoraux au changement climatique.
La séance est levée.
La séance est levée à treize heures.
La Directrice du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Catherine Joly