Madame la garde des sceaux, madame la ministre, madame la rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, mes chers collègues, voilà un texte qui, au fil des débats, traduit une belle unanimité au sein de notre assemblée. Rien de plus normal à cela : il s'inscrit parfaitement dans la philosophie de notre droit personnaliste qui vise à protéger celles et ceux qui, confrontés, un jour, à une autorité, sont en situation de faiblesse parce qu'ils demandent à une administration ou à une entreprise, un contrat, un salaire ou une autorisation quelconque.
Notre droit est bâti et ancré sur le respect de la personne. Le texte que vous nous présentez, madame la garde des sceaux, remplit ce devoir d'équilibre entre l'autorité et la subordination, qu'il est souvent difficile d'apprécier et de comprendre.
Avant d'en venir au fond du texte, je voudrais m'exprimer sur la décision prise par le Conseil constitutionnel le 4 mai et qui révèle trois problèmes.
Premier problème : l'instabilité chronique de notre droit. Depuis le 22 juillet 1992, date du premier texte visé dans les considérants du Conseil constitutionnel, qui établit les éléments constitutifs de l'infraction – les ordres, les menaces ou les contraintes – et l'élément intentionnel ou le mobile – la faveur sexuelle –, toute une série d'évolutions législatives a vu le jour. Dans un texte du 17 juin 1998, qui ne fait pas seulement de la sémantique, on a supprimé les termes « donner », « proférer » et « imposer » pour les remplacer par le mot « user », beaucoup plus générique. En opérant ce choix, le législateur de l'époque a cherché à donner plus de marge d'appréciation et de latitude au magistrat. Enfin, la dernière réforme du 17 janvier 2002 pose un principe global sans viser précisément tel ou tel comportement.
Deuxièmement, la censure du Conseil constitutionnel pose un vrai problème à notre droit ; son incitation à toujours plus de précision recèle même un risque de dérive. Madame la garde des sceaux, vous qui êtes une fine juriste, vous savez qu'en étant trop précis, nous pouvons rencontrer deux problèmes. D'une part, on ouvre parfois des brèches, faute d'avoir pensé à tout dans une société qui change : le génie que l'on constate dans les tribunaux correctionnels n'a parfois pas été prévu par le législateur. D'autre part, nous enfermons le magistrat dans des concepts précis en supprimant sa marge de manoeuvre, l'empêchant souvent de condamner.
Troisième problème : l'article 62 de notre Constitution et les questions prioritaires de constitutionnalité. Le Conseil peut censurer une disposition qu'il estime ne pas être conforme à notre Constitution mais cet article 62 lui laisse la possibilité de reporter les effets de sa décision afin, justement, de ne pas créer un vide juridique. S'agissant d'affaires qui, dans notre société, sont considérées comme graves, pourquoi cette possibilité n'a-t-elle pas été utilisée ?
On peut même aller plus loin : une personne condamnée sur le fondement des anciens textes – ceux de 1998 ou de 2002 – pourrait saisir le tribunal qui l'a condamnée pour demander une dispense d'inscription à son casier judiciaire, considérant que le texte ayant été annulé, elle ne doit pas continuer à supporter l'opprobre d'une condamnation. C'est une question que je voulais vous soumettre aujourd'hui.
Enfin, je ferai une dernière observation concernant les termes que vous avez utilisés dans l'article 1er. Vous avez souhaité que nous votions sur un concept de « pression grave ». Faut-il la qualifier de « grave » ? Il est parfois des pressions simples s'exerçant sur des personnes particulièrement vulnérables et fragiles. Dans cette hypothèse, on peut imaginer un tribunal correctionnel qui prononcerait une relaxe, considérant que la pression n'est pas suffisamment grave, alors même que les conséquences sur la personne seraient particulièrement lourdes du fait de sa vulnérabilité. J'y vois une imprécision juridique dont je ne souhaite pas, madame la garde des sceaux, qu'elle vous expose à une nouvelle censure du Conseil constitutionnel.
Pour le reste, sur le fond, ce texte doit être adopté par notre assemblée. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)