Je connais votre attachement et votre engagement pour la Corse.
Nous devons aujourd’hui mettre un point final au processus législatif engagé il y a moins d’un an sur la question du désordre foncier et de la fiscalité du patrimoine, principalement dans un territoire qui m’est cher, la Corse, laquelle connaît depuis trop longtemps les désagréments liés à une situation cadastrale unique en France et exige l’adoption de mesures dérogatoires pour permettre une normalisation.
C’est ce qui m’a conduit à déposer une première proposition de loi, le 29 mars 2016, avec mes collègues des Républicains Sauveur Gandolfi-Scheit et Laurent Marcangeli, puis une seconde, en octobre dernier, dépassant tout clivage politique, avec Paul Giacobbi et François Pupponi.
La suite des opérations, vous la connaissez tous. Le groupe Les Républicains a inscrit la proposition de loi à l’ordre du jour de sa journée d’initiative parlementaire du 8 décembre, date hautement symbolique – tous les Corses le comprendront – à laquelle l’Assemblée nationale l’a adoptée à l’unanimité. Au Sénat, le Gouvernement l’a inscrite sur son temps dans l’ordre du jour : je m’en suis réjoui et je renouvelle mes remerciements au ministre d’avoir trouvé cet espace pour poursuivre l’examen de ce texte qui fait consensus. In fine, le Sénat a examiné le texte le 8 février dernier en y apportant quelques modifications que je vais vous exposer. Dans son immense majorité, la Haute Assemblée a validé la proposition de loi. Croyez-moi, ce ne fut pas simple ! Il a fallu que j’explique chaque article, son bien-fondé, sa viabilité juridique, mais mes efforts se sont avérés payants.
Je ne reviendrai pas, comme en première lecture, sur la situation de désordre dont souffre la Corse et qui justifie les mesures que nous vous soumettons aujourd’hui. Je tiens seulement à vous faire remarquer que cette initiative parlementaire s’inscrit dans la continuité des lois de 2002 et 2006, ainsi que de la loi de finances rectificative pour 2008 qui avait, à ma demande, prorogé l’exonération des droits de succession sur les biens sis en Corse en raison du non-commencement des activités du GIRTEC.
De même, la présente proposition de loi s’inscrit dans la continuité de la décision du Conseil Constitutionnel du 29 décembre 2013 qui a sanctionné la prorogation à 100 % mais n’a pas remis en cause l’exonération partielle à 50 %. Selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel exprimée dans sa décision du 7 juillet 2005, « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ».
Ce texte global constitue une vraie réponse au désordre de la propriété.
Les dispositions fiscales faisant l’objet des articles 3, 4 et 5, ont été adoptées dans les mêmes termes par l’Assemblée nationale et le Sénat en première lecture. L’article 3, de portée nationale, et les articles 4 et 5, propres à la Corse, sont de nature à accompagner et encourager les usagers du droit à organiser leur patrimoine pendant la période décennale qui s’ouvre, en cohérence avec les dispositions civiles des articles 1er et 2, sur lesquels je vais m’attarder davantage puisqu’ils ont été modifiés par le Sénat, nécessitant de fait cette nouvelle lecture.
Le premier porte sur la sécurisation de la procédure de titrement, qui est simplement, à ce jour, une pratique notariale. Le décret prévu par cet article permettra d’expliciter la procédure. Cette disposition aura également pour effet de réduire le délai de l’action en revendication sur les titres constitués par cette pratique, en le faisant passer de trente à cinq ans.
Le deuxième article porte sur l’abaissement des règles de majorité dans la gestion de l’indivision pour favoriser les règlements successoraux, une fois les actes créés. Cette opportunité est réservée aux seuls cas où l’indivision est constatée simultanément à la création d’un titre, pour que le partage puisse se faire à la majorité qualifiée des deux tiers, en lieu et place de l’unanimité, qui engendre des situations de blocage et favorise les coindivisaires taisants. La majorité requise en l’espèce est calquée sur celle établie pour les actes de conservation et d’administration dans la loi de 2006. De fait, en l’absence de dispositions dérogatoires, la création de titres, favorisée par l’article 1er, serait peu efficace ; le partage risquerait d’être irréalisable.
Les amendements des sénateurs ont eu pour conséquence de limiter le champ d’application de ces deux articles à la Corse. Or, je le rappelle, ces mesures sont aussi limitées dans le temps, puisqu’elles ne s’appliqueront qu’aux actes dressés jusqu’au 31 décembre 2027. Cette limitation territoriale se justifie par le fait qu’entre-temps les territoires ultramarins, également touchés par le désordre foncier, ont pu bénéficier de mesures adaptées en vertu de l’article 34 de la loi de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer, qui sera promulguée dans les jours qui viennent. J’ai pris acte, en commission des lois, de ces modifications, dont j’approuve le principe. J’en profite pour confirmer à notre collègue Marie-Françoise Bechtel l’interprétation à donner du dernier alinéa de l’article 2, que nous avons validé en commission des lois.
Enfin, un troisième amendement de la commission des lois du Sénat a eu pour objet d’insérer un nouvel article, que nous acceptons tout autant, relatif à l’application de la prescription acquisitive en Alsace-Moselle, toujours dans le droit fil de la jurisprudence constitutionnelle précitée. La Corse, qui connaît l’intérêt de disposer d’adaptations en raison de ses spécificités et des difficultés qui lui sont propres, accueille avec bienveillance les départements alsaciens et mosellan dans ce texte qui constitue pour eux le véhicule législatif adéquat.
Au terme de cette navette, en dernière lecture, nous nous trouvons devant un texte abouti, constitué des mêmes articles clés, qui doivent permettre à la Corse d’emprunter la voie de la normalisation foncière. C’est le fruit d’un long travail qu’il vous est aujourd’hui proposé de valider. Après que l’Assemblée nationale et le Sénat eurent massivement dit oui, cette lecture définitive permettra, je n’en doute pas, de conclure l’examen de cette proposition de loi et, en qualité de rapporteur, mais aussi de premier cosignataire de ce texte, je vous demande de l’adopter dans les mêmes termes que ceux qui ont été votés par le Sénat il y a deux semaines.
Mes chers collègues, je sais qu’il n’est pas aisé de prendre toute la mesure du problème que cette loi entend régler. J’espère qu’au fil de la navette, mes explications vous ont donné une idée de l’enjeu, de l’ampleur de la situation à traiter, principalement, en Corse, mais aussi dans d’autres territoires. De fait, l’application du principe d’équité justifie que la représentation nationale prenne à bras-le-corps cette question et y réponde pleinement, dans ses aspects civil comme fiscal, pour que le droit constitutionnel de la propriété s’applique partout sur le territoire de la République.
En cette fin de processus législatif, je tiens à adresser ma reconnaissance aux professionnels du notariat, qui ont accompagné notre démarche et doivent, chaque jour, assumer les réalités quotidiennes de cette situation foncière. Je rends hommage en particulier à Maître Pieri, notaire à Aleria, qui m’a apporté sa précieuse contribution et sa vision de praticienne dans l’élaboration de la proposition de loi, et ce, avec l’implication et l’humilité qu’on lui connaît. Je veux adresser ma reconnaissance à ces hommes de l’art et leur passer, en quelque sorte, le relais. Le chemin fut long et sinueux. La loi doit à présent être promulguée. Par la suite, il faudra veiller à ce que l’intégrité du texte soit préservée par le Parlement.
Cela étant, une loi n’est rien si elle n’est pas appliquée. Le temps politique arrive à son terme. Le témoin est donc désormais transmis aux professionnels du notariat, qui auront à mettre en oeuvre le texte, à conseiller au mieux les usagers pour parvenir, dans les faits, à la résorption du désordre foncier.
Au-delà, c’est aux Corses que je veux m’adresser, à quelques minutes de ce vote fondamental. Dix années, c’est la période qui nous est octroyée pour nous organiser, pour engager la reconstitution des titres de propriété et les règlements successoraux. Que chacun, chaque famille en prenne la mesure pour faire le nécessaire. Il existe désormais des solutions adaptées à la plupart des cas. Notre rapport à la terre est fort ; il renvoie à nos racines, à nos ancêtres. Dans une Corse qui a évolué au cours de ces dernières décennies, la maison de village, souvent indivise et dépourvue de titre, reste encore, pour bien des familles, notre ancrage, un ancrage que nous n’avons plus le droit de laisser à l’abandon. Ne regrettons pas notre passé ; faisons en sorte que les dispositions de cette loi deviennent notre présent et, surtout, garantissent l’avenir de nos enfants.
Voilà, monsieur le ministre, ce que je tenais à dire devant notre hémicycle. Je veux vous remercier personnellement, ainsi que vos équipes. Je veux également remercier le Parlement pour sa compréhension et sa bienveillance. Cela montre que la République sait être à l’écoute des territoires qui la constituent lorsqu’ils ont besoin d’elle pour avancer. Au nom de la Corse, merci !