Intervention de Charles de Courson

Séance en hémicycle du 21 février 2017 à 21h30
Favoriser l'assainissement cadastral et la résorption du désordre de la propriété — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCharles de Courson :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le désordre de la propriété dans certaines régions françaises, en particulier en Corse mais aussi dans les territoires d’outre-mer, n’est pas nouveau. S’il est un point sur lequel je m’accorde avec M. le rapporteur, c’est sur la nécessité de résorber cette situation – je cite – « en recourant à des mesures civiles et fiscales efficaces ». Ces situations de désordre s’expliquent notamment par l’absence de titres de propriété, pour des raisons historiques ou géographiques, ce qui engendre évidemment une insécurité juridique importante au détriment des propriétaires fonciers. C’est pourquoi le premier article, qui vise à reconstituer les titres de propriété, va dans le bon sens. Je rappelle toutefois, monsieur le ministre, qu’en droit civil, la prescription trentenaire est de droit commun : ainsi, quelqu’un qui se comporte en propriétaire, sans interruption pendant trente ans, est considéré comme tel. Les mesures proposées n’ont donc rien de nouveau par rapport au code civil français.

En revanche, sur les articles 3 à 5, qui visent à accorder ou à prolonger des exonérations de droit de succession – même si elles s’élèvent à 50 % et non à 100 % et ce, pour dix ans – le groupe UDI – qui, je vous le rappelle, monsieur le ministre, n’avait pas pris part au vote lors de la lecture précédente – émet plusieurs réserves, tandis que, pour ce qui me concerne, j’y suis fondamentalement opposé. Outre le fait qu’il serait judicieux que le législateur s’astreigne enfin à limiter les propositions fiscales aux lois de finances – c’est un vieux débat –, le groupe UDI rappelle que, lorsque le législateur se prononce sur des mesures qui relèvent de la fiscalité, le grand principe qu’il doit toujours avoir en mémoire, sous peine de se le faire rappeler par le Conseil constitutionnel, est celui de l’égalité de tous les citoyens devant l’impôt. Ce principe figure à l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen – partie intégrante du bloc constitutionnel –, aux termes duquel « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. »

S’il est bien entendu possible d’adapter les règles générales, il faut toujours qu’il y ait une contrepartie d’intérêt général : telle est la position constante du Conseil constitutionnel. Pour certaines des exceptions corses, créées il y a souvent plus d’un siècle – en 1801, pour être précis –, ce n’est pas le cas. La Cour des comptes avait d’ailleurs souligné, dans son référé du 21 juin dernier, plusieurs points, dans le cadre d’autres dispositifs fiscaux, qui étaient obsolètes ou incohérents.

Or, que proposent, notamment, les articles 4 et 5 ? Ils ont pour objet de prolonger, encore une fois, le statut fiscal dérogatoire corse issu du fameux arrêté Miot ! La loi de 2002 relative à la Corse prévoyait, comme M. le rapporteur l’a rappelé, un retour au régime de droit commun d’ici le 1er janvier 2016, ce qui laissait tout le temps nécessaire à l’adaptation.

Revenant sur cette loi, le projet de loi de finances pour 2013 prévoyait de proroger l’exonération totale des droits de succession du 31 décembre 2012 au 31 décembre 2017 et l’exonération de 50 % des droits de succession du 1erdécembre 2018 au 31 décembre 2022. Ce dispositif a été censuré par le Conseil constitutionnel. Nouvel essai dans le projet de loi de finances pour 2014, nouvelle censure. Et aujourd’hui que voit-on ? Le retour de cette mesure inconstitutionnelle via cette proposition de loi, par crainte de la censure !

En effet, les exonérations de droits de succession proposées s’appliquent à l’ensemble des immeubles situés en Corse, alors même que les problèmes de droits de propriété ne concernent que certains redevables ; ces exonérations ne sont donc plus justifiées par une différence de situation et violent, de fait, le principe d’égalité de tous les citoyens devant l’impôt. Je rappelle que, dans une décision de décembre 2012, le Conseil constitutionnel avait jugé que « le maintien du régime fiscal dérogatoire applicable aux successions sur des immeubles situés dans les départements de Corse conduit à ce que, sans motif légitime, la transmission de ces immeubles puisse être dispensée du paiement de droits de mutation ; que la nouvelle prorogation de ce régime dérogatoire méconnaît le principe d’égalité devant la loi et les charges publiques ». Le « considérant » du Conseil constitutionnel est clair.

La proposition de loi, dans ses articles 4 et 5, risque fort d’être, pour la troisième fois, censurée par le Conseil constitutionnel à la première question prioritaire de constitutionnalité qui lui sera posée ; cela fait donc peser un risque juridique important sur les dispositifs proposés. C’est pourquoi, monsieur le ministre, je demande solennellement au Gouvernement de bien vouloir s’engager, en cas d’adoption de cette proposition de loi, à saisir le Conseil constitutionnel sur les articles 4 et 5 du texte. À défaut, on entourerait de nouveau ces questions d’insécurité juridique.

Mes chers collègues, je pense à l’intérêt même de nos concitoyens habitant en Corse et dans d’autres régions – de nombreux continentaux possèdent en effet un bien en Corse – ; d’ailleurs, je me permets, monsieur le ministre, de rappeler à un ministre de la République, membre d’un parti qui s’honore d’être l’héritier des fondateurs de la République – je m’honore également que mes ancêtres aient participé à la fondation de cette République –, qu’il n’y a pas de peuple corse. De même qu’il n’y a pas de peuple breton, n’est-ce pas monsieur le président ?

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion