Intervention de Jean-Frédéric Poisson

Séance en hémicycle du 8 février 2013 à 15h00
Projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe — Article 16 bis, amendement 3018

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Frédéric Poisson :

Monsieur le président, avec votre permission, je vais peut-être prendre un peu plus de temps que d'habitude. Comme je n'ai pas beaucoup torturé le règlement de l'Assemblée nationale jusqu'ici, j'espère que vous ferez preuve de mansuétude à mon égard.

Mes chers collègues, je demande la suppression de cet article pour les raisons suivantes.

D'abord, je critique sa place dans le code du travail. Vous le situez après deux articles destinés à protéger les personnes qui sont amenées à faire état de l'existence de discriminations ou à les juger : l'article L. 1132-3 et l'article L. 1132-3-1 qui désignent ces deux types de personnes. Je ne vois pas en quoi des personnes qui seraient elles-mêmes victimes de discrimination seraient concernées par un article situé à cet endroit du code. Il y a un problème de cohérence concernant la place de cet article. Le président de la commission des lois conviendra avec moi que la place d'un article dans un code a son importance et qu'il faut y veiller.

Deuxièmement, le texte même de cet article pose question car, mes collègues l'ont dit avant moi, il ouvre des discriminations à l'égard des personnes homosexuelles qui ne sont pas mariées, mais aussi à l'égard des personnes homosexuelles qui sont seules. Notre collègue Sergio Coronado ne m'en voudra pas de le citer à ce propos, lui qui a eu le courage – c'est ce que j'estime en tout cas à titre personnel – de faire état de son homosexualité publiquement dans la presse. Son orientation sexuelle personnelle est donc publiquement connue. Du fait de cette publicité, je ne vois pas en quoi il serait moins en danger, en étant muté par un éventuel employeur dans un État qui incrimine l'homosexualité, qu'un couple d'homosexuels mariés ou pacsés. Précisons que les personnes pacsées ne sont pas concernées par la rédaction de cet article.

Par ailleurs, beaucoup d'autres personnes encourraient des dangers dans certains États pour des motifs religieux, ethniques, politiques, de compétences scientifiques, etc. Il y a des tas de risques dans le monde économique qui, joints aux risques pénaux liés à la situation du droit dans certains États, ne sont pas désignés dans cet article. Parce que l'article ne désigne pas ces risques et qu'il se limite à une certaine catégorie de personnes, il affaiblit la protection qui est due à toutes les autres.

Troisièmement, madame la garde des sceaux, madame la rapporteure pour avis, j'ai dit en commission des lois que la situation visée par cet article était couverte, ce qui est heureux. À ce stade, je vais apporter quelques éléments de réponse à notre collègue Coronado qui soulevait la question tout à l'heure. Et c'est la seule question.

Pourquoi cette situation est-elle couverte ? Parce que, dans le code du travail, l'article L. 4121-1 dispose : « L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. » Je ne veux pas rappeler à cette assemblée que, en droit, la formulation à l'indicatif vaut impératif : l'employeur a donc l'obligation de prendre les mesures nécessaires.

De plus, si elle n'est pas respectée, cette obligation constitue une faute pénale au sens de l'article 121-3 du code pénal ; elle relève de la mise en danger d'autrui au sens de l'article 223 du code pénal ; elle peut constituer une faute inexcusable au sens de l'article 452 du code de la sécurité sociale. À tout le moins, il y a une obligation de résultat de l'employeur, y compris pour la protection de la santé psychique des salariés au sens d'un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation de 2005.

Cette obligation de résultat s'impose à tous les employeurs vis-à-vis de leurs salariés quels que soient leur état, leur compétence et leur orientation sexuelle. C'est très précisément dit dans l'article qui traite des discriminations.

Au bout du compte, mes chers collègues, cet article me pose vraiment problème pour toutes ces raisons. Il ouvre la possibilité d'un raisonnement a contrario : parce qu'on écrit quelque chose sur les personnes homosexuelles à ce stade et que l'on précise leur état en ne mentionnant pas toutes les autres, on affaiblit la protection juridique de toutes les autres. Les juristes et les avocats connaissent ce type de raisonnement.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion