Mais cette autre chose ne nous convient pas : c'est manifestement du cousu main avec du gros fil blanc, destiné à permettre au parti socialiste de garder la main sur les collectivités locales. Vous voir adopter un mode de scrutin majoritaire en est une preuve éclatante.
La proportionnelle vous dérange, car vos alliés peuvent aller au combat sans vous, ce qui permet à chacun de mesurer ses propres forces au premier tour, avec parfois des surprises désagréables pour le parti socialiste – alors qu'avec la proportionnelle, les négociations au deuxième tour et celles pour la répartition des postes en cas de victoire se font sur une base objective qui échappe au parti dominant.
Si les Verts ou le Front de gauche faisaient un bon score à la proportionnelle, il serait difficile de les cantonner à des postes subalternes et de ne pas leur donner ce qui leur revient en fonction de leur poids réel – cela pourrait parfois vous obliger à leur céder la place si leur liste devançait celle du parti socialiste. Avec ce mode de scrutin, on aurait pu avoir des surprises aux prochaines élections cantonales !
Le scrutin majoritaire présente, lui, cet immense avantage, qui ne vous a pas échappé, de favoriser outrageusement le parti dominant, car un petit parti a beau faire 20 %, si c'est 20 % dans chaque circonscription, il n'aura aucun élu. Les petits partis dépendent alors du bon vouloir du parti dominant, qui leur octroie des cantons ou des circonscriptions. Dans le cas présent, c'est le parti dominant qui décidera combien de cantons il accordera et lesquels, avec la possibilité, en laissant un dissident se présenter, de reprendre ce qu'il a donné. Vous gardez donc le contrôle, ce que vous recherchez avant tout avec ce texte.
Avec le scrutin majoritaire, les partis de gauche auront ce que le parti socialiste aura bien voulu leur donner, alors qu'avec la proportionnelle, c'est l'application du principe « que le meilleur gagne », à armes égales. On comprend donc aisément, monsieur le ministre, pourquoi vous avez voulu à tout prix maintenir le scrutin majoritaire pour les cantonales. Ce choix du mode de scrutin majoritaire vous a obligé, pour tenter de rendre le scrutin paritaire, à adopter un dispositif complètement baroque, celui du binôme.
On m'a toujours expliqué que le scrutin majoritaire ne pouvait être qu'uninominal et qu'à partir de deux, on était dans la proportionnelle. Au moins, les choses étaient simples et l'électeur s'y retrouvait. Avec ce binôme, on va embrouiller l'électeur et l'éloigner encore un peu plus de la politique, décidément bien complexe. Peut-être est-ce cela que vous recherchez : que le citoyen n'y comprenne plus rien et se contente de voter en fonction de l'étiquette et de l'investiture politique.
À l'UMP, c'est une évolution que nous refusons : nous voulons privilégier une relation la plus directe possible entre l'électeur et son élu. Il faut que le citoyen puisse savoir à qui s'adresser en cas de problème, qu'il y ait des élus réellement responsables. Installer entre les citoyens et les élus l'écran que constitue un parti politique ne nous a jamais paru une bonne chose.
Ce binôme va présenter un avantage pour les partis politiques, celui de pouvoir placer des apparatchiks en les inscrivant au côté d'un « vrai » élu, c'est-à-dire de quelqu'un capable de se faire élire sur son nom. Je vous rappelle qu'en droit de la consommation, la vente par lots n'est pas autorisée, monsieur le ministre ! Or, c'est ce que vous faites ici en droit électoral : de la vente groupée.
Si un électeur veut voir un candidat élu, il est obligé de prendre aussi le colistier, même s'il ne le connaît pas – pire, même s'il ne lui plaît pas. Il n'y a même pas l'incertitude que l'on peut avoir avec la proportionnelle, où il existe une zone grise et où certains candidats connaissent la douloureuse situation d'être le premier « non élu » de la liste.
Être colistier d'une personne connue, disposant d'une forte assise locale, c'est le moyen le plus sûr d'être élu localement et de se faire une implantation. Cette technique étant fabuleuse pour les parachutages, les femmes politiques ayant une bonne assise locale, donc capables de faire l'élection sur leur seul nom, ne vont pas manquer d'être courtisées par les apparatchiks parisiens en mal de cantons d'accueil.
La rue de Solférino ayant beaucoup de monde à caser, il va falloir faire des échanges croisés, vu les règles d'incompatibilité concernant notamment les membres de cabinets d'exécutifs locaux, pour caser tous les jeunes militants qui y occupent des postes en attendant de se lancer dans la compétition électorale.
On risque, avec cette loi, d'assister à des investitures étranges et à de petits arrangements bien peu respectueux des électeurs à l'occasion des élections départementales. Je vous accorde, monsieur le ministre, que cela se fera des deux côtés, mais quand c'est le système qui favorise les combinaisons occultes et le copinage dans les investitures, le principal responsable est le parti qui le met en place !
En plus d'être un objet électoral non identifié, le binôme est porteur de graves dysfonctionnements potentiels. Les deux élus étant les représentants d'un même territoire avec des pouvoirs équivalents, il faudra qu'ils travaillent main dans la main et soient interchangeables dans leurs relations avec les électeurs et les élus locaux. Or, nous le savons tous, ce ne sera pas toujours le cas. On peut penser qu'il y aura des binômes où chacun travaillera de son côté sans trop se préoccuper de l'autre.
Dans un certain nombre de cas, ce sera même la guerre plus ou moins déclarée entre les deux membres du binôme ! En cas de conflit, comment vont faire les électeurs et les élus locaux ayant un sujet à soumettre, un dossier à faire avancer devant le conseil départemental ? Nous savons tous que l'actuel conseiller général est le représentant d'un territoire, dont il porte les dossiers.
Un bon conseiller général, c'est celui qui ramène des subventions et assure une bonne coordination entre les élus locaux du canton, sans trop regarder les étiquettes politiques quand il y en a. Avec le binôme, vous allez mettre à mal ce mode de fonctionnement sans en proposer un autre.
Un deuxième sujet pose question : ce projet de loi va nécessiter un redécoupage des cantons, sur lequel il y a, là encore, beaucoup à dire. Je passerai rapidement sur les dégâts énormes que cela va occasionner pour le monde rural : je m'associe aux propos de ceux qui se sont déjà exprimés sur ce point.
Bien entendu, ce redécoupage se fera à votre avantage, nous ne nous faisons aucune illusion là-dessus. Avec le simple fait d'inscrire dans la loi le choix d'un critère démographique strict, tout est dit ! Les cantons urbains seront maintenus alors que les cantons ruraux devront être fusionnés. Je regrette que vous ayez choisi, là encore, de fixer dès le départ une série de contraintes qui vous avantagent et de sacrifier le reste. Ce redécoupage cantonal, qui peut se révéler utile pour corriger des évolutions démographiques – certains départements ayant beaucoup évolué depuis 1801 –, aurait pu se faire plus proprement. Malheureusement, c'est une véritable boucherie qui s'annonce !