Mme Fraysse soulève ici un sujet très important. La question n'est pas tant de savoir s'il faut sanctionner ou non l'absence de motif économique – bien sûr qu'il le faut ! –, mais qui doit le faire, et à quel moment.
Toute la logique du projet de loi consiste à donner des pouvoirs à l'administration, afin qu'elle puisse intervenir au plus tôt et éviter autant que possible les licenciements injustifiés. Il faut bien prendre la mesure de ces nouveaux pouvoirs – vous les avez rappelés dans un amendement précédent, madame Fraysse, mais j'y insiste. L'administration, dans un dialogue dont on a vu qu'il durera 111 jours pour les plans sociaux de plus de 250 licenciements, va chercher à peser pour éviter un à un les licenciements. Elle pourra demander à l'entreprise d'engager des moyens, financiers ou autres, proportionnés à ceux dont dispose le groupe.
Autrement dit, si Total devait fermer un site, l'administration pourrait lui demander des dizaines et des dizaines de milliers d'euros pour aider à recréer des emplois, former et reclasser les salariés et atténuer les conséquences de la fermeture du site sur la vie locale. L'administration pourra aussi vérifier si l'effort de formation a bien été assuré par le passé, conformément à l'obligation d'adaptation des salariés aux mutations économiques. Si l'entreprise n'a pas fait ces efforts de formation et qu'elle en a les moyens, il faudra en tirer les conséquences. En outre, je proposerai tout à l'heure un amendement, avec le groupe SRC, pour que cette aide publique massive qu'est le crédit d'impôt compétitivité emploi soit aussi prise en compte : s'il apparaissait que le CICE a été mal utilisé, le plan social pourrait être refusé.
En fin de compte, le pouvoir qui est donné à l'administration, c'est le refus d'homologation, autrement dit la nullité du plan social – l'impossibilité de licencier. Nous nous sommes donc demandé, avec les experts que nous avons rencontrés, s'il fallait donner à l'administration le pouvoir de refuser un plan social pour absence de motif économique. L'avantage, c'est que cela lui donnerait un levier de plus. Mais l'inconvénient, c'est que cela priverait le juge judiciaire, plus tard, de ce moyen : si l'administration homologuait le plan social, le motif économique serait validé et ne pourrait plus être contesté devant les juridictions. Nous n'avons donc pas retenu cette solution, pour ne pas priver le juge judiciaire de son contrôle du motif économique.
En outre, l'expérience montre que le meilleur moment pour juger de l'existence d'un motif économique réel, c'est plus tard. À chaud, il est difficile de prouver qu'il n'y a pas de difficulté économique. Trois ans plus tard, on ne peut plus que réparer, certes, mais on voit bien quelle est la situation de l'entreprise : si elle a bien fonctionné pendant ce temps, si elle a fait des profits, c'est qu'il n'y avait pas de motif économique réel !
C'est pourquoi nous en sommes restés à ce que proposait le Gouvernement. J'ajoute que, dans la rédaction actuelle du texte, si l'administration considère qu'il y a une fraude à la loi, au sens où le chef d'entreprise s'est appliqué à tort les articles L. 1233-3 et suivants relatifs au motif économique, elle peut refuser l'homologation. Et si jamais elle homologuait, le juge administratif pourrait considérer qu'elle a commis une erreur d'appréciation.
Je crois donc que le dispositif que nous avons retenu est le plus efficace, même si la question mérite un débat approfondi. Pour toutes ces raisons, la commission a émis un avis défavorable.