Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, je dirai que ce qu'il y a de pire, dans vos interventions, c'est le mépris.
Je considère en effet que certains propos sont méprisants à l'encontre du monde rural et de ceux qui peuvent avoir une pensée différente sans être pour autant des conservateurs. Pour ma part, je partage les propos mesurés de Mme Allain sur le texte proposé.
Le grand intérêt de votre intervention, monsieur Braillard, c'est qu'elle dit tout ! Vous avez tout dit sur l'objectif recherché par ce texte de loi – vous au moins avez eu ce courage, contrairement à d'autres qui en ont eu beaucoup moins, comme Mme la ministre et M. le rapporteur. Mais vous avez beau essayer de l'habiller, cette proposition de loi a essentiellement pour objectif de faire disparaître, de fait, les sections de commune.
Je souhaite tout d'abord revenir sur la conception consistant à considérer que sur cette planète, il peut encore exister des biens communs. Cette notion de biens communs de l'humanité est certes une notion ancienne, mais elle peut être aussi une notion moderne, comme l'a d'ailleurs montré Mme Elinor Ostrom, prix Nobel d'économie en 2009 : elle a fait un travail remarquable sur les biens communs de l'humanité à travers la planète.
Mme Ostrom a ainsi cité : des forêts primaires gérées par des communautés autochtones ; les ressources halieutiques des océans, gérées par la communauté internationale, voire des pêcheries gérées collectivement ; la gestion de l'atmosphère terrestre ; l'irrigation ; des sources et des puits, dans certains pays.
Elle affirme ainsi que la gestion collective des biens communs, non seulement ne doit pas être considérée comme désuète, mais peut même constituer une voie d'avenir. Elle le dit d'ailleurs très bien, quand elle montre que ces biens collectifs peuvent constituer une troisième voie, alternative aux marchés ou au « tout-État », en considérant que les biens communs sont une forme particulière de propriété. Mais, c'est vrai, en jouant sur les mots, on peut juger que cette forme particulière de propriété est totalement périmée…
Je souhaite pour ma part parler de choses vécues. Je pourrais ainsi vous parler d'un village, dans lequel se trouve une propriété appartenant à un marquis – le marquis des Roys –, propriété d'environ 150 hectares de forêts, très bien gérée, excellemment bien gérée par cet homme qui plus est charmant, attaché à l'intérêt collectif.
Quelqu'un, parmi vous, aurait-il l'idée de dire : « il faut communaliser sa propriété » ? Or ne doit-on pas avoir le même respect de la propriété, tel que nous l'avons dans le cas que je viens de citer, pour un bien collectif ?
Bien entendu, vous jouez sur les mots, à partir d'une décision du Conseil constitutionnel, en parlant de « personnalité morale de droit public ». Certes. Mais quand on examine le cadastre d'une commune, la section est composée des habitants d'une commune. Ainsi, dans les faits, il s'agit en réalité d'un bien privé collectif, même si vous jouez sur les mots.
Ce qui m'a choqué dans votre présentation, c'est que vous avez présenté les sections de commune uniquement comme un obstacle, comme une source de problèmes, comme un frein au développement des communes.
Je suis l'élu d'un territoire où les maires et les habitants sont attachés aux biens communs et aux sections de commune. C'est une réalité. Certes, il y a des difficultés dans certains territoires, pour lesquels on peut faire avancer la législation, mais il y des biens de section qui sont gérés depuis des décennies – on pourrait même dire depuis des siècles – sans aucun problème.
Et n'oublions pas l'histoire, dont on a parlé un peu rapidement. En fait, ces sections de commune ont été données à des communautés villageoises tout simplement parce qu'on ne voulait pas que ces villageois aillent en ville pour s'affranchir. On avait besoin de cette main-d'oeuvre sur place, et c'est pour la maintenir sur place qu'on lui a donné des biens collectifs. On ne voulait pas qu'elle parte en ville. Ensuite, aux xixe et xxe siècles, sans ces biens collectifs, dans des départements comme la Lozère, l'Aveyron, le Cantal et le Puy-de-Dôme, la désertification aurait été beaucoup plus forte, parce qu'on ne pouvait pas vivre sur de petites exploitations sans ces revenus complémentaires. Si notre monde rural a pu se maintenir jusqu'à aujourd'hui, c'est justement grâce à la gestion de biens collectifs au cours des siècles. C'est une chose qu'il ne faut pas oublier.
À deux pas de chez moi – j'habite dans un hameau – il y a encore aujourd'hui des sections de commune qui sont gérées sans problème par les descendants de ces paysans. N'oublions pas, en effet, que ces forêts dont on parle, qui constituent les deux tiers des sections, étaient à l'origine des prairies. Au moment de la désertification des campagnes, les paysans ont usé beaucoup d'huile de coude durant des jours et des jours, des mois et des mois, des années et des années pour planter, pour entretenir, afin que la friche ne l'emporte pas. Ils ont même creusé des fossés pour pouvoir irriguer la terre et ils y travaillent encore régulièrement. Il est vrai que la gestion de certains biens est aujourd'hui confiée à l'ONF, mais ces biens sont le fruit de décennies de travail collectif. Et il y a encore des sections qui ont toujours cette approche-là.
Mais ça gêne. Ça gêne parce que ce sont des biens collectifs. Ça gêne parce qu'on ne peut pas admettre que des gens qui habitent en milieu rural, et qui connaissent des difficultés, puissent percevoir chaque année un revenu provenant de la coupe d'arbres que leurs ancêtres ont plantés. On admet que des actionnaires touchent des millions et des millions, cela ne scandalise personne, mais on est scandalisé quand une personne qui habite en milieu rural va toucher 1 000 ou 1 500 euros par an ? C'est indécent ! Je dis que c'est indécent !