Intervention de Alain Vidalies

Séance en hémicycle du 16 mai 2013 à 9h30
Amnistie des faits commis lors de mouvements sociaux — Présentation

Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement :

…ce qui témoigne des fortes interrogations que la notion d'amnistie peut susciter, tant au plan des principes juridiques que politiques.

Mesdames et messieurs les députés, au plan historique – le rapport de M. Dolez nous le rappelle –, il est communément admis que toutes les civilisations ont connu cette notion. Sans remonter à Solon, on peut ainsi rappeler que les Anciens faisaient déjà bien la différence entre l'oubli et la réhabilitation, cette amnistia qui a donné, en français, le mot « amnistie ».

Contrairement à certains commentaires trop rapides, l'amnistie ne se confond donc jamais avec l'amnésie. Elle tend, en des moments extraordinaires de l'histoire de notre pays, à organiser la réhabilitation des individus pour rechercher la concorde civique.

Après la Révolution, toutes nos Républiques firent de l'amnistie une prérogative du pouvoir législatif. La Constitution de 1958 perpétue cette tradition républicaine en son article 34, qui réserve donc cette matière au domaine de la loi.

Nous le savons : l'amnistie se distingue de la grâce, qui demeure une prérogative et un acte de clémence individuelle du Président de la République et qui met seulement un terme à l'exécution de la peine prononcée, sans effacer les mentions correspondantes au casier judiciaire.

Il convient donc d'observer que, si elle ne constitue pas une loi d'exception au sens juridique, cette loi d'amnistie est une démarche singulière pour le législateur que vous êtes, dans la mesure où elle consiste à effacer le caractère d'infraction de certains faits accomplis dans le passé en interdisant toute poursuite pénale, en interrompant l'exécution des peines et en effaçant les condamnations prononcées. En défaisant l'oeuvre de l'autorité judiciaire, le législateur défait ainsi la loi pénale qu'il a lui-même élaborée.

L'amnistie constitue une forme de l'ancien pardon pénal. Elle a pu être qualifiée de tradition républicaine par plusieurs ministres de la justice de notre pays, comme M. Toubon en 1995 ou M. Dominique Perben en 2002, qui justifiait alors l'utilité et la légitimité de l'amnistie par les nécessités de la réconciliation et de la cohésion nationales.

Si l'amnistie est une tradition de la Ve République, il convient de bien distinguer deux types d'amnisties parmi les quelque seize lois d'amnistie votées depuis 1958. Ces lois peuvent être réparties en deux catégories : les lois dites présidentielles, d'une part, et les lois dites événementielles, d'autre part.

La première catégorie, survivance du passé monarchique de notre République, fut celle des deux dernières lois adoptées sous les présidences de Jacques Chirac. Votées sous la Ve République après chaque élection présidentielle de 1959 à 2002, les lois d'amnistie dites présidentielles sont sans aucun doute les mieux connues, mais aussi les plus critiquées. Rappelons-nous que déjà, sous la IIIe République, alors que quinze élections présidentielles ont eu lieu, seules cinq d'entre elles ont été suivies d'une loi d'amnistie : la tradition dite républicaine est donc en réalité essentiellement celle de la Ve République. La légitimité de ces lois d'amnistie présidentielles a en outre été progressivement et heureusement remise en cause, principalement en raison de leur prévisibilité et des conséquences que celle-ci pouvait avoir sur certaines formes de délinquance. J'emploie volontairement le passé car cette tradition très critiquée, notamment par l'ensemble des parlementaires de gauche lors du débat sur la loi d'amnistie en 2002, a pris fin avec les engagements de Nicolas Sarkozy et de François Hollande de renoncer à toute démarche d'amnistie après leur élection : c'est là un progrès de l'État de droit et du respect de l'égalité de tous devant la loi, un progrès que nous devons tous saluer.

La seconde catégorie renvoie plus directement au creuset de notre nation, à son histoire et à ses déchirures. La République a dû, à mesure qu'elle s'est établie dans les institutions et dans les esprits, cicatriser les plaies de l'histoire, après la Commune, après l'affaire Dreyfus, aux lendemains des guerres ou des événements violents qui déchirèrent la nation. Cette catégorie d'amnisties, que l'on pourrait qualifier d'événementielles, fait écho aux notions de générosité et de tolérance, indispensables à la réconciliation et à la cohésion nationales. Ces lois d'amnistie événementielles furent brillamment défendues ici, notamment par le parlementaire Victor Hugo, qui rappelait : « La guerre civile est une faute. Sur une vaste faute, il faut un vaste oubli. Ce vaste oubli, c'est l'amnistie. » Ces amnisties ont été le prolongement d'événements exceptionnels, comme la guerre d'Algérie ou, plus récemment, les troubles en Nouvelle-Calédonie.

Mesdames et messieurs les députés, le texte voté par le Sénat le 27 février dernier peut-il se rattacher à cette histoire et à la catégorie des amnisties événementielles ? Tel est notre débat.

Au Sénat, Mme Klès s'était déjà attachée à exclure du champ du texte les faits de violences commis à l'encontre de dépositaires de l'autorité publique. M. Dolez, votre rapporteur, a eu lui aussi une position équilibrée, notamment sur le champ d'application de ce projet, ce qui a été salué en commission, y compris par les parlementaires de l'opposition.

Mais, comme le président Urvoas a pu le souligner, le texte que nous examinons aujourd'hui présente d'emblée un caractère particulier au regard d'une longue tradition de projets de loi des gouvernements qui se sont succédé depuis 1958.

Il n'est, en effet, pas d'usage qu'une proposition de loi seule vienne ainsi, isolément, traiter spécifiquement d'une telle question. Cette question est importante, mais elle ne nous paraît pas correspondre parfaitement à la catégorie des lois d'amnistie dites événementielles que je viens d'évoquer.

Par ailleurs, il est clair pour nous que le contexte économique extrêmement difficile des dernières années suscite des mouvements sociaux et revendicatifs particuliers. Nous avons ainsi parfaitement conscience que la souffrance sociale est grande et qu'une forme de violence peut naître de conditions sociales et de vie éprouvantes. Dans ce contexte, la liberté de manifestation et la liberté syndicale sont nécessaires en démocratie,…

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