Intervention de Arnaud Richard

Séance en hémicycle du 16 mai 2013 à 9h30
Amnistie des faits commis lors de mouvements sociaux — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaArnaud Richard :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en préambule de mon intervention, je tiens, au nom du groupe UDI, à dénoncer l'attitude qui a été celle du Gouvernement à l'endroit du Parlement dans l'examen de ce texte.

En saluant l'adoption de cette proposition de loi au Sénat et en la qualifiant d'« acte de très grande qualité et de justice, qui honore la République », Mme la garde des sceaux a très clairement exprimé, le 27 février dernier, l'enthousiasme et l'adhésion du Gouvernement à l'amnistie des faits commis à l'occasion de mouvements sociaux, d'activités syndicales et revendicatives. Pourtant, à peine deux mois plus tard, monsieur le ministre, en commission, le 24 avril, vous affirmiez au nom du Gouvernement votre « opposition claire et ferme à toute forme d'amnistie ».

Devant un tel retournement de situation, on peut aisément imaginer le désarroi des sénateurs de la majorité, comme d'un certain nombre de nos collègues dans cet hémicycle.

J'étais heureux, tout à l'heure, d'entendre le président de la commission des lois qui se demandait quel serait « le sens du signe » si cette proposition de loi était adoptée. Je me demande si je n'ai pas entendu « le chant du cygne », plutôt, pour cette majorité. (Sourires.)

S'agit-il d'une nouvelle maladresse, d'une nouvelle dissonance, ou d'un renoncement inspiré par l'opinion publique qui, monsieur le ministre, est clairement hostile à cette amnistie, qu'elle considère comme inégalitaire et discriminatoire ?

Il n'en demeure pas moins que le résultat est là : cette proposition de loi a été adoptée par le Sénat.

Mes chers collègues, j'en viens maintenant au fond du texte que nous examinons aujourd'hui. Certes, de longue date, la liberté syndicale et le droit de grève sont inscrits dans le marbre de la Constitution et font partie des droits fondamentaux de tous les citoyens. Des hommes et des femmes sont morts pour cela, nous devons y être très attachés. Certes, le droit de manifester son mécontentement, de se rassembler, est un garde-fou nécessaire à la survie de la République : comment en effet empêcher des familles, des jeunes, des salariés, des entrepreneurs, des agents publics de se réunir pour faire part de leur mécontentement ?

Si à seize reprises sous la Ve République, des lois d'amnistie ont été votées, lois à caractère présidentiel ou événementiel, il s'agissait le plus souvent de mettre un terme à des événements douloureux de notre histoire et de réunir ainsi, dans une société marquée par de tels événements, les conditions nécessaires à la réconciliation nationale. Jusqu'à la dernière en date, qui fut votée en 2002, ces lois d'amnistie étaient avant tout reconnues comme le corollaire du droit de grâce présidentiel. Elles s'inscrivaient dans une tradition républicaine de pardon et de réconciliation nationale, pour une société apaisée.

Onze ans après le vote de la dernière loi d'amnistie, nos collègues du groupe communiste proposent d'amnistier les faits commis à l'occasion de mouvements sociaux et d'activités syndicales et revendicatives, considérant que « trop de sanctions injustes ont été infligées » et qu'il faut « savoir pardonner ». Ils émettent une idée qu'il n'est pas complètement interdit de respecter et – même si nous sommes opposés à ce texte – qui doit être entendue.

Il faut l'entendre car il y a dans notre pays une profonde désespérance de tous ces salariés qui ne comprennent pas toujours comment le monde est en train d'évoluer, ni la mutation qui se déroule devant eux. Il faut l'entendre car ces salariés se battent pour leur emploi et pour leur territoire.

Si le fait d'effacer de certains faits accomplis dans le passé le caractère d'infraction est certes pleinement reconnu par notre législation comme une pratique possible, dans le cas présent, le groupe UDI est convaincu qu'une telle amnistie serait inopportune et dangereuse.

De toute évidence, la légitimité du principe d'une telle amnistie est contestée par de nombreux observateurs, par l'opinion publique et par une grande partie de la classe politique, en raison de la prévisibilité de certaines lois d'amnistie, qui a des conséquences sur la délinquance, routière ou autre.

Cette évolution, d'ailleurs, a conduit les candidats à l'élection présidentielle – Nicolas Sarkozy en 2007 et François Hollande en 2012 – à renoncer à toute forme d'amnistie à la suite de leur élection. Aujourd'hui, force est de constater que l'amnistie ne fait plus partie, dans l'inconscient des Français, de la tradition républicaine et qu'aux yeux de nos compatriotes, elle est inacceptable.

Cette proposition de loi, mes chers collègues, est inopportune car elle semble nier l'objet même de l'amnistie. On peut considérer l'amnistie comme un geste de pardon, de reconstitution de la concorde sociale et de pacification des mémoires. Mais il ne s'agit en aucun cas d'autoriser ou d'excuser des débordements de toute sorte, sous prétexte qu'ils ont été commis dans le cadre, certes louable, d'un combat social. Le pardon est souhaitable quand il est nécessaire de réunir les conditions propices à l'avènement d'une société apaisée et réconciliée : ce fut le cas en 1964 et en 1966, après la guerre d'Algérie. Ce fut le cas en 1985 et 1990, après les événements de Nouvelle-Calédonie. Or, ces événements n'ont rien de comparable à la situation actuelle.

Enfin, cette proposition de loi est dangereuse car elle adresse à nos compatriotes un signal inacceptable d'impunité a posteriori. En rompant ainsi avec le principe d'égalité des citoyens devant la loi, nous porterions le mauvais message, celui de l'acceptation du recours à la violence par le monde syndical, celui du droit ponctuel à la violence et à la dégradation des biens d'autrui.

En ces temps difficiles, c'est précisément le dialogue social, la négociation entre les partenaires sociaux, qu'il faut privilégier. Le monde syndical se doit d'être un acteur responsable, privilégiant le dialogue à la confrontation, le respect à l'incivilité. Et nous avons vu ces dernières semaines que le dialogue social pouvait amener à des réformes importantes du monde du travail dans le respect et le dialogue.

La formule de « syndicalistes casseurs » me révulse, de même que celle de « patron voyou » me révolte.

Face à la désespérance sociale, il y a la colère, le désespoir, le sentiment que nous n'avons plus d'arme pour soutenir l'emploi et malheureusement, chez un certain nombre de nos compatriotes, que la casse de l'appareil de production serait le seul moyen d'être entendu. Je ne crois pas que ce soit ce combat-là qui doive être mené dans les entreprises pour préserver l'emploi.

En reniant d'une certaine manière son engagement à l'égard d'un de ses partenaires du Front de gauche et d'une partie de sa majorité, le président de la République se carbonise dans son électorat de gauche.

Monsieur le ministre, l'espoir n'est pas un luxe. Celui que vous avez suscité dans cette campagne présidentielle, avec cette proposition et quelques autres sur lesquelles le Gouvernement se renie, a été détruit au terme de cette première année. Et l'espoir ainsi détruit laisse place à la désespérance. Dans un pays désolé, tourmenté par la crise, cela ne présage pas des jours simples.

Je crois que dans le contexte difficile que connaît notre pays, ce que nous proposent nos collègues communistes est tout à fait inapproprié, mal à propos et n'a pas vocation a être adopté par notre assemblée. C'est un texte inopportun, mais je crois aussi que nous devons être à l'écoute de l'ensemble de ces salariés qui ne comprennent pas la mutation dans laquelle notre pays se trouve et qui ont du mal à mesurer que les bassins d'emploi vont évoluer dans les années à venir.

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