On peut par ailleurs se poser la question de savoir si l'amnistie ne relève pas du seul pouvoir exécutif, du Gouvernement. C'est en ce sens que se prononçait l'ancien garde des sceaux Jean Foyer le 17 décembre 1964, invoquant, il est intéressant de le noter, une tradition coutumière qui « réserve – non pas en droit mais en fait – au Gouvernement l'initiative des projets d'amnistie qui aboutissent, tradition d'une telle certitude que le Constituant de 1946 avait été invité à la consacrer expressément. […] Elle est, elle aussi, dans la logique du Gouvernement parlementaire : toute mesure d'amnistie comporte des dangers et des risques ; ces dangers et ces risques, il appartient de les apprécier au Gouvernement responsable de l'ordre public, de la sûreté de l'État et de la sécurité des citoyens ». Seul le Gouvernement peut donc, à mon avis, proposer une loi d'amnistie.
On me répondra que l'initiative des lois est partagée, en application de l'article 39 de la Constitution. C'est oublier les articles 47 et 47-1 de la Constitution, qui prévoient que les budgets de l'État et de la sécurité sociale ne peuvent être définis que dans des projets de loi. C'est oublier également l'article 40 de la Constitution, tant il est vrai que l'amnistie empêche l'État de percevoir le produit des amendes prononcées par les juridictions pénales.
L'amnistie a par essence un caractère général.
Il n'est pas question de s'en priver ou de l'interdire tant on se rend bien compte qu'il faudrait alors, en pure logique, interdire tout le système de la prescription. L'amnistie est donc une règle fondamentale, qu'on ne saurait contourner. Cette règle fondamentale a permis d'amnistier des faits relatifs à la guerre d'Algérie, à la Nouvelle Calédonie, à la Guadeloupe, à la Martinique et à la Corse.
Certains demandent aujourd'hui l'amnistie des faits récents relatifs à la Corse. Mme Érignac s'est émue d'une telle possibilité. D'évidence, le temps du pardon n'est ni acceptable ni prévisible, en ce qui concerne la Corse, avant de nombreuses années.
Du 31 juillet 1959 au 6 août 2002, huit amnisties ont été adoptées d'une manière automatique à la suite de l'élection du Président de la République. Réminiscences de la royauté, ces lois d'amnistie ne sauraient constituer une tradition républicaine. Henri Donnedieu de Vabres, un grand juriste, a pu écrire que « l'amnistie apparaît comme un vestige de l'ancien arbitraire du monarque et figure, parmi les modalités du pardon, celle qui conserve le mieux le caractère que revêtait sous l'Ancien Régime la clémence royale ».
Osons le dire, l'amnistie présidentielle, en don de joyeux événement comme jadis les 101 coups de canon, n'avait rien à voir avec la République. Elle permettait peut-être au Président de se trouver des ancêtres. Elle permettait à coup sûr de vider les prisons. Elle était contraire au principe d'individualisation qui permet d'abréger la peine de ceux qui se conduisent bien en prison. Elle était contraire au civisme le plus élémentaire. Elle a permis aux chauffards de tuer en toute impunité sur la route. Elle s'opposait de manière frontale à la volonté de rechercher l'impunité zéro.
Nicolas Sarkozy et François hollande ont rompu avec cette tradition contraire aux principes républicains. Ils ont bien fait et il faut souhaiter que plus jamais nous n'entendrons parler d'amnistie présidentielle et de son caractère automatique.