« Sauver une vie, ça s'apprend ! » : nous connaissons bien ce slogan, lancé par une grande association nationale de secourisme. Et pourtant, alors que la route tue encore près de 4 000 personnes chaque année et en blesse 72 000, moins de la moitié des Français déclarent avoir déjà bénéficié d'une formation ou d'une initiation aux gestes de premiers secours.
C'est que si la nécessité d'une prise en charge immédiate d'un accidenté de la circulation est aujourd'hui présente dans les esprits, la formation aux notions élémentaires de secourisme reste le parent pauvre de la politique de sécurité routière. Alors même que cette dernière, développée de manière continue à partir des années 1970, a permis de diviser par quatre le nombre de tués sur les routes de France, l'apprentissage des gestes de premiers secours – les « gestes qui sauvent » – n'a jamais été privilégié.
Bien sûr, tout doit d'abord être fait pour lutter contre l'accidentalité elle-même. Mais la diminution de la mortalité routière constitue un objectif essentiel, que seule peut aussi permettre d'atteindre la mise en oeuvre plus systématique de politiques de formation aux connaissances élémentaires de secourisme.
Face à ce défi, le groupe UMP a choisi d'inscrire dans sa séance d'initiative réservée la présente proposition de loi, en préconisant une solution simple et pragmatique : l'inclusion dans les épreuves du permis de conduire d'une formation aux « cinq gestes qui sauvent » et qui consistent à alerter les secours, à baliser les lieux et à protéger les victimes, à ventiler, à comprimer l'hémorragie et, enfin, à sauvegarder la vie des blessés.
Loin de tout esprit partisan, cette proposition rejoint de très nombreuses initiatives qui ont émané de tous les bancs depuis plusieurs années : propositions de loi, amendements, questions au Gouvernement, etc. Au Sénat, une proposition de loi analogue a ainsi été déposée en février dernier par M. Jean-Pierre Leleux et M. Jean-René Lecerf. Je sais que le président de la commission des Lois du Sénat, M. Jean-Pierre Sueur, est très sensible au sujet, pour ce qui concerne tout particulièrement les conducteurs de transport routier de personnes.
En outre, dans certains pays voisins, plusieurs dispositifs comparables ont été retenus dès les années 1970, avec succès : il en va ainsi par exemple en Allemagne, en Autriche ou en Suisse.
L'objectif essentiel de ce texte est la lutte contre la mortalité routière. Les 4 000 morts sur les routes équivalent en effet à 30 catastrophes aériennes, pour reprendre une analogie qui figurait dans une résolution du Parlement européen de 2011. Or, en dépit de l'élaboration d'une large palette d'outils depuis le début des années 1970, la France se situe seulement dans la moyenne européenne s'agissant du nombre de personnes tuées rapporté à la population totale. De plus, parmi ces outils, la formation aux premiers secours occupe une place très marginale.
Il existe certes des formations de secourisme au profit de tout citoyen, en particulier la formation dite « de base », d'une durée de sept heures, sanctionnée par l'attribution du certificat PSC 1 – prévention et secours civiques 1. De même, en application de l'article L. 312-13-1 du code de l'éducation, institué en 2004, tout élève est supposé bénéficier, dans le cadre de la scolarité obligatoire, d'un apprentissage des gestes élémentaires de premiers secours. Cependant, alors même que cette formation a vocation à favoriser cet apprentissage par le plus grand nombre, elle ne touche aujourd'hui que 20 % des collégiens – qui de toute façon ont le temps d'oublier ces gestes avant de passer leur permis –, et laisse donc de côté 80 % d'une classe d'âge.
Dès lors, il n'est pas étonnant que l'on puisse déplorer un niveau général de connaissances aux gestes de premiers secours très insuffisant, seulement quelque 40 % de la population ayant reçu en la matière une formation diplômante ou bénéficié d'une initiation à un titre ou à un autre. Comme le souligne la Croix-Rouge, « les Français n'ont pas la culture du risque et de la prévention » et « possèdent un niveau de formation aux gestes qui sauvent largement insuffisant ».
Sans doute le législateur a-t-il commencé à se saisir de cette question, puisqu'aux termes de l'article 16 de la loi du 12 juin 2003 renforçant la lutte contre la violence routière, « les candidats au permis de conduire sont sensibilisés, dans le cadre de leur formation, aux notions élémentaires de premiers secours ». Mais le décret en Conseil d'État destiné à fixer ses modalités d'application n'a jamais été pris. D'ailleurs, les nombreuses auditions que j'ai conduites le confirment : dans les faits, cette sensibilisation est très insuffisante, voire inexistante.
Environ 1 million de permis de conduire sont délivrés chaque année. Inclure la formation aux notions élémentaires de premiers secours dans l'examen du permis de conduire permettrait donc de favoriser la formation d'un public particulièrement large.
En outre, et même si, par définition, une formation organisée dans le cadre de la préparation au permis de conduire resterait centrée sur l'accidentalité routière, les connaissances acquises à cette occasion pourraient ensuite être réutilisées, en cas d'urgence, dans de nombreuses circonstances de la vie quotidienne.
Une telle formation pourrait de surcroît induire un changement de comportement au regard de la prise de risque dans la conduite automobile. Elle contribuerait à une conduite plus apaisée, un avantage dont l'importance ne saurait être sous-estimée.
Enfin, en donnant une « feuille de route » au témoin d'un accident, elle permettrait de dédramatiser la situation.
La formation proposée pourrait être d'une durée de quatre heures. Son caractère simplifié permettrait une diffusion vers le plus grand nombre, sans coût excessif, ni en temps, ni en argent, pour les candidats au permis de conduire. Le message n'en serait que plus clair et plus efficace.
Afin d'offrir toutes les garanties requises, la dispense et la validation de cette formation, axée sur les aspects essentiels de l'accidentalité routière, seraient confiées aux associations de secourisme agréées, dont la compétence est bien établie. Plusieurs ont déjà formalisé des programmes relatifs aux gestes essentiels à pratiquer à la suite d'un accident – citons les « trois gestes pour la vie » de la Fédération française de cardiologie ou bien les « quatre étapes pour porter secours » de la Croix-Rouge française –, et certaines dispensent déjà des formations courtes.
J'en viens aux objections qui pourraient être opposées au dispositif et qui, selon moi, ne résistent pas à l'analyse.
On pourrait craindre premièrement qu'il ne soit coûteux et lourd à mettre en oeuvre, voire qu'il ne représente une nouvelle charge importante pour l'État. Mais la terminologie retenue – « épreuve » – ne doit pas induire en erreur et laisser penser qu'il s'agit d'organiser un examen spécifique, sur le modèle de ceux prévus pour sanctionner les apprentissages théorique et pratique. En réalité, la participation à la formation et sa validation seront prises en charge par les associations de secourisme agréées, qui remettront aux intéressés un document attestant de leur connaissance des notions élémentaires de premiers secours. Les inspecteurs du permis de conduire et de la sécurité routière ne se verront donc investis d'aucune mission nouvelle, ce qui supposerait une charge de travail plus lourde et une formation complémentaire. Un amendement tend à préciser le rôle des associations dans le dispositif ; un autre à supprimer l'article de gage, prévu à seul titre de précaution et désormais sans utilité.
Deuxièmement, le dispositif pourrait être jugé trop coûteux pour les candidats. Naturellement, la somme qui serait à leur charge n'est pas négligeable – selon certaines estimations établies par les associations, elle pourrait être de l'ordre de 20 à 25 euros –, mais elle peut être considérée comme très raisonnable au regard de l'enjeu de sécurité routière et du coût global du permis de conduire.
Troisièmement, certains doutent que les associations de secourisme soient en mesure de dispenser une formation de masse. Mais les auditions que j'ai conduites m'ont permis de dénombrer quelque 35 000 moniteurs de premiers secours. Les grandes associations nationales ont d'ailleurs estimé que le défi pouvait tout à fait être relevé.
Quatrièmement, on pourrait estimer qu'il appartient à l'école de prendre en charge l'apprentissage de masse des gestes de premiers secours, conformément au dispositif mis en place en 2004. Mais je rappelle que celui-ci ne touche que 20 % d'une classe d'âge et qu'il intervient trop tôt. En attendant le jour où il concernera la majorité des élèves, pourquoi se priver d'un outil supplémentaire ? Quant à l'initiation dispensée chaque année à 800 000 jeunes dans le cadre de la journée « défense et citoyenneté », elle ne dure parfois que trois quarts d'heure et ne saurait se substituer à un véritable apprentissage.
Cinquième et dernière objection : le dispositif proposé aurait une valeur réglementaire. C'est vrai des différentes composantes du permis de conduire, qui relèvent de la partie réglementaire du code de la route. Mais un sujet de sécurité routière tel que la création d'un nouveau dispositif de formation aux premiers secours justifie l'intervention législative. C'est pourquoi je présenterai un amendement destiné à placer le nouveau dispositif non dans le code de la route, mais dans le cadre de la loi du 12 juin 2003 renforçant la lutte contre la violence routière, en lieu et place de l'actuel article 16 dont le décret d'application, je le rappelle, n'a jamais été publié.
Tel est le dispositif simple que nous vous proposons aujourd'hui.