Intervention de Roger-Gérard Schwartzenberg

Séance en hémicycle du 4 juin 2013 à 15h00
Réforme du conseil supérieur de la magistrature — Explications de vote

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRoger-Gérard Schwartzenberg :

Madame la ministre, vous nous présentez un projet de loi constitutionnelle qui, complété ou modifié par les amendements adoptés, est aujourd'hui un texte d'équilibre.

Traditionnellement, les magistrats et les politiques formulent des griefs réciproques. Les premiers veulent se prémunir contre une éventuelle ingérence du pouvoir politique dans le fonctionnement de la justice ; à l'inverse, les responsables politiques souhaitent éviter un risque de corporatisme, le corps judiciaire ne pouvant se gérer seul, par lui-même, en s'isolant du reste de la société.

Ce texte, tel qu'il a été amendé, atteint un équilibre opportun et conforme aux standards européens, en choisissant de fonder le CSM sur la parité, sur l'égalité numérique entre les magistrats de l'ordre judiciaire et les autres membres. Parmi ceux-ci, six personnalités qualifiées seront désignées par un collège ad hoc, désignation qui devra être validée par les commissions des lois des deux assemblées, selon des modalités de vote qui ont été profondément améliorées. D'une part, le vote sur une liste bloquée a été remplacé par un vote nom par nom ; d'autre part, le veto aux trois cinquièmes des suffrages exprimés a été remplacé par une approbation à une majorité positive des trois cinquièmes – ce qui va dans le bon sens, comme l'ensemble de ce texte d'ailleurs.

Toutefois, je voudrais exprimer ici deux interrogations, sinon deux réserves. La première concerne précisément la composition du collège ad hoc chargé de désigner les personnalités qualifiées. Ce collège assez hétéroclite est présenté comme composé d'autorités indépendantes du pouvoir politique et propres à désigner des personnalités extérieures au monde de la justice. Or, il comprendra, sur ses huit membres, les quatre plus hauts magistrats de la Cour de cassation, du Conseil d'État et de la Cour des comptes, qui par ailleurs ont été nommés en Conseil des ministres. Ce collège formé pour moitié de hauts magistrats ne représente qu'une ouverture très limitée sur la société extérieure…

Ma seconde observation porte sur la saisine du Conseil supérieur de la magistrature par les justiciables, nouveau droit figurant à l'article 65 de la Constitution depuis la révision de 2008 et, à sa suite, dans la loi organique du 22 juillet 2010. Tout justiciable qui estime qu'à l'occasion d'une procédure judiciaire le concernant, le comportement adopté par un magistrat dans l'exercice de ses fonctions est susceptible de recevoir une qualification disciplinaire peut saisir le Conseil supérieur de la magistrature. Un dispositif de filtrage a été instauré, l'examen préalable de ces plaintes étant confié à des commissions d'admission des requêtes. Or, ce dispositif fonctionne avec une rigueur très excessive. En 2011, quatre cents plaintes environ ont été adressées au CSM : sept seulement ont été déclarées recevables par les commissions d'admission ! Par ailleurs, la plupart des très rares requêtes déclarées recevables sont ensuite rejetées au fond par la formation disciplinaire du CSM. Il est donc indispensable, comme vous l'avez d'ailleurs admis vous-même, madame la garde des sceaux, d'améliorer ce dispositif en modifiant la loi organique, afin de faire de la possibilité de saisine du Conseil supérieur de la magistrature un vrai droit et non une faculté illusoire. Les manquements, les défaillances ou les fautes devraient être moins rarement sanctionnés : la justice ne peut pas être le seul corps de l'État qui n'ait pas à répondre réellement de son bon fonctionnement.

Au demeurant, il arrive que la procédure disciplinaire classique donne elle aussi des résultats minimalistes. Ainsi, en 2009, le CSM a infligé une simple réprimande au juge d'instruction de l'affaire d'Outreau et en 2011, celui-ci a été nommé auditeur à la Cour de cassation : ce n'est certes pas une fonction majeure, mais cela ne peut en tout cas apparaître comme l'expression d'une réprobation. Selon Bonaparte, le juge d'instruction est « l'homme le plus puissant de France ». Il ne faudrait pas qu'il soit aussi le moins responsable.

Mais revenons à votre texte. Au total, malgré quelques points qui peuvent appeler des interrogations, cette réforme renforce l'influence du CSM qui contribue à l'indépendance de l'autorité judiciaire. C'est pourquoi notre groupe la votera.

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