Intervention de Ségolène Neuville

Réunion du 5 juin 2013 à 9h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSégolène Neuville, rapporteure pour avis de la Commission des affaires sociales :

En 2008, la France et l'Espagne ont signé un accord cadre en vue de favoriser le développement de coopérations entre les acteurs de santé français et espagnols dans les zones frontalières. Cet accord, reprenant les dispositions d'accords préalablement signés entre la France et l'Allemagne, et entre la France et la Belgique, a pour objet de faciliter la conclusion de conventions de coopération permettant à des professionnels de santé d'exercer de part et d'autre de la frontière et autorisant la prise en charge des patients quel que soit le lieu où sont dispensés les soins.

Des conventions de coopération sanitaire antérieures à cet accord permettent déjà aux établissements français et espagnols de faire en sorte que les patients puissent être pris en charge dans un hôpital situé de l'autre côté de la frontière de leur pays. Néanmoins c'est en Cerdagne, territoire de montagne frontalier entre les Pyrénées Orientales et la Catalogne, que l'on trouve la manifestation la plus aboutie de coopération sanitaire transfrontalière, à savoir le premier hôpital transfrontalier européen dont la construction est d'ores et déjà achevée.

Si notre commission s'est saisie pour avis du projet de loi autorisant la ratification de l'accord franco-espagnol de 2008, c'est qu'elle souhaite à la fois étudier les ressorts de la coopération sanitaire transfrontalière, qui concerne potentiellement de nombreux territoires, et mettre en lumière un projet pionnier à l'échelle européenne. Outre son rôle en matière d'amélioration de l'accès aux soins dans un territoire enclavé, cet hôpital est en effet un véritable laboratoire de coopération transfrontalière pour toute l'Europe : il constitue un test grandeur nature.

La France avait déjà signé en 2005 des accords de coopération avec la Belgique et l'Allemagne en vue d'instaurer des coopérations hospitalières ponctuelles. Ainsi, par exemple, l'accord franco-allemand permet de soigner en Allemagne les grands brûlés d'Alsace et organise l'aide médicale d'urgence en facilitant le transport de personnes par le SAMU ou le SMUR français vers un hôpital situé de l'autre côté de la frontière. Et l'inverse est également possible. Des coopérations ponctuelles ont également été mises en place entre la France et l'Espagne, notamment au Pays Basque ou dans les Pyrénées orientales. Ainsi, en 2003, l'assurance maladie a signé avec l'hôpital de Puigcerdá une convention aménageant le tiers payant afin de permettre aux Français résidant sur la zone frontalière d'aller se faire soigner en Espagne sans en avancer les frais.

Afin d'aller plus loin, l'accord-cadre conclu le 27 juin 2008 à Saragosse et son accord d'application, signé le 9 septembre 2008 à Angers, renvoient à des conventions locales le soin de définir les régimes de prise en charge des soins et de participation des professionnels de santé et des établissements à des actions de coopération sanitaire dans les régions Aquitaine, Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon, pour la France, et dans les communautés du Pays basque, de Navarre, d'Aragon et de Catalogne du côté espagnol.

Cette coopération permet d'éviter la duplication non justifiée de moyens sur un bassin de population. En effet, en période de budget contraint, ce qui est le cas de l'Espagne comme de la France, il serait totalement injustifié de financer des établissements hospitaliers des deux côtés de la frontière.

Des conventions pourront désormais être passées directement, en France, par les agences régionales de santé (ARS) et les unions régionales des caisses d'assurance maladie (URCAM), et en Espagne, par les départements de santé des communautés. Je rappelle qu'en l'absence de tels accords, les ministères sont seuls compétents pour conclure ces conventions. Celles-ci pourront contenir les modalités d'intervention des structures de soins, organismes de sécurité sociale et professionnels de santé, définir l'organisation des secours d'urgence, du transport sanitaire des patients et de la continuité des soins et déterminer les critères d'évaluation et de contrôle de la qualité et de la sécurité des soins ainsi que les conditions de prise en charge des patients dans les établissements de santé français et espagnols.

Le premier établissement transfrontalier européen se trouve donc en Cerdagne. Le plateau cerdan est un territoire de montagne situé à une altitude comprise entre 1 200 et 1 500 mètres et entouré de sommets culminant à près de 3 000 mètres. Il est relié d'un côté à Perpignan et, de l'autre, à Barcelone, villes toutes deux situées à plus de 100 km, ce qui représente, s'agissant de routes de montagne, entre 1 heure 30 et deux heures de trajet. Ce territoire compte 33 000 habitants, dont 56 % d'Espagnols et 44 % de Français.

L'offre de soins, du côté français, est assurée par une antenne du SMUR de l'hôpital de Perpignan et un certain nombre de médecins libéraux et de centres de soins de suite et de rééducation. Mais la clinique chirurgicale la plus proche se trouve à Prades, à une heure de route, et la maternité est à Perpignan, à près de deux heures de route. C'est sans doute la raison pour laquelle 85 % des séjours hospitaliers sont effectués à l'extérieur du territoire.

Les patients espagnols, quant à eux, peuvent se rendre à la fondation Hôpital de Puigcerdá, mais c'est un hôpital de petite taille et vétuste qui ne dispose que de trente lits de MCO (médecine, chirurgie, obstétrique), d'un service d'urgence et d'un plateau technique. D'ailleurs 33 % des séjours hospitaliers des cerdans espagnols sont réalisés en dehors du territoire.

Bien que les patients français, depuis la convention signée en 2003 entre l'hôpital espagnol de Puigcerdá et l'assurance maladie, bénéficient du tiers payant dans le cadre des urgences et des soins obstétriques, seulement 10 % des patients des urgences sont français, et sur 350 accouchements annuels réalisés à la maternité, une centaine seulement concerne des femmes françaises.

Cette situation a amené les gouvernements français et espagnol, en 2005 et en 2007, à faire des déclarations d'intentions en vue d'aboutir à un projet d'hôpital transfrontalier sous la forme d'un groupement européen de coopération territoriale (GECT). La seconde déclaration d'intention a défini le mode de gouvernance du futur groupement et réparti les voix au sein du conseil d'administration ainsi que la participation de chaque pays au financement suivant la clé de répartition suivante : 40 % pour la France et 60 % pour l'Espagne.

Le nouvel hôpital, construit entre 2009 et 2012 sur le territoire espagnol, a nécessité un investissement de 31 millions d'euros, dont un peu plus de 18 millions provenant du Fonds européen de développement économique régional (FEDER).

L'hôpital pourrait fonctionner dès l'automne 2013, mais il subsiste de nombreux obstacles sur lesquels je souhaite vous alerter.

Tout d'abord, le siège du Groupement est situé sur le territoire espagnol. C'est donc le droit espagnol qui s'applique, notamment le droit du travail. Sauf que le droit français est plus favorable et qu'en théorie, chaque salarié a le droit de choisir le droit qui lui est le plus favorable.

Quels sont les organes de gouvernance du Groupement ? Le conseil d'administration, dont je vous rappelle que 60 % des membres sont espagnols, et le directeur de l'hôpital qui, conformément aux statuts, est un haut fonctionnaire de la fonction publique espagnole. Quant au conseil consultatif, il est composé d'élus locaux mais il ne joue qu'un rôle consultatif.

Comment sera financé l'hôpital ? Dans la mesure où son activité est encore mal connue, il sera financé, au moins pour les cinq premières années de son fonctionnement, par une dotation globale – ce qui, à nos yeux de Français, est très original. Son budget annuel est évalué à 20 millions d'euros, soit 12 millions pour la Catalogne et 8 millions pour la France.

Qui travaillera à l'hôpital transfrontalier ? Si le Groupement emploie directement les personnels, le droit espagnol s'applique, ce qui pose un réel problème. Il a donc été décidé d'adopter un système de prestations de services consistant à mettre des personnels à la disposition de l'hôpital transfrontalier. Ce système, en vigueur en Catalogne, pose un certain nombre de difficultés, notamment en termes de responsabilité. Dans certains cas il pourra s'agir de mises à disposition par un organisme rassemblant déjà deux structures de soins : dans ces conditions, il sera difficile de savoir qui dirige les salariés.

Les Catalans ont prévu de confier à la fondation Hôpital de Puigcerdá tout le secteur MCO – qui regroupe, je le répète, la médecine, la chirurgie et l'obstétrique. Mais dans un hôpital, presque tous les actes relèvent de l'un de ces trois domaines ! Il reste la radiologie – celle-ci sera confiée à l'hôpital de Perpignan – et la logistique, à savoir le ménage et la restauration, qui sera confiée à un groupement de coopération sanitaire français. Cela signifie que les soignants seront catalans tandis que les personnels chargés de la cuisine et du ménage seront français.

Qui ira se faire soigner à l'hôpital de Cerdagne ? Comme vous le savez, les patients français ont le libre choix de se faire soigner là où ils le souhaitent. Feront-ils le choix de l'hôpital transfrontalier si tous les personnels soignants sont espagnols, si aucun protocole de soins commun n'est élaboré – ce qui est encore le cas aujourd'hui, le projet médical n'ayant pas progressé – et s'il n'existe pas de liens avec les médecins libéraux français exerçant sur le territoire de Cerdagne ? Si la situation n'évolue pas, nous verrons se reproduire la situation constatée à l'hôpital actuel de Puigcerdá, qui ne compte que 10 % de patients français dans les services d'urgence et 6 % de Français parmi les patients qui effectuent des séjours hospitaliers.

Un certain nombre d'incertitudes persistent donc.

Tout d'abord, à quelle direction les personnels devront-ils obéir en cas de mises à disposition en cascade ?

En matière de responsabilité, nous savons que les personnels soignants français qui exerceront en territoire espagnol devront souscrire une assurance civile particulière. Mais quel établissement sera responsable en cas de plainte ? Qui sera responsable lorsqu'une plainte sera déposée à l'encontre d'un radiologue français envoyé par l'hôpital de Perpignan ? En France, en l'absence de faute grave, l'établissement public protège son agent. Dans le cas de l'hôpital de Cerdagne, cette responsabilité incombera-t-elle au Groupement ou à l'établissement qui a mis le praticien à sa disposition ?

S'agissant de l'uniformisation des pratiques médicales, la création d'une commission a été annoncée en mars 2013 mais elle n'a pas commencé ses travaux. On peut s'en étonner quand on sait que l'hôpital devait ouvrir à l'automne 2013.

Comment seront prescrits les médicaments qui n'ont pas reçu la même autorisation de mise sur le marché en Espagne et en France ? Les ordonnances délivrées par l'hôpital de Cerdagne seront-elles valables dans toutes les pharmacies, du côté espagnol comme du côté français, et seront-elles prises en charge immédiatement ?

Enfin, quelle langue devront parler les personnels dans un hôpital qui reconnaît trois langues officielles : l'espagnol, le catalan et le français ? Les documents seront rédigés dans les trois langues, mais faudra-t-il recruter des personnels qui parleront espagnol, catalan et français ? Certes, en Cerdagne, tout le monde parle catalan, mais trouvera-t-on les ressources, en matière de personnels, sur le seul territoire cerdan ? C'est une autre question que nous devons nous poser.

Quelle est la marge de manoeuvre de la France ? Comme vous l'avez compris, notre pays est minoritaire au sein des instances décisionnelles du Groupement. La France, si elle n'est pas d'accord avec telle ou telle décision, ne peut que retarder le processus. Mais alors que la construction de l'hôpital est terminée depuis presque un an et que dès la fin du mois d'août, il sera totalement équipé – avec scanner et IRM –, la date de son ouverture n'est pas fixée puisque les conventions de prestations de service qui ont été rédigées par les Espagnols, ne sont, à ce jour, pas encore signées par les Français. Ce qui devait être un beau projet européen risque donc de n'être qu'un nouvel hôpital espagnol.

Il n'est pas question pour nous de remettre en cause l'accord de coopération sanitaire passé entre la France et l'Espagne mais de nous interroger sur le bien-fondé du financement de la France – à hauteur de 8 millions d'euros par an je le rappelle – si le projet n'est pas sérieusement réorienté vers un hôpital réellement transfrontalier.

Comment sortir de cette impasse ? Il faut, à mon sens, remettre en cause la gouvernance actuelle, répartie à hauteur de 60 % pour l'Espagne et de 40 % pour la France, ce qui ne permet pas à la France de peser sur les décisions et l'empêche de participer réellement au projet.

Ce test grandeur nature devrait permettre d'anticiper les problèmes susceptibles de ralentir les futurs projets de coopération sanitaire transfrontalière et de réfléchir à leur mode de gouvernance. Aux dires des personnes que nous avons auditionnées, la répartition 6040 a été choisie en fonction du prorata de la population – 44 % de Français contre 56 % d'Espagnols – mais personne n'avait compris que cela poserait des problèmes de gouvernance.

Ces précisions apportées, je ne souhaite naturellement pas remettre en cause l'accord-cadre de coopération et je demande à la Commission de donner un avis favorable à l'adoption du projet de loi autorisant sa ratification.

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