Nous savons tous que la démocratie représentative ne peut, en effet, se comprendre et être acceptée que si ceux qui détiennent un mandat du peuple l'exercent non à leur profit, mais pour le bien des citoyens qui leur ont accordé leur confiance. C'est au nom de cette exigence que le Gouvernement s'est déterminé à agir, car la défiance de nos concitoyens à l'égard de certains de leurs représentants est manifeste et croît d'une façon inquiétante. Personne ne peut s'exonérer de ce constat et, face à cette défiance, l'inaction n'est pas une option.
Mesdames et messieurs les députés, l'examen de nos propositions connaît un écho particulier parmi nos concitoyens. Ils nous observent sur ces sujets avec une acuité particulière lorsque la crise économique et sociale frappe si durement, délite les familles et vient mettre en cause les fondements mêmes de la puissance publique. Je me suis forgé une solide conviction à cet égard au fil des mandats que j'ai eu l'honneur d'accomplir sur vos bancs : les Français ne pourront nous écouter, si ce n'est nous entendre, qu'à la condition que la parole publique retrouve son crédit. Il n'est pas là question d'affaires de parti, de droite ou de gauche, mais d'une réponse nécessaire face à la crise de confiance que nous traversons collectivement.
Mesdames et messieurs les députés, les Français attendent de nous de l'exemplarité. Le Président de la République a placé cette exigence au coeur de son projet. Nous le savons, les responsables publics de notre pays ne manquent ni d'honneur ni de vertu au sens où l'entendait Montesquieu. Faire en sorte que les principes moraux et éthiques qui les inspirent souvent trouvent dans la loi leur meilleure garantie, voilà l'objectif du Gouvernement. La démocratie est toujours une quête permanente. Ces projets de loi font le pari de restaurer la confiance dans les institutions comme dans leurs serviteurs en faisant précisément le pari de la confiance en nos concitoyens.
Mesdames et messieurs les députés, j'imagine que nous aurons tout à l'heure des échanges intéressants et qu'il y aura sans doute des batailles de mots sur cette notion de transparence qui figure dans les intitulés des projets de loi. J'ai lu bien des choses sur l'angélisme exterminateur ou la crainte de certains que ces textes nous fassent changer de société. Je me sens autorisé à rassurer ceux qui voient un changement civilisationnel derrière chaque progrès démocratique. Il me semble, en effet, qu'il est loin le système de la prison panoptique de Bentham dans laquelle la surveillance de tous est assurée par un contrôle permanent de chacun.
J'ai d'ailleurs relu avec attention les débats, tenus ici même en février et mars 1988, lors de l'examen de la loi dite de « transparence financière de la vie politique » présentée alors par le gouvernement de Jacques Chirac. Déjà ce mot de transparence ; déjà des amendements pour assurer une meilleure information des citoyens – amendements des groupes socialiste et communiste, j'y reviendrai. « Obscure clarté, transparente opacité, voyeurisme et exemplarité », déjà les mêmes mots de la droite sur ces amendements lors des débats pourtant animés par de grands orateurs, si l'on songe à Pierre Mazeaud, mais aussi Pierre Joxe, Michel Sapin ou à Charles Pasqua.
Mesdames et messieurs les députés, comment ne pas voir que la transparence, qui n'est qu'une forme continuée de la souveraineté populaire, est une exigence républicaine et non une concession passagère à la mode ou aux nouvelles technologies ? Le rapport de votre commission le souligne avec précision, les scandales politico-financiers ont, chaque fois, appelé les Gouvernants à réagir et à empêcher les mauvais comportements répréhensibles par l'adoption de lois plus contraignantes. Sans remonter aux affaires des républiques passées ni des temps antiques, il suffit de rappeler que c'est le scandale de la Garantie foncière en 1971 qui rendit nécessaire l'instauration des déclarations de patrimoine dont nous aurons l'occasion de débattre. Plus récemment, ce sont les révélations entourant les liens existant entre un ministre du budget et une grande fortune française qui conduisirent le Président Nicolas Sarkozy à commander un rapport à la Commission dite « Sauvé » sur la transparence de la vie publique et les conflits d'intérêt. Ce rapport, on s'en souvient, resta lettre morte en dépit des protestations ou interrogations. J'eus d'ailleurs moi-même l'occasion d'interroger le Premier ministre, François Fillon, sur cet inexplicable attentisme lors d'une séance de questions d'actualité du mois de février 2011.
Mesdames et messieurs les députés, le Président de la République a demandé au Gouvernement de préparer et de vous saisir sans délai de projets de loi, quatre au total, lorsque les événements récents, que vous connaissez, impliquant un ancien ministre du budget, ont une nouvelle fois profondément altéré la relation de confiance liant les responsables publics aux Français.
Depuis le conseil des ministres du 13 mars, donc avant ces événements, je travaillais déjà à un projet de loi sur les conflits d'intérêt sur la base des recommandations du rapport de la commission présidée par Lionel Jospin. Nos deux projets de loi visent à atteindre l'objectif d'une République exemplaire en suivant trois voies : premièrement, de nouvelles déclarations pour favoriser la transparence démocratique ; deuxièmement, de nouveaux contrôles autour d'une autorité administrative dotée de véritables pouvoirs ; troisièmement, des dispositifs répressifs ou contraignants modernisés.
Avant d'envisager ces trois éléments dans le détail, je tiens, tout d'abord, à saluer l'important travail de votre rapporteur qui, avec l'accord du Gouvernement, a sensiblement amélioré les projets de loi. Je me permets également de saluer particulièrement l'apport de M. René Dosière dont chacun connaît l'investissement depuis longtemps sur ces questions.
Mesdames et messieurs les députés, le souverain, c'est-à-dire le peuple, ne peut accepter de déléguer ses pouvoirs à des gouvernants que s'il a l'assurance que ceux-ci servent exclusivement l'intérêt général et non leurs intérêts propres. Cette exigence se manifeste par des obligations déclaratives nouvelles qui s'imposeront aux plus de 7 000 responsables publics concernés par ces textes. Le contrôle des électeurs sur ceux à qui ils ont confié le soin de les représenter est une exigence démocratique ancienne. Ce regard citoyen est l'essence même de la démocratie représentative.
Je veux à cet égard vous rappeler qu'une telle préoccupation apparaît dès l'aube du régime parlementaire avec la première assemblée élue au suffrage universel que la France ait connue : la Convention nationale. C'est, en effet, le 14 mai 1793, que la Convention nationale décrétait que : « les représentants du peuple sont à chaque instant comptables à la Nation de l'état de leur fortune. » C'est, ainsi, le 14 mai 1793, que la Convention nationale retenait le principe suivant : « On nous parle souvent de corruption et de fortune scandaleuses. Pour connaître de quel côté a été la corruption, il est demandé que chaque député soit tenu de donner l'état détaillé de sa fortune, que cet état soit imprimé et que celui qui aurait fait un faux bilan soit déclaré infâme. » Cette exigence demeure d'une grande actualité.
S'agissant donc de la déclaration de situation patrimoniale dont on voudra bien se souvenir qu'elle fut adoptée sous un gouvernement de droite suite au scandale de la Garantie foncière, notre dispositif ambitieux a été remanié. Plutôt que de s'en remettre au pouvoir réglementaire, comme le proposait le texte initial, votre commission des lois a défini le contenu de ces déclarations. Plutôt qu'une publication sur internet de ces déclarations, solution en revanche maintenue pour les membres du Gouvernement, votre commission a opté pour une publication ouverte à tout citoyen inscrit sur les listes électorales qui se déroulerait à la préfecture du département d'élection du député ou du président d'exécutif local. Cette solution de compromis permet d'offrir de nouveaux droits à nos citoyens, tout en garantissant aux élus la protection de leur vie privée et familiale.
Il y a surtout pour les citoyens un droit nouveau d'adresser des observations à la Haute autorité de la transparence de la vie publique, un droit d'alerte citoyenne. J'ai pu d'ailleurs constater qu'un amendement du rapporteur envisageait de l'étendre aussi au contrôle des déclarations d'intérêts.
Notre projet contient également une avancée essentielle concernant la protection des lanceurs d'alerte, dont on a vu, notamment à l'occasion des scandales sanitaires, combien ils pouvaient avoir un rôle utile.
La notion de lanceur d'alerte est une idée relativement récente en France. L'article 17 du projet de loi organise ainsi l'interdiction ou la nullité de mesures de sanction prises à l'encontre d'agents ou de personnes qui, ayant connaissance de faits constitutifs d'une situation de conflit d'intérêts, les porteraient de bonne foi à la connaissance de leur employeur ou des autorités judiciaires ou administratives.
La publication des déclarations de patrimoine des élus est une question permanente dans le débat public. Je rappelle notamment ce que, parmi les 110 propositions de François Mitterrand, prévoyait l'engagement n° 49 : « La vie publique sera moralisée par des déclarations des revenus et du patrimoine des candidats aux fonctions de Président de la République, de député et de sénateur ainsi que des ministres en exercice, avant et après expiration de leurs mandats. »
Ici même, à cette tribune, lors de son discours de politique générale en avril 1992, Pierre Bérégovoy annonçait : « Un texte de loi obligera à la publication et au contrôle du patrimoine et du revenu des élus, et modernisera le régime des incompatibilités car il faut, plus que jamais, séparer l'intérêt général de l'intérêt privé. » Vingt et une années plus tard, nous vous proposons de poursuivre ce chemin.
Parce que la transparence de la vie publique implique celle de son financement, la commission des lois a en outre réformé, à l'initiative de M. François de Rugy, le financement des partis politiques, en réaction notamment à la multiplication des micropartis. Elle a modifié les règles de répartition du financement public qui leur est alloué chaque année et renforcé le plafonnement des dons et cotisations aux partis politiques. Ces évolutions ont le soutien sans réserve du Gouvernement.
Pour la prévention des conflits d'intérêts, nous vous proposons également une avancée démocratique qui fera date. Pour la première fois dans notre histoire, un texte législatif va définir la notion de conflit d'intérêts et mettre en place des outils pour les prévenir. Notre ambition est bien de placer notre pays au rang des démocraties les plus avancées en la matière.
J'ai eu l'occasion de le dire en commission des lois, la question des conflits d'intérêts est présente dans l'ensemble des sociétés démocratiques avancées. Elle se résume à une négation fort ancienne tirée de l'Évangile de Matthieu