Intervention de Patrick Devedjian

Séance en hémicycle du 17 juin 2013 à 16h00
Transparence de la vie publique — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Devedjian :

Mais le désir de transparence, comme l'explique bien Starobinski, inhérent au coeur de l'homme et en effet possible réponse à la corruption, peut aussi conduire au pouvoir personnel. L'Histoire en offre des exemples tout à fait éloquents. Je passe sur Robespierre, tout le monde sait cela. Mais à l'avènement de l'empire romain, par exemple, la dictature et la confiscation de la République provinrent d'un discours sur la transparence dirigé contre les sénateurs, gardiens des valeurs de la République de l'époque, pour donner satisfaction au peuple et le protéger de leur corruption prétendument développée. Ainsi s'est installée la dictature. La transparence, comme la langue d'Ésope, est peut-être la meilleure et la pire des choses.

Dans un pays où le chef de l'État a depuis 1958 autant de pouvoir, ce dont là encore je n'accuse personne, votre texte ou plus exactement vos considérations sur la transparence ne comportent étrangement aucune mesure visant la fonction présidentielle. C'est pourtant un sujet important, car le chef de l'État est l'homme qui dispose, dans notre système politique, du plus grand pouvoir. François Mitterrand l'a d'ailleurs dénoncé tout en se gardant bien d'y remédier. Cela demeure un sujet important pour les républicains.

Vous vous êtes en outre, monsieur le ministre, réclamé de la souveraineté populaire, ce qui n'a pas laissé de m'inquiéter. Puis-je vous rappeler que nous sommes ici au siège de la souveraineté nationale ? Cela n'est pas du tout la même chose. La différence entre les deux concepts nous renvoie aux grands débats de la Révolution et je veux croire que votre référence à la transparence envers la souveraineté populaire est un lapsus. Je ne poursuivrai pas plus avant ce débat philosophique avec le Gouvernement, car on voit bien que la réflexion philosophique préalable à l'adoption et même l'élaboration du texte n'est pas très développée. D'ailleurs, c'est une chose bien connue, les hommes ne savent pas l'Histoire qu'ils font, aucun gouvernement n'y échappe.

Chacun a en effet bien compris que le projet de loi, et je ne dis pas cela dans un esprit polémique, est improvisé pour faire oublier la navrante affaire Cahuzac. Je ne la jette pas à la figure de la majorité, car la corruption est transversale et personne n'est à l'abri de voir l'un des siens en semblable situation. Mais le Gouvernement a voulu apporter une réponse rapide à une situation à l'évidence délicate. La présentation du projet en procédure accélérée en est une preuve. L'étude d'impact qui lui est jointe est tout de même extrêmement réduite, à trente-sept petites pages pour le projet de loi ordinaire, qui ne font qu'effleurer des centaines de problèmes posés par le texte. Le nombre d'amendements est une autre preuve d'improvisation, tant ceux que le Gouvernement compte présenter en séance que les quelque 200 amendements résultant de l'important travail de la commission sous l'autorité du rapporteur. Ils sont d'inégale importance mais certains modifient très largement le sens du texte. Ainsi, la commission des lois, son rapporteur et votre majorité elle-même, monsieur le ministre, ont bien été forcés de constater que le texte est boiteux.

En dépit des améliorations qui y ont été apportées, j'en conviens, et même s'il sera adopté, il est quand même menacé dans un avenir proche et lointain de remaniements et modifications permanents, tant il ouvre la boîte de Pandore et soulève des questions sans trancher, ce qui obligera le législateur à revenir dessus. François Hollande déclarait d'ailleurs lui-même, et il avait raison, qu'il n'est pas bon de légiférer à chaud sous l'empire des circonstances. C'est pourtant ce que nous faisons. Sur un sujet difficile, nous allons très vite.

Ainsi, la commission des lois a voulu à juste titre atténuer l'obligation de rendre publiques les déclarations de patrimoine en en permettant la consultation. Mais comme Jean-Frédéric Poisson vous l'a expliqué tout à l'heure, et il a raison, vous n'aurez en réalité pas les moyens d'empêcher de telles publications, créant ainsi dans les campagnes électorales des polémiques interminables avec tous les parlementaires sortants. Elles seront d'ailleurs au bénéfice de leurs adversaires candidats pour la première fois, non soumis à l'obligation de déposer une déclaration de patrimoine mais qui ne manqueront pas de rendre ou faire rendre publiques celles de leurs adversaires sortants ! Il est bien vrai qu'on ne maîtrise rien sur Internet, sinon nous n'y trouverions pas ce que nous y trouvons aujourd'hui. Je me refuse à croire que le Gouvernement ou le parquet y tolèrent un certain nombre de choses qui vont de l'indécence à la pire provocation criminelle. Je ne crois pas qu'il y ait là du laxisme, mais simplement une incapacité à faire respecter les règles, comme je l'ai souvent vérifié.

Deuxième exemple, vous demandez, chers collègues de la majorité, que la déclaration de patrimoine soit exhaustive. Que signifie cela ? Jusqu'où ? Une jurisprudence sur ce point sera nécessaire pour dire en quoi consiste l'exhaustivité de la déclaration de patrimoine. Dois-je déclarer toutes mes paires de chaussures ? Dois-je déclarer mes petites cuillères si elles sont en argent massif mais non si elles sont en métal argenté ? Vous ouvrez la porte à des débats interminables et à d'extraordinaires discussions ! Les biens sont évalués, dites-vous dans le texte, à la date de déclaration. Mais s'il existe des biens dont on peut connaître la valeur à la date de déclaration, par exemple une automobile dont on connaît le kilométrage, il existe des biens dont la valeur à une date donnée dépend d'une appréciation extrêmement subjective !

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