Intervention de Pierre Morel-A-L'Huissier

Séance en hémicycle du 17 juin 2013 à 21h30
Transparence de la vie publique — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Morel-A-L'Huissier :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à préciser que je fais fi de mon appartenance partisane et que je parle aujourd'hui en tant que citoyen engagé et avocat spécialisé en droit public.

Il y a deux mois, encore sous le choc de l'affaire Cahuzac, le Président de la République annonçait deux lois sur la transparence de la vie publique pour, disait-il, restaurer l'exemplarité de la République. On croit rêver !

Les deux projets de loi qui sont présentés aujourd'hui sont des textes bricolés dans l'urgence par un gouvernement qui cherche à se parer d'un masque d'intentions vertueuses. Peuvent-ils vraiment constituer une réponse crédible et efficace en matière de transparence à l'affaire Cahuzac ? Permettez-moi d'en douter.

On demande à la représentation nationale de légiférer dans la précipitation, puisque l'urgence a été déclarée sur ces deux textes, sans motif légitime.

Je n'ai pas souhaité déposer des milliers d'amendements, car votre majorité rejette systématiquement tout ce qui peut venir de l'UMP. Je vous renvoie, sur le fond, à l'excellent rapport rédigé, en juin 2013, par l'association Regards citoyens, qui propose des mesures de nature à créer une véritable transparence de notre démocratie française.

Certes, ces deux textes ont été fortement remaniés en commission et ils ont évolué sur certains points. Mais cela ne suffit pas : tout ceci manque de recul et de concertation. Je crois que le rapporteur, M. Urvoas – pour lequel j'ai beaucoup de sympathie – a entendu cinq à six personnes, c'est dire !

Il est évident qu'il faut lutter pour la transparence mais il ne faut pas le faire en accélérant l'adoption d'un dispositif élaboré sous le coup de l'émotion qu'a suscitée l'affaire Cahuzac.

Après ces considérations de forme, je tiens à préciser que j'apprécie peu le stratagème qui consiste, pour faire oublier la faute d'un seul, à la faire porter par tous. Cette forme d'exercice collectif de la responsabilité – éventuellement pénale – n'est ni conforme à nos traditions juridiques ni acceptable sur un plan moral : elle est injuste à l'égard de tous ceux qui exercent une responsabilité politique, notamment les parlementaires.

Ces textes sont, si je puis m'exprimer ainsi, une mauvaise manière faite aux élus. Vous faites rejaillir la faute sur l'ensemble des élus et, compte tenu de la légitime médiatisation des textes que vous proposez, vous ancrez encore un peu plus dans l'esprit de nos concitoyens la conviction que les hommes et femmes politiques sont tous pourris.

Pensez-vous, monsieur le ministre, que les 185 maires de Lozère, tous élus de communes de moins de 12 000 habitants doivent être mis sur le banc des accusés ? Ces élus touchent moins de 500 euros par mois.

Il est effectivement normal de se donner les moyens d'identifier les fraudeurs et les tricheurs, et de les sanctionner d'autant plus fortement que les fonctions occupées exigent la plus grande exemplarité. Mais je regrette que vous ayez pris la lourde responsabilité d'impliquer l'ensemble des élus et de laisser planer la suspicion sur eux.

Par ailleurs, l'arsenal juridique proposé laisse croire qu'aucun dispositif de contrôle n'existait auparavant et que le Gouvernement arrive pour sauver la République. Erreur ! La Commission pour la transparence financière de la vie politique, créée par la loi du 11 mars 1988, est chargée depuis vingt-cinq ans du contrôle des déclarations de patrimoine de plus de 6 000 personnalités. Il lui appartient de vérifier que les personnes assujetties n'ont pas bénéficié d'un enrichissement anormal du fait de leurs fonctions.

Notons encore la loi organique du 19 janvier 1995, puis la loi du 8 février 1995, relative à la déclaration du patrimoine des membres du Gouvernement et des titulaires de certaines fonctions, qui a élargi le champ des personnes assujetties à l'obligation de déclaration de patrimoine.

Je tiens par ailleurs à préciser que le paquet électoral issu de la loi du 14 avril 2011 portant simplification de dispositions du code électoral et relative à la transparence financière de la vie politique avait déjà permis de renforcer les pouvoirs de la Commission pour la transparence financière de la vie politique.

Monsieur le ministre, pourquoi créer une nouvelle autorité ? Pourquoi ne pas étendre tout simplement les pouvoirs de la Commission pour la transparence financière de la vie politique ? Pourquoi exclure la Haute autorité du champ de la Commission d'accès aux documents administratifs ? Elle doit être tout aussi transparente que n'importe quelle autre autorité administrative indépendante. J'avoue ne plus comprendre. Votre transparence est bien trop sélective ; vous la prônez quand cela vous arrange.

Quant à la publicité des déclarations de publication de patrimoine, je n'y suis pas par principe hostile – je n'ai rien à cacher –, sous réserve toutefois que sa forme et son contenu ne conduisent pas à livrer la vie entière des élus en pâture. Il ne faut pas, au nom de la transparence, tomber dans l'exhibition. Je considère que la publication du patrimoine est superflue si le contenu déclaré est certifié.

Comme on le voit, ces textes que le Gouvernement brandit comme un étendard ne sont pas précurseurs.

Je souhaiterais enfin faire une remarque qui me semble primordiale : vous avez oublié les collectivités territoriales. Que faites-vous des rapports de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes ? Ils ne servent pas à grand-chose. Ils sont nombreux à dénoncer les dérives. Je me suis investi sur ce sujet et j'ai déposé des propositions de loi ayant pour objet la certification des comptes des collectivités. La transparence ne se tronçonne pas.

Pour conclure, ces textes sont une pure et simple opération politicienne. Cette vaste opération de transparence a commencé avec la publication des déclarations de patrimoine des ministres. J'ai lu les trente-huit déclarations : aucun ministre n'a déclaré sa voiture de fonction comme avantage en nature ni tous les moyens mis à disposition de son ministère.

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