Intervention de Pascal Cherki

Séance en hémicycle du 20 juin 2013 à 15h00
Lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière-procureur de la république financier — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPascal Cherki :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, la fraude fiscale existe depuis qu’existe l’impôt. Elle a souvent pris, par le passé, le visage de la résistance populaire à la perception de l’impôt injuste.Injuste parce que, sous l’Ancien Régime, la contribution aux charges publiques ne frappait principalement que le tiers état, la noblesse et le clergé en étant largement exemptés.Injuste parce que la contribution aux charges publiques se confondait souvent avec l’entretien des ces deux ordres parasites qui vivaient aux crochets de la majorité du peuple des campagnes et des villes.Le consentement à l’impôt par les représentants du peuple réunis dans une Assemblée nationale fut une des grandes causes de la Révolution française et, à tout le moins, un des objectifs politiques des dirigeants révolutionnaires, qui trouva sa traduction dans deux articles de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.L’article 13 dispose que : « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. »L’article 14 proclame que : « Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée. »Ce changement de paradigme issu de la Révolution française allait progressivement changer la nature de la relation à l’impôt.L’impôt devant être réparti entre tous les citoyens à raison de leurs facultés, la contribution des riches et du capital à la ressource publique devenait une évidence qui allait cependant susciter des résistances, des résistances de classe.Cette question fut de plus en plus prégnante au fur et à mesure que se développèrent l’impôt progressif et l’État-providence, qui furent les deux grands piliers de la construction de l’égalité dans notre République.Depuis, la question de la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales est devenue celle de la lutte de la République contre la volonté d’une partie de la bourgeoisie d’échapper aux taxes et aux impôts.Bien évidemment, il existe une fraude fiscale populaire, qui doit, comme toute fraude, être combattue, mais les sommes qu’elle représente sont sans commune mesure avec l’extraordinaire industrie de l’évasion, de la fraude, de l’optimisation fiscales et du blanchiment d’argent qui s’est développé par et pour les riches.Quand, dans les années vingt, fut révélé le scandale de la Banque commerciale de Bâle, on ne découvrit dans la liste des fraudeurs aucun ouvrier, mais des généraux, de hauts prélats, des membres des bonnes familles françaises.Pendant les Trente Glorieuses, cette question revêtit une importance moindre, car l’expansion issue de la croissance assurait les ressources nécessaires pour permettre de garantir l’expansion des services publics et la progression des salaires.La lutte contre la fraude fiscale est à nouveau d’actualité aujourd’hui en raison de la nécessité dans laquelle se trouvent les États d’obtenir des ressources pour assurer simultanément la réduction de l’endettement public, le financement de la croissance et la réduction des inégalités issues de trente années de politique libérale ayant gravement échoué partout dans le monde. Encore fallait-il que cette nécessité rencontrât une volonté politique. C’est chose faite, je l’espère, par le projet de loi, par ce beau projet de loi de gauche ! Certes, des mesures ont déjà été prises au cours des dernières années, en particulier la création et la montée en puissance de Tracfin, mais jamais à un tel point ni avec une volonté politiquement coordonnée et assumée.Une telle volonté ne pouvait venir que de la gauche, car en France c’est la gauche qui porte ce combat. La gauche crée l’impôt sur les grandes fortunes quand la droite le supprime et organise un bouclier fiscal pour protéger les très riches tout en hurlant contre l’assistanat. La gauche se bat pour la juste contribution des riches aux charges publiques quand la droite préfère stigmatiser les classes populaires et opposer les ouvriers aux chômeurs tout en versant des larmes de crocodile sur les exilés fiscaux tels que Gérard Depardieu.

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