Ainsi, vous proposez au Parlement un authentique changement de constitution, sans en avoir le mandat et sans solliciter pour cela les voies institutionnelles normales. Ce changement ne consiste d'ailleurs pas à passer de la Ve à la VIe République, ce qui avec le quinquennat pourrait se concevoir, mais à revenir de la Ve à la IVe, plus la technostructure, mouvement de progrès qui n'échappe à personne…
En effet, nous avons la conviction qu'en changeant la nature même des responsabilités politiques, comme vous le faites globalement, vous modifiez en réalité l'équilibre fondamental de nos institutions. Dans l'esprit de celles-ci, l'équilibre entre les pouvoirs passe par un ancrage territorial solide des législateurs, seul moyen de pouvoir résister à la force du pouvoir exécutif – nécessité au reste passablement renforcée par l'adoption du quinquennat. Les électeurs comprennent d'ailleurs très bien cette complémentarité, eux qui réélisent souvent et volontiers député leur maire, et maire leur député ou sénateur !
C'est pourquoi, monsieur le ministre, votre texte est incertain : du moins, à défaut de l'être dans ses intentions, il l'est dans ses conséquences, pour la cohésion de notre territoire national tout comme pour la diversité de nos assemblées parlementaires. J'ajoute comme une dernière conséquence celle qui résulte de l'opération de camouflage à laquelle vous vous livrez en ce qui concerne les élus locaux. J'interrogeais l'autre jour en commission notre rapporteur, lui disant ma surprise. Selon ce texte, les parlementaires deviendraient, au jour même de leur élection, incapables de faire plusieurs choses à la fois : comme la date de péremption d'une boîte de conserve, celle de leur élection les rendrait, du jour au lendemain, incapables, à la différence de tous les autres élus de ce pays, d'exercer plusieurs responsabilités en même temps ! Et je demandais au rapporteur quelle pouvait être la malédiction qui accompagnait si soudainement l'onction du suffrage universel. La réponse fusa comme une sorte d'évidence : bien entendu, nous a-t-on répondu, les élus locaux seront dans un bref avenir soumis au même régime d'incompatibilités. Et ils seront également privés du droit de diriger des établissements publics, comme de la possibilité de siéger dans les exécutifs territoriaux – y compris, d'ailleurs, ceux des intercommunalités dont leur commune sera membre.