Intervention de Jean-Frédéric Poisson

Séance en hémicycle du 3 juillet 2013 à 15h00
Interdiction du cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur -interdiction du cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au parlement européen — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Frédéric Poisson :

Votre texte est également incertain sur le plan constitutionnel. En effet, les dispositions contenues dans l'actuel article 3 de la loi organique précisent les modalités selon lesquelles les parlementaires en situation de cumul au terme de la future loi et souhaitant renoncer à leur mandat pourraient se faire remplacer par leur suppléant à l'Assemblée nationale ou au Sénat. Mes chers collègues, cela pose un problème car, à l'évidence, lorsque les mandats arriveront à échéance, il faudra bien être en situation de choix, et je doute que le Sénat maintienne en l'état les dispositions prises par notre commission.

Je veux rappeler ici qu'à l'occasion de la réforme constitutionnelle de 2008, le Conseil constitutionnel a statué sur les effets de l'article 25 de la Constitution et sur les modalités de remplacement des parlementaires titulaires par leur suppléant. Le Conseil constitutionnel avait à l'époque formulé une doctrine très précise dans sa décision du 8 janvier 2009 numérotée 2058-572. Voici ce que dit cette décision : « Si le parlementaire qui a accepté des fonctions gouvernementales renonce à reprendre l'exercice de son mandat avant l'expiration d'un délai d'un mois suivant la cessation de ces fonctions, son remplacement devient définitif. » C'était le sens de la loi organique soumise au Conseil. Mais, nous dit celui-ci, « considérant qu'en autorisant ainsi le député ou le sénateur ayant accepté des fonctions gouvernementales à conférer un caractère définitif à son remplacement, ces dispositions ont méconnu le deuxième alinéa de l'article 25 de la Constitution qui ne prévoit, dans ce cas, qu'un remplacement temporaire ». À ce titre, le Conseil avait censuré les articles de la loi organique.

Évidemment, la situation des maires démissionnant de leur mandat parlementaire pour continuer à siéger dans leur mairie n'est pas traitée, ni par l'article 25 de la Constitution, ni par la loi organique, ni par la décision du Conseil constitutionnel. Chacun en comprendra aisément les raisons. Cela étant dit, ce qui est traité, et même de manière très précise, c'est le principe même du remplacement des parlementaires par leur suppléant. Et à ce titre, il apparaît à l'évidence, aux termes de la Constitution, qu'il est très difficile d'envisager qu'un suppléant puisse remplacer le député ou le sénateur titulaire à titre définitif, dans les autres cas que les deux situations actuellement prévues par notre droit : le décès ou la prolongation d'une mission parlementaire. Ainsi, le Conseil constitutionnel rappelait en 2009 que la faculté pour un titulaire de se faire remplacer par son suppléant est d'abord et davantage ouverte à la République et au fonctionnement institutionnel qu'aux personnes concernées elles-mêmes. Sans le dire tout à fait, le Conseil constitutionnel rappelle que la mécanique des entrées et sorties du Gouvernement ou d'autres fonctions incompatibles avec un mandat parlementaire ne peut obéir aux modalités de l'arrangement, ni à des motifs purement personnels. Au point que, aux termes mêmes de la décision du Conseil, la Constitution ne permet pas aux parlementaires devenus ministres de renoncer purement et simplement à leur mandat de parlementaire, une fois sortis du Gouvernement, pour laisser siéger à titre définitif leur suppléant. On ne peut mieux dire que le respect absolu du suffrage universel qui désigne les représentants de la souveraineté nationale au Parlement doit l'emporter sans cesse sur toute volonté de l'instrumentaliser.

À ce titre, votre texte nous paraît gravement entaché d'une difficulté constitutionnelle de principe. Dans sa lettre, il est clairement contraire aux éléments de jurisprudence du Conseil constitutionnel, au sens où il valide la possibilité d'un remplacement définitif d'un titulaire par son suppléant. Dans son esprit, cet article relève à l'évidence d'une volonté d'arranger les affaires locales en voulant à tout prix s'éviter l'inconfort d'élections législatives partielles en rafale, avec tous les risques qu'un tel exercice peut comporter. Nous pouvons parfaitement comprendre votre volonté électoraliste de confort, mais nous ne pouvons pas en accepter la portée institutionnelle. C'est la raison pour laquelle il nous paraît souhaitable que le Conseil constitutionnel, le moment venu, se prononce sur cet aspect de votre projet de loi.

Dans ce contexte, nous avons souhaité proposer à notre Assemblée une solution respectant tout à la fois le nécessaire ancrage territorial des parlementaires et l'évolution récente de notre droit. La proposition de notre groupe prend en compte plusieurs éléments de principe.

Premièrement, nous avons la conviction que la possibilité pour un parlementaire d'exercer une responsabilité exécutive est bénéfique tant pour la nation que pour le territoire et que cette possibilité garantit en même temps la diversité nécessaire au bon fonctionnement de nos institutions.

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