Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici donc appelés à débattre une nouvelle fois des soins psychiatriques sans consentement. C’est un sujet important et complexe, et je regrette que nous ayons à le traiter dans l’urgence, sur l’injonction du Conseil constitutionnel. Je regrette également que le texte proposé se limite aux soins sans consentement, alors que, de toute évidence, les problématiques sont liées et justifient une loi-cadre sur l’organisation des soins en psychiatrie, une loi nécessaire et attendue tant par les soignants que par les usagers et leurs associations.
C’est le Conseil constitutionnel, en effet, qui, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, a déclaré contraire à la Constitution une partie de la loi du 5 juillet 2011, jugeant les conditions de mainlevée d’une décision de soins psychiatriques sans consentement pour les personnes déclarées pénalement irresponsables ou ayant séjourné dans une unité pour malades difficiles trop rigoureuses par rapport à celles qui sont appliquées aux autres malades faisant l’objet de soins sans consentement.
La nécessité, aujourd’hui, de revenir sur une loi votée il y a deux ans à peine souligne ses imperfections. Car l’héritage de l’ancien gouvernement, ce n’est pas seulement une dette publique massive, c’est aussi un corpus de lois sécuritaires, votées dans la précipitation et sous le coup de l’émotion née, pour ne pas dire cultivée, après des faits divers tragiques. Des lois votées pour de mauvaises raisons, insuffisamment travaillées et imposées brutalement contre le professionnalisme des acteurs, véritablement mis en cause alors qu’ils sont confrontés à des problèmes extrêmement difficiles, et contre les principes constitutionnels.
Que dire du texte qui nous est proposé ?
Il est dommage, je le répète, qu’il soit examiné dans des délais courts, le Conseil constitutionnel ayant fixé au 1er octobre 2013 la date limite pour mettre la loi sur les soins psychiatriques sans consentement en conformité avec la Constitution. Mais ce n’est qu’une étape, du moins je l’espère.
Il faut cependant saluer le fait que ce texte est issu d’une mission d’information conduite par nos collègues Jean-Pierre Barbier et Denys Robiliard, auxquels je tiens à rendre hommage pour le sérieux de leur travail et l’esprit constructif et ouvert dans lequel ils l’ont mené.
Ce texte tend tout d’abord à tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel concernant les UMD en supprimant toute mention légale de ces unités. Il s’attache par ailleurs à modifier d’autres dispositions de la loi de 2011 sur lesquelles les auditions et les visites effectuées ont attiré notre attention.
Ainsi, il aménage le régime spécifique des irresponsables pénaux, notamment en prenant en compte le degré de gravité des faits commis. Il réintroduit les sorties thérapeutiques de courte durée et prévoit des sorties non accompagnées de quarante-huit heures. Il réduit le délai d’intervention du juge et prévoit que les audiences du JLD se tiendront à l’hôpital, sauf cas de force majeure. Enfin, il facilite l’accès aux soins psychiatriques pour les personnes incarcérées. Disons-le d’emblée, il s’agit d’un texte qui va dans le bon sens, même si nous avons quelques regrets, sur lesquels je reviendrai.
Pourquoi est-ce un bon texte ?
Tout d’abord, parce qu’il rompt avec la vision sécuritaire qui présidait à la loi de juillet 2011 et qu’a censurée le Conseil constitutionnel. Ainsi, pour ne prendre que ces exemples, le délai d’intervention du juge des libertés et de la détention est ramené de quinze à dix jours, et la notion de soins psychiatriques sans consentement en ambulatoire est clarifiée. Lors de l’examen du projet de loi présenté par la précédente majorité, nous avions dénoncé l’absurdité de cette notion, en soulignant à la fois que la contrainte ne peut être appliquée en ambulatoire et que l’assentiment au traitement est étroitement lié à la relation de confiance qu’un psychiatre cherche à établir avec son patient.
Le Conseil constitutionnel considère pour sa part qu’aucune mesure de contrainte à l’égard d’une personne soumise à un programme de soins psychiatriques en ambulatoire ne peut être mise en oeuvre sans que la prise en charge ait été préalablement transformée en hospitalisation complète. La proposition de loi reprend cette notion, certes complexe, mais essentielle, de soins sans consentement, mais aussi – et le plus souvent possible – sans contrainte.
Un autre apport de ce texte mérite d’être souligné : il inscrit dans la loi que toute personne incarcérée doit recevoir des soins psychiatriques si elle le demande. Cette mesure est importante et de bon sens, puisque, selon les études, près de huit hommes incarcérés sur dix présenteraient une pathologie psychiatrique. Elle exigera, bien sûr, pour être effective, que les moyens nécessaires soient consacrés à son application.
Néanmoins, je voudrais formuler quelques regrets.
D’abord, je déplore que le délai d’intervention du JLD soit ramené de quinze à seulement dix jours. Mme la ministre s’inquiète de ce raccourcissement de délai – nous en reparlerons. Pour notre part, nous avions pensé qu’un délai de cinq jours serait suffisant. Je regrette d’autant plus que cette solution n’ait pas été retenue que ce point avait fait consensus au sein de la mission et que les raisons invoquées ne me paraissent pas acceptables.
Dans l’exposé des motifs de la proposition de loi, il est indiqué que « les discussions menées tant avec le ministère de la santé et des affaires sociales qu’avec le ministère de l’intérieur et celui de la justice ont fait apparaître que ce délai » – de 5 jours – « serait très insuffisant au regard des contraintes administratives et judiciaires. » S’il convient en effet de tenir compte de ces contraintes, il faut faire attention au poids qu’elles représentent face à l’enjeu.
En définitive, c’est le manque de moyens accordés à la justice qui conduit à risquer de prolonger inutilement l’hospitalisation sans consentement. Un mauvais esprit pourrait conclure que, pour ne pas encombrer les services de la justice, on décide d’encombrer les hôpitaux… Outre qu’il s’agit d’une atteinte à la liberté des personnes – ce qui n’est pas un détail, chacun, ici, en convient –, je me permets de rappeler que les journées d’hospitalisation ont, elles aussi, un coût, ce qui souligne la limite de ce genre de raisonnement.
Je regrette également que le préfet garde une place importante dans le processus d’hospitalisation sans consentement. Dans son excellent rapport, notre collègue Denys Robiliard atténue le rôle du préfet en le qualifiant de « subsidiaire », sans négliger cependant les difficultés et les dangers que recèle la référence à l’ordre public. Il rappelle ainsi le témoignage édifiant d’un psychiatre entendu pendant les auditions, qui évoque « la psychiatrisation de personnes qui ont refusé un contrôle d’alcoolémie en se querellant verbalement avec les forces de police un vendredi soir et qui aboutissent pendant soixante-douze heures en psychiatrie, alors qu’il n’y a aucun trouble psychiatrique, sans aucun recours, sans visite, sans communication et sans le bénéfice d’un avocat. »
J’ai bien compris que ce sont surtout les maires des petites communes qui tiennent au maintien des services de la préfecture dans le dispositif pour des raisons de commodité, mais aussi sans doute par habitude. Celui-ci pourrait donc être modifié sans dommage.
Cette disposition est d’autant plus regrettable que l’intervention du préfet explique pour partie le phénomène de « tourniquet » décrit dans le rapport : « Alors que d’autres malades attendent d’être pris en charge, des lits sont occupés en raison de la tendance des préfets à retarder la mainlevée des mesures d’hospitalisation sans consentement. Dès lors, afin de libérer des places, les établissements sont contraints de faire sortir d’autres patients trop tôt, ceux-ci risquant donc de devoir retourner en établissement à brève échéance. »
Ce même rapport soulève d’autres questions très importantes auxquelles cette proposition de loi ne répond pas, concernant notamment l’hospitalisation en psychiatrie des mineurs – mais j’ai noté qu’un amendement avait été déposé sur ce sujet et je m’en félicite – ou le fonctionnement des secteurs psychiatriques qui sont en grande difficulté et qu’il convient à la fois de réhabiliter et de développer.
Madame la ministre, vous évoquez souvent, et à juste titre, le parcours de soins : celui du malade mental est à reconstruire entièrement, tant pour permettre un diagnostic précoce et des traitements adaptés qu’un suivi rigoureux. Ces lacunes rendent plus que jamais nécessaire la loi de santé mentale que j’appelle de mes voeux. Pouvez-vous, madame la ministre, prendre des engagements sur cette question qui nous préoccupe ?
Enfin, je me permets de rappeler que l’avenir de la psychiatrie ne peut être dissocié de celui des hôpitaux publics. Lors des auditions, nous avons entendu qu’il fallait, selon les régions, de six à neuf mois pour obtenir un rendez-vous dans un centre médico-psycho-pédagogique avec un pédopsychiatre public, ce qui n’est pas tolérable. A ce titre, la poursuite de la politique d’austérité budgétaire annoncée par le Gouvernement me fait craindre le pire – mais je veux encore espérer.
En conclusion, ce texte rompt avec la démarche sécuritaire qui inspirait la loi précédente – je le répète, car c’est essentiel – et il marque, malgré ses limites, d’indiscutables progrès dont je me félicite. C’est pourquoi les députés du groupe GDR le voteront sans hésiter. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)